Albert Camus est mort un 4 janvier. Mon père est né un 4 janvier.
https://www.ina.fr/video/I09335535
Albert Camus,L’Eté. La mer au plus près. 1954. «J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fastueuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends.»
Carnets, II, 1942-1951 « Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou »
Carnets III (1951-1959) “Mes dix mots préférés : le monde, la douleur, la terre, la mère, les hommes, le désert, l’honneur, la misère, l’été, la mer.”
Carnets III (1951-1959)”Ce que je désire de plus profond aujourd’hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j’aime”.
Voir l’Algérie de Camus (Belcourt, Tipasa), celle de mon père (Oran, Blida, Alger, Bab el Oued), celle de ma mère (Blida, Alger, Bab el Oued, Saint-Eugène).
Né en 1798 à Recanati dans les Marches, Giacomo Leopardi, physiquement contrefait et intellectuellement insatiable, est à la fois un homme d’une culture universelle et la plus complète expression de l’Italie romantique. Il se refuse à la carrière ecclésiastique en 1819, quitte le domaine familial en 1830, meurt à Naples en 1837.
L’INFINITO
Sempre caro mi fu quest’ermo colle,
E questa siepe, che da tanta parte
Dell’ultimo orizzonte il guardo esclude.
Ma sedendo e mirando, interminati
Spazi di là da quella, e sovrumani
Silenzi, e profondissima quiete
Io nel pensier mi fingo; ove per poco
Il cor non si spaura. E come il vento
Odo stormir tra queste piante, io quello
Infinito silenzio a questa voce
Vo comparando: e mi sovvien l’eterno,
E le morte stagioni, e la presente
E viva, e il suon di lei. Così tra questa
Immensità s’annega il pensier mio;
E il naufragar m’è dolce in questo mare.
(Ecrit entre le printemps et l’automne 1819, publié la première fois en 1825-1826 dans la revue “Nuovo Ricoglitore“)
Toujours j’aimai cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j’invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour peu se troublerait
Le coeur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles – ce silence
Infini, je le vais comparant
A cette voix, et me souviens de l’éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encor, de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d’immensité ma pensée sombre,
Et m’abîmer est doux en cette mer.
(Traduction: Philippe Jaccottet. Poésie Gallimard 1982)
Toujours chère me fut cette colline
Solitaire, et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l’ultime
Horizon de ce monde. Mais je m’assieds,
Je laisse aller mes yeux, je façonne, en esprit,
Des espaces sans fin au-delà d’elle,
Des silences aussi, comme l’humain en nous
N’en connaît pas, et c’est une quiétude
On ne peut plus profonde : un de ces instants
Où peu s’en faut que le cœur ne s’effraie
Et comme alors j’entends
Le vent bruire dans ces feuillages, je compare
Ce silence infini à cette voix,
Et me revient l’éternel en mémoire
Et les saisons défuntes, et celle-ci
Qui est vivante, en sa rumeur. Immensité
En laquelle s’abîme ma pensée.
Naufrage, mais qui m’est doux dans cette mer.
(Yves Bonnefoy, Keats et Leopardi, quelques traductions nouvelles, Mercure de France, 2000, p. 43.)
Toujours cher me fut ce coteau isolé,
et cette haie qui interdit au regard
tant de parties d’un horizon plus lointain.
Mais assis devant cette vue, des espaces
au-delà sans limites, de surhumains
silences, la tranquillité très profonde
je forme en ma pensée; à quoi, pour un peu,
s’effraierait le coeur. Et comme j’entends bruire
le vent parmi ces plantes-ci, le silence
infini là-bas, je le compare encore
à cette voix; et me revient l’éternel,
et les saisons mortes, et puis la présente
et vive, et le son d’elle. Ainsi parmi cette
immensité ma pensée va s’engloutir:
et le naufrage m’est doux dans cette mer.
(Traduction: Jean-Charles Vegliante. Revue Europe juin-juillet 1998)
«Le Prince se sentait découragé: «Tout cela ne devrait pas durer ; pourtant cela durera toujours ; le toujours humain bien entendu, un siècle, deux siècles ; après quoi, ce sera différent mais pire. Nous fûmes les Guépards, les Lions : ceux qui nous succéderons seront les Chacals, les Hyènes. Et nous tant que nous sommes, Guépards, Chacals, Brebis, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la terre.”
