Francisco de Quevedo

Madrid. Biblioteca Nacional.

Marie Paule et Raymond Farina ont publié aujourd’hui sur Facebook un extrait du dernier poème rédigé par Octavio Paz (1914-1998), Respuesta y reconciliación. Diálogo con Francisco de Quevedo. Il est daté du 20 avril 1996. Ce grand poète mexicain a obtenu le Prix Cervantès en 1981 et le Prix Nobel de Littérature en 1990. Je me souviens de sa triste fin de vie. Son appartement et une partie de sa bibliothèque partirent en fumée lors d’un incendie le dimanche 22 décembre 1996 (México, calle Río Elba, colonia Cuauhtémoc). Il était déjà malade, mais cet accident accéléra sa dépression et sa maladie: “Los libros se van como se van los amigos”

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Je me suis replongé dans les poèmes de Quevedo en passant par Octavio Paz. Le premier vers de Respuesta y reconciliación reprend le premier vers de Represéntase la brevedad de lo que se vive y cuán nada parece lo que se vivió.

Ce sonnet est un des plus célèbres de Quevedo. La vie est interpellée comme s’il s’agissait de l’enceinte d’une maison, d’une auberge. “Soy un fue, y un será, y un es cansado.” Ce vers est des plus impressionnants de la poésie espagnole.

[Represéntase la brevedad de lo que se vive y cuán nada parece lo que se vivió.]

“¡Ah de la vida!”… ¿Nadie me responde?
¡Aquí de los antaños que he vivido!
La fortuna mis tiempos ha mordido;
las Horas mis locuras las esconde.

¡Que sin poder saber cómo ni adónde
la salud y la edad se hayan huido!
Falta la vida, asiste lo vivido,
y no hay calamidad que no me ronde.

Ayer se fue; mañana no ha llegado;
hoy se está yendo sin parar un punto:
soy un fue, y un será, y un es cansado.

En el hoy y mañana y ayer, junto
pañales y mortaja, y he quedado
presentes sucesiones de difunto.

Nous avons la chance de pouvoir lire ce poème traduit en français par Claude Esteban et Jacques Ancet, deux grands poètes, deux grands traducteurs.

[Où l’on se représente la briéveté de ce qu’on vit, et le néant que semble ce que l’on a vécu]

Ho de la vie ! … Personne qui réponde ?
À l’aide, ô les antans que j´ai vécus !
Dans mes années, la Fortune a mordu ;
les Heures, ma folie les dissimule.

Quoi ! sans pouvoir savoir où ni comment
L’âge s’est évanoui et la vigueur !
Manque la vie, le vécu seul subsiste ;
Nulle calamité, autour, qui ne m’assiège.

Hier s’en est allé, Demain n´est pas encore,
Et Aujourd´hui s’en va sans même s’arrêter.
Je suis un Fut, un Est, un Sera harassé.

Dans l´aujourd´hui, l´hier et le demain j’unis
Les langes au linceul, et de moi ne demeurent
Que les successions d’un défunt.

Monuments de la mort. Traduction Claude Esteban. Paris, Deyrolle, 1992.

[Où l’on se représente la briéveté de ce qu’on vit, et le néant que semble ce que l’on a vécu]

“Hé là ! la vie !” … Personne ne m´entend ?
À moi, les autrefois que j´ai vécus !
Dans mes années, la fortune a mordu ;
les heures, ma folie leur fait écran.

Et sans pouvoir savoir où ni comment
ma vigueur et mon âge ont disparu !
La vie manque, demeure le vécu,
je ne suis assiégé que de tourments.

Hier a fui et demain n´est pas là ;
aujourd´hui passe, et il passe sans fin.
Suis un fut, un sera, un est trop las.

Dans l´aujourd´hui, l´hier et le demain
je joins linge et linceul ; reste de moi
une suite présente de défunts.

Les Furies et les Peines 102 sonnets. Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, Poésie/ Gallimard. Edition bilingue, 2010.

(Merci une fois de plus à Marie Paule et à Raymond)

Octavio Paz.

William Butler Yeats

William Butler Yeats (John Butler Yeats). 1898.

W.B.Yeats traduit par Yves Bonnefoy et Octavio Paz.

Vacillation

IV

My fiftieth year had come and gone,
I sat, a solitary man,
In a crowded London shop,
An open book and empty cup
On the marble table-top.
While on the shop and street I gazed
My body of a sudden blazed;
And twenty minutes more or less
It seemed, so great my happiness,
That I was blessed and could bless.


IV

Ma cinquantième année avait passé,
J’étais assis, solitaire comme je suis,
Dans un salon de thé encombré à Londres.
Un livre ouvert, une tasse vide
Sur la tablette de marbre.
Et comme je regardais la salle, la rue,
D’un coup mon corps s’embrasa,
Et pendant vingt minutes, à peu près,
Il me parut, si grand fût mon bonheur,
Que j’étais béni et pouvais bénir.

Quarante-cinq poèmes, suivi de La Résurrection. Hermann, 1989 pour la traduction française de Yves Bonnefoy . 1993 NRF. Poésie/ Gallimard, Paris.

Vacilación

IV

Cincuenta años cumplidos y pasados.
Perdido entre el gentío de una tienda,
me senté, solitario, a una mesa,
un libro abierto sobre el mármol falso,
viendo sin ver las idas y venidas
del torrente. De pronto, una descarga
cayó sobre mi cuerpo, gracia rápida,
y por veinte minutos fui una llama :
ya, bendito, podía bendecir.


Traduction : Octavio Paz.

(Merci à Lorenzo Oliván)