Shelby Foote (1916-2005)

Shelby Foote, 1978.

Shiloh de Shelby Foote. Editions Rivages. 20 euros. Sortie le 6 février 2019.

“Immense romancier américain, dans la lignée de William Faulkner, Shelby Foote est un auteur encore assez méconnu en France. Un de ses livres les plus importants en Amérique s’appelle Shiloh, épopée miniature qui raconte la guerre de Sécession en 200 pages à travers la voix de soldats ou lieutenants des deux camps. Chaque chapitre est ciselé à la perfection, explorant la nature humaine, l’absurdité des combats, l’étrange ivresse de la cause et la détresse inévitable devant le spectacle de la violence et la mort. Tous les paradoxes à l’œuvre dans une guerre. On pense à James Lee Burke, à William March. Shiloh, qui date de 1952, est traduit pour la première fois en français.”

E.Harrington, “Interview with Shelby Foote“, in Conversation with Shelby Foote, ed. W.C. Carter, UP of Mississippi, 1989.

“Je pense que l’influence de Proust est plus profonde mais celle de Faulkner est plus apparente. Je reconnais que Proust m’a plus profondément influencé que Faulkner.(…) Mais ma dette à l’égard de Faulkner est énorme. Il m’a appris à regarder le monde qui existe dans l’atmosphère confinée du roman (…) Ce que j’entends de captivant vient de Faulkner. Ma compréhension des êtres humains vient davantage de Proust. Quant à la technique du roman et à celle du style, que Proust appelait “qualité du regard”, c’est Faulkner qui me les a données. Ce fut le premier bon écrivain à éveiller en moi des résonances très personnelles.” “J’ai dit un jour à Faulkner que j’avais lieu de croire que je serais un meilleur écrivain que lui, parce qu’il était principalement influencé par Conrad et Anderson, et que moi, je l’étais par Proust et Faulkner, qui étaient tous deux de meilleurs écrivains. Il a pris ça avec beaucoup de courtoisie. Il ne m’a pas fait remarquer que la personne ainsi influencée pouvait avoir quelque incidence sur le résultat.”

Les écrivains qui l’ont particulièrement marqués sont William Faulkner et Marcel Proust (dont il a lu l’oeuvre sept ou huit fois), mais aussi Dickens, Thomas Mann, James Joyce, Flaubert et pour l’histoire, Thucydide, E. Burke, E.Gibbon et Michelet.

Autres romans publiés en français: L’enfant de la fièvre (Jordan County, 1954) Gallimard 1975. « L’Imaginaire » n° 174, 1986.

L’amour en saison sèche (Love in a Dry Season, 1951), Denoël, 1978. 10/18 n° 1679, 1984

Tourbillon (Follow Me Down, 1950) Gallimard, 1978. « L’Imaginaire » no°536, 2006.

Septembre en noir et blanc (September September, 1977), Denoël, 1981. 10/18 n° 1680, 1984

Eric Holder (1960-2019)

Eric Holder.

Éric Holder est décédé à Queyrac en Gironde le 23 janvier 2019. J’aimais ses livres et son style.

En compagnie des femmes, 1996. Le Dilettante.

La compagnie des femmes: ” On ne sait pas ce que c’est, la vie. On sait seulement ceci: elle ressemble – de très près – à ce que les femmes racontent, en juin, dans la cuisine, tandis qu’il monte des bassines un parfum chargé de sucre, tout à la fois âcre et fade, trop puissant.

Car nous ne savons plus, parfois, qui nous sommes. A force de boire, ou d’errer, nous avons perdu le fil.

Pas elles.”

Exergue de L’homme de chevet, 1995, Flammarion.

“Le premier jour après une mort, la neuve absence
Est toujours la même; nous devrions avoir souci

Les uns des autres, nous devrions avoir de la bonté,
Pendant qu’il en est encore temps.»

Philip Larkin, La Tondeuse. Traduction de Jacques Nassif.

(The Mower

“The first day after a death, the new absence
Is always the same; we should be careful
Of each other, we should be kind
Where there is still time.»

Autumn 1979)

Hervé Prudon (1950-2017)

Hervé Prudon.

Hervé Prudon est mort le 15 octobre 2017 d’un cancer à 66 ans. Il a consacré les deux derniers mois de sa vie à l’écriture d’une centaine de courts poèmes, «instantanés d’une existence qui se défait», comme le dit Olivier Rolin dans la préface à Devant la mort. Il s’agit de la transcription de ses carnets. Le livre est paru en septembre 2018 aux éditions Gallimard. Dans ce livre, j’ai trouvé aussi de la légereté, de la beauté et beaucoup de sincérité.