“ Non dovrebbe poter durare, ma durerà sempre. Il sempre umano, certo, uno o due secoli, e dopo tutto sarà diverso, ma sarà peggiore. Noi fummo i gattopardi, i leoni. Chi ci sostituirà saranno gli sciacalli, le iene. E tutti quanti, gattopardi, leoni, sciacalli o pecore, continueremo a crederci il sale della terra.”
«Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change»
«Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi!»
Car nous sommes comme les troncs d’arbre dans la neige. On dirait qu’ils reposent bien à plat et que d’une petite poussée on devrait pouvoir les faire bouger de là. Et non, on n’y arrive pas, car ils sont solidement arrimés au sol. Mais voilà, même ça n’est qu’une apparence.
Observation, entre septembre et décembre 1907.
Nouvelles et récits. Oeuvres complètes I. Bibliothèque de la Pléiade. 2018. Edition publiée sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre.
C’est le récit le plus court jamais publié par Kafka.
Amos Oz a évoqué ce texte de Kafka à Prague lorsque lui fut remis le Prix Franz Kafka le 24 octobre 2013:
“Hace 60 años, una noche de invierno, en el kibutz Hulda, un chico de 15 años leyó este fragmento de Kafka, y se sintió transformado: los árboles, las colinas, los aullidos de los chacales en la noche invernal, todo había dejado de ser sencillo. Hay una realidad, y hay una realidad interior, y más. Los hechos pueden convertirse en el peor enemigo de la verdad. Este relato, Los árboles, no solo fue mi primer contacto con Kafka, sino que leerlo, como leer sus demás obras, contribuyó enormemente a mi formación. ” (El País, 30/11/2013)
L’année 2018 a été terrible pour la littérature israélienne. Après Aharon Appelfeld mort le 4 janvier 20, Amos Oz est décédé le 28 décembre 2018 à 79 ans.
Celui-ci est né le 4 mai 1939 à Jérusalem, alors sous contrôle britannique, dans le quartier de Kerem Avraham. Son père, Arié Klausner, originaire d’Odessa (Ukraine) et spécialiste en littérature étrangère et hébraïque, était employé à la bibliothèque du mont Scopus, devenue la bibliothèque nationale d’Israël en 1948. Sa mère, Fania Mussman, née à Rovno (Ukraine) et diplomée de l’université de Prague, donnait des cours de littérature et d’histoire à des lycéens. Sa famille, sioniste mais peu religieuse, avait émigré en Palestine au début des années 30. Enfant unique, il est élevé seulement en hébreu alors que son père parlait onze langues. Sa mère se suicide à 38 ans alors que, lui, a 12 ans. En 1955, il quitte sa famille et s’installe au kibboutz Houlda. Il prend alors le nom d’Oz, «force» en hébreu. Son vrai nom, Klausener, signifie le «reclus» en allemand. Il suit des études de littérature et de philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Il se marie en 1960 avec Nily et a trois enfants (Fania, Galia et Daniel). Il est professeur de littérature à l’université Ben Gourion de Beer-Sheva. Il vit avec sa famille à Houlda jusqu’en 1986, puis s’établit à Arad, au seuil de désert du Néguev.
Il a servi dans une unité de char pendant la guerre des Six-Jours (1967), puis sur le front du Golan lors de la guerre de Kippour (1973). En 1978, il contribue, avec 300 officiers réservistes, à la fondation du mouvement La Paix maintenant (Shalom Arshav). Ancien compagnon de route du Parti travailliste, il rejoint en 2008 le Meretz, le plus à gauche des partis politiques sionistes. Il défendit toute sa vie les mêmes positions, qu’il rappela dans Comment guérir un fanatique (Gallimard, 2006) comme dans son dernier livre paru en France, Chers fanatiques (Gallimard, 2018): la coexistence de deux Etats côte à côte, et la restitution aux Palestiniens des territoires occupés depuis 1967, en contrepartie de l’abandon par ceux-ci d’un droit au retour pour les réfugiés. Rappelant le droit d’Israël à se défendre contre toute attaque et celui, plus fondamental, à exister, il a soutenu son pays lors de la guerre avec le Liban en 2006 et l’opération «Plomb durci» à Gaza en 2009.
Amos Oz a écrit 18 ouvrages en hébreu, et près de 450 articles et essais. Ses œuvres sont traduites en trente-neuf langues.
