Bob Dylan (Robert Allen Zimmerman) est né le 24 mai 1941 à Duluth (Minnesota). Prix Nobel de Littérature 2016, il a aujourd’hui 78 ans.
Blas de Otero.
Le poème de Blas de Otero (1916-1979) renvoie à celui du grand poète péruvien César Vallejo (1892-1938).
Tiempo (Blas de Otero)
Hoy es Domingo y por eso decía César Vallejo por eso escucho a Bob Dylan me hundo en el fondo del subconsciente buceo a ojos cerrados y todo aparece diáfano como la armónica de Bob tantos años abatidos furia del angel fieramente humano contra las altas olas yo dije España está perdida dentro de su nombre llamé a la paz con los labios desgarrados pero hoy es domingo y por eso me serené como una verónica de Gitanillo de Triana seccioné mi angustia la guillotiné en despiadados versos pero hoy es domingo y por eso a lo lejos ya viene la galerna la espero a pecho descubierto pecho como la guitarra de Bob Dylan porque hoy es domingo y por eso.
Hojas de Madrid con La galerna. Galaxia Gutenberg, Círculo de lectores, Barcelona, 2010.
César Vallejo.
Fue domingo en las claras orejas de mi burro… (César Vallejo)
Fue domingo en las claras orejas de mi burro,
de mi burro peruano en el Perú (Perdonen la tristeza).
Mas hoy ya son las once en mi experiencia personal,
experiencia de un solo ojo, clavado en pleno pecho,
de una sola burrada, clavada en pleno pecho.
Tal de mi tierra veo los cerros retratados,
ricos en burros, hijos de burros, padres hoy de vista,
que tornan ya pintados de creencias,
cerros horizontales de mis penas.
En su estatua, de espada,
Voltaire cruza su capa y mira el zócalo,
pero el sol me penetra y espanta de mis dientes incisivos
un número crecido de cuerpos inorgánicos.
Y entonces sueño en una piedra
verduzca, diecisiete,
peñasco numeral que he olvidado,
sonido de años en el rumor de aguja de mi brazo,
lluvia y sol en Europa, y ¡cómo toso! ¡cómo vivo!
¡cómo me duele el pelo al columbrar los signos semanales!
y cómo, por recodo, mi ciclo microbiano,
quiero decir mi trémulo, patriótico peinado.
Philip Roth est décédé le 22 mai 2018 à quatre-vingt-cinq ans, six ans après avoir cessé d’écrire.
J’ai acheté hier Pourquoi écrire? à la Librairie Compagnie, 58 rue des Ecoles.
Philip Roth, Pastorale américaine (American pastoral) , 1997. Gallimard, 1999. (Traduction Josée Kamoun). Pages 47-48. «On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d’arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d’espoirs, d’arrogance; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus sur ses dix orteils au lieu d’écraser la pelouse sous ses chenilles; on arrive l’esprit ouvert, pour l’aborder d’égal à égal, d’homme à homme, comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n’avait pas plus de cervelle qu’un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux; et puis quand on rentre chez soi, et qu’on raconte la rencontre à quelqu’un d’autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n’y voit que du feu, ce n’est qu’illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant, comment s’y prendre dans cette affaire si importante –les autres– qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d’autrui et ses mobiles cachés? Est-ce qu’il faut pour autant que chacun s’en aille de son côté, s’enferme dans sa tour d’ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par notre ignorance? Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous… alors vous avez de la chance.»
Luis Cernuda en su casa de la calle Viriato, 71.Madrid. 9 de marzo de 1936
No sé qué nombre darle en mis sueños
Ante mi forma encontré aquella forma
en tiempo de crepúsculo,
cuando las desapariciones
confunden los colores a los ojos,
cuando el último amor
busca el cuerpo postrero.
Una angustia sin fondo aullaba entre las piedras;
hacia el aire, hombres sordos,
la cabeza olvidada,
pasaban a lo lejos como libres o muertos.
Vergonzoso cortejo de fantasmas
con las cadenas rotas colgando de las manos.
La vida puso entonces una lámpara
sobre muros sangrientos;
El día ya cansado secaba tristemente
las futuras auroras, remendadas
como harapos de rey.
La lámpara eras tú,
mis labios, mi sonrisa,
forma que hallan mis manos en todo lo que alcanzan.
Si mis ojos se cierran es para hallarte en sueños,
detrás de la cabeza,
detrás del mundo esclavizado,
en ese país perdido
que un día abandonamos sin saberlo.
8 de agosto de 1929.
Un río, un amor, 1929.
