Je relis le poète argentin Roberto Juarroz (1925-1995)…
« Habría que dejar libros en todas partes. Seguramente en uno u otro momento, alguien los abrirá. Y hacer lo mismo con la poesía: dejar poemas en todas partes, ya que sin duda alguien los reconocerá en algún momento. »
« La poesía es la sinceridad con que habla en nosotros lo que no conocemos. Única vía veraz de aquello que cimienta nuestra ignorancia. »
Roberto Juarroz, Fragments verticaux, José Corti, 1993.
« Il faudrait laisser des livres partout. A un moment ou un autre quelqu’un les ouvrira sans doute. Et faire de même avec la poésie : laisser des poèmes partout, puisque quelqu’un les reconnaîtra sûrement un jour. »
« La poésie, c’est la sincérité avec laquelle parle en nous ce que l’on ne connaît pas. Unique voie véridique de ce qui cimente notre ignorance. »
21
A veces parece que estamos en el centro de la fiesta. Sin embargo, en el centro de la fiesta no hay nadie. En el centro de la fiesta está el vacío.
Pero en el centro del vacío hay otra fiesta.
Duodécima poesía vertical, 1991.
On dirait parfois que nous sommes au centre de la fête. Cependant au centre de la fête il n’y a personne. Au centre de la fête c’est le vide.
Je relis Roberto Juarroz et je compare les traductions de Fernand Verhesen (1913-2009) et celles de Roger Munier (1923-2010) . La collection Poésie/Gallimard, créée en mars 1966, vient de republier les traductions du premier. C’est précieux car elle privilégie enfin les éditions bilingues.
(Roberto Juarroz)
La vida nos va haciendo marcas como si tallara ciertos datos sobre una vara. Y esas marcas duran más que nosotros.
Parecemos el ayuda-memoria de un sombrío quehacer o el soporte accidental de un mensaje que se apoya un momento y continúa.
Las ancestrales disonancias danzan sobre los paredones deshilvanados y su funambulesca coreografía encuentra allí las figuras necesarias para desatar los impávidos jeroglíficos.
Las marcas que llevamos nos sobrevivirán como trincheras abandonadas. Y como todas las trincheras, por mucho que las rellenen, seguirán aguardando el retorno del áspero combate que circuló por las carnales incisuras de sus cavados y olvidados laberintos.
Cuarta poesía vertical. Buenos Aires, Aditor. 1969.
(Roberto Juarroz)
La vie nous fait des marques comme si elle taillait certaines données sur un bâton. Et ces marques durent plus que nous.
Nous ressemblons à l’aide-mémoire d’une obscure occupation ou au support accidentel d’un message qui s’appuie un moment et continue.
Les dissonances ancestrales dans sur les gros murs défaufilés et leur funambulesque chorégraphie trouve là les figures nécessaires pour dénouer les hiéroglyphes impavides.
Les marques que nous portons nous survivront comme des tranchées abandonnées. Et comme toutes les tranchées, pour autant qu’on les remplisse, attendront le retour de l’âpre combat qui circula dans les charnelles incisions de ses labyrinthes creusés et oubliés.
Quatrième poésie verticale. 1972. Éditions Le Cormier. Traduction Fernand Verhesen.
Poésies verticales. I-II-III-IV-XI Traduction Fernand Verhesen. Édition de Réginald Gaillard.
Les textes en prose du poète argentin sont aussi de grande qualité. Il s’agit d’un des écrivains argentins les plus importants du XX ème siècle, période pourtant faste pour la littérature de ce pays.
Poésie et réalité. Paris, Lettres vives, 1987. Traduction: Jean-Claude Masson.
« Quand le grand rabbin Israël Baal Shem-Tov pensait qu’une menace se profilait contre le peuple juif, il avait coutume d’aller concentrer son esprit en certain lieu du bois ; là, il allumait un feu, récitait certaine prière et le miracle s’accomplissait: le danger était écarté. Plus tard, quand son disciple, le célèbre Maguid de Mezeritsch, devait implorer le ciel pour les mêmes raisons, il accourait au même endroit et disait: « Maître de l’Univers, écoute-moi. Je ne sais comment allumer le feu, mais je suis encore capable de réciter la prière.» Et le miracle s’accomplissait. Plus tard, le rabbin Mosh-Leib de Sassov allait également au bois pour sauver son peuple, et il disait: « Je ne sais comment allumer le feu, je ne connais pas la prière, mais je peux me placer à l’endroit propice et cela devrait suffire. » Et cela suffisait, et le miracle s’accomplissait. Ensuite, c’est au rabbin Israël de Rizzin qu’il revint d’éloigner la menace. Assis dans son fauteuil, la tête entre les mains, il parlait à Dieu en ces termes: « Je suis incapable d’allumer le feu, je ne connais pas la prière, je ne puis pas même trouver le lieu du bois. Tout ce que je sais faire, c’est raconter cette histoire. Cela devrait suffire.» Et cela suffisait. Dieu a créé l’homme parce qu’il aime les histoires.
