Le grand poète espagnol Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 à Séville. Il quitte l’Andalousie avec ses parents le 8 septembre 1883. Il a été formé à Madrid à partir de 1883 par l’Institution libre d’enseignement (La Institución Libre de Enseñanza), célèbre tentative pédagogique moderne et laïque qui a profondément marqué l’Espagne de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème. En 1907, Antonio Machado obtient une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie le 30 juillet 1909. Il a 34 ans, Leonor 15 seulement. Elle meurt de tuberculose le 1 août 1912. Très affecté, le poète quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il obtient sa mutation à Baeza, dans la province de Jaén (Andalousie), où il reste jusqu’en 1919. Entre 1919 et 1932, il est professeur de français à Ségovie, près de Madrid. En 1931, avec ses amis progressistes il proclame la République dans cette ville de Castille et hisse le drapeau républicain sur l’hôtel de ville au son de La Marseillaise. Á partir de 1932, il réside à Madrid. Lorsqu’éclate la Guerre civile en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il met sa plume au service de la République. Il écrit un poème qui évoque l’exécution de Federico Garcia Lorca (El crimen fue en Granada). En novembre 1936, il est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquin et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. Le 22 janvier 1939, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, Antonio Machado meurt épuisé le 22 février 1939, trois jours avant sa mère. Il est enterré à Collioure, tandis que la tombe de Leonor se trouve à Soria (Cementerio del Espino).
Gerardo Diego disait d’Antonio Machado : « Hablaba en verso y vivía en poesía »
CXXVII. Otro viaje
Ya en los campos de Jaén, amanece. Corre el tren por sus brillantes rieles, devorando matorrales, alcaceles, terraplenes, pedregales, olivares, caseríos, praderas y cardizales, montes y valles sombríos. Tras la turbia ventanilla, pasa la devanadera del campo de primavera. La luz en el techo brilla de mi vagón de tercera. Entre nubarrones blancos, oro y grana; la niebla de la mañana huyendo por los barrancos. ¡Este insomne sueño mío! ¡Este frío de un amanecer en vela!… Resonante, jadeante, marcha el tren. El campo vuela. Enfrente de mí, un señor sobre su manta dormido; un fraile y un cazador —el perro a sus pies tendido—. Yo contemplo mi equipaje, mi viejo saco de cuero; y recuerdo otro viaje hacia las tierras del Duero. Otro viaje de ayer por la tierra castellana —¡pinos del amanecer entre Almazán y Quintana!— ¡Y alegría de un viajar en compañía! ¡Y la unión que ha roto la muerte un día! ¡Mano fría que aprietas mi corazón! Tren, camina, silba, humea, acarrea tu ejército de vagones, ajetrea maletas y corazones. Soledad, sequedad. Tan pobre me estoy quedando que ya ni siquiera estoy conmigo, ni sé si voy conmigo a solas viajando.
Campos de Castilla, 1912.
CXXVII Autre voyage
Sur les campagnes de Jaén, voici que le soleil se lève. Le train sur ses rails brillants s’élance, dévorant des buissons, des champs d’orge, des terre-pleins, des pierres, des oliveraies et des fermes, des prés et des chardons, des monts et de sombres vallons. Par-delà la trouble fenêtre passe l’écheveau de la campagne du printemps. La lumière brille au plafond de mon wagon de troisième. Entre de gros nuages blancs, l’or et la pourpre ; le brouillard du matin fuyant dans les ravins. Oh ! sommeil d’insomnie, oh ! le froid du matin, dans l’éveil !… Résonnant, haletant, va le train. La campagne vole. En face de moi, un monsieur sur sa couverture endormi ; un moine et un chasseur – son chien étendu à ses pieds. – Moi, je contemple mon bagage, mon vieux sac de cuir ; et je me souviens d’un autre voyage vers les terres du Douro. Un autre voyage d’hier en terre de Castille – oh ! Les pins de l’aurore entre Almazán et Quintana ! – Et la joie de voyager en compagnie ! Et l’union que la mort un jour a brisée ! Oh ! main froide qui serre mon coeur ! Chemine, train, siffle, fume, transporte, ton armée de wagons, bourlinguant valises et coeurs. Oh ! Solitude, sécheresse. Me voici pauvre, si pauvre, que je ne suis même plus avec moi, ni ne sais si je suis avec moi tout seul voyageant.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Le poète fut arrêté dans sa ville de Grenade le 16 août 1936. Il s’était réfugié dans la maison de la famille Rosales Camacho, calle Angulo número 1 . Il s’y croyait à l’abri puisque les fils de cette famille étaient des membres influents de la Phalange, l’organisation fasciste de José Antonio Primo de Rivera. Federico était très ami avec le poète Luis Rosales (1910-1992, Prix Cervantès 1982), le plus jeune des frères. Dans la nuit du 17 au 18 août 1936, probablement vers deux heures du matin, il fut transféré en voiture jusqu’au village de Viznar, à neuf kilomètres de là. Peu de temps après, il fut assassiné près du village voisin d’Alfacar avec trois autres personnes : l’instituteur de Pulianas Dióscoro Galindo González et deux banderilleros célèbres de de Grenade: Francisco Galadí Melgar (“el Colores”) et Joaquín Arcollas Cabezas (“Magarza”), membres du syndicat anarchiste CNT. L’historien anglais Paul Preston estime qu’il y eut 5000 exécutions à Grenade pendant la Guerre civile.
