Édition de Jean-Marie Guillon et Cécile Vast Première édition Collection Folio histoire (n° 285), Gallimard. Parution : 16-05-2019
L’historien Pierre Laborie est né le 4 janvier 1936 à Bagnac-sur-Célé. Il est décédé à Cahors le 16 mai 2017. Ce fils d’un paysan et d’une postière fait ses études au lycée d’Aurillac avant de devenir professeur de lycée, puis d’école normale à Cahors. Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Toulouse II-Le Mirail et directeur d’études à l’EHESS, c’est un historien spécialiste de l’opinion publique sous le régime de Vichy.
1978-1998 Carrière universitaire à Toulouse.
1980 Résistants, Vichyssois et Autres (CNRS éd.).
1990 L’Opinion française sous Vichy (Seuil).
1998 Directeur d’études à l’EHESS.
2001 Les Français des années troubles (Desclée de Brouwer ; Seuil, 2003).
2011 Le Chagrin et le venin (Bayard).
Epigraphe de Penser l’événement:
“Les mots aident à résister, à refuser, à faire reculer les ensevelissements de la mort.
Pour Jacqueline. En mémoire. Pour mémoire. Janvier 2017.”
(Merci à N.R.)
Présentation du livre sur le site Gallimard:
“L’événement que l’historien Pierre Laborie nous aide à penser est celui, majeur, de Vichy, de l’Occupation et de la Résistance, tel que les Français l’ont vécu au jour le jour, sans savoir ce que seraient les lendemains. Pour ce faire, il convient de se débarrasser au préalable d’innombrables idées fausses induites par les usages politiques et mémoriels de cette période et qui, à force d’être répétées, ont pris valeur d’évidences. Les mots de Pierre Laborie, forgés pour étudier l’opinion publique et les comportements des années 1930 et 1940, appartiennent désormais au langage commun des historiens : ambivalence, mental-émotionnel collectif, penser-double, non-consentement. Ils aident à retrouver les clés, les gestes, les paroles, les masques, les silences, les non-dits, l’implicite des expériences du temps perdu et dispersé des années «troubles». «Il y a des mots qui font vivre», écrivait Paul Éluard. Tel est bien le cas de ceux de Pierre Laborie, convaincu que «l’Histoire s’efforce, au-delà de la fragilité des émotions, de tisser quelques-uns des fils qui transmettent l’expérience pour que l’héritage serve à un dialogue de raison, qui font des fidélités maintenues une volonté de dépassement du néant».
Fernando Aramburu (Saint-Sébastien, 1959), le romancier à succès de Patria (Tusquets 2016, publié en français sous le même titre chez Actes Sud en 2018, traduit par Claude Bleton) après un livre très personnel Autorretrato sin mí (Tusquets, 2018), présente dans Vetas profundas (Tusquets, 2019) 40 poèmes de grands écrivains en langue espagnole. Il s’approche d’eux sans aucune ambition universitaire et nous montre ce qu’ils représentent pour lui. Aramburu s’exprime essentiellement en prose, mais quand il était jeune il a participé dans sa ville natale basque à la fondation du groupe CLOC de Arte y Desarte, qui a édité entre 1978 et 1981 une revue. En début de semaine, j’ai trouvé un exemplaire de son livre chez Gibert. Los justos de Jorge Luis Borges est le premier poème qu’il analyse.
Los justos
Un hombre que cultiva un jardín, como quería Voltaire. El que agradece que en la tierra haya música. El que descubre con placer una etimología. Dos empleados que en un café del Sur juegan un silencioso ajedrez. El ceramista que premedita un color y una forma. Un tipógrafo que compone bien esta página, que tal vez no le agrada. Una mujer y un hombre que leen los tercetos finales de cierto canto. El que acaricia a un animal dormido. El que justifica o quiere justificar un mal que le han hecho. El que agradece que en la tierra haya Stevenson. El que prefiere que los otros tengan razón. Esas personas, que se ignoran, están salvando el mundo.
La cifra, 1981.
Les justes
Un homme qui cultive son jardin, comme le voulait Voltaire.
Celui qui est reconnaissant que sur la terre il y ait de la musique.
Celui qui découvre avec plaisir une étymologie.
Deux employés qui dans un café du Sud jouent un silencieux jeu d’échecs.
Le céramiste qui prémédite une couleur et une forme.
Un typographe qui compose bien cette page, qui peut-être ne lui plaît pas.