Qu’il soit ou non question de Dieu, la réalité a produit l’homme parce quelque chose en elle, tout au fond, mystérieusement, réclame des histoires. Autrement dit, il semble y avoir, au tréfonds du réel, une demande de narration, d’illumination, de vision et peut-être d’argument à laquelle les hommes doivent pourvoir, qu’il y ait ou n’y ait pas d’autre sens. Il ne s’agit pas de l’histoire au sens vulgaire du terme, l’histoire de l’historiographie, semée de crimes et d’aberrations, mais de cet enchaînement secret de faits profonds qui constitue la véritable histoire de l’humanité – et peut-être davantage. J’ai toujours pensé la poésie comme la plus éminente manifestation de cette histoire occulte des hommes et de la correspondance ineffable avec la réalité qui s’y révèle, au-delà du gonflement du simple temps linéaire, au-delà des formules et des systèmes qui codifient la connaissance, la prière, le regard, le geste, le lieu, l’amour, le bois et même le feu. Je crois en outre que la réalité et la poésie, telles qu’elles se présentent à l’homme, exigent un détachement graduel, un dépouillement progressif, une croissante mise à nu, comme dans la parabole hassidique, afin de nous approcher du noyau essentiel de ce qu’il y a ou de ce qui existe, de ce qui est ou nous paraît être.»
Poesía y realidad, 1992. Valencia, Pre-textos.
« Cuando el gran rabino Israel Baal Shem-Tov creía que se tramaba una desgracia contra el pueblo judío, tenía por costumbre ir a concentrar su espíritu en cierto lugar del bosque; allí encendía un fuego, recitaba cierta plegaria y el milagro se cumplía: la desgracia quedaba rechazada. Más adelante, cuando su discípulo, el célebre Maguid de Mezeritsch tenía que implorar al cielo por las mismas razones, acudía a aquel mismo lugar del bosque y decía: “Señor del Universo, préstame oído. No sé cómo encender el fuego, pero todavía soy capaz de recitar la plegaria”. Y el milagro se cumplía. Más adelante, el rabino Moshe-Leib de Sassov, para salvar a su pueblo, iba también la bosque y decía: “No sé cómo encender el fuego, no conozco la plegaria, pero puedo situarme en el lugar propicio y esto debería ser suficiente”. Y esto era suficiente: también, entonces, el milagro se cumplía. Después, le tocó el turno al rabino Israel de Rizsin de apartar la amenaza. Sentado en su sillón, se tomaba la cabeza entre las manos y hablaba así a Dios: “Soy incapaz de encender el fuego, no conozco la plegaria, ni siquiera puedo encontrar el lugar en el bosque. Todo lo que sé hacer es contar esta historia. Esto debería bastar”. Y esto bastaba. Dios creo al hombre porque le gustan las historias.
Se hable de Dios o no se hable, la realidad produjo al hombre porque algo en ella, en su fondo, misteriosamente, pide historias. O dicho de otro modo, parece haber en lo profundo de lo real un reclamo de narración, de iluminación, de visión y hasta quizá de argumento que los hombres deben proveer, haya o no haya otro sentido. No se trata de la historia vulgar, la historia de la historiografía, sembrada de crímenes y aberraciones, sino de esa ilación secreta de hechos profundos que constituye la verdadera historia de la humanidad y tal vez de algo más. Siempre he pensado a la poesía como la manifestación más eminente de esa historia oculta de los hombres y el inefable empalme con la realidad que allí se revela, más allá del simple y entumecido tiempo lineal, más allá de las fórmulas y los sistemas que codifican el conocimiento, la plegaria, la mirada, el gesto, el lugar, el amor, el bosque y hasta el fuego. Creo, además, que la realidad y la poesía, tal como se dan al hombre, exigen un desprendimiento gradual, un progresivo despojamiento, una desnudez creciente, como en la parábola jasídica, hasta acercarnos al núcleo esencial de lo que hay o existe o es o nos parece que es. »
Les publications de Marie Paule et Raymond Farina sur Facebook et les commentaires de Nathalie de Courson sur son blog (https://patte-de-mouette.fr/) m’ont incité à lire et à relire la poésie de Roberto Juarroz. Il m’a fallu du temps, de la concentration, de la réflexion. Deux de ses poèmes ont attiré particulièrement mon attention.
