Lettres d’Albert Camus à René Char

René Char, Albert Camus. L’Isle-sur-la-Sorgue. Septembre 1949.

[Paris] 26 octobre 1951
Mon cher René,
Je suppose que vous avez maintenant reçu L’Homme révolté. La sortie en a été un peu retardée par des embarras d’imprimerie. Naturellement, je réserve pour votre retour un autre exemplaire, qui sera le bon. Bien avant que le livre soit sorti, les pages sur Lautréamont, parues dans les Cahiers du Sud, ont suscité une réaction particulièrement sotte et naïve, et qui se voulait méchante de Breton. Décidément, il n’en finira jamais avec le collège. J’ai répondu, sur un autre ton, et seulement parce que les affirmations gratuites de Breton risquaient de faire passer le livre pour ce qu’il n’était pas. Ceci pour vous tenir au courant de l’actualité bien parisienne, toujours aussi frivole et lassante, comme vous le voyez.
Je le ressens de plus en plus, malheureusement. D’avoir expulsé ce livre m’a laissé tout vide, et dans un curieux état de dépression « aérienne ». Et puis une certaine solitude… Mais ce n’est pas à vous que je peux apprendre cela. J’ai beaucoup pensé à notre dernière conversation, à vous, à mon désir de vous aider. Mais il y a en vous de quoi soulever le monde. Simplement, vous recherchez, nous recherchons le point d’appui. Vous savez du moins que vous n’êtes pas seul dans cette recherche. Ce que vous savez peut-être mal c’est à quel point vous êtes un besoin pour ceux qui vous aiment et, qui sans vous, ne vaudraient plus grand chose. Je parle d’abord pour moi qui ne me suis jamais résigné à voir la vie perdre de son sens, et de son sang. A vrai dire, c’est le seul visage que j’aie jamais connu à la souffrance. On parle de la douleur de vivre. Mais ce n’est pas vrai, c’est la douleur de ne pas vivre qu’il faut dire. Et comment vivre dans ce monde d’ombres? Sans vous, sans deux ou trois êtres que je respecte et chéris, une épaisseur manquerait définitivement aux choses. Peut-être ne vous ai-je pas assez dit cela, mais ce n’est pas au moment où je vous sens un peu désemparé que je veux manquer à vous le dire. Il y a si peu d’occasions d’amitié vraie aujourd’hui que les hommes en sont devenus trop pudiques, parfois. Et puis chacun estime l’autre plus fort qu’il n’est, notre force est ailleurs, dans la fidélité. C’est dire qu’elle est aussi dans nos amis et qu’elle nous manque en partie s’ils viennent à nous manquer. C’est pourquoi aussi, mon cher René, vous ne devez pas douter de vous, ni de votre œuvre incomparable: ce serait douter de nous aussi et de tout ce qui nous élève. Cette lutte qui n’en finit plus, cet équilibre harassant (et à quel point j’en sens parfois l’épuisement!) nous unissent, quelques-uns, aujourd’hui. La pire chose après tout serait de mourir seul, et plein de mépris. Et tout ce que vous êtes, ou faites, se trouve au-delà du mépris.
Revenez bien vite, en tous cas. Je vous envie l’automne de Lagnes, et la Sorgue, et la terre des Atrides. L’hiver est déjà là et le ciel de Paris a déjà sa gueule de cancer. Faites provisions de soleil et partagez avec nous.
Très affectueusement à vous
A.C.

Amitiés aux Mathieu, aux Roux, à tous.


Sorel-Moussel (par Anet)                                                                   17 septembre 1957
Eure-et-Loir
30 à Sorel-Moussel

Cher René,

Je suis en Normandie avec mes enfants, près de Paris en somme, et encore plus près de vous par le cœur. Le temps ne sépare, il n’est lâche que pour les séparés — Sinon, il est fleuve, qui porte, du même mouvement. Nous nous ressemblons beaucoup et je sais qu’il arrive qu’on ait envie de « disparaître », de n’être rien en somme. Mais vous disparaîtriez pendant dix ans que vous retrouveriez en moi la même amitié, aussi jeune qu’il y a des années quand je vous ai découvert en même temps que votre œuvre. Et je ne sais pourquoi, j’ai le sentiment qu’il en est de même pour vous, à mon égard. Quoi qu’il en soit, je voudrais que vous vous sentiez toujours libre et d’une liberté confiante, avec moi.
Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. À la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l’élan, la réflexion qui fondent une joie, la joie. Mais c’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours.
Je rentre dans une semaine. Je n’ai rien fait pendant cet été, sur lequel je comptais, beaucoup, pourtant. Et cette stérilité, cette insensibilité subite et durable m’affectent beaucoup. Si vous êtes libre à la fin de la semaine prochaine (jeudi ou vendredi, le temps de me retourner) déjeunons ou dînons. Un mot dans ma boîte et ce sera convenu. Je me réjouis du fond du cœur, de vous revoir.
Votre ami”