Né le 27 décembre 1950, à Sannois, dans le Val-d’Oise, Hervé Prudon a d’abord connu l’univers de la banlieue et des HLM. Après une maîtrise de lettres sur Céline obtenue à la faculté de Censier de Paris, désenchanté par les suites de Mai 68, il prend la route comme beaucoup de jeunes de sa génération. Il parcourt en routard l’Asie, l’Australie, l’Inde.

De retour à Paris, après avoir échoué à l’agrégation, il accumule les petits boulots (déménageur, manutentionnaire, accessoiriste de théâtre, etc.).

Cet écrivain, révélé par le néo-polar en 1978, aux côtés de Jean-Patrick Manchette, Frédéric Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy ou Jean Vautrin, s’était fait une spécialité des petits boulots avant de devenir journaliste au Nouvel Observateur, au Monde, à Libération,

Son parcours me rappelle celui de beaucoup de gens de ma génération.

il ne fera ni jour ni nuit
ni chaud ni froid
je ne serai ni moi
ni un autre
sans âme et sans substance
je ne serai ni le feu ni le vent
ni la pierre ni l’arbre ni l’animal
ni la lumière ni les ténèbres
de moins en moins l’absence
et rien de plus en plus
jusqu’à ce que rien ne dure

__________________________

j’en bave
tout me coûte
tout me gave
que me foutent
le cap Fréhel
et Valparaíso
je vois le ciel chagrin
Paris
la tour Eiffel
et les oiseaux
je respire moins
jusqu’à rien
et la mort m’époumonne
en voiture Simone

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Je ne rêve pas de plage, d’arbres, de cocotiers
de neige, ni d’îles désertes
je ne rêve pas de fêtes, de faste ou de triomphe
je ne rêve pas d’ailleurs
Je suis très bien ici dans mon corps
immobile impuissant
à regarder le ciel et le vent
les nuances de la pluie
les nuages et le temps
que je façonne à ma façon

Romans
Mardi gris, Gallimard, «Série noire» n°1724 1978
Tarzan malade, Éditions des autres (1979); réédition, Gallimard,«Série noire» n°2457 1997
Banquise, Fayard«Fayard noir» n°3 (1981); réédition, Édito-Service,«Les Classiques du crime» (1983); nouvelle édition revue et corrigée, Éditions La Table ronde,«La Petite Vermillon» (2009)
Les Yeux doux, Mazarine (1983)
Champs-Élysées, Mazarine (1984)
Plume de nègre, Mazarine (1987)
Sainte Extase, Édition Le Dernier Terrain Vague (1989)
Nadine Mouque, Gallimard,«Série noire»n°2401 (1995) Prix Louis-Guilloux
La Revanche de la colline, Gallimard,«Série noire»n°2411 (1996)
Vinyle Rondelle ne fait pas le printemps, Gallimard,«Série noire»n°2418 (1996)
Ouarzazate et mourir, Éditions Baleine,«Le Poulpe»n°20 (1996); réédition, EJL,«Librio noir»n°288 (1999)
La Femme du chercheur d’or, Flammarion (1998)
Les hommes s’en vont, Grasset (1998)
Cochin, Flammarion (1999)
Venise attendra, Grasset (2000), écrit en collaboration avec Sylvie Péju
Les Inutiles, Grasset (2002)
Ours et Fils, Grasset (2004)
La Sainte journée, Après la Lune, Collection «La Maîtresse en maillot de bain»n°9 (2006)
Ze big Slip, Éditions La Branche,«Suite noire»n°6 (2006)
La Langue chienne, Gallimard,«Série noire» (2008)
Autres publications
Le Bourdon, J.L. Lesfargues,«Traboule» (1982), en collaboration avec Pierre Marcelle
Au matin j’explose, poèmes, Éditions Le Ricochet (1999), dessins de Muzo
Devant la mort, poèmes, Gallimard,«Blanche» (2018)
Théâtre
Comme des malades (1998)

 

Eugenio Montejo (1938-2008)

Eugenio Montejo.

Les temps sont particulièrement durs au Vénézuela. Il faut donc relire les poèmes du grand Eugenio Montejo. Beauté et clarté de son écriture.

Ce poète et essayiste est né le 19 octobre 1938 à Caracas. Il est mort le 5 juin 2008 à Valencia (Vénézuela). Professeur d’université et animateur de plusieurs revues, il reçoit en 1998 le Prix national de littérature du Venezuela et en 2004 le Prix international Octavio Paz de Poésie. Il a été aussi conseiller culturel à l’ambassade du Venezuela au Portugal. Un de ses poèmes (La tierra giró para acercarnos) est cité dans le film 21 grammes (2003) du metteur en scène mexicain Alejandro González Iñarritu (Scénario de Guillermo Arriaga). Sean Penn récite a Naomi Watts les trois premiers vers.