83.
Vamos por un desfiladero
que se estrecha poco a poco.
Nadie sabe si saldrá.
Nadie sabe si avanza o retrocede.
Nadie sabe si al final está la sombra o la luz.
Esta marcha sigilosa nos confirma
que entre el ojo y su objeto
se interpone una oscura película,
un filtro hecho de sombra
que aisla para siempre la mirada.
Mirar es un gesto hacia adentro,
no hacia afuera.
Décimocuarta poesía vertical. 1994.
Nous allons par un défilé qui se resserre peu à peu. Nul ne sait s’il sortira. Nul ne sait s’il avance ou recule Nul ne sait si l’ombre est au bout ou la lumière.
Cette marche secrète nous confirme
Qu’entre l’oeil et son objet
s’interpose une pellicule obscure :
un filtre fait d’ombre
qui isole le regard pour toujours.
Un día ya no podremos partir. Repentinamente, se habrá hecho tarde. No importa de dónde o hacia dónde era el viaje. Tal vez hacia el otro extremo del mundo o sólo desde uno hacia su sombra. Dibujaremos entonces la figura de un pájaro y la fijaremos encima de la puerta como blasón y memento, para recordar que tampoco existe la última partida. Y la lanza, que ya estaba clavada en el suelo, sólo se hundirá un poco más. Temperley, Buenos Aires, 1994. (Diario La Nación, un des derniers poèmes publiés de son vivant)
Roberto Juarroz est né le 5 octobre 1925 à Coronel Dorrego, petite ville de campagne de la province de Buenos Aires. À 10 ans, son père, qui était chef de gare, a été muté dans une ville de la banlieue de Buenos Aires : Adrogué (où Jorge Luis Borges a aussi vécu une période). Juarroz a fait des études de lettres et de philosophie à l’université de Buenos Aires . Il s’est spécialisé dans les sciences de l’information et de la bibliothéconomie. Il a complété ses études en philosophie et en littérature à la Sorbonne à Paris. De 1958 à 1965, il a dirigé la revue de création Poesía = Poesía (20 numéros). Entre 1971 et 1984, il a été directeur du Département de Bibliothécologie et de Documentation de la faculté de philosophie et de lettres de l’Université de Buenos Aires. Le régime de Perón et les militaires l’ayant forcé à l’exil, il a beaucoup voyagé. Il est devenu expert de l’Unesco et de l’OEA dans de nombreux pays d’Amérique centrale. Sa compagne, Laura Cerrato, professeur de littérature anglo-saxonne à l’université de Buenos Aires et poétesse, l’a suivi. Á la fin de sa vie, atteint d’un grave insuffisance rénale, il vivait à Temperley près de Buenos Aires. Il est mort à Buenos Aires le 31 mars 1995.
Poesia Vertical, son premier recueil, est publié à Buenos Aires en 1958 à compte d’auteur. Toute l’oeuvre poétique de Juarroz porte le même titre: Poésie Verticale. Chaque tome est numéroté pour le distinguer des autres.
Bibliographie en espagnol Poesía Vertical, 1958. Equis. Segunda Poesía Vertical, 1963. Buenos Aires, Equis. Tercera Poesía Vertical , 1965. Buenos Aires, Equis. Prologue de Julio Cortázar. Cuarta Poesía Vertical, 1969. Buenos Aires, Aditor. Quinta Poesía Vertical, 1974. Buenos Aires, Equis. Poesía Vertical (antología), 1974. Barcelone, Barral. Poesía Vertical (1958-1975), 1976. Caracas, Monte Avila. Poesía Vertical : Antologia mayor, 1978. Buenos Aires, Carlos Lohlé. Prologue de Roger Munier. Poesía y creación, Diálogos con Guillermo Boido, 1980. Buenos Aires, Carlos Lohlé. Poesía Vertical : Nuevos poemas, 1981. Buenos Aires, Mano de Obra. Séptima Poesía Vertical, 1982. Caracas, Monte Avila. Octava Poesía Vertical, 1984. Buenos Aires, Carlos Lohlé. Novena Poesía Vertical – Décima Poesía Vertical, 1987. Buenos Aires, Carlos Lohlé. Poesía Vertical : Antología incompleta, 1987. Madrid, Playor. Poesía y Iiteratura y hermenéutica, Conversaciones con Teresa Sagui, 1987. Poesía y realidad, Discurso de incorporación. Academia Argentina de Letras, 1987. Undécima Poesía Vertical, 1988. Valencia, Pre-textos. Poesía Vertical (1958-1975), 1988. México, Universidad Nacional Autónoma. Duodécima Poesía Vertical, 1991. Buenos Aires, Carlos Lohlé. Poesía Vertical (Antología), 1991. Madrid, Visor. Poesía y realidad, 1992. Valencia, Pre-textos. Poesía Vertical 1958-1982, 1993. Poesía Vertical 1983-1993, 1993.