Albert Camus

Triste Normandie! Sage, médiocre et bien peignée. Et puis un été de limaces. Je meurs de soif, privé de lumière [écrit dans la marge gauche de la lettre]

Chez Michel Gallimard
à Sorel-Moussel
Eure-et-Loir

De l’autre côté. Photographies de Jeanne Mandello, Hildegard Rosenthal, Grete Stern.

Qui est-ce? (Grete Stern) 1949. Rêve n°7. Idilio n°17.

Exposition à la Maison de l’Amérique Latine, 217 Boulevard Saint-Germain 75007-Paris du 12 octobre 2018-20 décembre 2018.

Nous avons vu cette exposition mardi un peu par hasard.

Elle présente un ensemble de 150 photographies, composé de tirages anciens et modernes, de publications de l’époque et d’ extraits de films (Sinfonia de Metrópole de 1929). Il s’agit du regard sur le monde de trois femmes originaires d’Allemagne et qui se sont exilées à la fin des années 30 en Amérique du Sud. Leur formation photographique s’est faite en Allemagne. Elles ont toutes les trois subi l’influence du Bauhaus ou ont été formées dans l’atelier de Paul Wolff (1887-1951) dont le nom est associé à la marque Leica. Néanmoins, leur style diffère et elles n’ont pas vécu dans les mêmes pays d’Amérique du Sud.

Jeanne Mandello est née à Francfort, en Allemagne, en 1907. Elle suit une formation photographique à Berlin. Après un séjour à Francfort où elle monte son propre atelier, elle émigre à Paris en 1934. Elle abandonne son studio pour rejoindre l’Uruguay où elle vit de 1941 à 1953. Elle séjourne plusieurs années au Brésil et meurt à Barcelone en 2001.

Hildegard Rosenthal est née en 1913 à Zürich, mais sa naissance est enregistrée à Francfort. Elle fréquente ensuite le studio de Paul Wolff et commence à travailler en 1936. Elle émigre au Brésil en 1937. Elle s’installe à São Paulo et photographie jusqu’à la fin des années 1950. Elle meurt en 1990.

Grete Stern est née à Elberfeld-Wuppertal, en Allemagne, en 1904. Elle s’installe à Berlin en 1927 et suit pendant deux semestres les cours de photographie de Walter Petershans (1897-1960) au Bauhaus de Dessau. Elle s’associe avec une autre photographe, Ellen Auerbach, née Rosenberg (1906-2004), pour fonder l’ atelier ringl & pit en 1930. Après avoir émigré à Londres fin 1933, elle rejoint en 1936 en Argentine son mari, Horacio Coppola (1906-2012) qui est aussi photographe et qu’elle a rencontré au Bauhaus en 1932 et épousé en 1935. Pour l’essentiel, elle produit des mises en scène d’objets ou des photomontages en suivant les techniques de John Heartfield (1891-1968), Raoul Hausmann (1886-1971) ou George Grosz (1893-1959). Elle illustre une rubrique de psychologie pour le magazine Idilio entre 1948 et 1951. Cet hebdomadaire de la presse du coeur visait un large public, jeune, féminin et populaire. Elle meurt le 24 décembre 1999 à Buenos Aires.

Sans titre (Grete Stern) 1949. Rêve n°45 idilio n°47.