La publication dans un hors-série du « Figaro » (28 juillet 2022) d’un entretien de huit pages de la journaliste Isabelle Schmitz avec l’essayiste d’extrême droite Pío Moa, pour qui les gauches sont entièrement responsables du déclenchement de la guerre civile en Espagne en 1936, a suscité l’indignation de nombreux historiens. Comment peut-on publier en France un livre de ce pseudo-historien engagé dans sa jeunesse dans les GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre), groupuscule terroriste d’inspiration maoïste et condamné par la justice espagnole en 1983 ? Les Éditions L’Artilleur ont pourtant traduit et édité son livre révisionniste Les Mythes de la guerre civile 1936-1939, sorti en Espagne en 2003.
Antonio Machado écrivit ce poème au mois d’octobre 1936. Il en donna une lecture publique, à Valence, sur la Place Castelar.
El crimen fue en Granada (Antonio Machado)
A Federico García Lorca
I
El crimen
Se le vio, caminando entre fusiles, por una calle larga, salir al campo frío, aún con estrellas, de la madrugada. Mataron a Federico cuando la luz asomaba. El pelotón de verdugos no osó mirarle la cara. Todos cerraron los ojos; rezaron: ¡ni Dios te salva! Muerto cayó Federico – sangre en la frente y plomo en las entrañas – …Que fue en Granada el crimen sabed – ¡pobre Granada! -, en su Granada.
II
El poeta y la muerte
Se le vio caminar solo con Ella, sin miedo a su guadaña. – Ya el sol en torre y torre, los martillos en yunque – yunque y yunque de las fraguas. Hablaba Federico, requebrando a la muerte. Ella escuchaba. “Porque ayer en mi verso, compañera, sonaba el golpe de tus secas palmas, y diste el hielo a mi cantar, y el filo a mi tragedia de tu hoz de plata, te cantaré la carne que no tienes, los ojos que te faltan, tus cabellos que el viento sacudía, los rojos labios donde te besaban… Hoy como ayer, gitana, muerte mía, qué bien contigo a solas, por estos aires de Granada, ¡mi Granada!”
III
Se le vio caminar… Labrad, amigos, de piedra y sueño, en el Alhambra, un túmulo al poeta, sobre una fuente donde llore el agua, y eternamente diga: el crimen fue en Granada, ¡en su Granada!
Le crime a eu lieu à Grenade
A Federico García Lorca
I
Le crime
On le vit, avançant au milieu des fusils, Par une longue rue, Sortir dans la campagne froide, Sous les étoiles, au point du jour. Ils ont tué Federico Quand la lumière apparaissait. Le peloton de ses bourreaux N’osa le regarder en face. Ils avaient tous fermé les yeux ; Ils prient : Dieu même n’y peut rien ! Et mort tomba Federico – Du sang au front, du plomb dans les entrailles – … Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade – Pauvre Grenade! – , sa Grenade…
II
Le poète et la mort
On le vit s’avancer seul avec Elle, Sans craindre sa faux. – Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux Sur l’enclume – sur l’enclume des forges. Federico parlait ; Il courtisait la mort. Elle écoutait « Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers Les coups de tes mains desséchées, Qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace Et à ma tragédie le fil de ta faucille d’argent, Je chanterai la chair que tu n’as pas, Les yeux qui te manquent, Les cheveux que le vent agitait, Les lèvres rouges que l’on baisait… Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort, Que je suis bien, seul avec toi, Dans l’air de Grenade, ma Grenade !»
III
On le vit s’avancer… Élevez, mes amis, Dans l’Alhambra, de pierre et de songe, Un tombeau au poète, Sur une fontaine où l’eau gémira Et dira éternellement : Le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !
Poésie de guerre, 1936-1939. Traduction : Bernard Sesé.
Gracias a la Fundación Española Antonio Machado. Soria – Madrid. ¡Feliz Navidad!
XCVI. Sol de invierno (Antonio Machado)
Es mediodía. Un parque. Invierno. Blancas sendas; simétricos montículos y ramas esqueléticas.
Bajo el invernadero, naranjos en maceta, y en su tonel, pintado de verde, la palmera.
Un viejecillo dice, para su capa vieja: «¡El sol, esta hermosura de sol!…» Los niños juegan.
El agua de la fuente resbala, corre y sueña lamiendo, casi muda, la verdinosa piedra.
Soledades. Galerías. Otros poemas. VI Varia. 1907.
XCVI. Soleil d’hiver
Il est midi. Un parc. L’hiver. De blancs sentiers ; des monticules symétriques, des branches squelettiques.
Dans la serre chaude, des orangers en pot, et dans son tonneau, peint en vert, le palmier.
Un petit vieillard dit à son vieux manteau : «Le soleil, quel splendeur ce soleil !… » Les enfants jouent.
L’eau de la fontaine coule, glisse et rêve, léchant, quasi muette, la pierre vert-de-gris.
Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction : Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, Gallimard, 1973; Paris, collection Poésie/ Gallimard, 1981 (n°144).