Je ne sais quel nom lui donner dans mes rêves
Je rencontrai cette forme devant la mienne
À l’heure du crépuscule,
Quand les disparitions
Confondent pour les yeux les couleurs,
Quand le dernier amour
Cherche l’ultime corps.
Une angoisse sans fond hurlait entre les pierres;
En route vers l’air, des hommes sourds,
Tête oubliée,
Passaient au loin, libres ou morts ;
Honteux cortège de fantômes
Et leurs chaînes brisées qui pendaient à leurs mains.
Alors la vie posa une lampe
Sur des murs sanglants ;
Le jour déjà fatigué séchait tristement
Les futures aurores, rapiécées
Comme loques de roi.
La lampe c’était toi,
Mes lèvres, mon sourire,
Forme que trouvent mes mains dans tout ce qu’elles touchent.
Si mes yeux se ferment c’est pour te trouver en rêve,
Derrière la tête,
Derrière le monde asservi,
Dans ce pays perdu
Que sans le savoir nous avons quitté un jour.
8 août 1929.
Un fleuve, un amour Editions Fata Morgana, 1985. Traduction de Jacques Ancet.
Festival de Cannes 2019. Le nouveau film d’Alain Cavalier Être vivant et le savoir a été présenté en séance spéciale le 18 mai. Il dure 1h20. Sa sortie en salles est prévue le 5 juin. Le titre est tiré de William Faulkner et est déjà cité dans le film La Chamade d’Alain Cavalier (1968) par la voix de Catherine Deneuve. Elle avait alors 25 ans. Alain Cavalier projetait d’adapterle roman d’Emmanuèle Bernheim Tout s’est bien passé (2013), où elle racontait comment son père l’avait chargée d’organiser son suicide assisté. Elle jouerait son propre rôle et lui, celui du mourant . Mais l’écrivaine est morte d’un cancer le 10 mai 2017. Alain Cavalier lui-même, s’exerce au moment où il poussera son dernier souffle. Ce film sur un film qui ne s’est pas fait n’est pas morbide, mais c’est au contraire une constante célébration de la vie.
William Faulkner, Les Palmiers sauvages. 1939. Traduction Maurice Edgar Coindreau revue par François Pitavy. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2000.
« – La respectabilité. C’est elle qui est responsable de tout. J’ai compris, il y a déjà quelque temps, que c’est l’oisiveté qui engendre toutes nos vertus, nos qualités les plus supportables (contemplation, égalité d’humeur, paresse, laisser les gens tranquilles) ainsi que la bonne digestion mentale et physique, la sagesse de concentrer son attention sur les plaisirs de la chair (manger, évacuer, forniquer, lézarder au soleil) car il n’y a rien de mieux, rien qui puisse se comparer à cela, rien d’autre en ce monde que de vivre le peu de temps qui nous est accordé, d’être vivant et de le savoir – ah! oui, elle m’a appris cela, elle m’a marqué aussi pour toujours – non rien, absolument rien. Mais ce n’est que tout récemment que j’ai vu avec netteté, que j’ai déduit la conclusion logique, à savoir que c’est une des vertus que nous appelons essentielles (économie, industrie, indépendance) qui engendre tous les vices – fanatisme, suffisance, ingérence, peur et, pire que tout, respectabilité. Nous, par exemple, du fait même que, pour la première fois nous étions solvables, que nous savions à coup sûr d’où viendrait la nourriture du lendemain (ce foutu argent, ce trop d’argent: la nuit nous restions éveillés pour chercher comment le dépenser ; au printemps nous nous serions promenés avec des prospectus de paquebots dans nos poches), j’étais devenu aussi complètement l’esclave, le serf de la respectabilité qu’un – »
Philip Roth a cessé d’écrire en 2012. Il est mort le 22 mai 2018, à quatre-vingt cinq ans. Il est enterré dans le cimetière de Bard College (New York) comme Hannah Arendt. J’achetais tous ses livres. Ce n’est plus possible et cela me manque.
Mais Gallimard vient de publier en Folio un volume regroupant ses essais. Du côté de Portnoy et autres essais (1975, publié en français en 1978) était introuvable. J’ai lu Parlons travail (2001, publié chez Gallimard en 2004). Explications (150 pages) est inédit en français.
Josyane Savigneau me conseille sur Twitter: «Si vous lisez l’anglais achetez le volume 10 de la Library of America.» Mon niveau d’anglais reste encore bien trop insuffisant malheureusement. Je me contenterai donc d’acheter et de lire le Folio que j’ai vu hier à L’Arbre à Lettres, 62 Rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris avant d’aller chercher S. et N. à l’école.