Les différences entre les trois photographes sautent aux yeux. Jeanne Mandello a essentiellement travaillé en studio. Elle a effectué des recherches pour la publicité et la mode dans son laboratoire. Hildegard Rosenthal a adopté le petit format de prise de vue (24×36). Dès son arrivée à São Paulo, elle a pratiqué le reportage et s’est intéressée à la ville en utilisant un style européen. Quant à Grete Stern, la plus originale, elle a pratiqué le photomontage et illustré une rubrique de psychologie pour le magazine argentin Idilio. C’est une pionnière de la dénonciation de l’exploitation des femmes bien avant l’essor des mouvements féministes des années 60. Elle le fait avec beaucoup d’ humour et d’ironie, influencée par le dadaïsme et le surréalisme.

D’autres photographes européennes ont connu le même parcours: la hongroise Kati Horna (1912-2000) qui a vécu au Mexique; l’allemande Gisèle Freund (1908-2000) qui a travaillé en Argentine pendant la seconde Guerre Mondiale et n’est rentrée en Europe qu’en 1946; l’allemande Annemarie Heinrich (1912-2005), installée avec sa famille en Argentine dès 1926; l’allemande Gertrudis de Moses (1901-1996), réfugiée au Chili en 1939; l’allemande Alice Brill (1920-2013), exilée au Brésil avec sa famille à partir de 1934, la suisse Claudia Andujar (1931) qui a rejoint São Paulo en 1955 et a adopté la nationalité brésilienne en 1976.

Au rez-de-chaussée, on peut voir l’installation photographique et les sculptures de l’artiste mexicaine Carmen Mariscal, née en Californie en 1968. La esposa esposada (l’épouse menottée). Elle consacre surtout ses recherches aux questions liées à la condition féminine, dans ses dimensions de fragilité et d’aliénation. Une curiosité.

La esposa esposada (Carmen Mariscal).

Roberto Villagraz (Madrid 1951-2002)

Periodistas leyendo El País en el Hotel Palace de Madrid. 23 de febrero de 1981. Roberto Villagraz en el centro entre ellos.

Il y a 16 ans s’en allait notre beau-frère, le photographe Roberto Villagraz. Il nous manque. Nous pensons aussi à notre soeur Concha et à ses enfants Lola y Lucas.

Hace 16 años falleció nuestro cuñado, el fotógrafo Roberto Villagraz. Le echamos de menos. Pensamos también en nuestra hermana Concha y en sus hijos Lola y Lucas…

J.T. et C.F

Cet article de Joaquín Vidal fut publié dans El País le samedi 19 octobre 2002.

Este artículo de Joaquín Vidal se publicó en la edición de El País del Sábado, 19 de octubre de 2002:

“A Roberto Villagraz (Madrid 1951-2002) se le ha conocido por sus fotos. No mucho; algo, una cosa de iniciados, tras casi un cuarto de siglo trabajando en muy diferentes medios de comunicación. Se conoce mucho alguna imagen suya: El Cojo Manteca arrasando el mobiliario urbano tras una manifestación estudiantil mediados los años ochenta, por ejemplo. Aparece, barbudo, serio y circunspecto, en una foto histórica del 23-F, en la que los periodistas leen en la escalinata del hotel Palace una edición histórica de El PAÍS. Tiene muchos trabajos premiados, imágenes memorables, pero no buscaba esa foto feliz, ese instante de gloria que lo perpetuaría como fotógrafo cumbre.

‘Esto es un puzzle’, aseguraba a la hora de enfocar un reportaje. Y la teoría del puzzle siempre apareció detrás de cada uno de los más de 100 reportajes que hicimos juntos en la revista Interviú. Pero aún no estaban encajadas todas las piezas. Roberto Villagraz ha sido un reportero de mirada miope, que quería contar una historia grande: la de un país que es blanco y negro, un lado al sol y otro que se ha dado en llamar la España negra; y se le ha quedado inacabada. De ahí memorables trabajos incrustado y enfangado en expediciones a Lourdes, trashumando con rebaños de ovejas, con la Legión, o retratando fronteras imposibles en la España africana.

La notoriedad le llegó, en cierto modo, con un viaje que surgió en Interviú. La guerra de Kosovo permitió a Roberto retratar con toda la hermosura de una mirada sensible un drama de barro, miseria y putrefacción, pero sobre todo de personas.

Se conocen sus fotos, que seguro se volverán a ver muchas veces, pero estaría bien que se supiera que esa mirada miope de gafas de alambre redondas se completaba con una enormidad de persona, arisco por tímido, entrañable hasta el dolor con su familia, los amigos y cada historia que se encontraba. Todo esto aderezado con una voz muy profunda de fumador empedernido. Roberto Villagraz, con 50 años, aseguraba con mucha sorna que era ‘un proyecto de gran fotógrafo’. No era un proyecto, el gran fotógrafo estaba aquí y ha muerto sin que algunos se enteraran.”