1965 Les terres du chacal. Stock.
1966 Ailleurs peut-être. Calmann-Lévy 1971. Folio n°4422.
1968 Mon Michaël. Calmann-Lévy, 1973. Folio n°2756.
1971 Jusqu’à la mort. Calmann-Lévy.
1973 Toucher l’eau, toucher le vent. Calmann-Lévy 1997. Folio n° 2951.
1976 La colline du mauvais conseil. Calmann-Lévy 1978.
1978 Mon vélo et autres aventures. Stock. Ouvrage pour la jeunesse.
1979 Sous cette lumière flamboyante.
1982 Une paix parfaite.
1983 Les voix d’Israël. Calmann-Lévy. Dans la terre d’Israël.
1986 La Boîte noire. Calmann-Lévy, 1988. Prix Fémina étranger 1988. Folio n° 5261.
1989 Connaître une femme. Calmann-Lévy.
1994 La Troisième Sphère. Calmann-Lévy. Folio n° 5542.
1994 Ne dis pas la nuit. Calmann-Lévy.
1995 Une panthère dans la cave. Calmann-Lévy. Folio n°4032. Les Deux Morts de ma grand-mère et autres essais. Calmann-Lévy. Folio n°4031.
1996 Un juste repos. Calmann-Lévy. Folio n° 2802. L’histoire commence. Calmann-Lévy, 1996.
2002 Seule la mer. Gallimard. Folio n° 4185.
2002 Une histoire d’amour et de ténèbres. Gallimard 2004 Folio n°4265. Adapté au cinéma par Natalie Portman 2016
2003 Aidez-nous à divorcer! – Israël Palestine, deux États maintenant. Gallimard, 2004.
2005 Prix Goethe de la ville de Francfort. Soudain dans la forêt profonde. Gallimard 2006 Folio n° 4701. Israël et Palestine. Gallimard.
2006 Comment guérir un fanatique. Gallimard. Arcades n°86.
2007 Prix Prince des Asturies des Lettres. Vie et mort en quatre rimes. Gallimard 2008 Folio n° 4947.
2010 Scènes de vie villageoise. Gallimard. Folio n° 5311. Entre amis. Gallimard 2013. Folio n° 5812.
2013 Prix Franz Kafka. Prague.
2014 Juifs par les mots (avec Fania Oz-Salberger) Gallimard. Judas. Gallimard 2016 Folio n° 6505.
2018 Chers fanatiques. Gallimard.
«La nation juive existe sans aucun doute, mais elle se distingue de la plupart des autres en ce que son principe vital ne se transmet pas forcément par les gènes ou les victoires militaires, mais par les livres […]. Les Juifs ne sont pas des bâtisseurs de pyramides ni de cathédrales magnifiques, ils n’ont pas érigé la muraille de Chine ni le Taj Mahal. Non, ils rédigent des textes qu’ils lisent en famille, à l’occasion des fêtes ou des repas.» (Chers fanatiques)
«La distance grandissante qui nous sépare des horreurs de la première moitié du XXe siècle est l’une des causes de la flambée actuelle de fanatisme. A leur insu, Staline et Hitler ont transmis aux deux ou trois générations suivantes la hantise de l’extrémisme et une certaine maîtrise des pulsions fanatiques. Durant plusieurs décennies, grâce aux pires assassins du XXe siècle, les racistes avaient un peu honte de l’être. […] Depuis quelques années, c’est à croire que le “cadeau” de Staline, de Hitler ou des militaristes japonais arrivent à la date de péremption. L’effet du vaccin partiel que l’on nous a injecté s’estompe. La haine, le fanatisme, la xénophobie, […] tout cela relève de nouveau la tête.» (Chers fanatiques)
«Mi problema no es la religión, sino el fanatismo religioso. No es el cristianismo, sino la Inquisición. No es el islam, sino el yihadismo. No es el judaísmo, sino los judíos fundamentalistas. No es Jesucristo, sino los cruzados.» (El País, 11/05/2018)
«Il arrive que le cours de la vie ralentisse et chuchote, comme un filet d’eau qui s’écoule d’une gouttière et creuse une rigole dans le jardin. Soudain, une motte de terre le retient, il forme une petite flaque, hésite, cherche à saper le monticule qui lui barre la route ou à y pénétrer. A cause de cet obstacle, l’eau se ramifie en trois ou quatre ruisselets. Mais elle peut aussi capituler et s’infiltrer dans la terre. Pour en revenir à Shmuel Asch, dont les parents avaient brusquement perdu les économies de toute une vie, sans parler de ses travaux de recherche avortés, ses études interrompues et sa petite amie qui avait épousé son ex, il décida d’accepter l’emploi de la rue Harav Elbaz, les “conditions d’hébergement” et la petite rémunération mensuelle…» (Judas, 2014, page 43)
«Par un matin d’hiver quasi printanier à Jérusalem – le ciel était d’un bleu intense, l’air embaumait la résine de pin, la terre mouillée et bruissait de chants d’oiseaux. (…) La vie est comme une ombre qui passe, la mort aussi. Seule, la douleur demeure. Elle n’en finit pas, jamais.» (Judas, 2014)
Je t’aime d’autant plus que tu deviens plus malheureux. Comme tu te tourmentes et comme tu t’affectes de la vie! Car tout ce dont tu te plains, c’est la vie, elle n’a jamais été meilleure pour personne et dans aucun temps. On la sent plus ou moins, on la comprend plus ou moins, on en souffre donc plus ou moins, et plus on est en avant de l’époque où l’on vit, plus on souffre. Nous passons comme des ombres sur un fond de nuages que le soleil perce à peine et rarement, et nous crions sans cesse après ce soleil qui n’en peut mais. C’est à nous de déblayer nos nuages.
