Luis Cernuda – Federico García Lorca

Vicente Aleixandre, Luis Cernuda, Federico García Lorca. 1931.

Il y a 85 ans, le vendredi 17 juillet 1936 au Maroc, alors protectorat, et le samedi 18 juillet 1936 en Espagne, des généraux félons (Sanjurjo, Franco, Mola) se soulevaient contre la République. C’était le début de la Guerre civile en Espagne. Une occasion de relire Luis Cernuda évoquant Federico García Lorca.

A UN POETA MUERTO (F.G.L.)

Así como en la roca nunca vemos
La clara flor abrirse,
Entre un pueblo hosco y duro
No brilla hermosamente
El fresco y alto ornato de la vida.
Por esto te mataron, porque eras
Verdor en nuestra tierra árida
Y azul en nuestro oscuro aire.

Leve es la parte de la vida
Que como dioses rescatan los poetas.
El odio y destrucción perduran siempre
Sordamente en la entraña
Toda hiel sempiterna del español terrible,
Que acecha lo cimero
Con su piedra en la mano.

Triste sino nacer
Con algún don ilustre
Aquí, donde los hombres
En su miseria sólo saben
El insulto, la mofa, el recelo profundo
Ante aquel que ilumina las palabras opacas
Por el oculto fuego originario.

La sal de nuestro mundo eras,
Vivo estabas como un rayo de sol,
Y ya es tan sólo tu recuerdo
Quien yerra y pasa, acariciando
El muro de los cuerpos
Con el dejo de las adormideras
Que nuestros predecesores ingirieron
A orillas del olvido.

Si tu ángel acude a la memoria,
Sombras son estos hombres
Que aún palpitan tras las malezas de la tierra;
La muerte se diría
Más viva que la vida
Porque tú estás con ella,
Pasado el arco de tu vasto imperio,
Poblándola de pájaros y hojas
Con tu gracia y tu juventud incomparables.

Aquí la primavera luce ahora.
Mira los radiantes mancebos
Que vivo tanto amaste
Efímeros pasar junto al fulgor del mar.
Desnudos cuerpos bellos que se llevan
Tras de sí los deseos
Con su exquisita forma, y sólo encierran
Amargo zumo, que no alberga su espíritu
Un destello de amor ni de alto pensamiento.

Igual todo prosigue,
Como entonces, tan mágico,
Que parece imposible
La sombra en que has caído.
Mas un inmenso afán oculto advierte
Que su ignoto aguijón tan sólo puede
Aplacarse en nosotros con la muerte,
Como el afán del agua,
A quien no basta esculpirse en las olas,
Sino perderse anónima
En los limbos del mar.

Pero antes no sabías
La realidad más honda de este mundo:
El odio, el triste odio de los hombres,
Que en ti señalar quiso
Por el acero horrible su victoria,
Con tu angustia postrera
Bajo la luz tranquila de Granada,
Distante entre cipreses y laureles,
Y entre tus propias gentes
Y por las mismas manos
Que un día servilmente te halagaran.

Para el poeta la muerte es la victoria;
Un viento demoníaco le impulsa por la vida,
Y si una fuerza ciega
Sin comprensión de amor
Transforma por un crimen
A ti, cantor, en héroe,
Contempla en cambio, hermano,
Cómo entre la tristeza y el desdén
Un poder más magnánimo permite a tus amigos
En un rincón pudrirse libremente.

Tenga tu sombra paz,
Busque otros valles,
Un río donde del viento
Se lleve los sonidos entre juncos
Y lirios y el encanto
Tan viejo de las aguas elocuentes,
En donde el eco como la gloria humana ruede,
Como ella de remoto,
Ajeno como ella y tan estéril.

Halle tu gran afán enajenado
El puro amor de un dios adolescente
Entre el verdor de las rosas eternas;
Porque este ansia divina, perdida aquí en la tierra,
Tras de tanto dolor y dejamiento,
Con su propia grandeza nos advierte
De alguna mente creadora inmensa,
Que concibe al poeta cual lengua de su gloria
Y luego le consuela a través de la muerte.

Poème écrit à Valence du 19 au 23 avril 1937. Il a été publié une première fois sous le titre Elegía a un poeta muerto dans la revue Hora de España VI. Valencia, junio de 1937.

Las nubes, 1937-1940. Buenos Aires, 1943.

La sixième strophe a été censurée lors de la première publication sous l’influence de Wenceslao Roces, communiste et Subsecretario de instrucción Pública du gouvernement républicain.

A un poète mort (F.G.L.)

Comme on ne voit jamais sur le rocher
La claire fleur s’épanouir,
Ainsi ne brille en sa beauté
Parmi un peuple hargneux et dur
L’ornement frais et noble de la vie.
C’est pourquoi ils t’ont tué: tu étais
verdure de notre terre aride,
Azur de notre ciel obscur.

Légère est la part de la vie
Que tels des dieux rachètent les poètes.
La destruction, la haine habitent pour toujours
Sourdement les entrailles
Toute de fiel de l’Espagnol terrible
Qui épie le sublime
Une pierre à la main.

Triste destin celui de naître
Avec un don illustre
Ici, où les hommes
Dans leur misère ne gardent
Qu’insulte, moquerie et défiance profonde
Pour celui qui éclaire les paroles opaques
Du feu secret originel.

Tu étais sel de notre monde,
Vivant tu étais un rayon de soleil,
Et seul voici ton souvenir
Qui passe errant et qui caresse
Le mur des corps
De la saveur de ces pavots
Que nos prédécesseurs ont ingérés
Aux rives de l’oubli.

Si vient ton ange à ta mémoire,
Ce sont des ombres, ces hommes
Qui palpitent encore dans les broussailles de la terre;
On dirait que la mort
Est plus vivante que la vie,
Parce que tu es chez elle,
Passé le porche de son vaste empire,
Et tu la peuples d’oiseaux et de feuilles
Avec ta grâce et ta jeunesse incomparables.

