Virginia Woolf

Le 28 mars 1941, Virginia Woolf (née Adeline Virginia Alexandra Stephen) emplit ses poches de cailloux et se suicide par noyade dans la rivière de l’Ouse, près de sa maison de Monk’s House, dans le village de Rodmell (Sussex de l’Est), où elle vivait avec son mari Leonard Woolf. Elle avait 59 ans. Son corps est retrouvé trois semaines plus tard, le 18 avril. Son mari enterre ses cendres dans le jardin de Monk’s House.

Virginia Woolf n’est pas vraiment pessimiste ni si difficile à lire.

« Pendant ce temps, les verres se coloraient de jaune puis de rouge, et se remplissaient et se vidaient. C’est ainsi que s’allumait en moi, à mi-chemin de l’épine dorsale, lieu où siège l’âme, non pas cette dure petite lumière électrique que nous appelons éclat quand elle joue allègrement sur nos lèvres, mais cette lueur plus profonde, subtile et souterraine qui est la riche flamme orange des relations raisonnables. Nul besoin de se presser. Nul besoin de briller. Nul besoin d’être différent de ce qu’on est. Nous allons tous au ciel et Van Dyck est parmi nous – en d’autre termes, que la vie parut agréable, douces ses récompenses, futile telle animosité, telle injustice, admirables, l’amitié et la société de nos semblables, lorsque, allumant une bonne cigarette, nous nous laissâmes tomber, parmi les coussins, sur une banquette auprès de la fenêtre! »

Une chambre à soi. Traduction Clara Malraux. Gonthier, 1951. 10-18 n°2801. p.18.

«Meanwhile the wine glasses had flushed yellow and flushed crimson; had been emptied; had been filled. And thus by degrees was lit, half-way down the spine, which is the seat of the soul, not that hard little electric light which we call brilliance, as it pops in and out upon our lips, but the more profound, subtle, subterranean glow which is the rich yellow flame of rational intercourse. No need to hurry. No need to sparkle. No need to be anybody but oneself. We are all going to heaven and Van Dyck is of the company – in others words, how good life seemed, how sweet its rewards, how trivial this grudge or that grievance, how admirable friendship and the society of one’s kind, as, lightning a good cigarette, one sunk among the cushions in the window seat.»

A Room of One’s Own , 1929.

Monk’s house.

Virginia Woolf

Virginia Woolf assise sur un fauteuil à Monk’s House (Rodmell).

« Je m’en retournai à mon auberge et, tout en marchant le long des rues sombres, je réfléchissais à une chose et à une autre, comme on le fait d’habitude à la fin d’une journée de travail. Je me demandais pourquoi Mrs. Seton n’avait pas pu nous laisser d’argent, et quel était l’effet produit sur l’esprit par la pauvreté; et je pensais à ces étranges vieux messieurs, porteurs de touffes de fourrure sur leur épaules, que j’avais vus le matin, et je me souvins de la façon dont l’un deux se mettait à courir au premier coup de sifflet; et je pensais à l’orgue qui faisait retentir la chapelle de ses accents et aux portes fermés de la bibliothèque; et je pensais qu’il est bien désagréable d’être enfermé au-dehors; puis je pensais qu’il est pire peut-être d’être enfermé dedans; et, pensant à la sûreté et à la prospérité d’un sexe et à la pauvreté et à l’insécurité de l’autre et à l’effet de tradition et du manque de tradition sur l’ esprit d’un écrivain, je pensai enfin qu’il était temps de rouler en boule la vieille peau ratatinée de cette journée, avec ses raisonnements et ses impressions, et sa colère et ses rires, et de la jeter dans la haie. Mille étoiles brillaient dans la solitude du ciel bleu. On se sentait comme seul au milieu d’une société impénétrable. Tous les êtres humains étaient endormis, étendus sur le ventre, horizontalement, sans voix. Nul ne bougeait, semblait-il, dans les rues d’Oxbridge. La porte de l’hôtel s’ouvrit brusquement sous l’action d’une main invisible -nul garçon ne veillait pour me conduire, lumière à la main, jusqu’à ma chambre, tant il était tard.»