Une femme et un homme qui lisent les tercets finaux d’un certain chant.
Celui qui caresse un animal endormi.
Celui qui justifie ou veut justifier un mal qu’on lui a fait.
Celui qui est reconnaissant que sur terre il y ait un Stevenson.
Celui qui préfère que les autres aient raison.
Ces personnes, qui s’ignorent, sont en train de sauver le monde.
J’ai lu pour la troisième fois le petit texte de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. 1952. Traduit en français par Philippe Bouquet. Actes Sud, 1981.
J’ai toujours beaucoup aimé cet écrivain suédois libertaire depuis la lecture il y a longtemps de L’enfant brûlé (Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981). Merci à C.W. de m’avoir rappelé ce texte.
Trois citations:
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier. »
« Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses !. »
« Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? Je suis obligé de répondre : nulle part. Si je veux vivre libre, il faut pour l’instant que je le fasse à l’intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que mon silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant. Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige: une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie c’est-à-dire une raison de vivre »
Stig Dagerman (de son vrai nom Stig Halvard Jansson), est né le 5 octobre 1923 à Älvkarleby, en Suède.
Il est abandonné à l’âge de six semaines par sa jeune mère, Helga Andersson, télégraphiste. Il ne la verra qu’une fois à l’âge de 19 ans. Il est élevé par ses grands-parents, des paysans pauvres et austères de la province suédoise de l’Uppland, car son père, Helmer Jansson, est poseur de rails et mineur de tunnels. Stig Dagerman arrive à Stockholm en 1932 pour vivre avec son père, remarié, et finir ses études. A quinze ans en 1938, il vend des journaux sur les bateaux de la Compagnie de Waxholm qui desservent l’archipel de Stockholm. En 1940, ses grands-parents sont assassinés par un dément. Sur les traces de son père, militant anarcho-syndicaliste, il s’inscrit en 1941 au Cercle de la jeunesse syndicaliste de Stockholm.
Il commence sa carrière littéraire d’abord comme journaliste pour des journaux syndicaux. Il sera rédacteur de la section culturelle du journal Abertaren, l’ organe officiel du mouvement syndicaliste suédois. Il prend alors le nom de Dagerman (Dager signifiant en suédois lumière du jour, issue, espoir).
En août 1943, il épouse Annemarie Götze, fille de réfugiés allemands anarcho-syndicalistes, originaires de Leipzig, pour qu’elle puisse rester en Suède. Ils auront deux fils.
En 1945, est publié son premier roman, Le Serpent (Ormen), où apparaît déjà le thème du suicide. Il participe à la petite revue littéraire 40-tal et fréquente les jeunes écrivains suédois (Lars Ahlin, Erik Linegren, Karl Vennberg). En septembre 1946, paraît L’île des condamnés.
D’octobre à décembre 1946, il est envoyé par le journal Expressen en Allemagne pour constater les dégâts des bombardements et témoigner de la misère et de la pauvreté qui y règnent. Le recueil de chroniques Automneallemand (Tysk Höst), dédié à Annemarie, est publié en mai 1947. Sa pièce, Le condamné à mort, est joué à partir du 19 avril 1947 au Théâtre Dramatique de Stockholm. Lors d’un séjour en Bretagne (juillet 1947-février 1948), il écrit L’enfant brûlé, son chef d’oeuvre. Les livres et les succès littéraires se succèdent. Mais à partir de 1949, il se trouve dans l’incapacité d’écrire. En 1950, il fait une tentative de suicide et entre en clinique psychiatrique pour soigner une dépression nerveuse.
Il divorce d’Annemarie Götze en 1950 et vit avec la célèbre actrice Anita Björk (1923-2012), la Mademoiselle Julie du film d’Alf Sjöberg, qu’il épousera en juin 1953. Leur fille Lo est née en 1951. Il ne pense ne plus être à la hauteur des espoirs que le public a mis en lui.
Toujours dépressif, dans la nuit du 3 au 4 novembre 1954, il s’enferme dans son garage, fait tourner le moteur et se laisse asphyxier. Il meurt à trente et un ans dans la banlieue de Stockholm.
Principales oeuvres:
Le Serpent (Ormen, 1945). Denoël, 1966, collection « Les Lettres Nouvelles ». Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Hervé Coville. Réédité chez Gallimard en 1993 puis 2001.
L’Île des condamnés (De dömdas ö, 1946). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles », 1972. Roman traduit par Jeanne Gauffin. Réédité chez Agone en 2009.