Présentation du livre sur le site Gallimard:
Pourquoi écrire? [Why write?] Traduction de l’anglais (États-Unis) par Lazare Bitoun, Michel et Philippe Jaworski et Josée Kamoun. Collection Folio (n° 6646), Gallimard. Parution : 16-05-2019. 638 pages. 10,80 euros.
Ce volume contient Du côté de Portnoy et autres essais – Parlons travail – Explications.
«Me voilà, sans mes tours de passe-passe, à nu et sans aucun de ces masques qui m’ont donné toute la liberté d’imaginer dont j’avais besoin pour écrire des romans.»
Cette compilation d’essais et d’entretiens a été conçue par Philip Roth comme le chapitre final de son œuvre, celui où le romancier, qui avait publiquement annoncé la fin de sa carrière littéraire, contemple le fruit d’une vie d’écriture et se prépare au jugement dernier. Il y dévoile les coulisses de son travail, revient sur ses controverses et livre de nombreuses anecdotes où le goût de la fiction le dispute à la stricte biographie. Au fil des trois sections du recueil (dont la dernière, Explications, est inédite en France), chaque page démontre l’acuité et la force de persuasion de celui qui fut un des auteurs essentiels du XXe siècle. Et ne vous laissez pas berner par la promesse initiale : la sincérité avouée de Roth n’est pas la moindre de ses ruses…
La parabole du hérisson a été reprise entre autres par Sigmund Freud et Luis Cernuda:
Arthur Schopenhauer,Parerga et Paralipomena (Suppléments et omissions), 1851.
«Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance: Keep your distance! Par ce moyen le besoin de se réchauffer n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais, en revanche, on ne ressent pas la blessure des piquants. Cependant celui qui possède assez de chaleur intérieure propre préfère rester en dehors de la société pour ne pas éprouver de désagréments, ni en causer. »
Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du moi, 1921, dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1963.
« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres, afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque. Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau, en raison d’un froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux ».
Luis Cernuda, Introduction à Donde habite el olvido (1932-1933) Publié en 1934.
« Como los erizos, ya sabéis, los hombres un día sintieron su frío. Y quisieron compartirlo. Entonces inventaron el amor. El resultado fue, ya sabéis, como en los erizos. ¿Qué queda de las alegrías y penas del amor cuando éste desaparece? Nada, o peor que nada; queda el recuerdo de un olvido. Y menos mal cuando no lo punza la sombra de aquellas espinas; de aquellas espinas, ya sabéis. Las siguientes páginas son el recuerdo de un olvido.”
Édition de Jean-Marie Guillon et Cécile Vast Première édition Collection Folio histoire (n° 285), Gallimard. Parution : 16-05-2019
L’historien Pierre Laborie est né le 4 janvier 1936 à Bagnac-sur-Célé. Il est décédé à Cahors le 16 mai 2017. Ce fils d’un paysan et d’une postière fait ses études au lycée d’Aurillac avant de devenir professeur de lycée, puis d’école normale à Cahors. Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Toulouse II-Le Mirail et directeur d’études à l’EHESS, c’est un historien spécialiste de l’opinion publique sous le régime de Vichy.
1978-1998 Carrière universitaire à Toulouse.
1980 Résistants, Vichyssois et Autres (CNRS éd.).
1990 L’Opinion française sous Vichy (Seuil).
1998 Directeur d’études à l’EHESS.
2001 Les Français des années troubles (Desclée de Brouwer ; Seuil, 2003).
2011 Le Chagrin et le venin (Bayard).
Epigraphe de Penser l’événement:
“Les mots aident à résister, à refuser, à faire reculer les ensevelissements de la mort.
Pour Jacqueline. En mémoire. Pour mémoire. Janvier 2017.”
(Merci à N.R.)
Présentation du livre sur le site Gallimard:
“L’événement que l’historien Pierre Laborie nous aide à penser est celui, majeur, de Vichy, de l’Occupation et de la Résistance, tel que les Français l’ont vécu au jour le jour, sans savoir ce que seraient les lendemains. Pour ce faire, il convient de se débarrasser au préalable d’innombrables idées fausses induites par les usages politiques et mémoriels de cette période et qui, à force d’être répétées, ont pris valeur d’évidences. Les mots de Pierre Laborie, forgés pour étudier l’opinion publique et les comportements des années 1930 et 1940, appartiennent désormais au langage commun des historiens : ambivalence, mental-émotionnel collectif, penser-double, non-consentement. Ils aident à retrouver les clés, les gestes, les paroles, les masques, les silences, les non-dits, l’implicite des expériences du temps perdu et dispersé des années «troubles». «Il y a des mots qui font vivre», écrivait Paul Éluard. Tel est bien le cas de ceux de Pierre Laborie, convaincu que «l’Histoire s’efforce, au-delà de la fragilité des émotions, de tisser quelques-uns des fils qui transmettent l’expérience pour que l’héritage serve à un dialogue de raison, qui font des fidélités maintenues une volonté de dépassement du néant».