La tierra giró para acercarnos

La tierra giró para acercarnos,
giró sobre sí misma y en nosotros,
hasta juntarnos por fin en este sueño,
como fue escrito en el Simposio.
Pasaron noches, nieves y solsticios;
pasó el tiempo en minutos y milenios.
Una carreta que iba para Nínive
llegó a Nebraska.
Un gallo cantó lejos del mundo,
en la previda a menos mil de nuestros padres.
La tierra giró musicalmente
llevándonos a bordo;
no cesó de girar un solo instante,
como si tanto amor, tanto milagro
sólo fuera un adagio hace mucho ya escrito
entre las partituras del Simposio.

Adiós al siglo XX,1992.

The Earth Turned to Bring Us Closer

The earth turned to bring us closer,
it spun on itself and within us,
and finally joined us together in this dream
as written in the Symposium.

Soy esta vida 

Soy esta vida y la que queda,
la que vendrá en otros días,
en otras vueltas de la tierra.

La que he vivido tal como fue escrita
hora tras hora
en el gran libro indescifrable;
la que me anda buscando en una calle,
desde un taxi
y sin haberme visto me recuerda.

Ya no sé cuándo llegará, qué la detiene;
no conozco su rostro, su cuerpo, su mirada;
no sé si llegará de otro país
-es un tapiz volante-
o de otro continente.

Soy esta vida que he vivido o malvivido
pero más la que aguardo todavía
en las vueltas que la tierra me debe.
La que seré mañana cuando venga
en un amor, una palabra;
la que trato de asir cada segundo
sin saber si está aquí, si es ella la que escribe
llevándome la mano.

Terredad, 1978.

Dura menos un hombre que una vela

Dura menos un hombre que una vela
pero la tierra prefiere su lumbre
para seguir el paso de los astros.
Dura menos que un árbol,
que una piedra,
se anochece ante el viento más leve,
con un soplo se apaga.
Dura menos un pájaro,
que un pez fuera del agua,
casi no tiene tiempo de nacer,
da unas vueltas al sol y se borra
entre las sombras de las horas
hasta que sus huesos en el polvo
se mezclan con el viento,
y sin embargo, cuando parte
siempre deja la tierra más clara.

Muerte y memoria,1972.

https://www.youtube.com/watch?v=5Q1QvwkDXMo

Walter Benjamin (1892-1940)

Walter Benjamin à Pontigny (Gisèle Freund), Mai 1939.

Dans la seconde quinzaine de mai  1939, Walter Benjamin se rend à Pontigny, hors décades. Ce qui l’amène là est prosaïque. Craignant d’être privé de tous subsides après que Max Horkheimer, directeur de l’Institut de Recherches Sociales, lui a annoncé que l’Institut exsangue ne peut plus le payer, il se met en quête de mécènes. Son espoir Pontigny, Paul Desjardins (1859-1940), la NRF. Mais, il est déçu. Paul Desjardins n’est plus que l’ombre de lui-même et Pontigny aussi. Walter Benjamin qualifie ce séjour de “naufrage”. A cette occasion, il donne une petite conférence sur Baudelaire dans la belle bibliothèque, conférence qui fut prise en sténo.

Walter Benjamin, Ecrits français. Folio essais, Gallimard 1991.

Notes sur les Tableaux parisiens de Baudelaire.

«Il paraît que par échappées, Baudelaire ait saisi certains traits de cette inhumanité à venir. On lit dans les Fusées; «Le monde va finir… Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie…Ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle…Ce sera par l’asservissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie?…Ces temps sont peut-être bien proches; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons?»
Nous ne sommes déjà pas si mal placés pour convenir de la justesse de ces phrases. Il y a bien des chances qu’elles gagneront en sinistre. Peut-être la condition de la clairvoyance dont elles font preuve, était-elle beaucoup moins un don quelconque d’observateur que l’irrémédiable détresse du solitaire au sein des foules. Est-il trop audacieux de prétendre que ce sont ces mêmes foules qui, de nos jours, sont pétries par les mains des dictateurs? Quant à la faculté d’entrevoir dans ces foules asservies des noyaux de résistance – noyaux que formèrent les masses révolutionnaires de quarante- huit et les communards- elle n’était pas dévolue à Baudelaire. Le désespoir fut la rançon de cette sensibilité qui, la première abordant la grande ville, la première en fut saisie d’un frisson que nous, en face des menaces multiples, par trop précises, ne savons même plus sentir.»

Illustration de Georges Rochegrosse aux Fleurs du mal. Ferroud. 1917.

