Le 5 janvier 1937, les fascistes ont fusillé Aurora Picornell (1912-1937) au cimetière de Son Coletes, près de Manacor (Mallorca) avec ses camarades du groupe “ Les Rouges du Molinar ” ( Les Roges de Molinar : Catalina Flaquer, ses deux filles, Antònia Pascual Flaquer et Maria Pascual Flaquer, Belarmina González Rodríguez ). Elles étaient communistes et vivaient dans le quartier de El Molinar à Palma de Mallorca (Îles Baléares), qui était à l’époque un quartier d’ouvriers et de pêcheurs. Aujourd’hui, la zone où elles habitaient n’existe plus.
Le Président actuel du Parlement des Îles Baléares, Gabriel Le Senne, membre de l’Opus Dei et du parti fasciste Vox, allié au parti Populaire (droite conservatrice), s’est permis le 19 juin 2024 de déchirer dans l’hémicycle la photographie de cette figure républicaine. Il a aussi expulsé deux députées du Parti Socialiste Ouvrier espagnol (PSOE), Mercedes Garrido et Pilar Costa. Vox et le Parti Populaire veulent supprimer la Ley de Memoria Democrática dans cette communauté autonome. La menace de l’extrême-droite est toujours là, bien présente …
Aurora Picornell aurait dit à ses boureaux de la Phalange :
“Podéis matar a hombres, a mujeres, a niños como el mío que todavía no ha nacido. ¿Pero, y las ideas? ¿Con qué balas mataréis las ideas?”.
“Podeu matar homes, dones, nins com el meu que encara no ha nat. Però, i les idees? Amb quines bales matareu les idees?”
Les membres de la famille de Gabriel Le Senne faisaient partie des partis conservateurs de l’île et se sont amplement enrichis pendant la longue dictature franquiste (1939-1975)
L’histoire dit que dans la nuit du 5 au 6 janvier 1937 un fasciste est entré dans un bar du quartier El Molinar et a montré à ceux qui étaient présents un soutien-gorge taché de sang. “Mirad, mirad, son los sostenes de Aurora”. (« Regardez, regardez, c’est le soutien-gorge d’Aurora. ») C’est ainsi que les habitants du quartier ont appris l’exécution de cette dirigeante du Parti communiste d’Espagne (PCE) à Mallorque. 85 ans plus tard, en octobre 2022, les restes d’Aurora ont été identifiés. Ils ont été trouvés dans la fosse commune n°3 du cimetière Son Coletes de Manacor. L’ADN de son frère, Ignasi Picornell, lui aussi assassiné et dont le corps a été retrouvé en 2016 dans la fosse commune de Porreres, a permis son identification ainsi que celle de son père Gabriel Ignasi Picornell.
Aurora Picornell est née le 1 octobre 1912 à Palma dans une famille communiste de sept enfants (Aurora est la sixième). Á 16 ans, elle publie La mujer, ¿es superior al hombre? Estudio dividido en tres meditaciones. Á 18 ans, elle milite dans la Lliga Laica de Mallorca. L’année suivante, elle fonde le syndicat des couturières (Sindicato de Sastrería y similares). Elle est la vice-présidente d’une direction paritaire. Elle devient membre du Secours rouge international et responsable régionale du Parti Communiste d’Espagne (PCE). Elle participe à des meetings et écrit dans la presse. Elle organise el Día de la Mujer Trabajadora à Mallorca le 8 mars 1934. Bien que membre d’un petit parti, elle est très connue pour son activisme dans tout l’archipel. On l’appelle déjà la Heroica Aurora Picornell ou bien La Pasionaria de Mallorca. Au début des années 30, la participation des femmes dans la vie politique est encore chose peu fréquente bien qu’en Espagne les femmes aient obtenu le droit de vote le 1 octobre 1931 grâce à la Seconde République.