Automne allemand ( Tysk höst, 1947). Actes Sud, 1980. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. Livre réédité chez Actes Sud en 1999 puis 2004.
L’Ombre de Mart (Skuggan av Mart, 1948). Presses universitaires de Caen, 1993. Pièce de théâtre traduite par Gunilla Kock de Ribaucourt.
Printemps français (Fransk Vär, 1948). Ludd, 1995. Chroniques traduites par Philippe Bouquet. + Poèmes satiriques.
L’Enfant brûlé (Bränt Barn, 1948). Gallimard, 1956. Roman traduit par Élisabeth Backlund. Réédité chez Gallimard, collection « L’Imaginaire », 1981.
Ennuis de noces (Bröllopsbesvär, 1949). Maurice Nadeau / Papyrus. Roman traduit par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, 1982. Christian Bourgois, 1990. Réédité chez 10/18, 1993.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Vårt behov av tröst, 1952). Actes Sud, 1993. Essai traduit par Philippe Bouquet.
Dieu rend visite à Newton (Nattens Lekar, 1947 et Vart behov av tröst, 1955). Denoël, collection « Les Lettres Nouvelles »,1976. Recueil de 9 nouvelles traduites par Élisabeth Backlund et Carl Gustaf Bjurström, Réédition: Dieu rend visite à Newton, Éditions du Chemin de fer, 2009. Nouvelle. Illustrations de Mélanie Delattre-Vogt.
Les Wagons rouges (De röda vagnarna). Maurice Nadeau, 1987. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Le Froid de la Saint-Jean. Maurice Nadeau, 1988. Nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Notre plage nocturne (Vår nattliga badort). Maurice Nadeau, 1988. Recueil de 10 nouvelles traduites par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
Quelle ville ressemble au vin ?
Paris.
Tu bois le premier verre.
Il est âpre.
Au second,
il te monte à la tête,
Au troisième,
Impossible de quitter la table:
Garçon, encore une bouteille !
Ensuite, où que tu sois
où que tu ailles
tu es accro de Paris, mon vieux.
Quelle ville
demeure belle même s’il pleut quarante jours durant ?
Paris…
Fils de Hikmet, dans quelle ville
voudrais-tu mourir ?
A Istanbul,
A Moscou,
et aussi à Paris…
A quel moment Paris devient-il laid?
Quand on met à sac les imprimeries,
et qu’on brûle les livres.
Qu’est-ce qui n’est pas seyant pour Paris ?
Les cars noirs aux vitres grillagées.
Dans quelle ville as-tu mangé
le pain le plus pur ?
A Paris.
Les croissants au beurre surtout.
A croire qu’ils sortent
du boulanger à Chehzadébachi.
Ce que tu as le plus aimé à Paris ?
C’est Paris.
A qui as-tu porté des fleurs, camarade ?
Au Mur des Fédérés,
Et aussi à une belle, fine comme la branche.
Parmi les tiens, qui as-tu rencontré à Paris ?
Namik Kemal, Ziya Pacha, Moustafa Suphi,
et puis la jeunesse de ma mère :
elle fait de la peinture,
elle parle français,
elle est la plus belle du monde.
Et puis j’ai rencontré aussi
la jeunesse de Mimi.
Bon; à qui Paris ressemble-t-il ? Au Parisien… Est-ce que tu crois en Paris, fils-de-l’homme ? Je crois en Paris.
Paris, 15 mai 1958
Il neige dans la nuit et autres poèmes, Gallimard, 1999. Choix et traduction Munevver et Guzine Dino.
L’automne déjà!—Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons.
L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l’ivresse, les mille amours qui m’ont crucifié! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment… J’aurais pu y mourir… L’affreuse évocation ! J’exècre la misère.
Et je redoute l’hiver parce que c’est la saison du comfort!
— Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée!
Moi! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre! Paysan!
Suis-je trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi?
Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons.
Mais pas une main amie ! et où puiser le secours?
————
Oui, l’heure nouvelle est au moins très sévère.
Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent,—des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes.—Damnés, si je me vengeais !
Il faut être absolument moderne.
Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.
Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.
Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, —j’ai vu l’enfer des femmes là-bas;—et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Le 28 ème Prix Reina Sofía de Poésie Ibéro-américaine, la plus haute récompense du genre dans le monde hispanique, a été décernée hier au poète catalan Joan Margarit, né en 1938 à Sanahuja dans la Province de Lérida. C’est le second auteur en catalan qui obtient ce prix. Le premier fut, en 2000, Pere Gimferrer.