Fernando Aramburu (Saint-Sébastien, 1959), le romancier à succès de Patria (Tusquets 2016, publié en français sous le même titre chez Actes Sud en 2018, traduit par Claude Bleton) après un livre très personnel Autorretrato sin mí (Tusquets, 2018), présente dans Vetas profundas (Tusquets, 2019) 40 poèmes de grands écrivains en langue espagnole. Il s’approche d’eux sans aucune ambition universitaire et nous montre ce qu’ils représentent pour lui. Aramburu s’exprime essentiellement en prose, mais quand il était jeune il a participé dans sa ville natale basque à la fondation du groupe CLOC de Arte y Desarte, qui a édité entre 1978 et 1981 une revue. En début de semaine, j’ai trouvé un exemplaire de son livre chez Gibert. Los justos de Jorge Luis Borges est le premier poème qu’il analyse.
Los justos
Un hombre que cultiva un jardín, como quería Voltaire. El que agradece que en la tierra haya música. El que descubre con placer una etimología. Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez. El ceramista que premedita un color y una forma. Un tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada. Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto. El que acaricia a un animal dormido. El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho. El que agradece que en la tierra haya Stevenson. El que prefiere que los otros tengan razón. Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.
La cifra, 1981.
Les justes
Un homme qui cultive son jardin, comme le voulait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant que sur la terre il y ait de la musique.
Celui qui découvre avec plaisir une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent un silencieux jeu d’échecs.
Le céramiste qui prémédite une couleur et une forme.
Un typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les tercets finaux d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou veut justifier un mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant que sur terre il y ait un Stevenson.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Ces personnes, qui s’ignorent, sont en train de sauver le monde.
J’ai lu pour la troisième fois le petit texte de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. 1952. Traduit en français par Philippe Bouquet. Actes Sud, 1981.
J’ai toujours beaucoup aimé cet écrivain suédois libertaire depuis la lecture il y a longtemps de L’enfant brûlé (Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981). Merci à C.W. de m’avoir rappelé ce texte.
Trois citations:
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier. »
« Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses !. »
« Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? Je suis obligé de répondre : nulle part. Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que mon silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant. Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige: une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie c’est-à-dire une raison de vivre »
Stig Dagerman (de son vrai nom Stig Halvard Jansson), est né le 5 octobre 1923 à Älvkarleby, en Suède.
Il est abandonné à l’âge de six semaines par sa jeune mère, Helga Andersson, télégraphiste. Il ne la verra qu’une fois à l’âge de 19 ans. Il est élevé par ses grands-parents, des paysans pauvres et austères de la province suédoise de l’Uppland, car son père, Helmer Jansson, est poseur de rails et mineur de tunnels. Stig Dagerman arrive à Stockholm en 1932 pour vivre avec son père, remarié, et finir ses études. A quinze ans en 1938, il vend des journaux sur les bateaux de la Compagnie de Waxholm qui desservent l’archipel de Stockholm. En 1940, ses grands-parents sont assassinés par un dément. Sur les traces de son père, militant anarcho-syndicaliste, il s’inscrit en 1941 au Cercle de la jeunesse syndicaliste de Stockholm.
Il commence sa carrière littéraire d’abord comme journaliste pour des journaux syndicaux. Il sera rédacteur de la section culturelle du journal Abertaren, l’ organe officiel du mouvement syndicaliste suédois. Il prend alors le nom de Dagerman (Dager signifiant en suédois lumière du jour, issue, espoir).
En août 1943, il épouse Annemarie Götze, fille de réfugiés allemands anarcho-syndicalistes, originaires de Leipzig, pour qu’elle puisse rester en Suède. Ils auront deux fils.
En 1945, est publié son premier roman, Le Serpent (Ormen), où apparaît déjà le thème du suicide. Il participe à la petite revue littéraire 40-tal et fréquente les jeunes écrivains suédois (Lars Ahlin, Erik Linegren, Karl Vennberg). En septembre 1946, paraît L’île des condamnés.
