(Transmis par Manuel. Gracias, hijo)
Prends dans mes paumes, pour ta joie,
Un peu de soleil et un peu de miel,
Les abeilles de Perséphone nous l’enjoignent.
On ne peut détacher la barque non amarrée,
Ni entendre l’ombre chaussée de fourrure,
Ni vaincre , dans la vie épaisse , la peur.
Il ne nous reste plus que ces baisers
Velus comme les petites abeilles
Qui meurent à la porte de la ruche.
Elles bruissent dans les fourrés limpides de la nuit .
Leur patrie est l’épaisse forêt du Taygète,
Leur aliment : le temps , la bourrache , la menthe.
Prends pour ta joie mon sauvage présent,
Ce pauvre collier sec d’abeilles mortes
Qui ont transformé le miel en soleil .
Tristia, novembre 1920.
Traduction de Philippe Jaccottet. Simple promesse, choix de poèmes 1908-1937, traduits par Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider, La Dogana.
Le XX ème siècle et ses poètes…
Ossip Mandelsatam est né à Varsovie le 3 janvier 1891, dans une famille juive originaire de Lettonie. Peu après sa naissance, ses parents s’installent à Saint-Pétersbourg. Son père est gantier et marchand de peaux, sa mère professeur de musique. Entre 1907 et 1910, il passe environ deux ans à l’étranger. Il est en effet interdit d’entrée à l’université de Saint-Petersbourg en raison des quotas limitant les inscriptions d’ étudiants juifs. Il suit pendant un semestre (octobre 1907-mai 1908) à Paris des études médiévales et romanes à la Sorbonne et au collège de France (Cours de Joseph Bédier et d’Henri Bergson). De retour en Russie, il ne termine pas ses études, mais fait la connaissance de Nikolaï Goumeliev, d’Anna Akhmatova, Marina Tsvetaïeva. Il devient un poète célèbre. Á partir de 1925, sa situation devient de plus en plus précaire en URSS. Sa poésie est publiée grâce à l’appui de Nikolaï Boukharine. Il écrit à l’automne 1933 une Épigramme contre Staline, Le Montagnard du Kremlin, “corrupteur des âmes et équarisseur des payasans”. Il est arrêté à Moscou le 16 mai 1934, les autorités ayant eu connaissance de ce texte. Il est emprisonné, puis libéré au bout d’une quinzaine de jours, grâce à l’intervention de Nikolaï Boukharine, d’ Anna Akhmatova et de Boris Pasternak. Il est condamné et assigné à résidence pour trois ans à Tcherdyn, dans la région de Perm (Oural). Il obtient de résider à Voronèje, dans la région des Terres noires, en Russie centrale, à six cents kilomètres au sud de Moscou, jusqu’en avril 1937. Il revient à Moscou, mais est arrêté une nouvelle fois le 28 avril 1938 et condamné à cinq ans de travaux forcés. Il meurt à 47 ans de froid et d’épuisement le 27 décembre 1938 dans le camp de transit 3/10 de la gare de transit Vtoraïa Retchka près de Vladivostok. Son corps est jeté dans une fosse commune.
Varlam Chalamov, Cherry-Brandy, 1958 (Récits de la Kolyma, Verdier 2003. Pages 101-108)
« Il mourut vers le soir. Mais on ne le raya des listes que deux jours plus tard. Pendant deux jours, ses ingénieux voisins parvinrent à toucher la ration du mort lors de la distribution quotidienne de pain : le mort levait le bras comme une marionnette. C’est ainsi qu’il mourut avant la date de sa mort, détail de la plus haute importance pour ses futurs biographes. »
Возьми на радость из моих ладоней
Немного солнца и немного меда,
Как нам велели пчелы Персефоны.
Не отвязать неприкрепленной лодки,
Не услыхать в меха обутой тени,
Не превозмочь в дремучей жизни страха.
Нам остаются только поцелуи,
Мохнатые, как маленькие пчелы,
Что умирают, вылетев из улья.
Они шуршат в прозрачных дебрях ночи,
Их родина – дремучий лес Тайгета,
Их пища – время, медуница, мята.
Возьми ж на радость дикий мой подарок,
Невзрачное сухое ожерелье
Из мертвых пчел, мед превративших в солнце.