Son père était architecte et sa mère institutrice. Pendant son enfance, sa famille change constamment de domicile. Elle s’installe à Santa Cruz de Tenerife (Canaries) en 1954. Joan Margarit étudie l’architecture à Barcelone où il s’installe définitivement en 1963. Il exerce son métier dans cette ville et est aussi professeur de calcul de structures à l’Ecole Supérieure d’Architecture de l’Université de Barcelone. Il a d’abord publié en castillan. Mais, encouragé par son ami le poète Miquel Martí i Pol (1929-2003), il écrit dans sa langue maternelle à partir de 1978. Il se considère comme un écrivain bilingue. C’est un des poètes catalans les plus lus en Catalogne et dans le reste de la Péninsule. Sa poésie est autobiographique et réaliste.
Cuesta de Atocha
Ens creuem. Ells dos pujen:
la cadira de rodes on s’asseu
encongit, gemegant, un home jove
i el pare, que l’empeny.
Per fer més força, tira els peus enrere i
estira tant com pot cames i braços.
Així, encorbat i tens,
gairebé no pot vèncer la pujada.
Sé el que sent: que es fa vell.
Un maleït instant, en compadir aquest
pare, m’equivoco: encara té el seu fill.
Ara que ja han passat,
contemplo amb un somriure com s’allunyen.
Una dona a un portal em mira amb mala cara.
No sap en quina escena d’amor s’està ficant.
Un hivern fascinant (Proa, 2017)
Cuesta de Atocha
Ellos dos van subiendo y nos cruzamos, en la silla de ruedas, sentado y encogido, solloza un hombre joven. El padre, que la empuja, echa hacia atrás los pies y, para hacer más fuerza, estira cuanto puede las piernas y los brazos. Así, encorvado y tenso, puede vencer apenas la subida. Sé lo que siente: que se ha hecho viejo. Por un maldito instante compadezco a ese padre: un error, puesto que él todavía tiene a su hijo. Esbozo una sonrisa mientras van alejándose. Desde un portal, una mujer me mira con reproche. No comprende en qué escena de amor se está metiendo.
Un asombroso invierno (Visor, 2018).
Primer amor (Joan Margarit)
a José Agustín Goytisolo
En la Girona trista dels set anys,
on els aparadors de la postguerra
tenien un color gris de penúria,
la ganiveteria era un esclat
de llum en els petits miralls d’acer.
Amb el front descansant damunt del vidre,
mirava una navalla, llarga i fina,
bella com una estàtua de marbre.
Com que els de casa no volien armes,
vaig comprar-la en secret i, en caminar,
la sentia, pesant, dins la butxaca.
A vegades l’obria a poc a poc
i sorgia la fulla recta i prima
amb la conventual fredor de l’arma.
Presència callada del perill:
vaig amagar-la, els trenta primers anys,
rere llibres de versos i després
dins un calaix, entre les teves calces
i entre les teves mitges.
Ara, a punt de complir els cinquanta quatre,
torno a mirar-la oberta al meu palmell,
tan perillosa com a la infantesa.
Sensual, freda. Més a prop del coll.
Els motius del llop, 1993.
Primer amor a José Agustín Goytisolo
Triste Girona de mis siete años: en la posguerra los escaparates tenían un color gris de penuria. Y, sin embargo, en la cuchillería, en cada hoja de acero destellaba la luz como si se tratase de pequeños espejos. Descansando la frente en el cristal, miraba una navaja larga y fina, bella como una estatua de mármol. Puesto que en casa no querían armas, fui a comprarla en secreto y, al andar, la sentía, pesada, en mi bolsillo. Cuando, a veces, la abría, muy despacio, surgía, recta y afilada, la hoja con esa conventual frialdad del arma. Silenciosa presencia del peligro: la oculté, los primeros treinta años, tras los libros de versos y, después, en un cajón, metida entre tus bragas y entre tus medias. Hoy, cerca ya de los cincuenta y cuatro, vuelvo a mirarla, abierta en la palma de mi mano, igual de peligrosa que en la infancia. Fría, sensual. Más cerca de mi cuello.