Ici le printemps brille en ce moment.
Vois les radieux garçons
Que vivant tu as tant aimés,
Éphémères passer dans la lueur marine.
Belles nudités qui traînent
Après elles les désirs
Avec leur forme exquise, et ne renferment
Qu’un suc amer, car leur esprit n’habite
Ni lumière d’amour ni hauteur de pensée.

Tout continue de même
Et, comme alors, magique,
Si bien que paraît impossible
L’ombre où tu es tombé.
Mais une immense aspiration secrète nous prévient
Que son aiguillon ignoré ne se peut
Émousser en nous qu’avec la mort,
Comme l’aspiration de l’eau
Á qui ne suffit pas de se sculpter en vagues,
Mais anonyme se veut perdre
Aux limbes de la mer.

Mais avant tu ne connaissais pas
La plus profonde réalité de ce monde:
La haine, la triste haine des humains,
Qui en toi voulut marquer
Par l’horreur de l’acier sa victoire,
Avec ton angoisse ultime
Sous la calme lumière de Grenade,
Lointain parmi cyprès et lauriers,
Parmi les tiens,
Et par les mêmes mains
Qui serviles un jour t’avaient flatté

La mort pour le poète est la victoire;
Un vent démoniaque le pousse dans la vie,
Et si une force aveugle
Sans compréhension ni amour
Par un crime te change,
Toi chanteur, en héros,
Considère en revanche, frère,
Comme dans la tristesse et le dédain
Un pouvoir plus magnanime permet à tes amis
de pourrir dans un coin librement.

Paix à ton ombre,
Qu’elle cherche d’autres vallées,
Une rivière où le vent
Pour une musique parmi les joncs
Et les iris avec le charme
Si vieillot de cette eau éloquente,
Où l’écho telle la gloire humaine roule,
Comme elle en un lointain
Étranger tout comme elle et stérile.

Trouve ton grand désir dépossédé
Le pur amour d’un dieu adolescent
dans la verdeur des roses éternelles;
Car ce désir divin, perdu sur notre terre
Après tant de douleur et d’abandon,
Nous révèle en sa propre grandeur
Je ne sais quel esprit immense et créateur
Qui du poète a fait la langue de sa gloire
Et par-delà la mort ensuite le console.

Les nuages. Traduction: Pierre Darmangeat.

1998. Traduction d’Anthony Bellanger.

Juan José Saer – César Vallejo

Juan José Saer, La pesquisa, 1994 (L’enquête, Seuil, 1996. Points, 2002. Traduction Philippe Bataillon. Le Tripode, 2019)

Le récit du manuscrit conservé précieusement dans les archives de Washington Noriega s’intitule Sous les tentes grecques/En las tiendas griegas. Il est postérieur à 1918 puisque le poète César Vallejo écrivit le poème éponyme cette année-là.

En las tiendas griegas (César Vallejo)
Y el Alma se asustó
a las cinco de aquella tarde azul desteñida.
El labio entre los linos la imploró
con pucheros de novio para su prometida.

El Pensamiento, el gran General se ciñó
de una lanza deicida.
El Corazón danzaba; mas, luego sollozó:
¿la bayadera esclava estaba herida?

Nada ! Fueron los tigres que la dan por correr
a apostarse en aquel rincón, y tristes ver
los ocasos, que llegan desde Atenas.

No habrá remedio para este hospital de nervios,
para el gran campamento irritado de este atardecer!
Y el General escruta volar siniestras penas
allá …………………………..
en el desfiladero de mis nervios!

Los Heraldos Negros, 1918.

Dans les boutiques grecques

Et l’Âme prit peur
à cinq heures de cette après-midi d’un bleu déteint.
Les lèvres parmi les lins l’ont implorée
avec des moues de fiancé à l’adresse de sa promise.

La Pensée, ce grand Général a ceint
une lance déicide.
Le Coeur dansait ; mais, ensuite il sanglota :
la bayadère esclave était-elle blessée ?

Mais non ! Ce furent les tigres qui aiment à courir allèrent
se poster dans ce coin, voir tristement
les crépuscules arrivant d’Athènes.

Il n’y aura pas de salut pour cet hôpital de nerfs,
pour le grand campement irrité de cette tombée du jour !
Et le Général scrute le vol de sinistres peines
là-bas………………………………………
dans le défilé de mes nerfs.

Poésie complète 1919-1937. Traduction Nicole Réda-Euvremer, Paris, Flammarion, « Poésie», 2009.

Ce poème me semble assez hermétique comme d’autres du recueil Los Heraldos negros. La traduction de Gérard de Cortanze (Poésie complète, Paris, Flammarion, « Barroco », 1983) laisse beaucoup à désirer. Celle de Nicole Réda-Euvremer est meilleure, mais la difficulté de compréhension reste la même.

Madrid. Buste de César Vallejo en face de l’ambassade du Pérou. Paseo del Pintor Rosales.

Juan José Saer

(Merci à Colette Weibel et à Léon-Marc Lévy)

Juan José Saer, La pesquisa 1994 (L’enquête, Seuil, 1996. Points, 2002. Traduction Philippe Bataillon. Le Tripode, 2019)

Pichón Garay, personnage qui apparaît dans d’autres romans de Juan José Saer, revient à Santa Fe (Argentine) avec son fils après vingt ans d’ exil à Paris. L’été touche à sa fin. La chaleur est accablante (« Ya es el veintiséis de marzo »). Au cours d’un dîner avec des amis (Carlos Tomatis, Marcelo Soldi), il raconte l’histoire d’un tueur en série qui, dans le XI ème arrondissement de Paris, a déjà assassiné vingt-sept petites vieilles. Les commissaires Morvan et Lautret ne parviennent pas à recueillir le moindre indice. La version de l’enquête raconté par Pichón tient de la rumeur, des articles des journaux, des nombreux commentaires et des explications psychanalytiques qui ont suivi la découverte du tueur.
Son récit est interrompu par la découverte d’un énigmatique manuscrit de huit cent quinze feuillets intitulé (Sous les tentes grecques/En las tiendas griegas) conservé précieusement dans les archives d’un de leurs anciens amis (double littéraire du poète argentin Juan L. Ortiz – 1896-1978 – que Saer admirait beaucoup). La fille de cet ami, Washington Noriega, Julia veille précieusement sur les papiers laissés par son père. Les trois amis voyagent en barque sur la rivière Colastiné et le fleuve Paraná, parlent et boivent.