Antonio Machado est né le 26 juillet 1875 au palais de Las Dueñas à Séville. C’est le deuxième enfant d’Antonio Machado Álvarez, folkloriste célèbre, et d’Ana Ruiz Hernández. Son frère aîné, Manuel, né le 29 août 1874, est un poète moderniste avec qui il collabore à de nombreuses reprises. Á huit ans, il part à Madrid avec ses parents. Il reçoit l’éducation de l’Institution libre d’enseignement. Il a gardé toute sa vie une grande affection et gratitude pour ses maîtres qui ont eu un rôle si important dans la modernisation de l’enseignement en Espagne à la fin du XIX ème siècle et au début du XX ème.
XCVII Retrato
Mi infancia son recuerdos de un patio de Sevilla,
y un huerto claro donde madura el limonero;
mi juventud, veinte años en tierras de Castilla;
mi historia, algunos casos que recordar no quiero.
Ni un seductor Mañara, ni un Bradomín he sido
—ya conocéis mi torpe aliño indumentario—,
mas recibí la flecha que me asignó Cupido,
y amé cuanto ellas puedan tener de hospitalario.
Hay en mis venas gotas de sangre jacobina,
pero mi verso brota de manantial sereno;
y, más que un hombre al uso que sabe su doctrina,
soy, en el buen sentido de la palabra, bueno.
Adoro la hermosura, y en la moderna estética
corté las viejas rosas del huerto de Ronsard;
mas no amo los afeites de la actual cosmética,
ni soy un ave de esas del nuevo gay-trinar.
Desdeño las romanzas de los tenores huecos
y el coro de los grillos que cantan a la luna.
A distinguir me paro las voces de los ecos,
y escucho solamente, entre las voces, una.
¿Soy clásico o romántico? No sé. Dejar quisiera
mi verso, como deja el capitán su espada:
famosa por la mano viril que la blandiera,
no por el docto oficio del forjador preciada.
Converso con el hombre que siempre va conmigo
—quien habla solo espera hablar a Dios un día—;
mi soliloquio es plática con ese buen amigo
que me enseñó el secreto de la filantropía.
Y al cabo, nada os debo; debéisme cuanto he escrito.
A mi trabajo acudo, con mi dinero pago
el traje que me cubre y la mansión que habito,
el pan que me alimenta y el lecho en donde yago.
Y cuando llegue el día del último vïaje, y esté al partir la nave que nunca ha de tornar, me encontraréis a bordo ligero de equipaje, casi desnudo, como los hijos de la mar.
Campos de Castilla, 1907-17.
XCVII Portrait
Enfance, souvenirs d’un patio de Séville, d’un clair jardin où mûrit le citronnier, ma jeunesse, vingt ans en terre de Castille ; Mon histoire, quelques faits que je ne veux pas rappeler.
Ni un séducteur Mañara, ni un Marquis de Bradomín, – vous connaissez mon piètre accoutrement – ; mais j’ai reçu la flèche que me destina Cupidon, et j’ai aimé tout ce qu’elles ont d’accueillant.
Il coule dans mes veines du sang de jacobin,
mais mon vers jaillit d’une source sereine ;
et plus qu’un homme à la mode qui sait son catéchisme,
je suis, dans le bon sens du mot, un homme bon.
J’adore la beauté, et dans la moderne esthétique
j’ai cueilli les anciennes roses du jardin de Ronsard ;
mais je n’aime pas les fards de l’actuelle cosmétique,
ni ne suis un de ces oiseaux au nouveau gazouillis.
Méprisant la romance des ténors à voix creuse
et le choeur des grillons qui chantent à la lune,
je cherche à démêler les voix des échos ;
parmi toutes les voix, je n’en écoute qu’une.
Classique ou romantique ? Je ne sais. Je voudrais laisser mon poème ainsi que son épée le capitaine : fameuse par la main virile qui la brandissait et non pour l’art savant du forgeur appréciée.
Je converse avec l’homme qui toujours m’accompagne – qui parle seul espère à Dieu parler un jour – ; mon soliloque est entretien avec ce bon ami qui m’apprit le secret de la philanthropie.
Après tout, je ne vous dois rien ; c’est vous qui me devez ce que j’ai écrit.
J’accomplis mon labeur, de mes deniers, je paie
l’habit qui me couvre, la demeure où j’habite,
le pain qui me nourrit, la couche où je repose.
Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer.
Champs de Castille (1907-1917). Gallimard, 1973. Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé.
J’ai vu, il y a quelques jours, sur Arte Peppermint frappé, un film espagnol réalisé par Carlos Saura en 1967. Il avait obtenu l’ours d’argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin en 1968 et devait être présenté au festival de Cannes en mai 1968. Celui-ci fut interrompu, suite aux événements.
Je me souviens de l’avoir vu à Madrid en 1969. J’avais beaucoup
oublié les détails de l’histoire.
Résumé : Julián (José Luis López Vázquez) est radiologue dans une clinique de Cuenca. Il est assisté d’Ana (Geraldine Chaplin), une infirmière brune et timide. Il est invité chez un de ses amis d’enfance, Pablo, un aventurier affairiste qui revient d’Afrique (Alfredo Mayo). Il vient de se marier avec Elena, belle jeune femme blonde (Geraldine Chaplin). Pablo lui sert son cocktail favori, un peppermint frappé. Lorsque Elena apparaît, Julián croit reconnaître en elle une mystérieuse femme qu’il a vue jouer du tambour lors de la Semaine sainte à Calanda. Elle affirme qu’elle ne l’a jamais vu et qu’elle n’est jamais allé à Calanda. Attiré par elle, il fait tout pour la séduire. Frustré, il se reporte sur Ana, son assistante, qui est amoureuse de lui. Il la fait se vêtir, se maquiller, bouger comme Elena. Celle-ci raconte tout à son mari. Lors d’une soirée, ils lui offrent un tambour et récitent un poème d’Antonio Machado pour se moquer de lui. Julián invite le couple dans sa maison de campagne, verse un poison dans le peppermint frappé qu’il leur fait boire. Il place les corps dans leur voiture qu’il pousse dans un précipice. De retour à la maison de campagne, il trouve Ana, vêtue comme la femme de Calanda. Elle a compris ce qui s’est passé.
