Les oiseaux. Belopolie, 2022. Collection “Penser, décider, agir”.
« C’était le temps où les années enferment tant de choses, de sentiments, de pensées qu’elles durent, chacune, une sorte d’éternité. Et c’est lorsque, fâché contre moi-même, rembruni, j’allais reprendre ma marche que la haute, l’éclatante tirade retentissait à nouveau. Et alors, rien n’était plus pareil. Il faisait aussi sombre, aussi froid mais l’oiseau m’annonçait que les beaux jours étaient en marche, au loin. Il les voyait, lui, de la plus haute branche ou de l’antenne de télévision où il était juché. On ne l’entendrait plus de la journée mais un soir, pas forcément celui du même jour, il ratifiait sa promesse. Chaque année, j’ai passé de longs moments, accoudé à l’appui de ma fenêtre, sous les combles, à ne rien faire que l’écouter, infime point sombre d’où rayonnait le chant augural et glorieux. » (page 9)
Épilogue
” En France, le nombre d’oiseaux a chuté d’un tiers en quinze ans. Les populations d’espèces communes ont baissé de près de 28 % entre 1989 et 2021, ce qui représente 560 à 620 millions d’oiseaux disparus. En cause, la destruction des espaces naturels comme lieux de développement et d’alimentation, les pollutions liées au produits phytosanitaires, les nuisances lumineuses et sonores.” (page 31)
Je lis deux courts textes de Pierre Bergounioux : Peindre aujourd’huiPhilippe Cognée et Cousus ensemble, publiés chez Galilée en 2012 et 2016. Le point commun : les dessins de Philippe Cognée dont peut voir en ce moment les oeuvres au musée Bourdelle (La peinture d’après), mais aussi au musée de l’Orangerie (Contrepoint contemporain). Les citations de Bergounioux m’ont fait relire Soir historique de Rimbaud.
Soir historique
En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques, la main d’un maître anime le clavecin des prés ; on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des mignonnes, on a les saintes, les voiles, et les fils d’harmonie, et les chromatismes légendaires, sur le couchant.
Il frissonne au passage des chasses et des hordes. La comédie goutte sur les tréteaux de gazon. Et l’embarras des pauvres et des faibles sur ces plans stupides !
À sa vision esclave, — l’Allemagne s’échafaude vers des lunes ; les déserts tartares s’éclairent — les révoltes anciennes grouillent dans le centre du Céleste Empire, par les escaliers et les fauteuils de rocs — un petit monde blême et plat, Afrique et Occidents, va s’édifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles.
La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera ! Le plus élémentaire physicien sent qu’il n’est plus possible de se soumettre à cette atmosphère personnelle, brume de remords physiques, dont la constatation est déjà une affliction.
Non ! – Le moment de l’étuve, des mers enlevées, des embrasements souterrains, de la planète emportée, et des exterminations conséquentes, certitudes si peu malignement indiquées dans la Bible et par les Nornes et qu’il sera donné à l’être sérieux de surveiller. – Cependant ce ne sera point un effet de légende !
La maladresse est inévitable à la jeunesse – alors compte l’élan. Elle se trompe de fins, de moyens, et même d’objets, ignorante qu’elle est du monde, de l’étendue de ses capacités, des ressources d’un art juste. Le mal n’est pas que la jeunesse manque ce qu’elle est exposée à manquer; il serait qu’elle abandonne, mûrissant, le juste enthousiasme qui la nimbait dans l’erreur même – à quoi elle pourrait maintenant donner la bonne réplique de la bonne façon: que, par lassitude, elle renonce à ses nouvelles forces. Tu ne dois céder, vieille âme, ni quant à l’exigence d’une forme juste; ni, forte de savoirs nouveaux, oublier les farouches promesses de vérité et d’honneur qui donnent leur feu aux commencements. Défie-toi des flatteries. Elles offensent celui qui les reçoit comme celui qui les donne. Ose vouloir. Donne à ta vérité un tour naïf. La rouerie des roués? Faiblesse, dissimulation, esquive, fuite. Ose oser.. Va au Père. Prépare ta tête, qu’on la coupe, quand viendra l’heure. Personne qui puisse assumer ton devoir à ta place, à ta façon, dans ta cadence, sous les espèces du particulier désespéré signifiant désordre que, peut-être, tu aurais à orchestrer ainsi. C’est l’heure du rendez-vous. Le pèlerinage à la tour de Tübingen pourrait-il sceller l’accomplissement de la promesse? Qui sait? Peut-être dépendait-il de toi qu’aujourd’hui cela fût soutenu ainsi. Va, mon poème, et que s’ouvre la mer.