On retrouve certains lieux qui apparaissent aussi dans L’ancêtre (El entenado): Santa Fe , el Río Colastiné.
Le lecteur doit essayer de répondre à toute une série d’énigmes:

  • Identité du ou des narrateurs
  • Identité du coupable des meurtres en série.
  • Identité de l’auteur de Las tiendas griegas
  • Identité du père de Morvan.
  • Identité des assassins del Gato Garay, frère jumeau de Pichón Garay, et de Elisa (disparus pendant la dictature militaire.)
  • Thèmes abordés : la culpabilité, les mythes, la réalité, le rêve etc.

« Ustedes se deben estar preguntando, tal como los conozco, qué posición ocupo yo en este relato, que parezco saber de los hechos más de lo que muestran a primera vista y hablo de ellos y los transmito con la movilidad y la ubicuidad de quien posee una conciencia múltiple y omnipresente, pero quiero hacerles notar que lo que estamos percibiendo en este momento es tan fragmentario como lo que yo sé de lo que les estoy refiriendo, pero que cuando mañana se lo contemos a alguien que haya estado ausente o meramente lo recordemos, en forma organizada y lineal, o ni siquiera sin esperar hasta mañana, si simplemente nos pusiéramos a hablar de lo que estamos percibiendo, en este momento o en cualquier otro, el corolario verbal también daría la impresión de estar siendo organizado, mientras es proferido, por una conciencia móvil, ubicua, múltiple y omnipresente. Desde el principio nomás he tenido la prudencia, por no decir la cortesía, de presentar estadísticas con el fin de probarles la veracidad de mi relato, pero confieso que a mi modo de ver ese protocolo es superfluo, ya que por el solo hecho de existir todo relato es verídico, y si se quiere extraer de él algún sentido, basta tener en cuenta que, para obtener la forma que le es propia, a veces le hace falta operar, gracias a sus propiedades elásticas, cierta compresión, algunos desplazamientos, y no pocos retoques en la iconografía. »

“Comme je vous connais, vous devez vous demander quelle position j’occupe dans le récit parce que je semble savoir à propos des faits plus qu’ils ne laissent voir à première vue et que j’en parle avec la mobilité de l’ubiquité de qui dispose d’une conscience multiple et omniprésente, mais je tiens à vous faire remarquer que ce que je suis en train de vous raconter n’est pas moins fragmentaire que ce que nous percevons en ce moment même, mais si demain nous le rapportions à quelqu’un qui aurait été absent aujourd’hui au que tout simplement nous nous le rappelions de manière organisée et linéaire, ou que même si, sans attendre demain, nous nous mettons à parler de ce que nous percevons en ce moment- ci ou à n’importe quel autre, le résultat verbal donnerait lui aussi l’impression d’avoir été organisé, tandis qu’il était énoncé par une conscience douée de mobilité et d’ubiquité, multiple et omniprésente.
Depuis le commencement, j’ai eu la prudence, pour ne pas dire la courtoisie, d’énoncer des statistiques afin de vous prouver la véracité de mon récit, mais j’avoue que, de mon point de vue, ce procédé est superflu parce que, du simple fait d’exister, tout récit est véridique, et que si on désire en retirer quelque signification il suffit d’admettre que, pour atteindre la forme qui lui est propre, il lui faut parfois se plier, grâce à ses propriétés élastiques, à certaines compressions, quelques déplacements, et pas mal de retouches sur les images.”

« Alzando la cabeza, Pichón ha podido ver, en un cielo todavía claro, donde los últimos vestigios violetas habían cedido bajo el azul generalizado, las primeras estrellas. En un fulgor instantáneo —el rumor del agua, más nítido que durante el trayecto porque el motor se había detenido revelando la tranquilidad de la noche, contribuyó sin duda a su clarividencia repentina— ha entendido por qué, a pesar de su buena voluntad, de sus esfuerzos incluso, desde que llegó de París después de tantos años de ausencia, su lugar natal no le ha producido ninguna emoción: porque ahora es al fin un adulto, y ser adulto significa justamente haber llegado a entender que no es en la tierra natal donde se ha nacido, sino en un lugar más grande, más neutro, ni amigo ni enemigo, desconocido, al que nadie podría llamar suyo y que no estimula el afecto sino la extrañeza, un hogar que no es ni espacial ni geográfico, ni siquiera verbal, sino más bien, y hasta donde esas palabras puedan seguir significando algo, físico, químico, biológico, cósmico, y del que lo invisible y lo visible, desde las yemas de los dedos hasta el universo estrellado, o lo que puede llegar a saberse sobre lo invisible y lo visible, forman parte, y que ese conjunto que incluye hasta los bordes mismos de lo inconcebible, no es en realidad su patria sino su prisión, abandonada y cerrada ella misma desde el exterior —la oscuridad desmesurada que errabundea, ígnea y gélida a la vez, al abrigo no únicamente de los sentidos, sino también de la emoción, de la nostalgia y del pensamiento. »

«Levant la tête, Pigeon a pu voir, dans un ciel encore clair où les derniers vestiges violets avaient cédé au bleu généralisé, les premières étoiles. En un éclair soudain – le bruit de l’eau, plus net que pendant le trajet parce que le moteur s’était arrêté révélant la tranquillité de la nuit, avait sans doute contribué à cette soudaine clairvoyance – il a compris pourquoi, malgré sa bonne volonté et même ses efforts, depuis qu’il est arrivé de Paris après tant d’années d’absence, son pays natal ne lui a procuré aucune émotion : c’est parce qu’il est enfin devenu adulte, et être adulte signifie justement en venir à comprendre que ce n’est pas dans son pays natal qu’on est né, mais dans un lieu plus vaste, plus neutre, ni ami ni ennemi, inconnu, que personne ne saurait appeler le sien et qui n’engendre pas l’attachement mais semble étranger, un refuge qui n’est ni d’espace, ni de terre, ni même de parole, mais plutôt et pour autant que ces mots puissent encore signifier quelque chose, physique, chimique, biologique, cosmique, et dont font partie l’invisible et le visible – depuis le bout des doigts jusqu’à l’univers étoilé ou ce qu’on peut arriver à savoir de l’invisible et du visible, et que cet ensemble qui contient les frontières même de l’inconcevable n’est pas son pays mais sa prison, abandonnée et elle-même fermée de l’extérieur – l’obscurité démesurée qui vagabonde, glaciale et ignée, hors de portée non seulement des sens, mais bien aussi de l’émotion, de la nostalgie et de la pensée.»