Le film est dédié à Luis Buñuel. Les tambours de Calanda (Aragon) font référence au metteur en scène aragonais puisqu’il s’agit de sa ville natale. On les entend dès L’Âge d’or (1930). Peppermint frappé a été tourné à Cuenca (Castilla-La Mancha) où a vécu et est mort le frère de Carlos Saura, le grand peintre Antonio Saura (1930-1998). On voit justement son tableau BrigitteBardot quand les trois personnages visitent le Museo deArte Abstracto Español de cette ville.
On pense à Belle de jour de Buñuel, à Vertigo d’Alfred Hitchcock, à Blow-up d’Antonioni, à Cul-de-sac de Polanski. Un peu trop de références, peut-être. On entend aussi la magnifique musique du Misteri d’Elx (seconde moitié du XV ème siècle).
José Luis López Vázquez (1922-2009) et Alfredo Mayo (1911-1985) étaient des acteurs de théâtre et de cinéma très célèbres à l’époque franquiste.
Elena
lit une première fois le
poème Yo
voy soñando
caminos
d’Antonio Machado, que Julián sait
par coeur.
Elle le lit à nouveau avec son mari Pablo. Cela fait partie de l’
humiliation qui poussera Julián à commettre le double crime.
Poème déjà publié sur ce blog le 13 septembre 2019.
Yo voy soñando
caminos
de
la tarde. ¡ Las
colinas
doradas,
los verdes pinos,
las
polvorientas encinas !…
¿Adónde
el camino irá ?
Yo voy cantando, viajero
a lo
largo del sendero…
– La tarde cayendo está
-.
”
En el corazón
tenía
la espina de una pasión
:
logré
arrancármela
un día;
ya no siento el corazón.
”
Y todo el campo un momento
se queda, mudo y sombrío,
meditando. Suena
el viento
en
los álamos
del río.
La tarde más
se oscurece;
y
el camino que serpea
y
débilmente
blanquea,
se
enturbia y desaparece.
Mi cantar vuelve a plañir
:
”
Aguda espina dorada,
quién
te pudiera sentir
En
el corazón
clavada. ”
Soledades
(1899-1907)
Poema publicado por primera vez en 1906 en la revista Ateneo con el nombre de Ensueños.
XI
Je
m’en vais rêvant par les chemins
du soir. Les
collines
dorées, les pins verts,
les chênes poussiéreux!
…
Où peut-il aller, ce chemin ?
Je
m’en vais chantant, voyageur
Le long du sentier…
– Le
jour s’incline lentement.
« Dedans mon cœur était
clouée
l’épine d’une passion ;
Un jour j’ai pu me
l’arracher:
Je ne sens plus mon cœur. »
Et
toute la campagne un instant
demeure, muette et sombre,
pour
méditer. Le vent retentit
dans les peupliers de la rivière.
Mais
le soir s’obscurcit encore ;
et le chemin qui tourne,
tourne,
et blanchit doucement,
se trouble et disparaît.
Mon chant recommence à pleurer: «Épine pointue et dorée, ah ! si je pouvais te sentir dedans mon cœur clouée.»
Solitudes,
Galeries et autres poèmes (1899-1907. Traduction
Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144. 1981.
Pierre
Darmangeat a montré les analogies entre ce poème et une poésie de
Juan Ramón Jiménez intitulée Tristeza
dulce del campo du recueil
Pastorales
(1903-1905)
Tristeza
dulce del campo (Juan Ramón Jiménez)
Tristeza
dulce del campo.
La tarde viene cayendo.
De las praderas
segadas
llega un suave olor a heno.
Los pinares se
han dormido.
Sobre la colina, el cielo
es tiernamente
violeta.
Canta un ruiseñor despierto.
Vengo detrás
de una copla
que había por el sendero,
copla de llanto,
aromada
con el olor de este tiempo;
copla que iba
llorando
no sé qué cariño muerto,
de otras tardes de
setiembre
que olieron también a heno.
Le monde est petit (“El mundo es un pañuelo”). La ville de Segovia et la province entière sont magnifiques.
Un segoviano en las antípodas “En el municipio Valverde del Majano, un pueblo de menos de mil habitantes cerca de la ciudad de Segovia, nació el 31 de enero de 1811 Manuel José de Frutos, el hijo de un comerciante de lana que a los 20 años se vio forzado a emigrar. Tras faenar como ballenero por las costas de Perú y los mares del Sur, Manuel José recaló a bordo del barco inglés Elizabeth en Port Awanui, en la alejada región de Te Araroa, en la costa este de la Isla Norte de Nueva Zelanda, donde se dedicó al comercio, hizo buenas migas con los nativos de la tribu ngati porou, tuvo cinco esposas, nueve hijos, 41 nietos y 299 bisnietos. Más de siete generaciones después, el clan maorí de los Paniora (españoles, en lengua maorí), suma 16.000 descendientes repartidos por Nueva Zelanda y otros países.