Une chambre à soi. Traduction Clara Malraux. Gonthier, 1951.

« So I went back to my inn, and as I walked through the dark streets I pondered this and that, as one does at the end of the day’s work. I pondered why it was that Mrs. Seton had no money to leave us; and what effect poverty has on the mind; and what effect wealth has on the mind; and I thought of the queer old gentlemen I seen that morning with tufts of fur upon their shoulders; and I remembered how if one whistled one of them ran; and I thaught of the organ booming in the chapel and of the shut doors of the library; and I thought how unpleasant it is to be locked out; and I thought how it is worse perhaps to be locked in; and thinking of the savety and prosperity of the one sex and of the poverty and security of the other and of the effect of tradition and of the lack of tradition upon the mind of a writer, I thought at last that it was time to roll up the crumpled skin of the day, with its arguments and its impressions and its anger and its laughter, and cast it into the hedge. A thousand stars were flashing across the blue wastes of the sky. One seemed alone with an inscrutable society. All human beings were laid asleep – prone, horizontal, dumb. Nobody seemed stirring in the streets of Oxbridge. Even the door of the hotel sprang open at the touch of a invisible hand – not a boots was sitting up to light me to bed, it was so late.»

A Room of One’s Own. 1929.

Autres traductions en français:

Nouvelle traduction d’Élise Argaud sous le titre Une pièce bien à soi, Payot & Rivages, Rivages poche. Petite bibliothèque n° 733, 2011.

Nouvelle traduction annotée de Jean-Yves Cotté sous le titre Une chambre à soi, Gwen Catalá Éditeur, 2016 (édition bilingue – publication numérique et papier), publiée précédemment aux éditions publie.net en 2013 sous le titre Une pièce à soi (publication numérique et papier), épuisée.

Nouvelle traduction de Marie Darrieussecq sous le titre Un lieu à soi, éditions Denoël, 2016. Folio classique n°6764. Février 2020.

Traduit pour la première fois en espagnol par Jorge Luis Borges: Un cuarto propio. Sur, 1936.

Autres traductions: Una habitación propia, Laura Pujol, Seix Barral, 1967.

Una habitación propia, Catalina Martínez Muñoz, Alianza, 2012.

(Merci à Jo Coyne)

Virginia Woolf

La Promenade au phare. Il est paru en Mai 1927 et en France, chez Stock, en 1929. Livre de poche n° 3019. Biblio.

Mr. et Mrs Ramsay passent leurs vacances sur l’île de Skye en Ecosse, avec leurs huit enfants et quelques amis. Il y a un étudiant impécunieux, un couple d’amoureux, une peintre, Lily Briscoe, un écrivain et un poète. Tout au long du texte, on entend la mer et, en leitmotiv, la promenade en bateau vers le phare. Les personnages de Mr. Ramsay et Mrs Ramsay sont inspirés par les parents de Virginia Woolf, Sir Leslie Stephens et Julia Stephen Duckworth (née Julia Jackson) Les deux grands thèmes du roman sont la fuite du temps et l’art.

Journal, 14 mai 1945.

«Ce sera assez court. Rien ne manquera au caractère de Père. Il y aura aussi Mère, Saint-Ives, l’enfance et toutes les choses habituelles que j’essaie d’inclure, la vie, la mort etc. Mais le centre, c’est l’image de Père, assis dans un bateau et récitant Nous périmes chacun tout seul, pendant qu’il aplatissait un maquereau moribond.»

Après la lecture du roman, Leonard Woolf, son mari, affirma que c’était un chef d’oeuvre: «entièrement nouveau… un poème psychologique” . Virginia Woolf pensait que ce roman, de loin le plus autobiographique de son œuvre, était le meilleur de ses livres. Elle l’envoya à son amie Vita Sackville West le 5 mai 1927 avec cette dédicace: «Pour Vita, de la part de Virginia (à mon avis le meilleur roman que j’ai jamais écrit).»

«Quand j’écris, je ne suis qu’une sensibilité.»

La première édition fut tirée à 3 000 exemplaires. Le livre se vendit mieux que tous les autres romans de l’écrivain et les gains permirent au couple d’acheter une voiture.