(Este artículo de Joaquín Vidal se publicó en la edición de El País del Sábado, 19 de octubre de 2002)

El «Cojo» Manteca (Roberto Villagraz). 23 de enero de 1987. Interviú.

Fernando Pessoa (1888 – 1935 )

Retrato de Fernando Pessoa ( José de Almada Negreiros 1893-1970 ) 1954.

A espantosa realidade das coisas
É a minha descoberta de todos os dias.
Cada coisa é o que é,
E é difícil explicar a alguém quanto isso me alegra,
E quanto isso me basta.

Basta existir para se ser completo.
Tenho escrito bastantes poemas.
Hei-de escrever muitos mais, naturalmente.
Cada poema meu diz isto,
E todos os meus poemas são diferentes,
Porque cada coisa que há é uma maneira de dizer isto.

Às vezes ponho-me a olhar para uma pedra.
Não me ponho a pensar se ela sente.
Não me perco a chamar-lhe minha irmã.
Mas gosto dela por ela ser uma pedra,
Gosto dela porque ela não sente nada,
Gosto dela porque ela não tem parentesco nenhum comigo.

Outras vezes oiço passar o vento,
E acho que só para ouvir passar o vento vale a pena ter nascido.

Eu não sei o que é que os outros pensarão lendo isto;
Mas acho que isto deve estar bem porque o penso sem esforço,
Nem ideia de outras pessoas a ouvir-me pensar;
Porque o penso sem pensamentos,
Porque o digo como as minhas palavras o dizem.

Uma vez chamaram-me poeta materialista,
E eu admirei-me, porque não julgava
Que se me pudesse chamar qualquer coisa.
Eu nem sequer sou poeta: vejo.
Se o que escrevo tem valor, não sou eu que o tenho:
O valor está ali, nos meus versos.
Tudo isso é absolutamente independente da minha vontade.

7-11-1915

Alberto CaeiroPoemas Inconjuntos.

———————————————————————————————–L’effarante réalité des choses
est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu’elle est,
et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit
et combien cela me suffit.

Il suffit d’exister pour être complet.

J’ai écrit bon nombre de poèmes.
J’en écrirai bien plus, naturellement.
Cela, chacun de mes poèmes le dit,
et tous mes poèmes sont différents,
parce que chaque chose au monde est une manière de le proclamer.

Parfois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me perds pas à l’appeler ma soeur
mais je l’aime parce qu’elle est une pierre,
je l’aime parce qu’elle n’éprouve rien,
je l’aime parce qu’elle n’a aucune parenté avec moi.

D’autres fois j’entends passer le vent,
et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, il vaut la peine d’être né.

Je ne sais ce que penseront les autres en lisant ceci ;
mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense sans effort,
et sans concevoir qu’il y ait des étrangers pour m’entendre penser :
parce que je le pense hors de toute pensée,
parce que je le dis comme le disent mes paroles.

Une fois on m’a appelé poète matérialiste,
et je m’en émerveillai, parce que je n’imaginais pas
qu’on pût me donner un nom quelconque.
Je ne suis même pas poète : je vois.
Si ce que j’écris a une valeur, ce n’est pas moi qui l’ai:
la valeur se trouve là, dans mes vers.
Tout cela est absolument indépendant de ma volonté.

7-11-1915

Alberto CaeiroPoèmes désassemblés – Le Gardeur de troupeaux (Poésie/Gallimard) – Traduit du portugais par Armand Guibert (1960).———————————————————————————————–

La confondante réalité des choses
Est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu’elle est
Et il est difficile d’expliquer à quiconque à quel point cela me réjouit,
Et à quel point cela me suffit.

Il suffit d’exister pour être complet.
J’ai écrit pas mal de poèmes.
J’en écrirai plus encore, naturellement.
Chacun de mes poèmes dit ça,
Et tous mes poèmes sont différents,
Puisque chaque chose qui existe est une manière de dire ça.