Vladimir Jankélévitch (1903-1985) II

Exposition à la BNF «Vladimir Jankélévitch, figures du philosophe», du 15 janvier au 3 mars 2019. Entrée libre. Cette exposition rétrospective rassemble manuscrits, correspondances, photographies ou documents audiovisuels qui éclairent la pensée et l’itinéraire du philosophe. Données par sa famille à la BnF, ces quelque 120 pièces sont conservées au département des Manuscrits.

https://goo.gl/jud5PH

Vladimir Jankélévitch est né le 31 août 1903 à Bourges. Ses parents, juifs russes (Anna Ryss 1873-1950 et Samuel Jankélévitch 1869-1951) avaient fui Rostov-sur-le-Don et Odessa à cause des pogroms. Ils se sont connus étudiants à Montpellier et sont devenus tous deux médecins. Son père, oto-rhino-laryngologiste, fut le premier traducteur de Freud en français aux éditions Payot. Il traduisit aussi des œuvres de Hegel, de Schelling, de Croce et d’Otto Rank et publia des articles dans les revues de philosophie. Une tante, réfugiée avec le reste de la famille, ancienne professeur au conservatoire de Saint Petersbourg, lui apprit la musique et le piano. Excellent pianiste, Vladimir Jankelevitch lisait les partitions musicales aussi bien que les livres. La musique comptera pour lui toujours autant que la philosophie. Sa famille s’installe à Paris, 53 rue de Rennes.Vladimir Jankélévitch étudie au Lycée Montaigne, puis au Lycée Louis-le-Grand. En 1922, il entre à l’École normale supérieure et étudie la philosophie. Il a pour maître Léon Brunschvicg (1869-1944). En 1923, il rencontre Henri Bergson, avec qui il entretient une correspondance. Il publie Henri Bergson en 1931. Il est reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1926 et part pour l’Institut français de Prague l’année suivante. Il y enseigne jusqu’en 1932 et rédige une thèse sur Schelling (L’odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling) qu’il soutient en 1933. Thèse complémentaire: Valeur et signification de la mauvaise conscience. En janvier 1933, il se marie avec une jeune tchèque, Anna Küsslova, rencontrée à Prague. Ce mariage sera un échec. En juillet 1933, le couple se sépare, et divorcera peu après. De retour en France, il enseigne au lycée Malherbe de Caen, au lycée du Parc de Lyon (en khagne), puis à la faculté de lettres de Besançon, à l’université de Toulouse en 1936, puis à Lille en 1938 en tant que professeur de philosophie morale. Il s’installe au 1 quai aux Fleurs où il demeurera jusqu’à la fin de sa vie.
Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Vladimir Jankélévitch est mobilisé. Il est blessé à l’épaule et évacué à Marmande. En janvier 1940, il retourne à Toulouse, où il passera les années de guerre sous plusieurs identités, dont celle d’André Dumez. Le 18 juillet 1940, huit jours après la prise du pouvoir par Pétain, il est révoqué de la fonction publique, n’ayant pas la nationalité française «à titre originaire» (il a été naturalisé à l’âge d’un an). Il enseigne alors à Toulouse sous une fausse identité, les registres de Lille étant inaccessibles à l’administration française depuis que le Nord est en zone Reich. Il est destitué irrévocablement en décembre 1940 en vertu du «statut des juifs». Poussé dans la clandestinité, il s’engage aussitôt dans la Résistance en distribuant des tracts et dit: «Les nazis ne sont des hommes que par hasard». Des armes sont trouvées chez lui en janvier 1941, mais une intervention de Léon Brunschvicg auprès de Jérôme Carcopino, directeur de l’Ecole Normale et entrant dans le gouvernement Darlan, le met à l’abri des poursuites. Ce ne serait que pour se défendre. Il vit dans la clandestinité, doit déménager sans cesse et donner des cours particuliers (français, grec, latin, orthographe) dans une arrière-salle du Café du Capitole pour gagner sa vie. Il participe activement à la Résistance dans le groupe Etoiles, apparenté au Mouvement national contre le racisme (MNCR) et au Front national universitaire (FNU), puis dans les réseaux catholiques. Sa sœur Ida (1898-1982) épouse le poète Jean Cassou. Durant l’Occupation, Vladimir Jankélévitch a réussi à faire venir toute sa famille à Toulouse où Jean Cassou deviendra commissaire de la République en juin 1944. Il reçoit l’aide du recteur de l’Institut catholique de Toulouse, Monseigneur Bruno de Solages, recteur de l’Institut catholique de Toulouse de 1931 à 1964, ainsi que des francs-maçons, notamment de la famille de Henri Caillavet. Il dira, faisant allusion à Sartre, que là était le vrai moment de s’engager, et qu’alors, faire de la morale, ce n’était pas écrire Cahiers pour une morale (annoncés par Sartre dans la conclusion de L’Être et le Néant en 1943, publiés de façon posthume en 1983) ou rédiger un Traité des vertus (publié en 1949), mais de distribuer des tracts en pleine rue au péril de sa vie. Pour lui, la morale consiste à s’engager, «non à effectuer une tournée de conférences au cours desquelles on s’engage à s’engager».
La guerre et l’extermination des juifs d’Europe le hanteront à jamais ; après la Libération, il refusera toujours son pardon aux bourreaux nazis, ces « monstres » ayant perpétué des « crimes contre l’essence humaine ». Il ne remettra même plus les pieds en Allemagne. A la Libération, il sera directeur des émissions musicales de Radio-Toulouse-Pyrénées. En 1945-1946, il donne des conférences au Maroc, en Tunisie, en Algérie. A cette occasion il rencontre Lucienne Lanusse qu’il épouse en avril 1947 à Alger. Il retrouve son poste à l’université de Lille en octobre 1947 avant d’être nommé quatre ans plus tard à la Sorbonne. Il Occupe la chaire de philosophie morale de 1951 à 1979 et marque des générations d’étudiants. Il voudra que des salles de la Sorbonne portent le nom de ses camarades résistants, tombés au combat combat (Jean Cavaillès 1903-1944 et François Cuzin 1914-1944). Il contribue à ce que le souvenir de la Résistance française soit correctement entretenu au sein de l’Union universitaire française dont il fut président. Sa fille Sophie nait en 1953. Elle deviendra aussi professeur de philosophie. La vie a triomphé de la mort. Mais sa vie a changé. Il ne lit plus les philosophes allemands, ne joue et n’écoute plus de musique allemande, il oublie la langue allemande. En 1963, Il enseigne pendant un an à l’Université libre de Bruxelles comme professeur visiteur. Jankélévitch s’engage aussi dans le débat public, soutenant le mouvement de Mai-68. Il sera le seul mandarin à pouvoir continuer ses cours. Il est resté très proche des étudiants, jouant parfois sur un piano, installé dans la cour. Il milite pour le maintien de la philosophie dans l’enseignement secondaire en 1975 et participe aux États Généraux de la philosophie (16-17 juin) avec Michel Foucault, Michel Serres et Jacques Derrida.
En juin 1980, Vladimir Jankélévitch reçoit d’un jeune Allemand, Wiard Raveling, professeur en Basse-Saxe, une demande de pardon. Il lui répond:

