J’ai vu en DVD cette semaine: Des filles en noir (2010). 85 min. Réal. et Sc: Jean Paul Civeyrac. Collaboration à la réalisation et Production: Lola Gans. Dir. Photo: Hichame Alaouie. Int: Élise Lhomeau, Léa Tissier, Élise Caron, Isabelle Sadoyan, Roger Jendly, Thierry Paret, Yuliya Zimina, Simone Tompowsky.
Jusqu’à il y a peu, je ne connaissais que de nom Jean Paul Civeyrac. J’ai vu récemment son dernier film, Mes Provinciales en salle. Cela m’a incité à voir ses films précédents.
Noémie et Priscilla, deux lycéennes de Terminale de 17-18 ans, toujours vêtues de noir sans être vraiment gothiques, sont des amies très proches. Elles viennent d’un milieu modeste et habitent une petite ville de province. Le film a été tourné à Orléans, mais aussi dans l’Isère, à Voiron et Grenoble. Noémie a déjà fait une tentative de suicide. Elle vit avec sa mère. Leurs rapports sont tendus. Priscilla, elle, squatte chez sa sœur Sonia et son compagnon, Toni. Elle se sent de trop. Noémie et Priscilla sont d’accord sur tout. Le monde qui les entoure les dégoûte. Elle rejette les adultes, mais aussi les garçons qui les ont déçues. En classe, elles font un exposé sur le poète romantique allemand Heinrich von Kleist qui s’est suicidé avec la femme d’un de ses amis, Henriette Vogel, au bord du petit Wannsee, lac situé dans les environs de Berlin le 21 novembre 1821. Par provocation, Noémie annonce à la classe qu’elles ont l’intention de mettre fin à leurs jours, sans avoir consulté son amie («On va faire comme lui ce soir-même.»). Priscilla accepte néanmoins sa proposition. Mise au courant, la proviseure du lycée convoque les deux jeunes filles. Celles-ci se vengent en taguant plusieurs fois le mot FEU sur sa voiture. Après le dépôt d’une plainte, elles sont ensuite entendues par la police. La famille n’est pas un refuge. Lors d’une fête d’anniversaire, Priscilla est agressée par un oncle de Noémie, Alain, qui a trop bu. Cela accélérera leur décision d’en finir ensemble. Elles parlent au téléphone toute la nuit, s’enivrent et rient. A l’aube, Priscilla se jettera dans le vide, pas Noémie…
Ces deux jeunes filles ont la passion de l’absolu. La banalité de la vie des adultes leur paraît inacceptable. Elles ressentent une amitié fusionnelle, sans désir charnel, même si elles utilisent les mots de l’amour («Je t’aime», «On l’fait alors»).
Jean Paul Civeyrac a étudié précisément des cas de faits divers semblables depuis 1997. Ces individus cherchent dans la mort un lien qu’ils ne trouvent pas dans la vie. Les causes se trouvent dans le contexte politique et social, dans la famille, mais aussi dans la découverte d’une solitude ontologique. Il y a une débacle de toutes les institutions: La famille, l’école, la police, la psychiatrie sont niées. «Ça ne sert à rien.» «Pourquoi faire des études? Pour devenir chômeuse? Pour se faire exploiter? Pour exploiter les autres?»
Le repas d’anniversaire du grand-père est essentiel. Cela ressemble à une scène d’une pièce de Tchékhov. La grand-mère s’appelle même Sonia. Ce soir-là, Noémie se retrouve au chevet d’une moribonde, Chloé. Elle lui annonce qu’elle veut se suicider. La malade, dans un souffle, proteste contre cette décision. Noémie lui dit finalement que c’est une plaisanterie. («J’adore la vie.») Noémie ne peut pas pleurer. Elle n’ y arrivera que lors de la toute dernière scène du film, près d’un balcon . Priscilla, morte, sera toujours présente auprès d’elle.
Jean Paul Civeyrac utilise très bien les deux actrices non-professionnelles. On pense aux films de Robert Bresson. Pourtant, les deux personnages principaux sont loin d’être sympathiques. Le spectateur ne ressent pas d’empathie pour elles. Les membres des deux familles font ce qu’ils peuvent, sont plutôt bienveillants, mais désemparés.
La musique comme toujours chez ce cinéaste joue un grand rôle: Schumann, Brahms, Bach et particulièrement Le Ballet des ombres heureuses, extrait de l’opéra Orphée et Eurydice de Gluck. A la fin, Noémie, revenue à la musique, joue le solo de flûte traversière accompagnée par un orchestre à cordes.
Le film a été présenté à Cannes en 2010 à La Quinzaine des Réalisateurs.