Jean-Paul Michel, Ecrits sur la poésie.1981-2012. Flammarion.
Poète, essayiste, éditeur, Jean Paul Michel est né à La Roche-Canillac (Corrèze) en 1948. Il rencontre Pierre Bergounioux en Terminale en 1965 au Lycée Georges-Cabanis de Brive. Il a d’abord publié sous le nom de Jean-Michel Michelena, puis depuis 1992 sous celui de Jean-Paul Michel. Il dirige les éditions William Blake & Co qu’il a créées en 1976 à Bordeaux et où il a publié, outre ses propres recueils, de très nombreux ouvrages de poésie, philosophie, esthétique, contemporains et classiques mêlés. Il a enseigné la philosophie à Bordeaux (Agrégation en 1973).
Je ne connaissais pas Jean-Paul Michel avant la lecture de sa correspondance avec Pierre Bergounioux, publiée en septembre 2018 chez Verdier. (Correspondance 1981-2017. Éditions Verdier 2018) J’ai assisté à la présentation de ce livre à la Librairie Compagnie, 58 rue de Écoles, 75005-Paris. Pierre Bergounioux semblait fatigué. Il parlait assez bas. Jean-Paul Michel était plus souriant et s’exprimait avec dynamisme. La collection Poésie/ Gallimard a publié peu après Défends-toi, Beauté violente! précédé de Le plus réel est ce hasard, et ce feu. C’est un écrivain qu’il faut lire.
(Merci à N. de C. qui m’a fait rechercher ce texte…)
Faute d’égalité. Collection Tracts (n° 3), Gallimard. Parution : 21-03-2019 «On attendait d’énergiques initiatives, des changements effectifs, de vrais événements. Ils ne se sont pas produits. Cinq décennies ont passé en vain, à vide, apparemment. Et puis ce qui aurait dû être et demeurait latent, absent fait irruption dans la durée.»
Pierre Bergounioux entreprend ici de saisir les origines et la signification du soulèvement social que la France a vécu ces derniers mois. Il enracine sa réflexion dans l’histoire des nations et des idées occidentales, en vertu de l’axiome selon lequel tout le passé est présent dans les structures objectives et la subjectivité des individus qui font l’histoire. Ainsi se poursuit, jusque dans les formes les plus contemporaines de la contestation, en pleine crise du capitalisme et de la représentation politique, le rêve égalitaire qui nous est propre.
Hôtel du Brésil. Collection Connaissance de l’Inconscient, Série Le principe de plaisir, Gallimard Parution : 23-05-2019 «Si rien n’est plus manifeste que l’inconscient, depuis que Freud a passé, il résidait bien moins en nous, pour moi, pour d’autres, qu’à notre porte, dans les choses qui nous assiégeaient, leur dureté, leur mutisme, la tyrannie qu’elles exerçaient sur nos sentiments, les pensées qu’elles nous inspiraient forcément.»
Pierre Bergounioux s’explique ici sur un certain éloignement, et d’abord géographique, vis-à-vis de la psychanalyse, que le nom de Freud, gravé dans le marbre au-dessus de l’entrée d’un hôtel parisien, confirmera un peu plus tard.
Il raconte comment il a affronté un trouble profond, étroitement localisé, auquel les remèdes qui pouvaient parvenir du dehors – l’apport de Freud, la méthode analytique, le divan – étaient impropres.