Tu aimes trop la littérature, elle te tuera et tu ne tueras pas la bêtise humaine. Pauvre chère bêtise, que je ne hais pas, moi, et que je regarde avec des yeux maternels, car c’est une enfance, et toute enfance est sacrée. Quelle haine tu lui as vouée, quelle guerre tu lui fais ! Tu as trop de savoir et d’intelligence, mon Cruchard, tu oublies qu’il y a quelque chose au-dessus de l’art, à savoir la sagesse, dont l’art à son apogée, n’est jamais que l’expression. La sagesse comprend tout, le beau, le vrai, le bien, l’enthousiasme par conséquent. Elle nous apprend à voir hors de nous quelque chose de plus élevé que ce qui est en nous, et à nous de l’assimiler peu à peu par la contemplation et l’admiration.
Mais je ne réussirais pas à te changer, je ne réussirais même pas à te faire comprendre comment j’envisage et saisis le bonheur, c’est-à-dire l’acceptation de la vie, quelle qu’elle soit! Il y a une personne qui pourrait te modifier et te sauver, c’est le père Hugo, car il a un côté par lequel il est grand philosophe, tout en étant le grand artiste qu’il te faut et que je ne suis pas. Il faut le voir souvent. Je crois qu’il te calmera : moi, je n’ai plus assez d’orage en moi pour que tu me comprennes. Lui je crois qu’il a gardé son foudre et qu’il a tout de même acquis la douceur et la mansuétude de la vieillesse.
Vois-le, vois-le souvent et conte lui tes peines, qui sont grosses, je le vois bien, et qui tournent trop au spleen. Tu penses trop aux morts, tu les crois trop arrivés au repos. Ils n’en ont point. Il sont comme nous, ils cherchent. Ils travaillent à chercher.
Tout mon monde va bien et t’embrasse. Moi, je ne guéris pas, mais j’espère, guerre ou non, marcher encore pour élever mes petites-filles, et pour t’aimer, tant qu’il me restera un souffle.
George Sand
Tu aimes trop la littérature, elle te tuera. Correspondance, de George Sand et Gustave Flaubert, édité par Danielle Bahiaoui, Le Passeur, 672 p., 11,90 €.
J’ai lu Les Petites Vertus de Natalia Ginzburg, recueil réédité par Ypsilon Editeur. J’ai découvert cet écrivain il y a quelques années et tous ses livres m’ont intéressé.
Il s’agit là de onze textes courts qui décrivent le rapport de cette femme aux Abruzzes, son expérience, son métier. Elle parle d’elle-même, de ses deux époux, de chaussures usées, de son peu d’appétence pour l’Angleterre, de l’éducation des enfants, de la relation à autrui, du travail d’écriture, des cicatrices laissées par la guerre. Sa prose est simple et efficace.
L’hiver dans les Abruzzes: «Il y a une certaine uniformité monotone dans les destins des hommes. Nos existences se déroulent selon des lois anciennes et immuables, suivant leur ancienne cadence uniforme. Les rêves ne se réalisent jamais; dès que nous les voyons brisés, nous comprenons soudain que les plus grandes joies de notre vie sont en dehors de la réalité; dès que nous les voyons brisés, nous regrettons amèrement le moment où ils brûlaient en nous. Notre destinée s’écoule dans cette alternance d’espérance et de regrets.»