Bibliographie en français
Poésie verticale. Bruxelles, Le Cormier, 1962. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie verticale II. Bruxelles, Le Cormier, 1965. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie verticale (extraits des volumes I à III). Édition bilingue. Lausanne, Rencontre, 1967. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie verticale IV. Bruxelles, Le Cormier, 1972. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie Verticale. Paris, Fayard, 1980. Collection L’Espace intérieur. Poésie Verticale, Paris, Fayard (réédition augmentée de 52 poèmes), 1989. Traduction: Roger Munier. Poésie verticale (extraits des volumes I à IV). Éditions Talus d’approche, 1996. Quinze poèmes. Trans-en-Provence, Unes, 1983. Seconde édition, 1986. Traduction: Roger Munier. Nouvelle poésie verticale. Paris, Lettres vives, 1984. Traduction: Roger Munier. Neuvième poésie verticale. Béthune, Brandes, 1986. Traduction: Roger Munier. Poésie et réalité. Paris, Lettres vives, 1987. Traduction: Jean-Claude Masson. Poésie verticale. Paris, M.D., édition bilingue, 1987. Traduction: Roger Munier. Poésie et création. Unes, 1987. José Corti, 2002. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie verticale. Royaumont, Les Cahiers de Royaumont, 1988. Traduction collective. Onzième poésie verticale. 25 poèmes. Bruxelles, Le Cormier, 1989. Réédition: Paris, Lettres vives, 1991. Traduction: Fernand Verhesen. Poésie verticale : 30 poèmes. Le Muy, Unes, édition bilingue, 1991. Traduction: Roger Munier. Onzième poésie verticale. 30 poèmes. Châtelineau (Belgique), 1992. Traduction: Fernand Verhesen. Douzième poésie verticale. Paris, La Différence, Collection Orphée, 1993. Traduction: Fernand Verhesen. Treizième poésie verticale. Édition bilingue, José Corti, 1993. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Fragments verticaux. José Corti, 1994. Réédition en 2002. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Quatorzième poésie verticale. Édition bilingue. José Corti, 1997. Traduction: Silvia Baron Supervielle. Fidélité de l’éclair. Lettres vives, 2001. Traduction: Jacques Ancet. Quinzième poésie verticale. José Corti, 2002. Traduction: Jacques Ancet. Poésie verticale. Points Poésie, 2006. Traduction: Roger Munier.
Hoy no he hecho nada. pero muchas cosas se hicieron en mí. Pájaros que no existen encontraron su nido. Sombras que tal vez existan hallaron sus cuerpos. Palabras que existen recobraron su silencio.
No hacer nada salva a veces el equilibrio del mundo, al lograr que también algo pese en el platillo vacío de la balanza.
Decimotercera poesía vertical, 1992.
Aujourd’hui je n’ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Des oiseaux qui n’existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leur corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.
Ne rien faire
sauve parfois l’équilibre du monde
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance.
Treizième poésie verticale. Traduit par Roger Munier. Librairie José Corti, 1993.
Roberto Juarroz est né le 5 octobre 1925 à Coronel Dorrego (Province de Buenos Aires). Il est mort le 31 mars 1995 à Temperley (Province de Buenos Aires).
Ce poète argentin a rassemblé son oeuvre sous le titre unique de Poesía vertical. Seul change le numéro du recueil: Segunda, Tercera, Cuarta… Poesía Vertical. Il n’ a donné aucun titre non plus aux poèmes qui composent chaque recueil. Il a fait des études de philosophie et de lettres à l’Université de Buenos Aires, puis à la Sorbonne (1961-1962). Il a enseigné pendant trente ans à l’université de Buenos Aires. Entre 1971 et 1984, il a été directeur du Département de Bibliothécologie et de Documentation de cette université. Forcé à l’exil par le régime de Juan Domingo Perón, il a aussi travaillé pour l’UNESCO et l’OEA comme expert dans divers pays d’Amérique Latine. Il a dirigé la revue Poesía = Poesía de 1958 à 1965 (20 numéros). Il a traduit en espagnol entre autres Paul Eluard et Antonin Artaud.