Juan José Saer, Glosa 1986( L’anniversaire, Flammarion, 1988. Points Seuil. Glose. Le Tripode 2015. Traduction Laure Bataillon)

« Que quede bien claro: el alma, como le dicen, es, pareciera, no cristalina sino pantanosa. »

«Que ce soit bien clair, l’âme, comme on dit, est, semble-t-il, non pas limpide, mais marécageuse.»

Paseo en barco por los ríos Santa Fe y Colastiné?

Christian Boltanski

Amsterdam. Oude Kerke. Exposition Na (Après).

Très triste d’apprendre la mort de Christian Boltanski. Son installation méditative (Na-Après) à l’Oude Kerk d’Amsterdam en 2017-2018 était extraordinaire. Nous l’avions visitée le premier jour de notre voyage à Amsterdam. Il faisait froid. Oude Kerk est la plus vieille église d’Amsterdam. Elle a été construite à partir de 1300 et dédiée à saint Nicolas. Elle a été restaurée en 2013. C’est un lieu de culte et d’exposition, ce qui est déjà peu banal. Elle se trouve de plus au beau milieu du quartier “rouge” d’Amsterdam, celui des prostituées en vitrine et des sex-shops. Il y a, semble-t-il, 2500 caveaux et 10 000 personnes y seraient enterrées dont Saskia van Uylenburgh (1612-1642), la première épouse de Rembrandt. Ce fut un lieu de sépulture jusqu’en 1865. Christian Boltanski disait: « Je ne suis pas croyant, mais ce que je désire faire, c’est une expérience de ce type : “Une église, la porte est ouverte, alors on entre. Il y a une odeur particulière, une légère musique, un homme les bras levés et quelques bouquets de fleurs. On la traverse sans comprendre et on retourne dans la vie.” »

Christian Boltanski (Jean-François Robert).

L’installation Animitas ou la musique des âmes se trouve dans le désert d’Atacama au Chili. Elle se compose de huit cents clochettes japonaises fixées sur de longues tiges plantées dans le sol qui sonnent au gré du vent pour faire entendre la musique des âmes et dessinent la carte du ciel la nuit de la naissance de l’artiste, le 6 septembre 1944. Le désert d’Atacama est aussi un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus de la dictature de Pinochet (voir Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz), film documentaire franco-chilien réalisé par Patricio Guzmán et sorti en 2010). C’est également un lieu exceptionnel pour observer les étoiles grâce à la pureté du ciel : c’est là que sont installés les plus grands observatoires du monde.

Misterios (2017) est une sculpture métallique installée en Patagonie, qui a la particularité d’imiter le chant des baleines lorsque le vent s’engouffre dans ses larges trompes. Elle est située au Cap Aristizabal. Elle peut se visiter depuis Bahía Bustamante, connue pour être les Galapagos de l’Argentine.

Misterios. 2017.

Pablo Neruda

Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto) est né le 12 juillet 1904 à Parral (Chili). Il entre dans la carrière diplomatique en 1927 et devient consul à Rangoun (Birmanie) . Il est en poste ensuite à Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Djakarta, en Indonésie), Calcutta (Inde) et Buenos Aires (Argentine) où il fait la connaissance de Federico García Lorca. Il est consul général du Chili d’abord à Barcelone en 1934, puis à Madrid en 1935. Il dirige la revue Caballo verde para la poesía, créée par Manuel Altolaguirre (1905-1959) et Concha Méndez (1898-1986). Cette revue, à la typographie très soignée, connaîtra six numéros. Chaque numéro commence par un texte en prose de Pablo Neruda. Elle accueille des poètes espagnols (Vicente Aleixandre, Federico García Lorca, Jorge Guillén, Miguel Hernández o Leopoldo Panero), latinoaméricains ou européens, liés à la Génération de 1927. Dès le premier numéro, Pablo Neruda défend une poésie « impure » :

Sobre una poesía sin pureza. Manifiesto.

“La confusa impureza de los seres humanos se percibe en ellos, la agrupación, uso y desuso de los materiales; las huellas del pie y los dedos, la constancia de una atmósfera inundando las cosas desde lo interno y lo externo.
Así sea la poesía que buscamos, gastada como por un ácido por los deberes de la mano, penetrada por el sudor y el humo, oliente a orina y a azucena salpicada por las diversas profesiones que se ejercen dentro y fuera de la ley.
Una poesía impura como un traje, como un cuerpo, con manchas de nutrición, y actitudes vergonzosas, con arrugas, observaciones, sueños, vigilia, profecías, declaraciones de amor y de odio, bestias, sacudidas, idilios, creencias políticas, negaciones, dudas, afirmaciones, impuestos.
La sagrada ley del madrigal y los decretos del tacto, olfato, gusto, vista, oído, el deseo de justicia, el deseo sexual, el ruido del océano, sin excluir deliberadamente nada, sin aceptar deliberadamente nada.”

La Casa de las Flores bombardée.