Quelquefois je me mets à regarder une pierre.
Je ne mets pas à penser si elle sent.
Je ne me fourvoie pas à l’appeler ma sœur.
Mais je l’aime parce qu’elle est une pierre,
Je l’aime parce qu’elle ne ressent rien,
Je l’aime parce qu’elle n’ a aucune parenté avec moi.

D’autres fois j’entends passer le vent,
Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, ça vaut la peine d’être né.

Je ne sais pas ce que les autres penseront en lisant ceci;
Mais je trouve que ça doit être bien puisque je le pense sans anicroche,
Sans la moindre idée de témoins attentifs à m’écouter penser;
Puisque je le pense sans pensée,
Puisque je le dis comme le disent mes mots.

Une fois on m’a appelé poète matérialiste,
Et j’en ai été fort surpris, car j’étais à cent lieues de penser
Qu’on pût m’affubler du moindre nom.
Moi je ne suis même pas poète: je vois.
Si ce que j’écris a quelque valeur, ce n’est pas moi qui l’ai;
La valeur se trouve ici, dans mes vers.
Tout ça est indépendant de ma volonté.

7-11-1915

Alberto Caeiro, Poèmes non assemblés. Traduction de Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier. Christian Bourgois Editeur 1989. Reprise dans La Pléiade de Fernando Pessoa, Oeuvres poétiques, 2001.

Manuel Vázquez Montalbán (1939 – 2003)

Manuel Vázquez Montalbán.

Il y a 15 ans, le 18 octobre 2003, mourait à Bangkok Manuel Vázquez Montalbán, un des pionniers du roman noir en Espagne, créateur du personnage de Pepe Carvalho.

Ses articles dans la presse espagnole me manquent.

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Hace 15 años, murió en Bangkok Manuel Vázquez Montalbán, uno de los pioneros de la novela negra en España, creador del detective Pepe Carvalho.

Echo de menos sus artículos en la prensa española.

Juan Ramón Jiménez (1881-1958)

Juan Ramón Jiménez.

EL VIAJE DEFINITIVO

…Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros
cantando;
y se quedará mi huerto, con su verde árbol,
y con su pozo blanco.

Todas las tardes, el cielo será azul y plácido;
y tocarán, como esta tarde están tocando,
las campanas del campanario.

Se morirán aquellos que me amaron;
y el pueblo se hará nuevo cada año;
y en el rincón aquel de mi huerto florido y encalado,
mi espíritu errará, nostálgico…

Y yo me iré; y estaré solo, sin hogar, sin árbol
verde, sin pozo blanco,
sin cielo azul y plácido…
Y se quedarán los pájaros cantando.

Corazón en el viento en Poemas agrestes, 1910-1911.

Moguer. Casa natal de Juan Ramón Jiménez.

Carlo Cassolla 1917 -1987

J’ai lu la longue nouvelle La Coupe de bois, réeditée il y a peu par les éditions Sillage, suivant les conseils de Léon- Marc Lévy dans le Club de la Cause Littéraire. Elle a été écrite par le romancier italien Carlo Cassola (1917-1987), avec grande difficulté, quelques mois après le brusque décès de sa première femme, Rosa Falchi, en 1949. Elle sera publiée d’abord par la revue Paragone-Litteratura en décembre 1950. J’avais déjà lu en son temps son roman, La Ragazza, réédité par Cambourakis en 2015. Cette lecture ne m’avait pas particulièrement marqué. J’aime pourtant beaucoup la littérature italienne publiée après la Seconde Guerre mondiale: Elio Vittorini, Cesare Pavese, Italo Calvino, Beppe Fenoglio, Natalia Ginzburg, Giorgio Bassani, Pier Paolo Pasolini…D’autre part, tous les livres de Cassola publiés en France ont été traduits par le grand poète suisse, Philippe Jaccottet.

Bûcheron de 37-38 ans, Guglielmo vient de perdre sa jeune épouse, Rose, mère de ses deux petites filles, Irma et Adriana. Après avoir confié ses enfants à sa sœur Caterina, il achète à un bon prix le droit de faire une coupe de bois dans la forêt d’une lointaine vallée de montagne dans les Apennins toscans (les collines de Berignone où Cassola avait été partisan). Lui et son équipe de quatre bûcherons (Fiore le contremaître, Francesco, le conteur, Amedeo, son cousin, et le jeune Germano, passionné par les femmes et la chasse) ont devant eux plusieurs mois de travail. Marqué par le deuil, Guglielmo se réfugie dans la forêt et s’ isole du monde. Les cinq hommes vivent de peu pendant cinq mois dans la cabane qu’ils ont construite. Ils coupent des arbres, subissent la pluie et le froid. Le cœur de Guglielmo est brisé. A la fin, la tâche accomplie, il rentre dans son village, San Dalmazio, s’arrête un instant à la porte du cimetière et pense à sa femme morte.