La llibertat
La llibertat és la raó de viure, dèiem, somniadors, d’estudiants. És la raó dels vells, matisem ara, la seva única esperança escèptica. La llibertat és un estrany viatge. Són les places de toros amb cadires damunt la sorra en temps d’eleccions. És el perill, de matinada, al metro, són els diaris al final del dia. La llibertat és fer l’amor als parcs. La llibertat és quan comença l’alba en un dia de vaga general. És morir lliure. Són les guerres mèdiques. Les paraules República i Civil. Un rei sortint en tren cap a l’exili. La llibertat és una llibreria. Anar indocumentat. Són les cançons de la guerra civil. Una forma d’amor, la llibertat.
Els primers freds. Poesía 1975-1995. Proa.
La libertad
Es la razón de nuestra vida,
dijimos, estudiantes soñadores.
La razón de los viejos, matizamos ahora,
su única y escéptica esperanza.
La libertad es un extraño viaje.
Son las plazas de toros con las sillas
sobre la arena en las primeras elecciones.
Es el peligro que, de madrugada,
nos acecha en el metro,
son los periódicos al fin de la jornada.
La libertad es hacer el amor en los parques.
Es el alba de un día de huelga general.
Es morir libre. Son las guerras médicas.
Las palabras República y Civil.
Un rey saliendo en tren hacia el exilio.
La libertad es una librería.
Ir indocumentado.
Las canciones prohibidas.
Una forma de amor, la libertad.
Principaux titres
Cantos para la coral de un hombre solo. Barcelona: Editorial Vicens Vives. 1963. (Con prólogo de Camilo José Cela e ilustraciones de Josep María Subirachs).
Gustave Flaubert publie le 31 mars 1874 La Tentation de saint Antoine chez Georges Charpentier, un nouvel éditeur. Le premier tirage est de deux mille exemplaires. Ils sont vendus en moins de trois semaines. D’autres éditions suivent. Pourtant, la critique est dans l’ensemble très négative. Pendant vingt-sept ans, il avait pensé écrire ce livre. C’est une sorte de poème fantastique construit sur le personnage du célèbre ermite hanté par des visions et tenté par le diable. Il avait vu le tableau attribué à Pieter Brueghel le Jeune en 1845 au Palais Balbi de Gênes. Il accompagnait alors sa sœur Caroline et son mari Emile Hamard lors de leur voyage de noces en Italie.
Cet échec le déprime. Il se sent vidé. Son médecin, le Docteur Hardy, lui conseille de passer une vingtaine de jours dans les Alpes suisses pour se «dénévropathiser». Au début de juillet 1874, il commence son séjour à Kaltbad Rigi où il occupe une petite chambre d’hôtel face au Lac des Quatre-Cantons et aux sommets du Rigi. Il marche, se repose, mais la solitude lui pèse. La présence de touristes allemands ou anglais l’énerve. Il s’ennuie. Il écrit à George Sand le 3 juillet: « Je ne suis pas l’homme de la Nature. Et je ne comprends rien aux pays qui n’ont pas d’histoire. Je donnerais tous les glaciers de la Suisse pour le musée du Vatican. C’est là qu’on rêve.» Le 18 juillet, son ami Edmond Laporte vient le rejoindre et il rentre à Rouen en passant par Dieppe.
À IVAN TOURGUENEFF. Jeudi, 2 juillet 1874. Kaltbad, Rigi, Suisse.
Moi aussi j’ai chaud, et je possède cette supériorité ou infériorité sur vous que je m’embête d’une façon gigantesque. Je suis venu ici pour faire acte d’obéissance, parce qu’on m’a dit que l’air pur des montagnes me dérougirait et me calmerait les nerfs. Ainsi soit-il. Mais jusqu’à présent je ne ressens qu’un immense ennui, dû à la solitude et à l’oisiveté ; et puis, je ne suis pas l’homme de la Nature: «ses merveilles» m’émeuvent moins que celles de l’Art. Elle m’écrase sans me fournir aucune «grande pensée». J’ai envie de lui dire intérieurement: «C’est beau; tout à l’heure je suis sorti de toi; dans quelques minutes j’y rentrerai; laisse-moi tranquille, je demande d’autres distractions.»
Les Alpes, du reste, sont en disproportion avec notre individu. C’est trop grand pour nous être utile. Voilà la troisième fois qu’elles me causent un désagréable effet. J’espère que c’est la dernière. Et puis mes compagnons, mon cher vieux, ces messieurs les étrangers qui habitent l’Hôtel! tous Allemands ou Anglais, munis de bâtons et de lorgnettes. Hier, j’ai été tenté d’embrasser trois veaux que j’ai rencontrés dans un herbage, par humanité et besoin d’expansion.