Pablo Neruda a vécu de 1934 à 1936 dans un appartement au cinquième étage de La Casa de las Flores, ensemble de bâtiments en briques de cinq étages, situé dans le quartier d’Argüelles à Madrid (calles Princesa, Hilarión Eslava, Rodríguez San Pedro, Gaztambide y Meléndez Valdés) et conçu en 1931 par l’architecte Secundino Zuazo Ugalde (1887-1971) dans un esprit rationaliste. On y trouve 288 logements et trois patios au centre. La répartition des espaces avec un couloir paysager a servi de modèle à des générations d’étudiants en architecture. Les bâtiments sont décorés de balcons et de jardinières fleuries. Le poète Rafael Alberti qui vit à l’époque dans ce même quartier trouve là un appartement libre pour son ami chilien qui vient d’être nommé à Madrid. Neruda y reçoit beaucoup. Cet ensemble a beaucoup souffert des bombardements pendant la Guerre civile, le front se situant dans cette zone de la ville, proche de la cité universitaire. Après une mission à Paris, il revient dans la capitale espagnole en 1937.
Il raconte ainsi dans ses mémoires (Confieso que he vivido, 1974) son retour dans son appartement devasté avec le poète Miguel Hernández : « Por fin llegamos a Madrid. Mientras los visitantes recibían bienvenida y alojamiento, yo quise ver de nuevo mi casa que había dejado intacta hacía cerca de un año. Mis libros y mis cosas, todo había quedado en ella. Era un departamento en el edificio llamado “Casa de las Flores”, a la entrada de la ciudad universitaria. Hasta sus límites llegaban las fuerzas avanzadas de Franco. Tanto que el bloque de departamentos había cambiado varias veces de mano.
Miguel Hernández, vestido de miliciano y con su fusil, consiguió una vagoneta destinada a acarrear mis libros y los enseres de mi casa que más me interesaban.
Subimos al quinto piso y abrimos con cierta emoción la puerta del departamento. La metralla había derribado ventanas y trozos de pared. Los libros se habían derrumbado de las estanterías. Era imposible orientarse entre los escombros. De todas maneras, busqué algunas cosas atropelladamente. Lo curioso era que las prendas más superfluas e inaprovechables habían desaparecido; se las habían llevado los soldados invasores o defensores. Mientras las ollas, la máquina de coser, los platos, se mostraban regados en desorden, pero sobrevivían, de mi frac consular, de mis máscaras de Polinesia, de mis cuchillos orientales no quedaba ni rastro.
-La guerra es tan caprichosa como los sueños, Miguel.
Miguel encontró por ahí, entre los papeles caídos, algunos originales de mis trabajos. Aquel desorden era una puerta final que se cerraba en mi vida. Le dije a Miguel:
-No quiero llevarme nada.
-¿Nada? ¿Ni siquiera un libro?
-Ni siquiera un libro –le respondí.
Y regresamos con el furgón vacío.»

L’ensemble a été restauré dans les années 40 et déclaré monument national en 1981.

La Casa de las Flores aujourd’hui.

Explico algunas cosas

Preguntaréis: Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta de amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.

Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de Junio ahogaba flores en tu boca?

Hermano, hermano!

Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.

Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!

España en el corazón: himno a la glorias del pueblo en la guerra. 1937.

J’explique certaines choses

Vous allez demander : Où sont donc les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie qui frappait si souvent
vos paroles les remplissant
de brèches et d’oiseaux?

Je vais vous raconter ce qui m’arrive.

Je vivais dans un quartier
de Madrid, avec des cloches,
avec des horloges, avec des arbres.

De ce quartier on apercevait
le visage sec de la Castille
ainsi qu’un océan de cuir.

Ma maison était appelée
la maison des fleurs, parce que de tous côtés
éclataient les géraniums : c’était
une belle maison
avec des chiens et des enfants.
Raúl, te souviens-tu ?
Te souviens-tu, Rafael ?
Federico, te souviens-tu
sous la terre,
te souviens-tu de ma maison et des balcons où
la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ?
Frère, frère !
Tout
n’était que cris, sel de marchandises,
agglomérations de pain palpitant,
marchés de mon quartier d’Argüelles avec sa statue
comme un encrier pâle parmi les merluches :
l’huile arrivait aux cuillères,
un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues,
métros, litres, essence
profonde de la vie,
poissons entassés,
contexture de toits cernés d’un soleil froid dans lequel
la flèche se fatigue,
délirant ivoire des fines pommes de terre,
tomates recommencées jusqu’à la mer.

Et un matin tout était en feu
et un matin les bûchers
sortaient de terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.

Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !

Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l’endroit
de votre coeur.

Vous allez demander pourquoi votre poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !

Résidence sur la Terre, Éditions Gallimard, 1969. Traduction : Guy Suarès.

Enrique Santos Discépolo 1901 – 1951

Enrique Santos Discépolo (Annemarie Heinrich), années 40.

Cambalache

Que el mundo fue y será una porquería
ya lo sé…
(¡En el quinientos seis
y en el dos mil también!).
Que siempre ha habido chorros,
maquiavelos y estafaos,
contentos y amargaos,
valores y dublé…
Pero que el siglo veinte
es un despliegue
de maldá insolente,
ya no hay quien lo niegue.
Vivimos revolcaos
en un merengue
y en un mismo lodo
todos manoseaos…

¡Hoy resulta que es lo mismo
ser derecho que traidor!…
¡Ignorante, sabio o chorro,
generoso o estafador!
¡Todo es igual!
¡Nada es mejor!
¡Lo mismo un burro
que un gran profesor!
No hay aplazaos
ni escalafón,
los inmorales
nos han igualao.
Si uno vive en la impostura
y otro roba en su ambición,
¡da lo mismo que sea cura,
colchonero, rey de bastos,
caradura o polizón!…

¡Qué falta de respeto, qué atropello
a la razón!
¡Cualquiera es un señor!
¡Cualquiera es un ladrón!
Mezclao con Stavisky va Don Bosco
y “La Mignón”,
Don Chicho y Napoleón,
Carnera y San Martín…
Igual que en la vidriera irrespetuosa
de los cambalaches
se ha mezclao la vida,
y herida por un sable sin remaches
ves llorar la Biblia
contra un calefón…

¡Siglo veinte, cambalache
problemático y febril!…
El que no llora no mama
y el que no afana es un gil!
¡Dale nomás!
¡Dale que va!
¡Que allá en el horno
nos vamo a encontrar!
¡No pienses más,
sentate a un lao,
que a nadie importa
si naciste honrao!
Es lo mismo el que labura
noche y día como un buey,
que el que vive de los otros,
que el que mata, que el que cura
o está fuera de la ley…