«5 juillet 1980. Cher Monsieur, je suis ému par votre lettre. J’ai attendu cette lettre pendant trente-cinq ans. Je veux dire une lettre dans laquelle l’abomination est complètement assumée et par quelqu’un qui n’y est pour rien. C’est la première fois que je reçois une lettre d’Allemand, une lettre qui ne soit pas une lettre d’autojustification plus ou moins déguisée. Apparemment, les philosophes allemands, «mes collègues» (si j’ose employer ce terme), n’avaient rien à me dire, rien à expliquer. Leur bonne conscience était imperturbable. Et de fait il n’y a plus rien à dire dans cette horrible chose. Je n’ai donc pas eu de grands efforts à faire pour m’abstenir de tous rapports avec ces éminents métaphysiciens. Vous seul, vous le premier et sans doute le dernier, avez trouvé les mots nécessaires en dehors de rabotages politiques et de pieuses formules toutes faites. Il est rare que la générosité, que la spontanéité, qu’une vive sensibilité ne trouvent pas leur langage dans les mots dont on se sert. Et c’est votre cas. Cela ne trompe pas. Merci.
Non, je n’irai pas vous voir en Allemagne. Je n’irai pas jusque-là. Je suis trop vieux pour inaugurer cette ère nouvelle. Car c’est tout de même pour moi une ère nouvelle. Trop longtemps attendue. Mais vous qui êtes jeune, vous n’avez pas les mêmes raisons que moi. Vous n’avez pas cette barrière infranchissable à franchir. À mon tour de vous dire : quand vous viendrez à Paris, comme tout le monde, sonnez chez moi, 1, quai aux Fleurs, près de Notre-Dame. Vous serez reçu avec émotion et gratitude comme le messager du printemps. J’espère que ma fille (26 ans) sera là. Elle sait tout ce qu’il y a à savoir sur l’horreur sans nom; mais elle est de son temps, et elle n’a pas connu l’accablement. Son mari est comme elle. Nous faisons tous le même métier (tous trois professeurs de philosophie). Nous ne parlerons pas de l’horreur. Nous nous mettrons au piano : il y en a trois (deux grands pour moi, un pour ma Sophie).
À vous en toute sympathie.
Vladimir Jankélévitch, 1, quai aux Fleurs, 75004 Paris (1er à droite)»

Wiard Raveling viendra le voir à Paris en avril 1981. Retraité en 1979, Vladimir Jankélévitch meurt à Paris le 6 juin 1985, à 81 ans.

