L’étoile du matin
La mer est encore sombre, les étoiles vacillent
quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine
s’élève de la rive, où la mer a son lit,
et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant
où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend
entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne.
L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages
et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera
elle aussi comme le feu, flamboyante.
Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour
où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère
que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend
une étoile verdâtre que l’aube a surprise.
Elle voit la mer sombre et la tache de feu
et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;
elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs
où est un lit de neige. L’heure qui passe lente
est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien.
Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer
et que commence la longue journée ? Demain
reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane,
et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera.
L’homme seul ne voudrait que dormir.
Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel,
lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume.
Poésies (Travailler fatigue. La mort viendra et elle aura tes yeux). 1969. NRF Poésie/Gallimard n°128. Traduction : Gilles de Van. 1979.
Lo stedazzu
L’uomo solo si leva che il mare e ancor buio
e le stelle vacillano. Un tepore di fiato
sale su dalla riva, dov’è il letto del mare,
e addolcisce il respiro. Quest’è l’ora in cui nulla
può accadere. Perfino la pipa tra i denti
pende spenta. Notturno è il sommesso sciacquio.
L’uomo solo ha già acceso un gran fuoco di rami
e lo guarda arrossare il terreno. Anche il mare
tra non molto sarà come il fuoco, avvampante.
Non c’è cosa più amara che l’alba di un giorno
in cui nulla accadrà. Non c’è cosa più amara
che l’inutilità. Pende stanca nel cielo
una stella verdognola, sorpresa dall’alba.
Vede il mare ancor buio e la macchia di fuoco
a cui l’uomo, per fare qualcosa, si scalda;
vede, e cade dal sonno tra le fosche montagne
dov’è un letto di neve. La lentezza dell’ora
è spietata, per chi non aspetta più nulla.
Val la pena che il sole si levi dal mare
e la lunga giornata cominci? Domani
tornerà l’alba tiepida con la diafana luce
e sarà come ieri e mai nulla accadrà.
L’uomo solo vorrebbe soltanto dormire.
Quando l’ultima stella si spegne nel cielo,
l’uomo adagio prepara la pipa e l’accende.
Lavorare stanca. Florence, Solaria, 1936.
Poème écrit au cours de l’hiver 1935. Cesare Pavese est arrêté le 15 mai 1935 pour activités antifascistes. Il est exclu du parti national fasciste et relégué en Calabre à Brancaleone, petit village au bord de la mer Ionenne du 4 août 1935 au 15 mars 1936. Italo Calvino, dans son introduction à l’œuvre ( Introduzione, Poesie edite e inedite. Einaudi, Torino, 1962) dit que pour comprendre le titre du recueil il faut avoir lu I Sansôssí d’Augusto Monti : « I sansôssí (graphie piémontaise pour « sans-soucì ») est le titre d’un roman d’Augusto Monti ( professeur de lycée de Pavese et son premier maître en littérature et ami ). Monti oppose ( sentant le charme de l’une et de l’autre ) la vertu du piémontais sansossì ( faite d’insouciance et d’inconscience juvénile ) à la vertu du piémontais ferme, stoïque, travailleur et taciturne. Le premier Pavese ( ou peut-être tout Pavese ) se situe lui aussi entre ces deux bornes : il ne faut pas oublier que l’un de ses premiers auteurs est Walt Whitman, exaltateur et du travail et de la vie vagabonde. Le titre Travailler fatigue sera précisément la version pavésienne de l’antithèse d’Augusto Monti (et de Whitman), mais sans gaieté, avec les tourments de celui qui ne s’intègre pas : jeune garçon dans le monde des adultes, sans métier dans le monde de ceux qui travaillent, sans femme dans le monde de l’amour et des familles, sans armes dans le monde des luttes politiques et des devoirs civils ».