(Pour Marie Paule et Raymond Farina)
Rafael Alberti est né le 16 décembre 1902 à El Puerto de Santa María (province de Cadix). Peintre à ses débuts, il devient ensuite poète car il doit rester cloîtré dans sa chambre pour soigner sa tuberculose. Son premier recueil, Marinero en tierra, reçoit le Prix national de Poésie. En 1932, il épouse María Teresa León (1903-1988), romancière et dramaturge dont les oeuvres devraient être mieux connues. Ils deviennent communistes dans les années 30 et jouent un grand rôle dans les milieux intellectuels pendant le guerre civile ( Alianza de Intelectuales Antifascistas ; revue El Mono azul). Ils vivent en exil ,d’abord en Argentine, ensuite à Rome (Italie) de 1939 à 1977. Rafael Alberti et María Teresa León rentrent en Espagne le 27 avril 1977. Le poète devient cette année-là député communiste. Il obtient le prix Cervantès en 1983. Il meurt dans sa ville natale le 28 octobre 1999. Ses cendres sont dispersées dans la Baie de Cadix. Certains de ses poèmes, mis en musique notamment par Paco Ibáñez, sont très célèbres (A galopar, Balada del que nunca fue a Granada, Muelle del reloj, Nocturno).
Une grande amitié le liait a Federico García Lorca, mais aussi une certaine rivalité poétique.
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A Federico García Lorca, poeta de Granada
(1924)
I
(Otoño)
En esta noche en que el puñal del viento
acuchilla el cadáver del verano,
yo he visto dibujarse en mi aposento
tu rostro oscuro de perfil gitano.
Vega florida. Alfanjes de los ríos,
tintos en sangre pura de las flores.
Adelfares. Cabañas. Praderíos.
Por la sierra, cuarenta salteadores.
Despertaste a la sombra de una oliva,
junto a la pitiflor de los cantares.
Tu alma de tierra y aire fue cautiva…
Abandonando, dulce, sus altares,
quemó ante ti una anémona votiva
la musa de los cantos populares.
II
(Primavera)
(Primavera)
Todas mis novias, las de mar y tierra
– Amaranta, Coral y Serpentina,
Trébol del agua, Rosa y Leontina -,
verdes del sol, del aire, de la sierra;
contigo, abiertas por la ventolina,
coronándote están sobre las dunas,
de amarantos, corales y de lunas
de tréboles del agua matutina.
¡Vientos del mar, salid, y, coronado
por mis novias, mirad al dulce amigo
sobre las altas dunas reclinado!
¡Peces del mar, salid, cantad conmigo:
– Pez azul yo te nombro, al desabrigo
del aire, pez del monte, colorado!
III
(Verano)
Sal tú, bebiendo campos y ciudades,
en largo ciervo de agua convertido,
hacia el mar de las albas claridades,
del martín-pescador mecido nido;
que yo saldré a esperarte amortecido,
hecho junco, a las altas soledades,
herido por el aire y requerido
por tu voz, sola entre las tempestades.
Deja que escriba, débil junco frío,
mi nombre en esas aguas corredoras,
que el viento llama, solitario, río.
Disuelto ya en tu nieve el nombre mío,
vuélvete a tus montañas trepadoras,
ciervo de espuma, rey del monterío.
Marinero en tierra, 1924.
A Federico García Lorca, poète de Grenade
(1924)
I
(automne)
Cette nuit où le vent et son stylet
poignardent le cadavre de l’été,
j’ai vu, dans ma chambre, se dessiner
ton visage brun au profil gitan.
La vega fleurie. Les fleuves, alfanges
rougies par le sang virginal des fleurs.
Lauriers-roses. Chaumines et prairies.
Et dans la sierra, quarante voleurs.
Tu t’es réveillé sous un olivier,
avec près de toi la fleur des comptines.
Ton âme de terre et brise, captive…
Lors abandonnant, très doux, ses autels,
l’ange des chansons est venu brûler
devant toi une anémone votive.
II
(printemps)
Toutes mes fiancées, de mer et de terre
– Amarante, Corail et Serpentine,
Trèfle-de-l’Onde, Rose, Léontine -,
vertes du soleil, du vent, des sierras ;
ouvertes par la brise et rassemblées,
te couronnent là, au milieu des dunes,
d’amarantes, de coraux et de lunes
de trèfles de l’onde à l’aube éveillée.
Venez, vents de la mer, et regardez
l’ami, couronné par mes fiancées,
si doux, incliné sur les hautes dunes !
Venez, poissons des mers, chantons ensemble :
– Poisson bleu, je te nomme, à tous les vents,
poisson des bois et monts, rouge poisson !
III
(été)
Viens, en t’abreuvant de champs et de villes,
et cerf devenu, d’eau long cervidé,
rejoins cette mer aux blanches clartés,
ce doux nid bercé du martin-pêcheur ;
car je vais aller t’attendre, soumis,
et jonc devenu, dans les hauts espaces,
blessé par l’air vif tandis que me hêle
ta voix solitaire au sein des tempêtes.
Jonc fragile et froid, laisse-moi écrire
mon nom sur ces eaux livrées à leur cours
que le vent appelle, esseulé, rivière.
Emportant mon nom fondu à ta neige,
retourne à tes monts grimpant vers leurs cimes,
cerf d’écume, roi de la vénerie.
Marin à terre suivi de L’Amante et de L’aube de la giroflée. 1985. Poésie Gallimard n°474. 2012. Traduction Claude Couffon.
Paco Ibáñez chante Nocturno.