Giuseppe Ungaretti 1888 – 1970

Philippe Jaccottet.

Je choisis un autre poème tiré de l’anthologie des poètes européens du XX ème siècle, un poème de Giuseppe Ungaretti.

Philippe Jaccottet. D’autres astres, plus loin, épars. Poètes européens du XX ème siècle. Domaine étranger. La Dogana, Genève, octobre 2005.

Philippe Jaccottet et Giuseppe Ungaretti se rencontrent pour la première fois en septembre 1946 à Rome. ils ont 37 ans de différence d’âge. Leur correspondance sera pourtant abondante. (Philippe Jaccottet, Giuseppe Ungaretti, Correspondance 1946-1970. Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2008). Philippe Jaccottet sera un des traducteurs du poète italien.  Avant la Première Guerre mondiale, Giuseppe Ungaretti a étudié deux ans à la Sorbonne, et, y étant retourné, a connu Jeanne Dupoix, qui est devenue sa femme en 1920. Il parle le français presque sans accent et l’écrit couramment. Les deux poètes qui sont de générations différentes sont deux ” passeurs “. Ungaretti est traducteur de Shakespeare, Góngora, Racine, Blake, Mallarmé, Saint-John Perse, notamment.

Nostalgia

Quando
la notte è a svanire
poco prima di primavera
e di rado
qualcuno passa

Su Parigi s’addensa
un oscuro colore
di pianto

In un canto
di ponte
contemplo
l’illimitato silenzio
di una ragazza tenue

Le nostre
malattie
si fondono

E come portati via
si rimane.

Locvizza il 28 settembre 1916.

Vita di un uomo, Tutte e poesie.

Nostalgie

Quand la nuit
est au point de finir
au temps que le printemps est proche
et que rarement
quelqu’un passe

Sur Paris se condense
une obscure couleur
de larme

Au coin
d’un pont
je contemple
le silence sans limite
d’une fille
ténue

Nos deux
maladies
se confondent

Et comme emportés
on demeure

Locvizza, 28 septembre 1916.

Vie d’un homme. Poésie, 1914-1970. NRF Poésie / Éditions de Minuit – Gallimard, 1973. Traduction Jean Lescure. Poésie/Gallimard n°147, 1981.

Plaque 5 rue des Carmes (Paris, V) où a vécu Giuseppe Ungaretti.

Giuseppe Ungaretti (1888 – 1970) – Mikel Laboa (1934 – 2008)

Mikel Laboa (Javier Hernández) 2004.

Mikel Laboa est un chanteur et compositeur. Il est considéré comme l’un des plus importants chanteurs du Pays Basque. Il a mis en musique le poème Agonie du Giuseppe Ungaretti. Les paysans avaient l’habitude de crever les yeux des chardonnerets pour qu’ils chantent mieux.

https://www.youtube.com/watch?v=I4_KoSOwGN4

Agonia

Morire come le allodole assetate
sul miraggio

O coma la quaglia
passato il mare
nei primi cespugli
perché di volare
non ha piú voglia.

Ma non vivere di lamento
come un cardellino accecato.

Allegria di naufragi. Firenze, Vallecchi, 1919.
Vita d’un uomo. Tutte le poesie. Vol. I, L’allegria. 1914-1919, Milano, A. Mondadori, 1942.

Agonie

Mourir comme les alouettes altérées
sur le mirage

Ou comme la caille
passée la mer
dans les premiers buissons
parce qu’elle n’a plus désir
de voler

Mais non vivre de plaintes
comme un chardonneret aveuglé

L’allégresse. 1914-1919. Éditions de Minuit, 1954. Traduction Jean Lescure.

Vie d’un homme. Poésie 1914-1970. NRF Poésie/éditions de Minuit-Gallimard n°147. 1981. (Page 25)

Giuseppe Ungaretti. 1965.

Agonia

Morir como las alondras sedientas
sobre un espejismo.

O lo mismo que la codorniz
tras cruzar el mar
junto a las primeras matas
porque ya no tiene ganas de volar.