Paroles et musique: Enrique Santos Discépolo, 1934.

https://www.youtube.com/watch?v=vH6_jzFlkFg

Buenos Aires. Parque Chacabuco. Santos Discépolo ( 1982, Plaza Enrique Santos Discépolo)

Luis Buñuel – Jean-Claude Carrière

La revue Positif n° 724 (juin 2021) publie un dossier sur l’écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière, décédé le 8 février 2021, à 89 ans. Y figurent neuf lettres de Luis Buñuel à son scénariste et une à Louis Malle. Elles sont traduites de l’anglais par Alain Masson, membre du comité de rédaction de la revue et ancien professeur de Lettres au Lycée Janson de Sailly (Paris XVI). Cette correspondance a été publiée en anglais en 2015 et en espagnol en 2018. Elle n’existe pas en français.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. A Life in Letters. Bloomsbury Academic, 2015.

Jo Evans – Breixo Viejo. Luis Buñuel. Correspondencia escogida. Cátedra, Signo e Imagen, 2018.

Jean-Claude Carrière. 2006.

Jean-Claude Carrière fait la connaissance de Luis Buñuel en 1963 au Festival de Cannes. Leur collaboration va durer dix-neuf ans, de 1964 à la mort du réalisateur, le 29 juillet 1983. Les deux hommes travaillent ensemble une première fois pour l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre (1964). Le film, avec Jeanne Moreau comme vedette, est le premier que Buñuel réalise en France depuis le classique surréaliste L’Âge d’or (1930).
Carrière et Buñuel vont travailler ensemble sur cinq autres films: Belle de jour (1967), adapté du roman de Joseph Kessel (1928), La voie lactée (1969), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972), oscar du meilleur film étranger en 1973, La fantôme de la liberté (1974), Cet obscur objet de désir (1977)

Ils passent de longues périodes ensemble quand ils écrivent leurs scénarios. A Madrid, Buñuel loge à l’hôtel Torre de Madrid, Plaza de España. Ils se retirent souvent dans les environs, à Rascafría au Real Monasterio de Santa María de El Paular dont une partie a été reconvertie en hôtel après la Guerre civile.

On trouve 73 lettres de Buñuel adressées à Carrière et 18 du scénariste. Elles sont conservées à la Filmoteca Española de Madrid. Les lettres de Buñuel sont écrites en français ou en espagnol. La première date du 6 novembre 1965 et concerne le scénario du Moine (d’après Matthew Gregory Lewis). Le film sera tourné en 1972 par Ado Kyrou. La dernière date du 10 avril 1983. C’est peut-être la dernière que Buñuel ait écrite.

México DF, 22 de abril de 1966
Mi querido Jean Claude:
Me hizo ilusión recibir su carta de hace tres meses, como todas las suyas. No respondí porque, después de todo, no había nada que contestar. Así que…discúlpeme.
Tengo una propuesta prácticamente aceptada – increíble – de Robert Hakim a través de CIMURA. Entre nosotros, es un tema absurdo, pero tentador. Puse como condición sine qua non realizar la adaptación en El Escorial con usted, si acepta. Se trata de Belle de jour, de Kessel. Un ensayo sobre putas con espantosos conflictos entre el superyó y el ello. Sería interesante ver lo que podemos sacar de ahí. ¡Ah! Ni pizca de humor, así que mejor para nosotros, para purgarnos un poco de El monje.
Paulette le hablará de ello, pues le he escrito al respecto. Lea el libro antes que nada. Todo lo contrario de lo que pretende el cine moderno: un argumento muy, muy trabado, de una artificialidad muy tentadora.
Un afectuoso abrazo de mi parte a Auguste y a mi sobrinita, su hija, y para usted un gran abrazo.
Luis
P.S. Desde hace ocho meses no hago nada, absolutamente nada. La ociosidad es maravillosa. Nunca cansa.

México DF, 10 de abril de 1983
Muy querido Jean Claude:

Aunque brevemente y con gran dificultad, me lanzo a escribirle a máquina. IMPORTANTE: le ruego que le diga a Laffont que en adelante me envíe únicamenente DOS EJEMPLARES de cada edición que se publique en el extranjero de mi famoso libro. Recibí diez ejemplares de la portuguesa que pensé en quemar, pero que finalmente terminé enviando ocho a la Embajada portuguesa. No se olvide por favor de hablarle.
He pasado dos meses muy malos, pero me voy restableciendo paulatinamente, aunque disto mucho de quedar como antes. La diabetes la tengo completamente controlada gracias a un excelente médico que tengo. Mi campo visual no es malo, pero el foco central de la vista, nulo. De ahí mi dificultad para leer y escribir.
De Serge no tengo noticias, aunque hace seis meses me dijo que me iba a pagar beneficios de mis dos últimos films, que son en los únicos que llevo el 10 por ciento de los beneficios.
Lo veo, como siempre, lleno de actividad. Dichoso usted. Yo ya no salgo de casa, respirando polvo con excrementos, año terrible en México, como nadie ha conocido. Todo está contra este país.
Mucho me alegraré de verlo por aquí si se decide a venir, aunque mis deficiencias físicas y mentales, sobre todo, intenten ahuyentarlo de mi lado.
Besos múltiples para madre e hija, y los que sobren, para usted.
Luis
[PS.] No releo esta carta. Allá va, esté como esté.

  • Joseph Kessel (1898-1979).
  • Roger Hakim (1907-1992), producteur français d’origine égyptienne, codirecteur de Paris Film Production avec son frère Raymond (1909- 1980).
  • Serge Silberman (1917-2003), producteur français d’origine polonaise .Il a fondé la société de production Greenwich Films en 1966.
  • Nicole Janin (1931-2002), peintre sous le pseudonyme d’Augusta Bouy (ou Auguste Bouy), première épouse de Jean-Claude Carrière avec qui il a eu une fille Iris en 1962.
Rascafría (Comunidad de Madrid). Real Monasterio de Santa María de El Paular.