Mon voyage a mal commencé, car je me suis fait, à Lucerne, extraire une dent par un artiste du lieu. Huit jours avant de partir pour la Suisse j’ai fait une tournée dans l’Orne et le Calvados et j’ai enfin trouvé l’endroit où je gîterai mes deux bonshommes. Il me tarde de me mettre à ce bouquin-là, qui me fait d’avance une peur atroce. (…)
Pour m’occuper, je vais tâcher de creuser deux sujets encore fort obscurs. Mais je me connais, je ne ferai ici absolument rien. Il faudrait avoir vingt-cinq ans et se promener ici avec la bien-aimée. Les chalets se suivant dans l’eau sont des nids à passion. Comme on la serrerait bien contre son coeur au bord des précipices; quelles expansions, couchés sur l’herbe, au bruit des cascades, avec le bleu dans le coeur et sur la tête! Mais tout cela n’est plus à notre usage, mon vieux, et a toujours été fort peu au mien.
Je répète qu’il fait atrocement chaud, les montagnes couvertes de neige au sommet sont éblouissantes. Phoebus darde toutes ses flèches. Messieurs les voyageurs confinés dans leurs chambres dînent et boivent. Ce qu’on boit et ce qu’on mange en Helvétie est effrayant. Partout des buvettes, des «restaurations». Les domestiques de Kaltbad ont des tenues irréprochables: habit noir dès 9 heures du matin; et comme ils sont fort nombreux, il vous semble qu’on est servi par un peuple de notaires, ou par une foule d’invités à un enterrement; on pense au sien, c’est gai.
Écrivez-moi souvent et longuement; vos lettres seront pour moi «la goutte d’eau dans le désert».
Depuis Dieppe le 29 juillet 1874, il écrit encore à Ivan Tourgueniev «Mon séjour (ou plutôt mon oisiveté crasse) au Righi m’a abruti. On ne devrait jamais se reposer, car du moment qu’on ne fait plus rien, on songe à soi, et dès lors on est malade, ou l’on se trouve malade, ce qui est synonyme.»
Il se lance ensuite dans l’écriture de Bouvard et Pécuchet. le projet de ce roman remonte à 1872.
J’ai lu le livre La tondue, 1944-1947 (Vendémiaire, 2011). Les auteurs, Philippe Frétigné (facteur de clavecins à Chartres) et Gérard Leray (professeur d’histoire-géographie), ont longtemps travaillé sur l’histoire de la Libération de Chartres. Le point de départ du livre c’est une des photographies les plus connues de la Libération. La Tondue de Chartres a été prise le 16 août 1944, rue du Cheval-Blanc à Chartres, par Robert Capa (pseudonyme d’Endre Ernő Friedmann 1913-1954). Ce photographe a couvert cinq conflits en dix-huit ans. Il est mort le 25 mai 1954 pendant la guerre d’Indochine en sautant sur une mine. Simone Touzeau, vingt-trois ans, a été tondue et marquée au front par un fer rouge. Elle s’avance dans les rues de Chartres, tenant dans ses bras un bébé. La foule qui l’accompagne est à la fois curieuse et hostile. Cette femme est exhibée avec sa famille dans les rues parce qu’elle a eu cet enfant d’un soldat allemand. Mais, quelques jours plus tard, elle est aussi soupçonnée d’être à l’origine d’une rafle. Dans la nuit du 24 au 25 février 1943, cinq chefs de famille de son voisinage avaient été arrêtés par la police de sûreté allemande et accusés d’avoir écouté la BBC. Quatre seront déportés au camp de concentration de Mauthausen. Deux d’entre eux, Fernand Guilbault et Edouard Babouin, n’en reviendront pas. L’accusation n’était pas fondée, mais Simone Touseau avait été embauchée comme secrétaire-interprète par l’armée d’occupation en décembre 1942. C’était une adhérente du PPF de Jacques Doriot depuis 1943. Elle était aussi partie comme volontaire pour travailler en Allemagne de septembre à novembre 1943. Sa mère et elle seront ensuite arrêtées, incarcérées à la prison de Chartres puis transférées au camp de Pithiviers. Elles seront traduites en justice au printemps 1945 pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Elles risquaient la peine de mort. Toute la famille Touseau sera ostracisée ensuite par les Chartrains. En 1946, Simone Touseau apprit la mort de son fiancé allemand, Erich Göz, tué près de Minsk le 8 juillet 1944 à 44 ans. Transférée à Fresnes, elle bénéficiera d’un