Pero no vivir solamente de lamentos
Como un jilguero cegado.

Traduction : Bernardo Atxaga, Asun Garikano.

Giuseppe Ungaretti 1888 – 1970

Giuseppe Ungaretti en 1917 pendant la Première Guerre mondiale.

Les fleuves

Je m’appuie à un arbre mutilé
abandonné dans cette combe
qui a la langueur
d’un cirque
avant ou après le spectacle
et je regarde
le passage paisible
des nuages sur la lune

Ce matin je me suis étendu
dans l’urne de l’eau
et comme une relique
j’ai reposé

L’Isonzo en coulant
me polissait
comme un de ses galets

J’ai ramassé
mes os
et m’en suis allé
comme un acrobate
sur l’eau

Je me suis accroupi
près de mes habits
sales de guerre
et comme un bédouin
je me suis prosterné pour recevoir
le soleil

Voici l’Isonzo
et mieux ici
je me suis reconnu
fibre docile
de l’univers

Mon supplice
c’est quand
je ne me crois pas
en harmonie

Mais ces occultes
mains
qui me pétrissent
m’offrent
la rare
félicité

J’ai repassé
les époques
de ma vie

Voici
mes fleuves

Celui-ci est le Serchio
c’est à lui qu’ont puisé
deux mille années peut-être
de mon peuple campagnard
et mon père et ma mère

Celui-ci c’est le Nil
qui m’a vu
naître et grandir
et brûler d’ingénuité
dans l’étendue de ses plaines

Celle-là est la Seine
dans ses eaux troubles
s’est refait mon mélange
et je me suis connu

Ceux-là sont mes fleuves
comptés dans l’Isonzo

Et c’est là ma nostalgie
qui dans chaque être
m’apparaît
à cette heure qu’il fait nuit
que ma vie me paraît
une corolle
de ténèbres

Cotici, 16 août 1916

Traduit de l’italien par Jean Lescure. Editions de Minuit, 1954.
«Vie d’un homme. Poésie 1914-1970» Editions Poésie/Gallimard , 1981. Pages 58-60.

I Fiumi

Mi tengo a quest’albero mutilato
Abbandonato in questa dolina
Che ha il languore
Di un circo
Prima o dopo lo spettacolo
E guardo
Il passaggio quieto
Delle nuvole sulla luna

Stamani mi sono disteso
In un’urna d’acqua
E come una reliquia
Ho riposato

L’Isonzo scorrendo
Mi levigava
Come un suo sasso

Ho tirato su
Le mie quattro ossa
E me ne sono andato
Come un acrobata
Sull’acqua

Mi sono accoccolato
Vicino ai miei panni
Sudici di guerra
E come un beduino
Mi sono chinato a ricevere
Il sole

Questo è l’Isonzo
E qui meglio
Mi sono riconosciuto
Una docile fibra
Dell’universo

Il mio supplizio
È quando
Non mi credo
In armonia

Ma quelle occulte
Mani
Che m’intridono
Mi regalano
La rara
Felicità

Ho ripassato
Le epoche
Della mia vita

Questi sono
I miei fiumi

Questo è il Serchio
Al quale hanno attinto
Duemil’anni forse
Di gente mia campagnola
E mio padre e mia madre.

Questo è il Nilo
Che mi ha visto
Nascere e crescere
E ardere d’inconsapevolezza
Nelle distese pianure

Questa è la Senna
E in quel suo torbido
Mi sono rimescolato
E mi sono conosciuto

Questi sono i miei fiumi
Contati nell’Isonzo

Questa è la mia nostalgia
Che in ognuno
Mi traspare
Ora ch’è notte
Che la mia vita mi pare
Una corolla
Di tenebre

Cotici il 16 agosto 1916

Vita d’un uomo. Tutte le poesie. Mondadori editore, Milano, 1969.

Vittorio Gassman lit Les fleuves de Giuseppe Ungaretti:

https://www.youtube.com/watch?v=T3cq7gN_IPM