Los maoríes transmiten sus historias mediante la tradición oral, por lo que poco a poco se fue perdiendo el conocimiento sobre la procedencia de aquel marinero español. Solo recordaban su nombre y el de de su turangawaewae, la cuna de sus ancestros: Valverde. No fue hasta 2006, a raíz de un documental realizado por la periodista neozelandesa Diana Burns en colaboración con la historiadora española María Teresa Llorente, que se dedicó a buscar por los archivos parroquiales de Segovia, que los Paniora pudieron conocer al fin sus orígenes.
En 2007, una veintena de maoríes Paniora viajó desde las antípodas hasta Segovia para visitar el pueblo de su antepasado. Allí descubrieron que tenían familia, descendientes de las dos hermanas de Manuel José. Al año siguiente, sus primos les devolvieron la visita, y los viajes se han repetido varias veces en ambos sentidos. Los restos de Manuel José reposan en una colina de Taumata, con vistas al rio Waiapu y al océano Pacífico.” (El País, 23/04/2021)
El milagro (Antonio Machado)
En Segovia, una tarde, de paseo por la alameda que Eresma baña, para leer mi Biblia eché mano al estuche de las gafas en busca de ese andamio de mis ojos, mi volado balcón de la mirada. Abrí el estuche con el gesto firme y doctoral de quien se dice : Aguarda, y ahora verás si veo… Abrí el estuche pero dentro : nada; point de lunettes… ¿ Huyeron ? Juraría que algo brilló cuando la negra tapa abrí del diminuto ataúd de bolsillo, y que volaban, huyendo de su encierro, cual mariposa de cristal, mis gafas. El libro bajo el brazo, la orfandad de mis ojos paseaba pensando: hasta las cosas que dejamos muertas de risa en casa tienen su doble donde estar debieran o es un acto de fe toda mirada.
Cancionero apócrifo. Doce poetas que pudieron existir. 1919.
Le miracle
À Segovia, un après-midi me promenant par la peupleraie que l’Eresma baigne, pour lire ma Bible j´ai mis la main sur mon étui à lunettes en quête de cet échafaudage de mes yeux, mon balcon saillant du regard.
LaVoz de España. «El 14 de abril de 1931 en Segovia», abril de 1937: “ Fue un día profundamente alegre – muchos que ya éramos viejos no recordábamos otro más alegre -, un día maravilloso en que la naturaleza y la historia parecían fundirse para vibrar juntas en el alma de los poetas y en los labios de los niños. Mi amigo Antonio Ballesteros y yo izamos en el Ayuntamiento la bandera tricolor. Se cantó La Marsellesa ; sonaron los compases del Himno de Riego. La Internacional no había sonado todavía. Era muy legítimo nuestro regocijo. La República había venido por sus cabales, de un modo perfecto, como resultado de unas elecciones ; todo un régimen caía sin sangre, para asombro del mundo. Ni siquiera el crimen profético de un loco, que hubiera eliminado a un traidor, turbó la paz de aquellas horas. La República salía de las urnas acabada y perfecta, como Minerva de la cabeza de Júpiter. Así recuerdo yo el 14 de abril de 1931. “
La spéculation immobilière menace les paysages qui entourent Soria et qu’ ont immortalisés les poètes Antonio Machado et Gustavo Adolfo Bécquer. Voir la pétition lancée par notre amie Carmen Heras Uriel.
Julio Llamazares a publié dans le journal El País hier un bel article qui rappelle l’importance de la préservation de cet endroit magnifique: Paisaje y memoria.
“Decía alguien que los paisajes no existen hasta que los colonizan los escritores o los pintores y esa curva de ballesta que el río Duero traza a los pies de Soria es el ejemplo más claro de que es así. La mirada de Antonio Machado compuso ese lugar para nosotros y ya siempre será como él lo cantó en sus versos, impregnado el paisaje de la emoción que a él le produjo y que es ya patrimonio de todos independientemente de su propiedad real. El paisaje es memoria y como tal nos pertenece a todos, y más en el caso de que constituya un patrimonio cultural y estético, como es el de Soria para su suerte.
Hasta el Romanticismo el paisaje era el decorado del teatro de la vida de los hombres, el telón el fondo del escenario que para nada o muy poco influía en la obra, pero hoy ya sabemos que el paisaje es algo más y lo sabemos por personas como Machado, gente que entendió muy pronto que el paisaje es el alma de las personas, el espejo que refleja sus emociones y sus deseos y que los guarda cuando desaparecen.” (Julio Llamazares)
Campos de Soria (Antonio Machado)
I
Es la tierra de Soria, árida y fría.
Por las colinas y las sierras calvas,
verdes pradillos, cerros cenicientos,
la primavera pasa
dejando entre las hierbes olorosas
sus diminutas margaritas blancas.
La tierra no revive, el campo sueña.
Al empezar abril está nevada
la espalda del Moncayo;
el caminante lleva en su bufanda
envueltos cuello y boca, y los pastores
pasan cubiertos con sus luengas capas.
II
Las tierras labrantías,
como retazos de estameñas pardas,
el huertecillo, el abejar, los trozos
de verde oscuro en que el merino pasta,
entre plomizos peñascales, siembran
el sueño alegre de infantil Arcadia.