classement sans suite et sera libérée le 29 novembre 1946. Le 8 mars 1947, elle sera condamnée à dix ans d’indignité nationale. La responsable des dénonciations semble avoir été Ella Amerzin-Meyer ( née le 22 août 1911 ), une autre interprète de nationalité suisse, maîtresse du chef de la sécurité nazie locale. Elle s’enfuiera en Allemagne, sera retrouvée et condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Mais le jugement sera ensuite annulé, car elle avait obtenu entre temps la nationalité allemande. Elle décédera le 20 janvier 2016 à 104 ans. La pression du voisinage étant très forte, la famille Touseau déménagera à Saint-Arnoult-en-Yvelines, mais la rumeur finira par les rattraper. Simone Touzeau se mariera en 1954, aura deux autres enfants, puis mourra, dépressive et alcoolique, à l’Hôtel-Dieu de Chartres le 21 février 1966 à 44 ans. L’enfant de la photo ( née le 23 mai 1944 ) est toujours vivant mais souhaite rester anonyme. Convaincu de l’innocence de sa famille dans la rafle de 1943 et désireux de protéger ses proches, il a brûlé toutes les lettres de ses parents. Entre juin et décembre 1944, environ 20 000 femmes françaises ont subi l’humiliation de la tonte.
Bibliographie Alain Brossat, Les Tondues, un carnaval moche, Paris, éditions Manya, janvier 1993. Réédition en 2008. Les Tondues, éditions Hachette. Fabrice Virgili La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération. Petite Bibliothèque Payot, 2004.
Comprenne qui voudra ( Paul Eluard )
En ce temps là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des filles.
On allait même jusqu’à les tondre.
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.
Texte initialement publié dans Les Lettres françaises du 2 décembre 1944
Au rendez-vous allemand, 1944.
Le 1er septembre 1969, Gabrielle Russier, jeune professeur agrégée de Lettres, mère de deux enfants et épouse divorcée (donc libre), se suicidait. Elle avait, dans l’après-Mai 68, entretenu une liaison avec l’un de ses élèves du Lycée Antoine de Saint-Exupéry de Marseille appelé aussi lycée Nord, Christian Rossi, (elle : 32 ans ; lui : 17 ans). Elle venait d’être condamnée à un an de prison avec sursis, sur plainte des parents de la ” victime ” pour détournement de mineur.
Le 22 septembre 1969 le nouveau Président de la République, Georges Pompidou ( élu le 15 juin précédent ) tenait sa première conférence de presse. À la fin de la conférence, le journaliste de Radio Monte-Carlo, Jean-Michel Royer, lui demanda ce qu’il pensait de ce fait-divers ” qui pose des problèmes de fond “.
Surpris par la question ou ému par le drame, le Chef de l’État répondit, en se ménageant de longs silences : “Je ne vous dirai pas tout ce que j’ai pensé sur cette affaire. Ni même d’ailleurs ce que j’ai fait. Quant à ce que j’ai ressenti, comme beaucoup, eh bien, Comprenne qui voudra ! Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdue, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. C’est de l’Éluard. Mesdames et Messieurs, je vous remercie “.
Paul Éluard, écrivit dans un tout autre contexte, celui de l’épuration ( et de la ” collaboration sentimentale ” de nombreuses Françaises avec des soldats allemands ). Georges Pompidou devait s’attendre à la question et avait préparé quelques vers de ce poème. L’intention était louable et l’émotion non feinte.
On a su, depuis, qu’il avait effectivement ordonné une enquête sur la responsabilité mêlée de l’Éducation nationale et de la Justice, et plus précisément sur le fait que le cas de Gabrielle Russier avait échappé aux mesures d’amnistie qui, traditionnellement, accompagnent toute nouvelle élection.
Ida Vitale a reçu le 23 avril 2019 à l’Université d’Alcalá de Henares le Prix Cervantes. Née le 2 novembre 1923 à Montevideo, elle a donc 95 ans. C’est la cinquième femme à recevoir ce prix après la Mexicaine Elena Ponatiowska (2013), l’Espagnole Ana María Matute (2010), la Cubaine Dulce María Loynaz (1992) et l’Espagnole María Zambrano (1988). Et le deuxième écrivain uruguayen après le grand Juan Carlos Onetti (1909-1994) en 1980.