Wiard Raveling.

Enrique Ruano (1947-1969)

Dolores González Ruiz, Enrique Ruano, Javier Sauquillo.

Hace cincuenta años, asesinaron a Enrique Ruano.

Enrique Ruano Casanova (Madrid, 7 de julio de 1947-Madrid, 20 de enero de 1969), estudiante de derecho y miembro del Frente de Liberación Popular, uno de los grupos políticos que lucharon en España contra el franquismo, murió el 20 de enero de 1969.

Enrique Ruano fue detenido el 17 de enero de 1969, por arrojar en la calle propaganda de su partido, y trasladado a comisaría. Tres días más tarde, fue llevado a un edificio de la calle del Príncipe de Vergara (entonces General Mola) de Madrid, para efectuar un registro de la vivienda, y allí cayó por una ventana del séptimo piso.

El conjunto del movimiento antifranquista consideró la muerte de Enrique Ruano como un asesinato, y se produjeron movilizaciones en protesta por los hechos. Varios intelectuales apoyaron también la tesis del crimen político, del asesinato, que fue creciendo ante las contradicciones de la versión oficial que fue variando con el paso de los días.

El suceso fue presentado oficialmente como un suicidio, y se dijo que el joven echó a correr y se arrojó por la ventana. Incluso se llegó a presentar un supuesto diario en el que se expresaban ideas suicidas y que se filtró a la prensa como del estudiante fallecido. Manuel Jiménez Quílez, director general de Prensa a las órdenes del Ministro Manuel Fraga Iribarne, movilizó al diario ABC —dirigido por Torcuato Luca de Tena— y encargaron al periodista Alfredo Semprún que preparara un reportaje «definitivo» acerca de las razones del suicidio. Manuel Fraga llamó por teléfono al padre de Ruano para amenazarle y que dejara de protestar. Fraga le recordó que tenía otra hija de la que ocuparse.

​El sindicalista José Luis Úriz recuerda en su testimonio Peleando a la contra el momento en que fue detenido y torturado cuando estudiaba ingeniería de telecomunicaciones en Madrid por el inspector Antonio González Pacheco, conocido como Billy el Niño. Mientras golpeaba a Úriz, otro policía que participaba en el interrogatorio le dijo al torturador: «ten cuidado que se te va a ir la mano otra vez y lo vas a matar», y respondió según el relato de Úriz: «no importa, hacemos como con Ruano, lo tiramos por la ventana y decimos que se quería escapar».

La “historia de amor más trágica de la Transición” gana el Premio Comillas (El País, 19/01/2019)

Tusquets Editores. A finales de enero de Javier Padilla Moreno-Torres (1992).

https://goo.gl/jwx3J1

Javier Padilla Moreno-Torres.

Paul Claudel (1868-1955)

Paul Claudel enlaçant le Buste de Camille Claudel aux cheveux courts par Rodin.

Le 28 novembre 1943, lors d’un dîner avec Brassaï, Henri Michaux livre une opinion sur Paul Claudel: “Il a écrit une ode au Maréchal, mais n’a-t-il pas aussi adressé une lettre au grand rabbin, pour défendre les Juifs? Qui a osé le faire?”

(Henri Michaux, Oeuvres complètes I Gallimard NRF Bibliothèque de la Pléiade. 1998. Chronologie)

10 mai 1941:  Il publie dans le Figaro Paroles au Maréchal (désignées couramment comme l’Ode à Pétain)

24 décembre 1941: Lettre au grand-rabbin de France Isaïe Schwartz pour protester contre la législation anti-juive.

23 décembre 1944, il publie dans le Figaro Un poème au général de Gaulle.

Henri Michaux 1943-45 à sa table de travail (Brassaï).

Vladimir Jankélévitch (1903-1985)

Vladimir Jankélévitch. Paris, Sorbonne.1970.

