« Quand j’entre dans une cathédrale – il y en a sept en Bretagne – dans une église ou dans une chapelle – il y en a foison et dans tous les coins – je m’interroge. Qui l’ a bâtie ? Pourquoi ? Quand ? Pendant combien de temps ? À quel saint, quelle sainte est-elle vouée ? Quelle fut la vie de cet homme qui a écrit dans le cahier de prières ? Pourquoi a-t-il fait grincer la pénombre de cet église ? Mais d’abord je pénètre à l’intérieur du silence des pierres, puis je cherche quelque chose, à défaut de quelqu’un qui aurait l’oeil ouvert, l’oreille creusée. Je compte sur la chance qui pourrait changer, même d’une virgule, le cours d’une journée. Lui donner sa verticale. Ainsi ce touriste qui, en passant par sa prière, passe par le ciel pour retourner sur la terre et poursuivre son voyage. J’imagine un homme d’un certain âge, mais pas trop vieux, pas trop pressé. Plutôt honnête et même généreux. Nous sommes au printemps, à Pâques, il fait un temps à buissonner, à suivre ses panneaux intérieurs, à se souvenir de cette étrange chapelle aux mille clochetons dont on lui a parlé un jour et de la danse macabre, peinte comme si elle avait été peinte hier. Elle résiste sur son mur, se souvient de la Grande Peste de 1347 qui dévasta l’Asie et l’Europe jusqu’à la pointe bretonne. Cette danse macabre remonte au Moyen-Âge. Comme l’oeuvre du poète François Villon. »
La Bretagne sans permis. Éditions Ouest-France. 2021.
Yvon le Men a lu le poème Solo sur Radio-Armorique, le jour de l’Ascension, en 1981, quelques mois avant la mort de Xavier Grall. Depuis, il déclame souvent les poèmes du poète breton.
Prologue de Besoin de poème, Editions du Seuil, 2006.
“Je fus le premier lecteur et diseur de ce poème. j’ai fait corps avec lui sans aucune distance, sans aucune protection. Vingt ans plus tard, je confirme ma chance de l’avoir lu, mon choix de l’avoir dit. Jamais prière ne fut plus juste, plus humble, plus incarnée par un corps aussi désincarné, par un homme aussi épuisé. A chaque phrase, Xavier lampait une gorgée d’air puis rejetait une gorgée de mots. jamais poème ne fut plus inspiré, jamais le mot respiration ne prit autant sa place entre inspiration et expiration. jamais souffle ne fut aussi essoufflé.”
Solo
Seigneur me voici c’est moi je viens de petite Bretagne mon havresac est lourd de rimes de chagrins et de larmes j’ai marché Jusqu’à votre grand pays ce fut ma foi un long voyage trouvère j’ai marché par les villes et les bourgades François Villon dormait dans une auberge à Montfaucon dans les Ardennes des corbeaux et des hêtres Rimbaud interpellait les écluses les canaux et les fleuves Verlaine pleurait comme une veuve dans un bistrot de Lorraine Seigneur me voici c’est moi de Bretagne suis ma maison est à Botzulan mes enfants mon épouse y résident mon chien mes deux cyprès y ont demeurance m’accorderez-vous leur recouvrance ? Seigneur mettez vos doigts dans mes poumons pourris j’ai froid je suis exténué O mon corps blanc tout ex-voté j’ai marché les grands chemins chantaient dans les chapelles les saints dansaient dans les prairies parmi les chênes erraient les calvaires O les pardons populaires O ma patrie j’ai marché j’ai marché sur les terres bleues et pèlerines j’ai croisé les albatros et les grives mais je ne saurais dire jusqu’aux cieux l’exaltation des oiseaux tant mes mots dérivent et tant je suis malheureux
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs
Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années?
Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine!
Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord
Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports
je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié!