OBRA
POESÍA • La luz de esta memoria (1949). • Fieles (1976 y 1982). • Jardín de sílice (1980). • Procura de lo imposible, (1988). • Jardines imaginarios (1996) • La luz de esta memoria (1999) • Mella y criba (2010). • Sobrevida (2016). • Mínimas de aguanieve (2016) • Poesía reunida. 2017.
PROSA, CRÍTICA Y ENSAYO • Cervantes en nuestro tiempo (1947). • Manuel Bandeira, Cecilia Meireles y Carlos Drummond de Andrade. Tres edades en la poesía brasileña actual (1963). • Juana de Ibarbourou. Vida y obra Capítulo Oriental (1968). • Léxico de afinidades (2012). • De plantas y animales: acercamientos literarios (2003).
PREMIOS Y RECONOCIMIENTOS • Premio Octavio Paz (2009). • Doctora honoris causa por la Universidad de la República (2010). • Premio Alfonso Reyes (2014). • Premio Reina Sofía (2015). • Premio Internacional de Poesía Federico García Lorca (2016). • Premio Max Jacob (2017). • Premio FIL de la Literatura en Lenguas Romances (Feria del libro de Guadalajara, 2018). • Premio Cervantes (2018).
Quelques poèmes
Fortuna
Por años, disfrutar del error
y de su enmienda,
haber podido hablar, caminar libre,
no existir mutilada,
no entrar o sí en iglesias,
leer, oír la música querida,
ser en la noche un ser como en el día.
No ser casada en un negocio,
medida en cabras,
sufrir gobierno de parientes
o legal lapidación.
No desfilar ya nunca
y no admitir palabras
que pongan en la sangre
limaduras de hierro.
Descubrir por ti misma
otro ser no previsto
en el puente de la mirada.
Ser humano y mujer, ni más ni menos.
Este mundo
Sólo acepto este mundo iluminado cierto, inconstante, mío. Sólo exalto su eterno laberinto y su segura luz, aunque se esconda. Despierta o entre sueños, su grave tierra piso y es su paciencia en mí la que florece. Tiene un círculo sordo, limbo acaso, donde a ciegas aguardo la lluvia, el fuego desencadenados. A veces su luz cambia, es el infierno; a veces, rara vez, el paraíso. Alguien podrá quizás entreabrir puertas, ver más allá promesas, sucesiones. Yo sólo en él habito, de él espero, y hay suficiente asombro. En él estoy, me quede, renaciera.
Justicia Duerme el aldeano en un colchón de heno. El pescador de esponjas descansa sobre su mullidísima cosecha. ¿Dormirás tú, en lenta flotación, sobre papel escrito?
Residua
Corta la vida o larga, todo lo que vivimos se reduce a un gris residuo en la memoria. De los antiguos viajes quedan las enigmáticas monedas que pretenden valores falsos. De la memoria sólo sube un vago polvo y un perfume. ¿Acaso sea la poesía?
« Le dernier lambeau du jour donnait un air de féerie au paysage dans lequel la maison avançait en pointe comme un navire. On était au-dessus de ces arbres larges et singuliers qui garnissaient le bout de l’île, on voyait sur la gauche la Cité où déjà brillaient les réverbères, et le dessin du fleuve qui l’enserre, revient, la reprend et s’allie à l’autre bras, au-delà des arbres, à droite, qui cerne l’île Saint-Louis. Il y avait Notre-Dame, tellement plus belle du côté de l’abside que du côté du parvis, et les ponts, jouant à une marelle curieuse, d’arche en arche entre les îles, et là, en face, de la Cité à la rive droite… et Paris, Paris ouvert comme un livre avec sa pente gauche plus voisine vers Sainte-Geneviève, le Panthéon, et l’autre feuillet, plein de caractères d’imprimerie difficiles à lire à cette heure jusqu’à cette aile blanche du Sacré-Cœur…Paris, immense, et non pas dominé comme de la terrasse des Barbentane, Paris vu de son cœur, à son plus mystérieux, avec ses bruits voisins, estompés par le fleuve multiple où descendait une péniche, une longue péniche aux bords peints au minium, avec du linge séchant sur des cordes, et des ombres qui semblaient jouer à cache-cache à son bord… Le ciel aussi avait son coin de minium… Et tout d’un coup, tout s’éteignit, la ville devint épaisse, et dans la nuit battit comme un cœur.»