D’octobre à décembre 1946, il est envoyé par le journal Expressen en Allemagne pour constater les dégâts des bombardements et témoigner de la misère et de la pauvreté qui y règnent. Le recueil de chroniques Automneallemand (Tysk Höst), dédié à Annemarie, est publié en mai 1947. Sa pièce, Le condamné à mort, est joué à partir du 19 avril 1947 au Théâtre Dramatique de Stockholm. Lors d’un séjour en Bretagne (juillet 1947-février 1948), il écrit L’enfant brûlé, son chef d’oeuvre. Les livres et les succès littéraires se succèdent. Mais à partir de 1949, il se trouve dans l’incapacité d’écrire. En 1950, il fait une tentative de suicide et entre en clinique psychiatrique pour soigner une dépression nerveuse.
Il divorce d’Annemarie Götze en 1950 et vit avec la célèbre actrice Anita Björk (1923-2012), la Mademoiselle Julie du film d’Alf Sjöberg, qu’il épousera en juin 1953. Leur fille Lo est née en 1951. Il ne pense ne plus être à la hauteur des espoirs que le public a mis en lui.
Toujours dépressif, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1954, il s’enferme dans son garage, fait tourner le moteur et se laisse asphyxier. Il meurt à trente et un ans dans la banlieue de Stockholm.
Principales oeuvres:
Le Serpent (Ormen, 1945). Denoël, 1966, collection « Les Lettres Nouvelles ». Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Hervé Coville. Réédité chez Gallimard en 1993 puis 2001.
L’Île des condamnés (De dömdas ö, 1946). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles », 1972. Roman traduit par Jeanne Gauffin. Réédité chez Agone en 2009.
Automne allemand ( Tysk höst, 1947). Actes Sud, 1980. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. Livre réédité chez Actes Sud en 1999 puis 2004.
L’Ombre de Mart (Skuggan av Mart, 1948). Presses universitaires de Caen, 1993. Pièce de théâtre traduite par Gunilla Kock de Ribaucourt.
Printemps français (Fransk Vär, 1948). Ludd, 1995. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. + Poèmes satiriques.
L’Enfant brûlé (Bränt Barn, 1948). Gallimard, 1956. Roman traduit par Élisabeth Backlund. Réédité chez Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981.
Ennuis de noces (Bröllopsbesvär, 1949). Maurice Nadeau / Papyrus. Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, 1982. Christian Bourgois, 1990. Réédité chez 10/18, 1993.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vårt behov av tröst, 1952). Actes Sud, 1993. Essai traduit par Philippe Bouquet.
Dieu rend visite à Newton (Nattens Lekar, 1947 et Vart behov av tröst, 1955). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles »,1976. Recueil de 9 nouvelles traduites par Élisabeth Backlund et Carl Gustaf Bjurström, Réédition: Dieu rend visite à Newton, Éditions du Chemin de fer, 2009. Nouvelle. Illustrations de Mélanie Delattre-Vogt.
Les Wagons rouges (De röda vagnarna). Maurice Nadeau, 1987. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Le Froid de la Saint-Jean. Maurice Nadeau, 1988. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Notre plage nocturne (Vår nattliga badort). Maurice Nadeau, 1988. Recueil de 10 nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Quelle ville ressemble au vin ?
Paris.
Tu bois le premier verre.
Il est âpre.
Au second,
il te monte à la tête,
Au troisième,
Impossible de quitter la table:
Garçon, encore une bouteille !
Ensuite, où que tu sois
où que tu ailles
tu es accro de Paris, mon vieux.
Quelle ville
demeure belle même s’il pleut quarante jours durant ?
Paris…
Fils de Hikmet, dans quelle ville
voudrais-tu mourir ?
A Istanbul,
A Moscou,
et aussi à Paris…
A quel moment Paris devient-il laid?
Quand on met à sac les imprimeries,
et qu’on brûle les livres.
Qu’est-ce qui n’est pas seyant pour Paris ?
Les cars noirs aux vitres grillagées.
Dans quelle ville as-tu mangé
le pain le plus pur ?
A Paris.
Les croissants au beurre surtout.
A croire qu’ils sortent
du boulanger à Chehzadébachi.
Ce que tu as le plus aimé à Paris ?
C’est Paris.
A qui as-tu porté des fleurs, camarade ?
Au Mur des Fédérés,
Et aussi à une belle, fine comme la branche.
Parmi les tiens, qui as-tu rencontré à Paris ?
Namik Kemal, Ziya Pacha, Moustafa Suphi,
et puis la jeunesse de ma mère :
elle fait de la peinture,
elle parle français,
elle est la plus belle du monde.
Et puis j’ai rencontré aussi
la jeunesse de Mimi.
Bon; à qui Paris ressemble-t-il ? Au Parisien… Est-ce que tu crois en Paris, fils-de-l’homme ? Je crois en Paris.
Paris, 15 mai 1958
Il neige dans la nuit et autres poèmes, Gallimard, 1999. Choix et traduction Munevver et Guzine Dino.