“Aveva messo il sacco a terra e si era appoggiato al cancello del camposanto. Non gli era mai accaduto di sentirsi così disperato, nemmeno nei giorni della disgrazia. Per qualche momento farneticò addirittura; pensava di stendersi lì in terra e lasciarsi morire.”

« Il avait posé son sac à terre, et s’était appuyé à la grille du cimetière.
Jamais il ne s’était senti à ce point désespéré, même au moment du malheur. Quelques instants il perdit presque le sens, rêvant de se laisser tomber à terre et d’y mourir.»

« Pensava che Rosa avrebbe dovuto aiutarlo. Non era possibile continuare così. Lassù nel cielo doveva dargli la forza di vivere. E guardò in alto. Ma era tutto buio, non c’era una stella.

« Il songeait que Rose devait à tout prix l’aider. Qu’il ne pouvait continuer ainsi. Du haut du ciel, elle devait lui donner la force de vivre.
Il leva les yeux. Le ciel était entièrement noir, sans une étoile.»

Carlo Cassola écrit un texte simple et sombre sur le deuil. Le travail et la nature n’apaisent pas l’homme meurtri. Il décrit avec justesse la vie des bûcherons et les relations entre ces hommes silencieux, en particulier entre le veuf, Guglielmo et le vieux charbonnier triste et solitaire qui aime les étoiles.

Carlo Cassola.

Carlo Cassola est un romancier et essayiste italien, né le 17 mars 1917 à Rome et mort le 29 janvier 1987 à Montecarlo, près de Lucques en Toscane. Il fait des études de droit à partir de 1935 à l’Université de Rome et en sort diplomé en 1939. Il commence à publier en 1937 au moment où il doit faire son service militaire. En 1940, il enseigne à Volterra en Toscane et se marie avec Rosa Falchi. Celle-ci mourra brutalement en 1949 d’une grave crise rénale. Très tôt, il s’oppose à la politique italienne de l’Italie de Mussolini et s’affirme antifasciste et internationaliste. En 1941, il est mobilisé, mais ne sera pas envoyé au combat. En 1943, il prend contact avec des résistants de la région de Volterra. Responsable des explosifs, il combattra jusqu’en août 1944. A la libération, il s’implique dans les activités du parti d’Action, qui s’auto-dissoudra en 1946. Il est professeur d’histoire et de philosophie de 1948 à 1962 au lycée de la ville de Grossetto, chef-lieu du sud de la Toscane. En 1951, il se remarie avec Guiseppina Rabagli. La ragazza lui vaut le prix Strega et le succès. Son roman sera adapté au cinéma par Luigi Comencini en 1963 et interprété par Claudia Cardinale. En 1971 il souffre d’un infarctus. Il est atteint d’une grave maladie cardiaque. Il tombe amoureux de Pola Natali en 1974 et l’épousera en 1986. A la fin de sa vie, il milite pour le désarmement et la cause animale.

Il a publié 38 romans et nouvelles, dont 10 sont traduits en français ainsi que 13 essais.

Oeuvres traduites en français:

1952 Fausto e Anna. Fausto et Anna, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1961
1953 Il taglio del bosco. La Coupe de bois: récits, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1963; réédition, Paris, éditions Sillage, 2018.
1960 La ragazza di Bube. La Ragazza, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1962; réédition, Paris, LGF, «Le Livre de poche » n°2754, 1970; réédition, Paris, Cambourakis, «Letteratura», 2015.
1961 Un cuore arido. Un cœur aride, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1964; réédition, Paris, Gallimard,«Folio» n°645, 1974.
1964 Il cacciatore. Le Chasseur, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1966; réédition, Paris, Seuil,«Points» n°365, 1989.
1967 Storia di Ada; La maestra. Fiorella, suivi de Jours mémorables, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1969.
1969 Una relazione. Une liaison, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1971; réédition, Paris, LGF,«Le Livre de poche»n° 3868, 1974.
1970 Paura e tristezza. Anna de Volterra, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1973.
1973 Monte Mario. Mario, Paris, Seuil, 1975.
1976 L’antagonista. L’Antagoniste, traduit par Philippe Jaccottet. Paris, Seuil, 1978.