En los chopos lejanos del camino,
parecen humear las yertas ramas
como un glauco vapor -las nuevas hojas-
y en las quiebras de valles y barrancas
blanquean los zarzales florecidos,
y brotan las violetas perfumadas.
III
Es el campo ondulado, y los caminos
ya ocultan los viajeros que cabalgan
en pardos borriquillos,
ya al fondo de la tarde arrebolada
elevan las plebeyas figurillas,
que el lienzo de oro del ocaso manchan.
Mas si trepáis a un cerro y veis el campo
desde los picos donde habita el águila,
son tornasoles de carmín y acero,
llanos plomizos, lomas plateadas,
circuídos por montes de violeta,
con las cumbre de nieve sonrosada.
IV
¡ Las figuras del campo sobre el cielo !
Dos lentos bueyes aran
en un alcor, cuando el otoño empieza,
y entre las negras testas doblegadas
bajo el pesado yugo,
pende un cesto de juncos y retama,
que es la cuna de un niño;
y tras la yunta marcha
un hombre que se inclina hacia la tierra,
y una mujer que en las abiertas zanjas
arroja la semilla.
Bajo una nube de carmín y llama,
en el oro fluido y verdinoso
del poniente, las sombras se agigantan.
V
La nieve. En el mesón al campo abierto se ve el hogar donde la leña humea y la olla al hervir borbollonea. El cierzo corre por el campo yerto, alborotando en blancos torbellinos la nieve silenciosa. La nieve sobre el campo y los caminos cayendo está como sobre una fosa. Un viejo acurrucado tiembla y tose cerca del fuego; su mechón de lana la vieja hila, y una niña cose verde ribete a su estameña grana. Padres los viejos son de un arriero que caminó sobre la blanca tierra y una noche perdió ruta y sendero, y se enterró en las nieves de la sierra. En torno al fuego hay un lugar vacío, y en la frente del viejo, de hosco ceño, como un tachón sombrío – tal el golpe de un hacha sobre un leño -. La vieja mira al campo, cual si oyera pasos sobre la nieve. Nadie pasa. Desierta la vecina carretera, desierto el campo en torno de la casa. La niña piensa que en los verdes prados ha de correr con otras doncellitas en los días azules y dorados, cuando crecen las blancas margaritas.
VI
¡ Soria fría, Soria pura, cabeza de Extremadura, con su castillo guerrero arruinado, sobre el Duero; con sus murallas roídas y sus casas denegridas !
¡ Muerta ciudad de señores,
soldados o cazadores;
de portales con escudos
de cien linajes hidalgos,
y de famélicos galgos,
de galgos flacos y agudos,
que pululan
por las sórdidas callejas,
y a la medianoche ululan,
cuando graznan las cornejas !
¡ Soria fría ! La campana
de la Audiencia da la una.
Soria, ciudad castellana
¡ tan bella ! bajo la luna.
VII
¡ Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas
por donde traza el Duero
su curva de ballesta
en torno a Soria, oscuros encinares,
ariscos pedregales, calvas sierras,
caminos blancos y álamos del río,
tardes de Soria, mística y guerrera,
hoy siento por vosotros, en el fondo
del corazón, tristeza,
tristeza que es amor ! ¡ Campos de Soria
donde parece que las rocas sueñan,
conmigo vais ! ¡Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas !…
VIII
He vuelto a ver los álamos dorados,
álamos del camino en la ribera
del Duero, entre San Polo y San Saturio,
tras las murallas viejas
de Soria – barbacana
hacia Aragón, en castellana tierra -.
Estos chopos del río, que acompañan
con el sonido de sus hojas secas
el son del agua cuando el viento sopla,
tienen en sus cortezas
grabadas iniciales que son nombres
de enamorados, cifras que son fechas.
¡ Álamos del amor que ayer tuvisteis
de ruiseñores vuestras ramas llenas;
álamos que seréis mañana liras
del viento perfumado en primavera;
álamos del amor cerca del agua
que corre y pasa y sueña,
álamos de las márgenes del Duero,
conmigo váis, mi corazón os lleva !
IX
¡ Oh, sí ! Conmigo vais, campos de Soria,
tardes tranquilas, montes de violeta,
alamedas del río, verde sueño
del suelo gris y de la parda tierra,
agria melancolía
de la ciudad decrépita,
me habéis llegado al alma,
¿o acaso estabais en el fondo de ella ?
¡ Gente del alto llano numantino
que a Dios guardáis como cristianas viejas,
que el sol de España os llene
de alegría, de luz y de riqueza !
Campos de Castilla. 1912.
Terres de Soria
I
La terre de Soria est aride et froide.
Sur les collines et les sierras pelées
sur les vertes prairies, sur les coteaux de cendre,
le printemps passe
laissant entre les herbes odorantes
ses minuscules pâquerettes blanches.
La terre ne revit pas, la campagne songe.
Quand arrive avril, le flanc du Moncayo
de neige est recouvert ;
le voyageur a le cou et la bouche
enveloppés dans son écharpe et les bergers
passent revêtus de leurs longues capes.
II
Les terres de labour
comme des morceaux d’étamine brune,
le potager, la ruche, les carrés
de vert sombre où paissent les moutons
au milieu de rochers de plomb sèment
un rêve joyeux d’enfantine Arcadie.
