Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon coeur D’une langueur Monotone.
Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure ;
Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte.
Poèmes saturniens, 1866.
J. m’ a rappelé hier ce poème si connu. Il a été chanté par Charles Trenet, Georges Brassens, Léo Ferré et d’autres. Il traîne dans ma tête ce matin.
” Sa première strophe, légèrement altérée, a été utilisée par Radio Londres au début du mois de juin 1944 pour ordonner aux saboteurs ferroviaires du réseau VENTRILOQUIST de Philippe de Vomécourt, agent français du Special Operations Executive, de faire sauter leurs objectifs. Il s’agissait d’un message parmi les 354 qui furent alors adressés aux différents réseaux du SOE en France. Ces vers de Verlaine étaient destinés à VENTRILOQUIST uniquement, chaque réseau ayant reçu des messages spécifiques.
Le 1er juin, « Les sanglots longs des violons d’automne » indique aux saboteurs membres du réseau de se tenir prêts. Le 5 juin, à 21 h 15, sont envoyées les deuxièmes parties des messages, ordonnant le passage à l’acte : pour VENTRILOQUIST, il s’agit de « Bercent mon cœur d’une langueur monotone ». Il est à noter que les deux messages reçus par VENTRILOQUIST diffèrent du texte de Verlaine, qui écrit « de l’automne » et « blessent » (Radio Londres aurait remplacé « blessent » par « bercent » sous l’influence de la version mise en musique et chantée par Charles Trenet en 1941).
Une légende tenace, popularisée dans les années 1960 par le journaliste Cornelius Ryan, présente ce message en deux parties comme l’annonce qui aurait été faite à l’ensemble de la Résistance française que le débarquement de Normandie aurait lieu dans les heures suivantes. En référence à cette légende, les deux premières strophes du poème de Verlaine sont présentes sur l’avers de la pièce de 2 euros commémorative française émise en 2014 à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire du débarquement de Normandie le 6 juin 1944. ” (Wikipédia)
Le poète cubain Eliseo Diego (1920 – 1994) aimait ce poème de Verlaine.
Le ciel est, par-dessus le toit
Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l’arbre qu’on voit Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville.
Qu’as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ?
Sagesse, 1881.
Oda a la joven luz (Eliseo Diego)
En mi país la luz es mucho más que el tiempo, se demora con extraña delicia en los contornos militares de todo, en las reliquias escuetas del diluvio.
La luz en mi país resiste a la memoria como el oro al sudor de la codicia, perdura entre sí misma, nos ignora desde su ajeno ser, su transparencia.
Quien corteje a la luz con cintas y tambores inclinándose aquí y allá según astucia de una sensualidad arcaica, incalculable, pierde su tiempo, arguye con las olas mientras la luz, ensimismada, duerme.
Pues no mira la luz en mi país las modestas victorias del sentido ni los finos desastres de la suerte, sino que se entretiene con hojas, pajarillos, caracoles, relumbres, hondos verdes.
Y es que ciega la luz en mi país deslumbra su propio corazón inviolable sin saber de ganancias ni de pérdidas. Pura como la sal, intacta, erguida la casta, demente luz deshoja el tiempo.
Los días de tu vida, 1977.
Ode à la jeune lumière
En mon pays la lumière est beaucoup plus que le temps, elle s’attarde avec une étrange délectation sur les contours militaires de toute chose, sur les vestiges épurés du déluge.
La lumière dans mon pays résiste à la mémoire comme l’or à la sueur de la cupidité, elle se perpétue en elle-même, nous ignore depuis la différence de son être, sa transparence.
Quiconque courtise la lumière avec rubans et tambours en s’inclinant de-ci de-là selon la ruse d’une sensualité archaïque, immémoriale, perd son temps, jette ses arguties aux flots tandis que la lumière, tout à elle-même, dort.
Car dans mon pays la lumière ne regarde pas les modestes victoires du sens, ni les désastres raffinés du sort, elle s’amuse de feuilles, de petits oiseaux, de coquillages, de reflets, de verts profonds.
Aveugle, la lumière, dans mon pays, illumine son propre coeur inviolable sans se soucier de gains ni de pertes. Pure comme le sel, intacte, fièrement dressée, la chaste, démente lumière effeuille le temps.
Les jours de ta vie, 1977, in L’obscure splendeur. Traduction : Jean Marc Pelorson. Collection Orphée. La Différence, 1996.
Versiones (Eliseo Diego)
La muerte es esa pequeña jarra, con flores pintadas a mano, que hay en todas las casas y que uno jamás se detiene a ver.
La muerte es ese pequeño animal que ha cruzado en el patio, y del que nos consuela la ilusión, sentida como un soplo, de que es sólo el gato de la casa, el gato de costumbre, el gato que ha cruzado y al que ya no volveremos a ver.
La muerte es ese amigo que aparece en las fotografías de la familia, discretamente a un lado, y al que nadie acertó nunca a reconocer.
La muerte, en fin, es esa mancha en el muro que una tarde hemos mirado, sin saberlo, con un poco de terror.
Versiones, 1970.
Versions
La mort est cette petite jarre, couverte de fleurs peintes à la main, qui est dans toutes les maisons, et sur qui jamais ne s’arrêtent les yeux.
La mort est ce petit animal qui est passé dans la cour et dont on se remet en se disant dans une bouffée d’illusion que ce n’est que le chat de maison, le chat de toujours, le chat qui est passé et qu’on ne reverra plus.
La mort est cet ami qu’on voit sur les photos de famille, discrètement marginal, et que personne n’a jamais réussi à reconnaître.