Julia Jackson, 1867. (Julia Margaret Cameron).

La Promenade au Phare. Traduction Maurice Lanoire. Stock 1929. Livre de poche. Pages 257-258.

«Le vent avait dispersé la traînée de fumée ; il y avait quelque chose de déplaisant dans la façon dont les bateaux se trouvaient placés.
La disproportion qui existait là lui semblait détruire une harmonie dans son propre esprit. Elle éprouvait un obscur sentiment de détresse. Il se confirma lorsqu’elle se tourna vers son tableau. Elle avait gaspillé sa matinée. Pour une raison ou pour une autre, elle ne pouvait pas arriver à équilibrer avec une précision absolue ces deux forces opposées, Mr. Ramsay et sa peinture ; et cet équilibre était pourtant nécessaire. Peut-être y avait-il quelque chose de défectueux dans sa composition ? Était-ce, se demandait-elle, la ligne du mur qui avait besoin d’être brisée, ou bien la masse formée par les arbres qui était trop épaisse ? Elle eut un sourire ironique ; car ne s’était-elle pas imaginé, en commençant, qu’elle avait résolu le problème ?
Quel était donc ce problème ? Il lui fallait s’efforcer de s’emparer de quelque chose qui lui échappait. Cette chose-là lui échappait lorsqu’elle pensait à Mrs. Ramsay ; elle lui échappait maintenant lorsqu’elle pensait à la peinture. Des phrases lui venaient. Des visions lui venaient. Et de beaux tableaux. De belles phrases. Mais ce dont elle voulait s’emparer c’était la discordance qui agit sur les nerfs, la chose elle-même avant qu’on en ait rien tiré. Procurez-vous cela et recommencez par le commencement, se disait-elle avec désespoir en se plantant fermement devant son chevalet. C’était un misérable appareil et bien imparfait, se disait-elle, que cet appareil dont les hommes se servent pour peindre ou pour sentir ; il fait toujours défaut au moment critique ; il faut héroïquement l’obliger à continuer sa tâche. Elle regarda fixement, les sourcils froncés. C’était la haie, évidemment. Mais on n’obtient rien en se faisant trop pressant. On ne fait que s’éblouir en regardant la ligne du mur ou en songeant – elle portait un chapeau gris. Elle était d’une étonnante beauté. Qu’elle vienne si elle doit venir, cette chose-là, se dit-elle. Car il y a des moments où l’on ne peut ni penser ni sentir. Et si l’on ne peut ni penser ni sentir, où se trouve-t-on?»

To the Lighthouse, 1925

« The wind had blown the trail of smoke about; there was something displeasing about the placing of the ships.

The disproportion there seemed to upset some harmony in her own mind. She felt an obscure distress. It was confirmed when she turned to her picture. She had been wasting her morning. For whatever reason she could not achieve that razor edge of balance between two opposite forces; Mr Ramsay and the picture; which was necessary. There was something perhaps wrong with the design? Was it, she wondered, that the line of the wall wanted breaking, was it that the mass of the trees was too heavy? She smiled ironically; for had she not thought, when she began, that she had solved her problem?

What was the problem then? She must try to get hold of something tht evaded her. It evaded her when she thought of Mrs Ramsay; it evaded her now when she thought of her picture. Phrases came. Visions came. Beautiful pictures. Beautiful phrases. But what she wished to get hold of was that very jar on the nerves, the thing itself before it has been made anything. Get that and start afresh; get that and start afresh; she said desperately, pitching herself firmly again before her easel. It was a miserable machine, an inefficient machine, she thought, the human apparatus for painting or for feeling; it always broke down at the critical moment; heroically, one must force it on. She stared, frowning. There was the hedge, sure enough. But one got nothing by soliciting urgently. One got only a glare in the eye from looking at the line of the wall, or from thinking—she wore a grey hat. She was astonishingly beautiful. Let it come, she thought, if it will come. For there are moments when one can neither think nor feel. And if one can neither think nor feel, she thought, where is one? »

Virginia Woolf et Sir Leslie Stephen. 1902.