Le texte «Portrait d’un ami» évoque sans le nommer son ami, le célèbre écrivain Cesare Pavese, homme séduisant et insupportable qui s’est suicidé le 27 août 1950 dans une chambre de l’hôtel Roma, près de la gare de Turin. «Il n’eut jamais ni femme, ni enfants, ni maison à lui. Il habitait chez une sœur mariée, qui l’aimait bien et qu’il aimait bien lui aussi…»
Mon métier: «Sur la valeur de ce que j’écris, je ne sais rien. Je sais qu’écrire est mon métier.»
«Mais, faites attention, ce n’est pas que l’on puisse espérer se consoler de sa tristesse en écrivant. (…) Ce métier n’est jamais une consolation ou une distraction. Ce n’est pas une compagnie. Ce métier est un maître, un maître capable de nous fustiger au sang, un maître qui crie et qui condamne. Il nous oblige à ravaler nos larmes, à serrer les dents et essuyer le sang de nos blessures, et à rester debout, et à le servir. Le servir lorsqu’il le demande. Alors il nous aide même à rester debout, à garder les pieds solides sur terre, à vaincre la folie et le délire, le désespoir et la fièvre. Mais c’est lui qui commande, et il se refuse toujours à nous prêter attention, lorsque nous avons besoin de lui.»
«Mais, comme métier, ce n’est pas une plaisanterie. Nous sommes continuellement menacés de graves dangers au moment de rédiger notre page. (…) Il y a le danger de tricher avec des mots qui n’existent pas véritablement en nous, que nous avons pêchés au hasard, hors de nous, et que nous rassemblons avec adresse, parce que nous sommes devenus plutôt malins. Il y a le danger de faire les malins et de tricher. C’est un métier assez difficile, vous le voyez, mais c’est le plus beau métier du monde. Les journées et les circonstances de notre vie, les journées et les circonstances de la vie des autres auxquelles nous assistons, les lectures, les images, les pensées et les propos l’assouvissent et il croît en nous. C’est un métier qui se nourrit même de choses horribles, il dévore le meilleur et le pire de notre vie, nos mauvais sentiments comme nos bons sentiments s’écoulent dans son sang. Il se nourrit et croît en nous.”
J’ai relu son poème, Memoria, publié en décembre 1944 dans la revue Mercurio qui évoque la mort de son époux, Leone Ginzburg.
Memoria
Gli uomini vanno e vengono
per le strade della citta
Comprano libri e giornali,
muovono a imprese diverse.
Hanno roseo il viso,
le labbra vivide e piene.
Sollevasti il lenzuolo
per guardare il suo viso,
ti chinasti a baciarlo
con un gesto consueto.
Ma era l’ultima volta.
Era il viso consueto,
solo un poco piu’ stanco.
E il vestito era quello di sempre.
E le scarpe erano quelle di sempre.
E le mani erano quelle che
spezzavano il pane e
versavano il vino.
Oggi ancora nel tempo
che passa sollevi il lenzuolo
a guardare il suo viso
per l’ultima volta.
Se cammini per strada
nessuno ti è accanto
Se hai paura
nessuno ti prende per mano
E non è tua la strada,
non è tua la città.
Non è tua la città
illuminata. La città
illuminata è degli altri,
degli uomini che vanno
e vengono comprando
cibi e giornali.
Puoi affacciarti un poco
alla quieta finestra
a guardare il silenzio,
il giardino nel buio.
Allora quando piangevi
c’era la sua voce serena.
Allora quando ridevi
c’era il suo riso sommesso.
Ma il cancello che a sera
s’apriva, restera’ chiuso
per sempre, e deserta
è la tua giovinezza.
Spento il fuoco,
vuota la casa.
Elle a aussi écrit un jour: “Essere ebrea è come avere una virgola nel sangue di cui magari non ci si accorge, ma esiste. Però non credo che sia giusto attribuire a una simile virgola un’ importanza vitale e essenziale. Penso che vada custodita come una lontana memoria”.
Natalia Ginzburg (née Natalia Levi) est une romancière, essayiste et auteur dramatique italienne, pas assez connue en France. Elle était pourtant admirée par Italo Calvino, Federico Fellini, Pier Paolo Pasolini, Leonardo Sciascia. Elle est née le 14 juillet 1916 à Palerme et morte le 7 octobre 1991 à Rome.
Elle publie en 1933 une nouvelle intitulée Les Enfants dans la revue littéraire d’Alberto Carocci, Solaria.
Fille d’un professeur d’université, elle épouse en 1938 le journaliste, écrivain et éditeur antifasciste Leone Ginzburg, né à Odessa le 5 février 1899.
