L’Homme qui marche d’Auguste Rodin (1907)
Cette sculpture est née à partir d’une étude des jambes de Saint Jean-Baptiste (1878. Paris, Musée d’Orsay) et d’un torse. Rodin les assemble vers 1900. A cette époque, il porte un nouveau regard sur la sculpture antique. L’état fragmentaire dans lequel nous sont parvenues la plupart des oeuvres gréco-romaines a eu une incidence sur sa réflexion. D’après lui, cela ne diminue en rien leur beauté ni leur pouvoir d’expression : « Voilà une main, une main de marbre que j’ai trouvée chez un brocanteur ; elle est cassée au ras du poignet ; elle n’a plus de doigts, rien qu’une paume ; et elle est si vraie que pour la contempler, la voir vivre, je n’ai pas besoin de doigts. Mutilée comme elle est, elle se suffit malgré tout, parce qu’elle est vraie. » (Auguste Rodin, 1904).
L’Homme qui marche est souvent considéré comme le symbole de la création pure, débarrassée du poids du sujet. C’est l’image même du mouvement, du dynamisme.
L’Homme qui marche I et II d’Alberto Giacometti (1960)
Ces deux sculptures arrivent pour Giacometti après un long processus, de nombreuses tentatives. Elles ont un pas large et assuré.
Cet être humain est en quête de sens. Il est à la fois fragile et conquérant. C’est le symbole d’une humanité en mouvement. Giacometti comme Rodin n’a pas inventé ce motif sculpté qui existe depuis la Préhistoire, des figures égyptiennes aux Kouroi grecs. Mais il est le seul à lui avoir donné une forme universelle et atemporelle : celle d’un homme, sans époque, sans genre, ni origines. Ce n’est pas un héros, juste un homme sculpté entre la figuration et l’abstraction, dans la quintessence du mouvement et la vérité de la perception.
Jean Genet affirme dans une étude sur l’oeuvre de son ami sculpteur (L’atelier d’Alberto Giacometti. L’Arbalète, 1963. Gallimard, 2007) :
« Autour d’elles l’espace vibre. Rien n’est plus en repos. C’est peut-être que chaque angle (fait avec le pouce de Giacometti quand il travaillait la glaise) ou courbe, ou bosse, ou crête, ou pointe déchirée du métal ne sont eux-mêmes en repos. Chacun d’eux continue à émettre la sensibilité qui les créa. Aucune pointe, arête qui découpe, déchire l’espace, n’est morte. »
Il dit aussi :
«Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. Il y a donc loin de cet art à ce qu’on nomme le misérabilisme. L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine.»
L’Homme qui marche de Germaine Richier (1945)
Germaine Richier crée L’Homme qui marche en 1945 pendant son exil en Suisse. Elle ne craint pas de s’attaquer à un thème traité par Rodin. Loin de tout élan, le personnage semble titubant. Il a l’œil exorbité et son crâne troué laisse passer la lumière. Le travail expressif sur le bronze est indissociable des menaces qui pèsent sur l’homme après la guerre. C’est aussi une façon de le ramener à la vie :
« Mes statues ne sont pas inachevées – leurs formes déchiquetées ont toutes été conçues pleines et complètes. C’est ensuite que je les ai creusées, déchirées, pour qu’elles soient variées de tous les côtés et qu’elles aient un aspect changeant et vivant », dit-elle peu avant sa mort.
Cette image d’une humanité aussi blessée que menaçante est développée deux ans plus tard avec L’Orage.
André Pieyre de Mandiargues écrit : « Elle fait crier ce qui est passé entre ses mains. » Il ajoute : « Elle nous induit à d’étranges mouvements de l’âme, elle nous fait apercevoir des fièvres et des peurs qui sont primordiales. »
Son homme semble ahuri, mais a les pieds englués dans la terre. Ses mains aux doigts écartés donne vie à ce personnage inquiétant au crâne percé. On est loin de la figure longiligne de Giacometti. La sculpture de Richier offre l’image d’une humanité blessée, menaçante , fortement marquée par la guerre et l’après-guerre.