Gustave Flaubert – Ivan Tourgueniev

Gustave Flaubert et Ivan Tourgueniev se rencontrent le 23 février 1863 à Paris, au dîner Magny, où se réunissent auteurs et critiques. Flaubert a 42 ans, Tourgueniev 45. Une amitié se noue entre ces deux géants (1m 85 et 1m 91). Ils s’écriront pendant dix-sept ans. Tourgueniev traduit Trois contes en russe. Il envoie aussi à Flaubert Guerre et Paix de Tolstoï, qui vient d’être traduit en français. Tourgueniev essaie de l’aider à la fin de sa vie. Il intervient auprès de Gambetta pour lui faire obtenir un poste à la Bibliothèque Mazarine, mais en vain.

En juillet 1877, Tourgueniev rapporte à son ami de Russie une très belle robe de chambre.

Flaubert, de Croisset, le remercie le 27 juillet 1877:
« Splendide !
J’en reste béant. Merci ! mon bon cher vieux ! Ça, c’est un cadeau !
Je vous aurais répondu plus vite si le chemin de fer apportait les paquets jusques ici ! Il n’en est rien, ce qui a fait 24 heures de retard, ou peut-être 36. Le chef de gare m’a écrit hier soir seulement.
Ce royal vêtement me plonge dans des rêves d’absolutisme – et de luxure! Je voudrais être tout nu, dedans, – et y abriter des Circassiennes !
– Bien qu’il fasse actuellement un temps d’orage et que j’aie trop chaud, je porte la susdite couverture – en songeant à l’utilité dont elle me sera cet hiver. Franchement vous ne pouviez me faire un plus beau don !
Je prépare la géologie de B. & P. [Bouvard et Pécuchet]. Et lundi je me remets à écrire. Quand j’aurai fini ce chapitre-là je pousserai un beau ouf (…)

PS. Décidément, je succombe sous le poids de votre magnificence. Je vais retirer la robe de chambre.
Quel est son nom indigène ? et sa patrie ? Boukhara, n’est-ce pas ? »

Tourgueniev envoie plus tard à Croisset du saumon et du caviar.

Flaubert lui écrit le 28 décembre 1879:

« Hier soir, j’ai reçu la boîte. Le saumon est magnifique, mais le caviar me fait pousser des cris de volupté.
Quand en mangerons-nous ensemble ? Je voudrais que vous fussiez parti et revenu. Là-bas, au moins, écrivez-moi.
Ce soir, il a l’air de dégeler. Serait-ce vrai ?
Quant au roman de Tolstoï, faites-le remettre chez ma nièce. Commanville me l’apportera.
Tout à vous, mon cher vieux.
Votre VIEUX
vous embrasse

Dimanche soir.

Croisset, Mardi soir 6 janvier 1880

Merci ! Trois fois merci !
Ô S[ain]t Vincent de Paul des Comestibles ! Ma parole d’honneur ! Vous me traitez en bardache ! C’est trop de friandises.
Eh bien, sachez que, le caviar, je le mange à peu près sans pain, comme des confitures.
————————–
Quant au roman, ses trois volumes m’effraient – trois volumes, maintenant, en dehors de mon travail, c’est rude. N’importe, je vais m’y mettre. Comme à la fin de la semaine prochaine je compte avoir terminé mon chapitre (!!!) avant de commencer l’autre, ce sera une distraction.
Quand partez-vous, ou plutôt quand revenez-vous ? C’est bête de s’aimer comme nous faisons et de se voir si peu.
Je vous embrasse.
Votre vieux

Croisset, mercredi 21 janvier 1880.

Deux mots seulement, mon bon cher vieux.
1° Quand partez-vous ? ou plutôt non : quand revenez-vous ? – Êtes-vous moins inquiet sur les conséquences de votre voyage ?
2° Merci de m’avoir fait lire le roman de Tolstoï. C’est de premier ordre ! Quel peintre et quel psychologue ! Les deux premiers volumes sont sublimes. Mais le 3e dégringole affreusement. Il se repète ! et il philosophise ! – Enfin on voit le monsieur, l’auteur, et le Russe, tandis que jusque-là on n’avait vu que la Nature et l’Humanité. – Il me semble qu’il a parfois des choses à la Shakespeare ? – Je poussais des cris d’admiration pendant cette lecture – et elle est longue !
Parlez-moi de l’auteur. Est-ce son premier livre ? En tout cas il a des boules ! Oui ! C’est bien fort ! bien fort!
———————————–
J’ai fini ma Religion et je travaille au plan de mon dernier chapitre : l’éducation.
———————————–
Ma nièce est venue passer ici trois jours pleins. – Elle est repartie ce matin, – Et elle gémit sur l’abandon où la laisse notre grand ami, le grand Tourgueneff
que j’embrasse tendrement.
Son vieux

Flaubert meurt le 8 mai 1880 à 58 ans. Tourgueniev se trouve en Russie. A son retour, C’est lui que Maupassant charge de la publication posthume de Bouvard et Pécuchet. Il collecte aussi de l’argent pour faire ériger un monument à la mémoire de son ami. Il meurt le 3 septembre 1883 à Bougival, à 64 ans

Alphonse Daudet peint ainsi l’union des deux écrivains.
« Il y avait un lien, une affinité de naïve bonté entre ces deux natures géniales. Flaubert, hâbleur, frondeur, Don Quichotte, avec sa voix de trompette aux gardes, la puissante ironie de son observation, ses allures de Normand de la conquête, est bien la moitié virile de ce mariage d’âmes. Mais qui donc, dans cet autre colosse aux sourcils d’étoupe, aux méplats immenses, aurait deviné la femme, cette femme à délicatesses aiguës que Tourgueniev a peinte dans ses livres, cette Russe nerveuse, alanguie, passionnée, endormie comme une Orientale, tragique comme une force en révolte ? »

Datcha d’Ivan Tourgueniev à Bougival, aujourd’hui Musée Ivan-Tourgueniev.