Sur les peupliers éloignés du chemin
des branches raides semblent s’élever
comme une vapeur glauque – les feuilles nouvelles –
et dans les fentes des vallées et des ravins
les ronceraies en fleur sont toutes blanches
et poussent les violettes parfumées.
III
Dans les champs ondulés, les chemins
tantôt cachent les voyageurs
montant de petits ânes gris,
tantôt sur le fond du soir rougeoyant
élèvent des silhouettes plébéiennes
qui sur la toile d’or du couchant se détachent.
Mais si vous grimpez sur une colline et que du haut
des pics où habite l’aigle vous regardez les champs,
tout n’est que chatoiement de carmin et d’acier,
plaines couleur de plomb, mamelons argentés,
cernés de montagnes violettes,
aux cimes enneigées de rose.
IV
Les silhouettes des champs sur le ciel !
Deux bœufs labourent lentement
sur un coteau, quand commence l’automne.
Entre les deux têtes noires
penchées sur le joug pesant
pend un panier de jonc et de genêt
qui est le berceau d’un enfant ;
et derrière l’attelage marchent
un homme incliné vers le sol
et une femme qui dans les sillons ouverts
jettent la semence.
Sous un nuage de carmin et de flamme,
dans l’or fluide et verdoyant
du couchant, les ombres grandissent démesurément.
V
La neige. Dans l’auberge sur la campagne ouverte on voit l’âtre où fument les bûches et où la marmite bouillonne. La bise court sur les champs gelés, soulevant en blancs tourbillons la neige silencieuse. Sur les champs et sur les chemins la neige tombe comme sur une fosse. Blotti près du feu un vieil homme tremble et tousse, la vielle file sa touffe de laine, et une fillette coud un galon vert à sa bure grenat. Les vieux sont les parents d’un muletier qui cheminait sur la terre blanche, et une nuit perdit la route et le sentier et s’ensevelit dans les neiges de la sierra. Près du feu il y a une place vide, et sur le front renfrogné du vieillard, comme une tache sombre, – telle sur un tronc la marque de la hache – . La vieille regarde la campagne comme si elle entendait des pas sur la neige. Nul ne passe. La route voisine, déserte. Déserte la campagne autour de la maison. La fillette songe qu’avec ses amies sur les vertes prairies elle ira courir dans les jours bleus et dorés, quand pousseront les blanches marguerites.
VI
Soria du froid, Soria pure,
capitale d’Estrémadure,
avec son château guerrier
tombant en ruine, sur le Douro,
avec ses murailles rongées
et ses maisons toutes noircies !
Morte cité de grands seigneurs,
soldats ou bien chasseurs;
aux porches ornés d’écussons
de cent lignées faméliques,
aux lévriers maigres et fins
qui pullulent
le long des ruelles sordides,
et qui à la minuit hululent,
lorsque croassent les corneilles !
Soria du froid ! La cloche sonne
une heure au tribunal.
Soria, cité castillane,
si belle ! Sous la lune.
VII
Collines argentées, coteaux grisâtres, rocailles violacées où le Douro dessine sa courbe d’arbalète autour de Soria, obscures chênaies, champs de cailloux, sauvages, sierras pelées, chemins tout blancs, peupliers du rivage, soirs de Soria, mystique et guerrière, aujourd’hui je ressens pour vous au fond du coeur une tristesse, une tristesse qui est amour! Champs de Soria où l’on dirait que rêvent les rochers, je vous emporte en moi ! Collines argentées, coteaux de gris, rochers de pourpre !…
VIII
Je suis revenu voir les peupliers dorés,
Peupliers du chemin sur le rivage
du Douro, entre San Polo et San Saturio,
au-delà des vieilles murailles
de Soria – barbacane tournée
vers l’Aragon, en terre castillane.
Ces peupliers de la rivière, qui accompagnent du bruissement de leurs feuilles sèches le son de l’eau, quand le vent souffle, ont sur l’écorce, gravées, des initiales qui sont des noms d’amoureux, des chiffres qui sont des dates. Peupliers de l’amour dont les branches hier étaient remplies de rossignols; peupliers qui serez demain les lyres du vent parfumé au printemps; peupliers de l’amour près de l’eau qui coule, passe et songe, peupliers des berges du Douro, vous êtes en moi, mon coeur vous emporte !
IX
Oui, vous êtes en moi, campagnes de Soria, soirs tranquilles, monts de violette, allées de peupliers le long de la rivière, Oh ! Verte rêverie du sol gris et de la terre brune âcre mélancolie de la ville décrépite, vous êtes parvenus jusqu’au fond de mon âme ou bien vous étiez là, peut-être, tout au fond ? Gens du haut plateau de Numance qui gardez Dieu ainsi que vieilles chrétiennes, que le soleil d’Espagne vous emplisse de joie, de lumière, de richesses !
Poésies. Paris, Gallimard, 1980. Traduction: Sylvie Léger, Bernard Sesé.
(Pour Julia, née le 3 février 2021 à Burgos, et Gabriel, attendu cette semaine à Madrid.)
Tempête Filomena. La couche de neige atteint 25 à 30 centimètres à Madrid. Elle est même de 35 à 50 centimètres dans la périphérie. La température va descendre la nuit à – 10°, – 11° ces jours-ci. Du jamais vu depuis le 16 janvier 1945.