« Quel est ce souffle léger qui, déchirant notre ciel gris, nous apporte sa langueur? C’est le souffle du passé. Quand on a beaucoup de temps devant soi et autour de soi, ces touches fulgurantes s’épandent en nappes de rêverie, en grandes flaques de souvenirs, comme dans les Nymphéas de Monet où l’eau, la lumière et les yeux ensommeillés des grandes fleurs semblent dormir par surabondance de temps: l’intervalle déborde alors entre les instants! Ces touches ne gardent leur nature instantanée de réminiscences que lorsqu’elles sont des déchirures à travers l’enchaînement de la prose de l’existence sérieuse, et plus encore quand elles sont, en pleine tragédie, les éclairs d’un paradis depuis longtemps perdu. Le passé clignote subitement et, en pleine tourmente, nous fait signe ; tout à coup on se dit : quel bel été ! Et quelque chose d’un été ancien resurgit. J’ai dû me dire cela un jour radieux de juin 1943… à Toulouse ayant rendez-vous avec quelqu’un dont je ne savais ni le nom ni l’adresse et qui, lui non plus, ne savait rien de moi. Il ne fallait surtout pas manquer cette rencontre, car il eût été impossible de la rattraper; quand le fil clandestin est rompu, on n’a plus aucun moyen de le renouer et dans les situations dangereuses où tout est clandestin, le moindre malentendu, la moindre distraction ont pour conséquence l’isolement tragique et parfois définitif. Et pourtant, j’ai dû me dire, le temps d’un clin d’oeil: quel bel été! Et oublier un instant pourquoi j’étais là, et ce que je faisais, et qui j’attendais, et effacer la tragédie et le danger qui rôde, sur le point de céder aux conseils du vent léger, de confondre ce beau jour de juin avec un jour de vacances, et d’aller me promener comme aux jours de la vie antérieure, dans les jardins du Boulingrin tout proche. Quel bel été, hélas!»

Quelque part dans l’inachevé, Gallimard, 1978.

Plaque Vladimir Jankélévitch. Paris, 1 quai aux Fleurs.

Henri Michaux (1899-1984) lu par Delphine Seyrig

Delphine Seyrig. L’Année dernière à Marienbad (1961), Alain Resnais.

Les Nuits de France Culture. Les chemins de la connaissance. Hécube (1 ère diffusion).

Delphine Seyrig lit Henri Michaux : “Je vous écris d’un pays lointain” (1ère diffusion : 17/08/1985) 16/06/1989) PODCAST.

https://goo.gl/52P2jf

Delphine Seyrig (1932-1990) joue le rôle Fabienne Tabard dans Baisers volés (1968) de François Truffaut. Elle est à la fois l’incarnation de la femme romantique et inaccessible, mais aussi la représentation de la femme réaliste et maîtresse de son destin. Antoine Doinel, dans Baisers volés, dit du personnage interprété par Delphine Seyrig: «Madame Tabard est une femme exceptionnelle, Madame Tabard, c’est… c’est une apparition!».

Elle est morte en 1990, à 58 ans, des suites d’un cancer des poumons. Sa tombe se trouve au cimetière du Montparnasse à Paris.

Je vous écris d’un pays lointain 
I
Nous n’avons ici, dit-elle, qu’un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours en avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n’arrive qu’en son heure.
Ensuite on a un monde de choses à faire, tant qu’il y a de la clarté, si bien qu’on a à peine le temps de se regarder un peu.
La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement.

II

Quand on marche dans la campagne, lui confie-t-elle encore, il arrive que l’on rencontre sur son chemin des masses considérables. Ce sont des montagnes, et il faut tôt ou tard se mettre à plier les genoux. Rien ne sert de résister, on ne pourrait plus avancer, même en se faisant du mal.

Ce n’est pas pour blesser que je le dis. Je pourrais dire d’autres choses, si je voulais vraiment blesser.

III
L’aurore est grise ici, lui dit-elle encore. Il n’en fut pas toujours ainsi. Nous ne savons qui accuser.

Dans la nuit le bétail pousse de grands mugissements, longs et flûtes pour finir. On a de la compassion, mais que faire?

L’odeur des eucalyptus nous entoure : bienfait, sérénité, mais elle ne peut préserver de tout, ou bien pensez-vous qu’elle puisse réellement préserver de tout?

IV
Je vous ajoute encore un mot, une question plutôt.
Est-ce que l’eau coule aussi dans votre pays? (je ne me souviens pas si vous me l’avez dit) et elle donne aussi des frissons, si c’est bien elle.
Est-ce que je l’aime? Je ne sais. On se sent si seule dedans, quand elle est froide. C’est tout autre chose quand elle est chaude. Alors? Comment juger? Comment jugez-vous, vous autres, dites-moi, quand vous parlez d’elle sans déguisement, à cœur ouvert?

V
Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l’arbre, et nous nous dispersons, gênées.
Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours?
Il y a aussi des remuements souterrains, et dans la maison comme des colères qui viendraient au-devant de vous, comme des êtres sévères qui voudraient arracher des confessions.
On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi?

VI
Nous vivons toutes ici la gorge serrée. Savez-vous que, quoique très jeune, autrefois j’étais plus jeune encore, et mes compagnes pareillement. Qu’est-ce que cela signifie? Il y a là, sûrement, quelque chose d’affreux.
Et autrefois quand, comme je vous l’ai déjà dit, nous étions encore plus jeunes, nous avions peur.
On eût profité de notre confusion. On nous eût dit : « Voilà, on vous enterre. Le moment est arrivé. » Nous pensions, c’est vrai, nous pourrions aussi bien être enterrées ce soir, s’il est avéré que c’est le moment.
Et nous n’osions pas trop courir : essoufflées, au bout d’une course, arriver devant une fosse toute prête, et pas le temps de dire mot, pas le souffle.
Dites-moi, quel est donc le secret à ce propos ?