Manuel Bandeira 1886 – 1968

Manuel Bandeira. 1931. (Cândido Portinari 1903-1962)

Desencanto

Eu faço versos como quem chora
De desalento… de desencanto…
Fecha o meu livro, se por agora
Não tens motivo nenhum de pranto.

Meu verso é sangue. Volúpia ardente…
Tristeza esparsa… remorso vão…
Dói-me nas veias. Amargo e quente,
Cai, gota a gota, do coração.

E nestes versos de angústica rouca,
Assim dos lábios a vida corre,
Deixando um acre sabor na boca.

Eu faço versos como quem morre.

Teresópolis, 1912.

As Cinzas das Horas. 1917.

Désenchantement

J’écris des vers comme on pleure
De découragement… de désenchantement…
Ferme mon livre, si ce jour
Tu n’as aucune raison de pleurer.

Mon vers est sang. Volupté ardente…
Tristesse éparse… Remords vain…
Il me brûle les veines. Amer et chaud,
Il coule, goutte à goutte, de mon coeur.

Et dans ces vers de rauque angoisse
Comme des lèvres la vie s’en va,
Laissant une âcre saveur dans la bouche.

– J’écris des vers comme on meurt.

Teresópolis, 1912.

Les cendres des heures.

Manuel Carneiro de Sousa Bandeira Filho est né à Recife (Brésil) le 19 Avril 1886. Il fait des études d’architecture qu’il doit interrompre. Atteint de tuberculose, il part se soigner en juin 1913 dans le sanatorium de Clavadel, en Suisse. Il y fait la connaissance d’Eugène Grindel (Paul Éluard) également en traitement. Une lettre d’Éluard indique que c’est Bandeira qui l’a révélé à lui-même comme poète et non pas le contraire. Étant tuberculeux à une époque où cette maladie était incurable, la poésie devient pour lui une « fatalité ». Ce qu’il ne peut vivre, il le rêve en poésie. On l’a surnommé le saint Jean-Baptiste du modernisme au Brésil. Son premier recueil poétique, Les Cendres des heures (1917), est imprégné par la mélancolie due à la maladie et aux deuils familiaux. En 1921, il fait la connaissance de Mário de Andrade (1893-1945) avec qui il entretient une relation durable. Il devient professeur de littérature au Collège Pedro II en 1938, puis à l’Université de São Paulo en 1943. Il est élu à l’Académie Brésilienne des Lettres en 1940. Il a été aussi critique d’art et traducteur (William Shakespeare, Friedrich Schiller, Bertolt Brecht, E.E. Cummings)
Il meurt le 13 octobre 1968 à Rio de Janeiro.

Manuel Bandeira, Poèmes. Seghers, 1960. Traduction: Luis Annibal Falcao, F.H. Blank-Simon et l’auteur.

Enrique Badosa 1927 – 2021

Enrique Badosa à Salamine.

Le poète, traducteur, éditeur et journaliste Enrique Badosa, né à Barcelone le 21 mars 1927, est décédé dans sa ville natale le 31 mai 2021. il avait 94 ans. Ce poète fait partie des auteurs de la Génération de 1950. Néanmoins, son catholicisme et un certain conservatisme le différenciaient des écrivains de ce groupe. Il est mort très peu de temps après les poètes de la même génération, José Manuel Caballero Bonald et Francisco Brines. Il a traduit Horace, Ramon Llull, Ausiàs March, J.V. Foix (Josep Viçenc), Salvador Espriu, Joan Margarit, mais aussi les Cinq grandes odes de Paul Claudel en 1955.

Salamina

Por esto ha sido escrito el Partenón
con la más bella tinta de la tierra.
Por esto se ha labrado el pensamiento
en la piedra más sabia y perdurable.
Por esto estás hablando en lengua libre.

Salamine

C’est pour cela que le Parthénon a été écrit
avec la plus belle encre de la terre.
C’est pour cela que la pensée a été taillée
dans la pierre la plus sage et la plus durable.
C’est pour cela que tu parles dans une langue libre.

Ce poème, traduit en grec, figure sur un monolithe dans la zone qui commémore la bataille entre les Grecs et les Perses (480 avant J.C.)

“Mi poesía no está más comprometida con el fondo que con la forma porque todo poema exige, siempre, el doble logro entre lo estético y lo conceptual”

Oeuvres
1956 Más allá del tiempo.
1959 Tiempo de esperar, tiempo de esperanza.
1963 Baladas para la paz.
1968 Arte poética.
1970 En román paladino.
1971 Historias en Venecia.
1973 Cuadernos de Ínsulas Extrañas. Poèmes en prose.
1976 Dad este escrito a las llamas.
1979 Mapa de Grecia.
1986 Cuadernos de barlovento.
1989 Epigramas convencionales.
1994 Relación verdadera de un viaje americano.
1998 Marco Aurelio, 14.
2000 Epigramas de la Gaya Ciencia.
2002 Parnaso funerario.
2004 Otra silva de varia lección.
2006 Ya cada día es más noche.
2010 Trivium. Poesía 1956-2010.

2016 Sine tradire. Essai.

“-Una parte fundamental de su producción está relacionada con la idea del viaje. ¿Es el viaje una forma de conocimiento?
-Todo viaje es iniciático por cuanto siempre te lleva no sólo a un lugar lejano, sino a un posible lugar lejano dentro de ti mismo. Por lo tanto, lodo viaje es también un medio o forma de conocimiento. En mi caso, ese autoconocimiento se ha producido siempre, aunque no siempre haya escrito sobre los lugares que he visitado. (Santiago Martínez entrevista a Enrique Badosa .» (La Vanguardia, 14 de marzo de 1998)

Puesto que cada día es más de noche…

Puesto que cada día es más de noche,
vuelve al placer de tus primeros libros,
acaricia las cosas familiares
que sientes extraviadas por cercanas,
recuerda el conversar de tus mayores,
sus gestos que te amparan todavía,
aquel mirar que te enseñaba a ver,
repósate en los nombres con que amaste,
vuelve a tus oraciones cuando niño
y con la sencillez de la confianza
saluda a Dios y espera en su amistad.

Ya cada día es más noche. 2006.