Aurora est arrêtée avec ses camarades le 19 juillet 1936, peu après le coup d’état franquiste. Elle est incarcérée d’abord à la prison provinciale, puis à la prison pour femmes de Mallorca (edificio Ca’n Salas). Elle est ensuite emmenée par un groupe de phalangistes dans l’ancien couvent de Montuïri et fusillée sans aucun jugement la veille du jour des Rois (le 5 janvier 1937), après avoir été torturée et probablement violée.
Elle est devenue l’exemple de ce que fut la répression franquiste à Mallorca pendant la Guerre Civile. Entre 1936 et 1942, 2300 personnes furent assassineés dans l’île par les putschistes.
La famille Picornell Femenias en a particulièrement souffert. Son père (Gabriel Ignasi) qui était menuisier et deux de ses frères (Gabriel et Ignasi) ont été fusillés. Le plus jeune, Joan, a pu fuir en France après la guerre, mais il fut déporté à Dachau et mourut peu après la libération du camp de concentration. En 1932, Aurora s’était mariée à Valence avec Heriberto Quiñones, membre de l’Internationale Communiste et dirigeant du PCE. Ils ont eu une fille, Octubrina Roja Quiñones Picornell (1934-1969). Heriberto Quiñones a été exécuté à Madrid le 2 octobre 1942. il est mort assis sur une chaise car les tortures qu’on lui avait infligées lui avaient fait perdre l’usage de ses quatre membres.
C’est un groupe dirigé par le Marquis Alfonso de Zayas y de Bobadilla (1896-1970), chef provincial de la Phalange, qui est responsable de l’arrestation et de la mort d’Aurora. Le Gouverneur civil des Baléares, Mateu Torres Bestard (1891-1969), proche du général Franco, a favorisé cette répression.
Totes les Aurores (2023). Documentaire d’IB3 Televisió, Quindrop Produccions (Pedro de Echave). 75 minutes.
https://www.youtube.com/watch?v=fUvZO4018GA
Il faut relire Les Grands Cimetières sous la lune de Georges Bernanos (Plon, 1938).
« Pour moi, j’appelle Terreur tout régime où les citoyens, soustraits à la protection de la loi, n’attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d’Etat. J’appelle le régime de la Terreur le régime des Suspects. C’est ce Régime que j’ai vu fonctionner huit mois. Ou, plus exactement, il m’a fallu dix mois pour m’ en découvrir, rouage après rouage, le fonctionnement. Je le dis, je l’affirme. Je n’exige nullement qu’on me croie sur parole. Je sais que tout se saura un jour – demain, après-demain, qu’importe ? Mgr l’ Évêque de Palma par exemple en sait autant que moi. J’ai toujours pensé que Notre Saint-Père le Pape, torturé, dit-on, par le problème de la guerre civile espagnole, aurait grand intérêt à questionner ce dignitaire sous la foi du serment. »
« Exécutions
J’ai vu là-bas, à Majorque, passer sur la Rambla des camions chargés d’hommes. Ils roulaient avec un bruit de tonnerre, au ras des terrasses multicolores, lavées de frais, toutes ruisselantes, avec leur gai murmure de fête foraine. Les camions étaient gris de la poussière des routes, gris aussi les hommes assis quatre par quatre, les casquettes grises posées de travers et leurs mains allongées sur les pantalons de coutil, bien sagement. On les raflait chaque soir dans les hameaux perdus, à l’heure où ils reviennent des champs ; ils partaient pour le dernier voyage, la chemise collée aux épaules par la sueur, les bras encore pleins du travail de la journée, laissant la soupe servie sur la table et une femme qui arrive trop tard au seuil du jardin, tout essoufflée, avec le petit balluchon serré dans la serviette neuve : « Adios ! recuerdos ! » (adieu ! Je pense à toi!) »
Bibliographie
David Ginard i Féron (professeur d’histoire à l’université des Îles Baléares), Aurora Picornell (1912-1937) : de la història al símbol, Palma, Edicions Documenta Balear, 2016.
Josep Quetglas, Aurora Picornell. Escrits 1930-1936. Pins del Vallès, Associació d’Idees, 2012.