La mort, enfin, c’est cette tache sur le mur qu’un soir nous avons regardée, sans le savoir, avec un soupçon de terreur.
Versions, 1970, in L’obscure splendeur. Traduction : Jean Marc Pelorson. Collection Orphée. La Différence, 1996.
Eliseo Diego (de son vrai nom Eliseo de Jesús de Diego y Fernández Cuervo) est né le 2 juillet 1920 à La Havane (Cuba). En 1944, c’ est un des fondateurs du groupe Orígenes dont la revue est dirigée par José Lezama Lima (1910-1976), l’auteur de Paradiso (1966. Paradiso, Le Seuil, 1971. Traduction : Didier Coste). Cintio Vitier (1921-2009), son épouse Fina García Maruz (1923-2022) et Eliseo Diego forment un cercle de poètes chrétiens progressistes. Fina est la soeur de Bella, épouse d’Eliseo (1921 – 2006). Celui-ci publie des recueils de poèmes et des récits poétiques en prose. Il obtient le Prix national de littérature pour l’ensemble de son oeuvre en 1986 et le Prix international Juan Rulfo en 1993. Il meurt à Mexico le 1 mars 1994. Il est enterré à La Havane. Gabriel García Márquez l’a présenté comme «uno de los más grandes poetas que hay en la lengua castellana». Son fils est le journaliste et romancier Eliseo Alberto, surnommé ” Lichi ” (1951-2011).
Eliseo Diego a aussi enseigné l’anglais au collège, puis à l’université. De 1962 à 1970, il a dirigé la section de littérature enfantine à la Bibliothèque Nationale José Martí. Il a exercé aussi d’importantes fonctions dans l’Union des Écrivains et Artistes de Cuba. Il était angliciste, mais il a aussi traduit Dante et les poètes russes. Il connaissait mal le français. Dans son oeuvre, on trouve pourtant des allusions à la Chanson de Roland, à François Villon, aux contes de Perrault, à Baudelaire, Verlaine, Flaubert et même à Aloysius Bertrand.
(Marie Paule et Raymond Farina m’incitent régulièrement à relire des poètes que j’aime. Merci à eux une fois de plus.)
Vu hier soir en DVD Petite Solange d’Axelle Ropert (2021). Scén. : Axelle Ropert. Dir. photo : Sébastien Bachmann. Mus. :Benjamin Esdraffo. Int. : Jade Springer, Léa Drucker, Philippe Katherine, Grégoire Montana, Chloé Astor. 1 h 25. Prix Jean Vigo 2021.
Un petit film, agréable à voir. Une collégienne de 13 ans (Jade Springer, très crédible), mélancolique et introvertie. La ville de Nantes toujours photogénique. On voit bien sûr le passage Pommeraye qui rappelle Jacques Demy et Lola (1961). L’adolescente est aimée par sa famille, mais livrée à elle-même. Ses parents se disputent et vont se séparer. Elle est seule. Elle marche dans la grande ville. Elle croise des gens, des tramways, elle se fait bousculer. Son grand frère Romain, étudiant, choisit la fuite à Madrid et l’abandonne. Le film fait discrètement allusion au beau mélodrame de Luigi Comencini, L’Incompris (1966). La petite Solange récite en classe La Chanson de Gaspard Hauser de Verlaine. Elle éclate en sanglots.
Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m’ont pas trouvé malin.
À vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d’amoureuses flammes M’a fait trouver belles les femmes : Elles ne m’ont pas trouvé beau.
Bien que sans patrie et sans roi Et très brave ne l’étant guère, J’ai voulu mourir à la guerre : La mort n’a pas voulu de moi.
Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu’est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde : Priez pour le pauvre Gaspard !
Sagesse, 1881.
Paul Verlaine a sûrement écrit ce poème en prison lors de son séjour en Belgique. Lors de leur voyage à Bruxelles, Verlaine tire sur Rimbaud à deux reprises, un coup le manquant, l’autre le blessant légèrement au poignet. Il était sous l’emprise de l’absinthe au moment des faits. D’abord enfermé à Bruxelles (du 11 juillet au 24 octobre 1873) jusqu’à son procès, il sera ensuite condamné et transféré à Mons où il passera un peu plus de deux ans (du 25 octobre 1873 au 16 janvier 1875) .
Vu hier soir à La Ferme du Buisson (Noisiel) le très beau film de Dominik Moll, La Nuit du 12.
Dans la nuit du 12 octobre 2016, à Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), Clara, 21 ans, est assassinée, brûlée vive par un homme cagoulé, alors qu’elle revenait d’une soirée chez son amie Nanie.
La Nuit du 12 de Dominik Moll. 2022. 1 h 55. Sc. et dial. Gilles Marchand et Dominik Moll d’après 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna (Éditions Denoël). Int. : Bastien Bouillon (Yohan) Bouli Lanners (Marceau) Mouna Soualem (Nadia) Pauline Serieys (Nanie) Lula Cotton Frapier (Clara), Anouk Grinberg (la juge).
Le policier Marceau (Marteau ? ) (Bouli Lanners) aurait voulu être professeur de français plutôt que policier pour dévoiler la puissance de la langue française. Dans la voiture, il récite du Verlaine à son ami Yohan (Bastien Bouillon) . Un spectre va hanter les deux hommes.
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux formes ont tout à l’heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l’on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé Deux spectres ont évoqué le passé.
– Te souvient-il de notre extase ancienne ? – Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
– Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ? – Toujours vois-tu mon âme en rêve? – Non.
– Ah! les beaux jours de bonheur indicible Où nous joignions nos bouches! – C’est possible.
– Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir ! – L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles, Et la nuit seule entendit leurs paroles.