VII
Il y a constamment, lui dit-elle encore, des lions dans le village, qui se promènent sans gêne aucune.
Moyennant qu’on ne fera pas attention à eux, ils ne font pas attention à nous.
Mais s’ils voient courir devant eux une jeune fille, ils ne veulent pas excuser son émoi. Non! aussitôt ils la dévorent.
C’est pourquoi ils se promènent constamment dans le village où ils n’ont rien à faire, car ils bâilleraient aussi bien ailleurs, n’est-ce pas évident?

VIII
Depuis longtemps, longtemps, lui confie-t-elle, nous sommes en débat avec la mer.
De très rares fois, bleue, douce, on la croirait contente. Mais cela ne saurait durer. Son odeur du reste le dit, une odeur de pourri (si ce n’était son amertume).
Ici, je devrais expliquer l’affaire des vagues. C’est follement compliqué, et la mer… Je vous prie, ayez confiance en moi. Est-ce que je voudrais vous tromper? Elle n’est pas qu’un mot.
Elle n’est pas qu’une peur. Elle existe, je vous le jure; on la voit constamment.
Qui? mais nous, nous la voyons. Elle vient de très loin pour nous chicaner et nous effrayer.
Quand vous viendrez, vous la verrez vous-même, vous serez tout étonné. « Tiens ! » direz-vous, car elle stupéfie.
Nous la regarderons ensemble. Je suis sûre que je n’aurai plus peur. Dites-moi, cela n’arrivera-t-il jamais ?

IX
Je ne veux pas vous laisser sur un doute, continue-t-elle, sur un manque de confiance. Je voudrais vous reparler de la mer. Mais il reste l’embarras. Les ruisseaux avancent; mais elle, non. Écoutez, ne vous fâchez pas, je vous le jure, je ne songe pas à vous tromper. Elle est comme ça. Pour fort qu’elle s’agite, elle s’arrête devant un peu de sable. C’est une grande embarrassée. Elle voudrait sûrement avancer, mais le fait est là.

Plus tard peut-être, un jour elle avancera.

X

«Nous sommes plus que jamais entourées de fourmis», dit sa lettre. Inquiètes, ventre à terre elles poussent des poussières. Elles ne s’intéressent pas à nous.»
Pas une ne lève la tête.
C’est la société la plus fermée qui soit, quoiqu’elles se répandent constamment au dehors. N’importe, leurs projets à réaliser, leurs préoccupations…elles sont entre elles…partout.
Et jusqu’à présent pas une n’a levé la tête sur nous. Elle se ferait plutôt écraser.

XI

Elle lui écrit encore:
«Vous n’imaginez pas tout ce qu’il y a dans le ciel, il faut l’avoir vu pour le croire. Ainsi, tenez les…mais je ne vais pas vous dire leur nom tout de suite.»
Malgré des airs de peser très lourd et d’occuper presque tout le ciel, ils ne pèsent pas, tout grands qu’ils sont, autant qu’un enfant nouveau né.
Nous les appelons des nuages.
Il est vrai qu’il en sort de l’eau, mais pas en les comprimant, ni en les triturant. Ce serait inutile, tant ils ont en peu.
Mais, à condition d’occuper des longueurs et des longueurs, des largeurs et des largeurs, des profondeurs aussi et des profondeurs et de faire les enflés, ils arrivent à la longue à laisser tomber quelques gouttelettes d’eau, oui, d’eau. Et on est bel et bien mouillé. On s’enfuit, furieuses d’avoir été attrapées; car personne ne sait le moment où ils vont lâcher leurs gouttes; parfois ils restent des jours sans les lâcher. Et on resterait en vain chez soi à attendre.

XII

L’éducation des frissons n’est pas bien faite dans ce pays. Nous ignorons les vraies règles et quand l’événement apparaît, nous sommes prises au dépourvu.
C’est le Temps, bien sûr. (Est-il pareil chez vous?) Il faudrait arriver plus tôt que lui; vous voyez, ce que je veux dire, rien qu’un tout petit peu avant. Vous connaissez l’histoire de la puce dans le tiroir? Oui, bien sûr. Et comme c’est vrai, n’est-ce pas! Je ne sais plus que dire. Quand allons-nous nous voir enfin?

Plume précédé de Lointain intérieur, 1938.

Henri Michaux (Claude Cahun), Jersey 1938.