Willy Ronis (1910 – 2009)

Pavillon Carré de Baudouin. 121 Rue de Ménilmontant Paris XX.

Une exposition Willy Ronis par Willy Ronis était prévue à Paris au Pavillon Carré de Baudouin, 121 Rue de Ménilmontant 75020 du 27 avril au 29 septembre 2018. Heureusement, elle a été prolongée jusqu’au 2 janvier 2019. J’ai donc pu y aller avec mon petit frère P. vendredi dernier et vagabonder un peu dans le quartier de Ménilmontant.
Environ deux cents clichés en noir et blanc réalisés entre 1926 et 2001 sont présentés. Il s’agit de tirages modernes. Le lieu est agréable et l’exposition gratuite.
Willy Ronis a eu une  longue vie puisqu’il est né le 14 août 1910 à Paris dans le 9 ème arrondissement. Il est mort le 11 septembre 2009 dans le 20 ème. Sa vocation n’était pas la photographie, mais la musique. Il ne devint photographe qu’au retour de son service militaire en 1932 pour aider son père malade. Cet émigré juif d’Odessa tenait un studio sous le pseudonyme de « Roness ». Willy Ronis se prend alors au jeu et découvre la Société Française de Photographie. Il devient reporter photographe indépendant en 1936 et quitte l’atelier familial. Pendant le Front Populaire, il suit les manifestations populaires et publie dans la revue de gauche Regards.
Toute sa vie ce fut un homme engagé. Il était devenu communiste à 14 ans et conserva ses idées jusqu’à sa mort.
L’exposition est organisée par thèmes : « Les débuts », « Autoportraits », « L’intime », « Les Nus », « Le monde ouvrier ». Certaines photos sont très connues, mais l’exposition permet de montrer la diversité de l’oeuvre du photographe. On classe Willy Ronis le plus souvent parmi les membres de la photographie humaniste française comme Edouard Boubat, Robert Doisneau, Izis, Sabine Weiss. Il a donné cette définition de l’école humaniste : « C’est le regard du photographe qui aime l’être humain ».  Son œuvre est assez diverse. Il mena toujours  de front commandes et recherches personnelles.
Willy Ronis était un optimiste même s’il ne croyait pas en la perfectibilité de l’homme.
Certaines photos sont pourtant tragiques. Comme ce mineur atteint de silicose photographié à Lens, dans le Pas-de-Calais, en 1951. « Il avait 47 ans et la tête d’un homme de 70 ans. Il s’appelait Émile Fon­taine. Il ne mangeait plus. Il fumait seulement. Il ne marchait presque plus. Il restait assis en tailleur dans un fauteuil, se risquait, vacillant, à faire quelques pas dehors en s’appuyant sur le mur. Il est mort quelques mois après la photo. Je l’avais rencontré grâce à des amis lensois qui m’aidaient dans ma quête de motifs. Je suis entré chez lui pour me présenter et lui demander si je pouvais prendre sa photo der­rière la fenêtre, où j’avais eu mon premier regard sur lui. »
La donation Willy Ronis est affectée à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine ( MAP ) en 2016 qui gère les grandes donations photographiques faites à l’État ( Jacques Henri Lartigue, André Kertesz )

Mineur silicosé près de Lens. 1951.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=73&v=U6zCbq8EkzA

Fernando Pessoa (1888 – 1935)

Fernando Pessoa (sculpture de Lagoa Henriques 1923-2009), Café A Brasileira, Chiado, Lisbonne.

Tabacaria (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos )

Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
À parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo…

Bureau de tabac (Fernando Pessoa – Álvaro de Campos)

Je ne suis rien.
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde…

15 janvier 1928.

Albert Camus (1913 – 1960)

Albert Camus, Pourquoi l’Espagne ? (Combat, 1948).

“C’est cela, justement, que je ne puis pardonner à la société politique contemporaine: qu’elle soit une machine à désespérer les hommes”.

Albert Camus (Henri Cartier-Bresson, 1944).