Relisons Antonio Machado.
CXXIV
Al borrarse la nieve, se alejaron
los montes de la sierra.
La vega ha verdecido
al sol de abril, la vega
tiene la verde llama,
la vida, que no pesa;
y piensa el alma en una mariposa,
atlas del mundo, y sueña.
Con el ciruelo en flor y el campo verde,
con el glauco vapor de la ribera,
en torno de las ramas,
con las primeras zarzas que blanquean,
con este dulce soplo
que triunfa de la muerte y de la piedra,
esta amargura que me ahoga fluye
en esperanza de Ella…
Campos de Castilla, 1912.
Quand la neige s’est effacée,
les monts de la sierra
se sont éloignés.
La vallée a reverdi
au soleil d’avril, la vallée
est pleine d’une verte flamme,
pleine d’une vie, sans souci,
et l’âme songe à un papillon,
atlas du monde, et songe.
Avec le prunier en fleur et la campagne verte,
avec la glauque vapeur du rivage,
autour des branches,
avec les premières ronces qui blanchissent,
avec cette douce brise
qui triomphe de la mort et de la pierre,
cette amertume qui m’étouffe
s’écoule en espérance d’Elle…
Champs de Castille, Poésie/Gallimard 1973. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé.
Une nuit d’insomnie m’a fait relire ces deux poèmes de Machado et de García Lorca.
Inventario galante Tus ojos me recuerdan las noches de verano, negras noches sin luna, orilla al mar salado, y el chispear de estrellas del cielo negro y bajo. Tus ojos me recuerdan las noches de verano. Y tu morena carne, los trigos requemados, y el suspirar de fuego de los maduros campos.
Tu hermana es clara y débil
como los juncos lánguidos,
como los sauces tristes,
como los linos glaucos.
Tu hermana es un lucero
en el azul lejano…
Y es alba y aura fría
sobre los pobres álamos
que en las orillas tiemblan
del río humilde y manso.
Tu hermana es un lucero
en el azul lejano.
De tu morena gracia
de tu soñar gitano,
de tu mirar de sombra
quiero llenar mi vaso.
Me embriagaré una noche
de cielo negro y bajo,
para cantar contigo,
orilla al mar salado,
una canción que deje
cenizas en los labios…
De tu mirar de sombra
quiero llenar mi vaso.
Para tu linda hermana
arrancaré los ramos
de florecillas nuevas
a los almendros blancos
en un tranquilo y triste
alborear de marzo.
Los regaré con agua
de los arroyos claros,
los ataré con verdes
junquillos del remanso…
Para tu linda hermana
yo haré un ramito blanco.
Canciones, 1899-1907.
Inventaire galant
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été,
nuits noires sans lune,
sur le bord de la mer salée,
et le scintillement des étoiles
dans le ciel noir et bas.
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été.
Et ta chair brune,
les blés brûlés,
et le soupir de feu
des champs mûrs.
Ta soeur est claire et faible
comme les joncs languides,
comme les saules tristes,
comme les lins glauques.
Ta soeur est une étoile
dans l’azur lointain…
Une aube, une brise froide
sur les pauvres peupliers
qui tremblent sur la rive
de l’humble et douce rivière.
Ta soeur est une étoile
dans l’azur lointain.
De ta grâce brune,
de ton songe gitan,
de ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre.
Je m’enivrerai une nuit
de ciel noir et bas,
pour chanter avec toi,
au bord de la mer salée,
une chanson qui laissera
des cendres sur les lèvres…
De ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre.
Pour ta soeur jolie
j’arracherai les branches
pleines de fleurs nouvelles
des blancs amandiers,
en une aube tranquille
et triste de mars.
Je les arroserai de l’eau
des clairs ruisseaux,
je les enlacerai des joncs
verts qui poussent dans l’eau…
Pour ta soeur jolie
Je ferai un bouquet tout blanc.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. Collection Poésie/Gallimard n° 144, Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé.
Rafael Alberti, 88 ans et Paco Ibáñez. Récital de poesie et de chansons 21, 22 et 23 mai 1991. Teatro Alcalá Palace de Madrid:
El poeta dice la verdad Quiero llorar mi pena y te lo digo para que tú me quieras y me llores en un anochecer de ruiseñores, con un puñal, con besos y contigo.
Quiero matar al único testigo
para el asesinato de mis flores
y convertir mi llanto y mis sudores
en eterno montón de duro trigo.
Que no se acabe nunca la madeja
del te quiero me quieres, siempre ardida
con decrépito sol y luna vieja.
Que lo que me des y no te pida será para la muerte, que no deja ni sombra por la carne estremecida.
Sonetos del amor oscuro
Le poète dit la vérité Je veux pleurer ma peine et te le dire pour que tu m’aimes et pour que tu me pleures par un long crépuscule de rossignols où poignard et baisers pour toi délirent.
Je veux tuer le seul témoin, l’unique, qui a pu voir assassiner mes fleurs, et transformer ma plainte et mes sueurs en éternel monceau de durs épis.
Fais que jamais ne s’achève la tresse du je t’aime tu m’aimes toujours ardente de jours, de cris, de sel, de lune ancienne,
car tes refus rendus à mes silences se perdront tous dans la mort qui ne laisse pas même une ombre à la chair frémissante. Poésies, Tome IV. Collection Poésie/Gallimard n° 185, Traduction: André Belamich.