Elle le suit après son assignation à résidence à Pizzoli, petit village reculé des Abruzzes où ils restent trois ans. Leurs trois enfants naissent alors: Carlo (le 15 avril 1939, futur historien, spécialiste de microhistoire), Andrea et Alessandra.
En 1942, elle publie son premier roman, La Route qui va en ville. Parce qu’elle est juive, elle ne peut ni signer de son nom de jeune fille, ni de son nom d’épouse. Elle choisit un pseudonyme.
À la chute de Mussolini en 1943, la famille gagne clandestinement Rome. Capturé par les Allemands, son mari Leone meurt à Rome dans la prison de Regina Coeli des suites des tortures infligées par la Gestapo le 5 février 1944.
En 1950, elle se remarie avec Gabriele Baldini (1919-1969), directeur de l’Institut italien de la culture à Londres, et quitte l’Italie pour l’Angleterre. Leur fille naît en 1954, leur fils en 1959, tous deux handicapés. Les années 1950 marquent le début d’une période féconde pour sa production littéraire. Elle aborde des thèmes comme la mémoire, l’enquête psychologique et la vie familiale.
Elle publie Nos années d’hier en 1952. Valentino obtient le prix Viareggio en 1957. En 1961 sort chez Einaudi Les Voix du soir, roman familial. Il annonce son œuvre la plus célèbre: son roman autobiographique, Les Mots de la tribu, qui obtient le prix Strega, l’équivalent du Goncourt en Italie.
En 1969 son second mari, Gabriele Baldini, meurt. Elle publie des recueils d’essais (Les petites vertus, 1962. Ne me demande jamais, 1970. Vie imaginaire, 1974).
Elle revient au roman avec Cher Michel en 1973, Bourgeoisies en 1977, et Laville et la maison, en 1984. Trois romans épistolaires.
Elle s’est consacrée aussi au théâtre avec Je t’ai épousé pour l’allégresse, en 1965, et Village de bord de mer en 1972. Elle a traduit en italien Vercors, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Marguerite Duras, Guy de Maupassant.
En 1983, élue au Parlement italien dans les rangs du Parti communiste italien, elle soutient des positions peu orthodoxes comme celle du maintien du crucifix à l’école en 1988.
Elle meurt à Rome le 7 octobre 1991 et est inhumée au cimetière communal monumental de Campo Verano.
Oeuvres:
1942 La strada che va in città (La Route qui mène à la ville) 1964, quatre romans courts, éd. Denoël; rééd. 2014.
1945 È stato cosi (C’est ainsi que cela s’est passé). Prix Tempo. Denoël 1983. Rééd. 2017.
1952 Tutti i nostri ieri (Nos années d’hier), Prix Veillon 1952. rééd. 1956; rééd. 1992, roman, éd. Plon. Nouvelle traduction 2004 (Tous nos hiers), éd. Liana Lévi, Collection Piccolo.
1957 Valentino. Prix Viareggio.
Sagittario.
1961 Le voci della sera (Les Voix du soir). 1962, éd. Flammarion, roman, 1992
1962 Le piccole virtù (Les Petites Vertus). 1964, roman, Flammarion. Essais. 2018, Rééd. Ypsilon.
1963 Lessico famigliare (Les Mots de la tribu). Prix Strega. 1966, roman, éd. Grasset. Collection les Cahiers rouges 2008.
1964 La madre e altri racconti (La Mère), 1993, nouvelles, éd. Calmann-Lévy; rééd. 1999, éd. du Rocher, Le Serpent à plumes.
1965 Ti ho sposato per allegria (Je t’ai épousé pour l’allégresse) (Théâtre).
1966 L’inserzione.
1970 Mai devi domandarmi (Ne me demande jamais). 1985 Denoël. Recueil d’articles publiés dans la Stampa de décembre 1968 à octobre 1970.
1972 Paese di mare (Village de bord de mer) (Théâtre).
1973 Caro Michele (Cher Michel).
1974 Vita immaginaria (Vie imaginaire). Essais. Je t’écris pour te dire, Flammarion.
1977 Famiglia (Bourgeoisies) 1980, rééd. 2002, éd. Denoël
1983 La famiglia Manzoni.
1984 La città e la casa (La Ville et la maison), 1984, roman, rééd. 1988, 2002, Denoël.
1987 Croix et délice, Collection Nord-Sud Phalène.
2004 Vie de Anton Tchékhov in Conseils à un écrivain d’Anton Tchekhov. Anatolia/Editions du Rocher.