La mort vient tôt frapper à notre porte les vents d’hiver emportent les poitrinaires et pour flétrir les pâles primevères il suffit que l’ondée se conforte d’un peu de givre et de Galerne la vie s’en va la vie s’en vient ma belle passante mon étrangère la vie s’en vient la vie s’en va lonla lonlaine et caetera S SOL L O ma rose des vents mon signe de croix S O ILE O Mon ex-voto dans la crypte marine chantez saxos S O L FOL stèle et fanal flamme amer du littoral signe vertical de la raison face aux fatales démences de la mer et des lames
J’aurais aimé chanter le triomphe des marées à la corne des caps et la douceur des plages dans les criques pélagiennes un orchestre de pianistes et de harpeurs eût repris le thème de l’antienne car je portais dans mon sang mystique des hymnes marins et des fureur liturgiques j’aurais aimé chanter les varechs verts les germons bleus les daurades d’or les couleurs et les chaos par la harpe et le saxo mon Dieu je vous adore Orgues de Benjamin Britten Cuivres de Ludwig Van Beethoven Les symphonies fusent dans les rocs d’Ouessant les tintamarres furieux fracassent les brisants qui dira les sonorités multicolores dans la gorge des rias les corps morts dansent les cormorans fustigent les amarres les coques des naufrages cognent dans les baies des oiseaux hurleurs descendent dans mes veines mon âme est cette porte battante ouverte sur la mer j’attends la fuite des vents à la renverse paix sur les noyés et les goémons paix sur les îles et les quais mon cœur tranquille caboulot à la bonne brise au-dessus des limons affiche son enseigne «Au repos du marin»
Solo
Solo de mes noyades solo de mes sanglots j’agite des violons brisé sur mes amours mortes mes barques chavirées accrochent des grelots aux chagrins sourds qui lentement m’emportent Solo Solo d’oraisons ferventes il m’arrive de prier dans les églises défuntes Notre-Dame des poètes mère des Atlantes pitié pour ce voilier perdu au large des pâles limbes Solo Solo de mes années passantes haleurs et musiciens désertent les bordées mon âme est cette Marie-Galante que défoncent les vins et les rhums boucanés
Solo
Solo de mes pensées dolentes
musiques enfuies motets anciens
tout périt dans les marées violentes
l’Océan tracasse des pianos
à la gueule des chiens
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous issu d’un pays de mer
les tempêtes ont réjoui mon amère jeunesse
la liesse des alizés roulait dans les collèges
les goélands croisaient dans mes classes latines
des Maris Stella à matines
éclataient dans les nefs
les noroîts jouaient de l’harmonium
délirium du graduel
cantique des grèves ivres
O les navires et les chapelles
Etoile de la mer
Qu’ai-je fait de ma chère jeunesse?
Seigneur me voici c’est moi
dans les bonnes auberges
j’ai traîné ma détresse
les bouteilles entonnaient des pavanes
dans les verres je buvais des rengaines
les bars roulaient comme des rivières
j’ai prié comme jamais dans les ivresses
faisant des femmes des suzeraines
qu’elles fussent allemandes
bretonnes françaises
leur beauté glorifiée par l’absinthe
dissolvait la bassesse
c’était ma tournée aux tables saintes
Seigneur
les bars chantent toujours dans les villes
ma santé trop vile les déserte
je ne vois plus les Belles
qu’au fond de ma mémoire
Brestoises Rhénanes ou Parisiennes
elles ont quitté mon domaine
fermons les persiennes
sur mes cinquante et une années
j’écrase les feuilles mortes
dans les allées
les temps ronge les vies et les grimoires
adieu les Reines les bars et camarades
je tiens comme un pourboire
votre souvenir
adieu mes fêtes et mes délires
adieu mes désirades
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Seigneur Dieu
A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de lamer
Voilà et puis encore ceci
Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement incroyable
De votre création
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards et les milliards
De vos créatures
A présent que les feuilles et les mains
De douce Nature
Me closent les yeux !
Mais Seigneur Dieu
Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue !”
Solo et autres poèmes, Editions Calligrammes, 29000 Quimper 1981.
Yvon Le Men (Tréguier, Côtes d’Armor, 1953), Prix Goncourt de la Poésie 2019, cite ce poème si célèbre de Victor Hugo ce matin à la radio…Il vit à Lannion.
Demain, dès l’aube…
XIV
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
3 septembre 1847.
Pauca meae (quelques vers pour ma fille), livre quatrième Les Contemplations. 1856.