XLI Le port Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.
Petits poèmes en prose (Le spleen de Paris), 1869.
Luis Cernuda, un des plus grands poètes du XX ème siècle.
Epílogo
Playa de la Roqueta: Sobre la piedra, contra la nube, Entre los aires estás, conmigo Que invisible respiro amor en torno tuyo. Mas no eres tú, sino tu imagen.
Tu imagen de hace años,
Hermosa como siempre, sobre el papel, hablándome,
Aunque tan lejos yo, de ti tan lejos hoy
En tiempo y en espacio.
Pero en olvido no, porque al mirarla,
Al contemplar tu imagen de aquel tiempo,
Dentro de mí la hallo y lo revivo.
Tu gracia y tu sonrisa,
Compañeras en días a la distancia, vuelven
Poderosas a mí, ahora que estoy,
Como otras tantas veces
Antes de conocerte, solo.
Un plazo fijo tuvo
Nuestro conocimiento y trato, como todo
En la vida, y un día, uno cualquiera,
Sin causa ni pretexto aparente,
Nos dejamos de ver. ¿Lo presentiste?
Yo sí, que siempre estuve presintiéndolo.
La tentación me ronda
De pensar, ¿para qué todo aquello:
El tormento de amar, antiguo como el mundo,
Que unos pocos instantes rescatar consiguen?
Trabajos del amor perdidos.
No. No reniegues de aquello,
Al amor no perjures.
Todo estuvo pagado, sí, todo bien pagado,
Pero valió la pena,
La pena del trabajo
De amor, que a pensar ibas hoy perdido.
En la hora de la muerte (Si puede el hombre para ella Hacer presagios, cálculos), Tu imagen a mi lado Acaso me sonría como hoy me ha sonreído, Iluminando este existir oscuro y apartado Con el amor, única luz del mundo.
Poemas para un cuerpo, 1957.
Poème écrit entre le 11 et le 17 septembre 1961 à San Francisco.
Épilogue
Plage de la Roqueta : Sur la pierre, devant les nuages, Dans le vent, tu es là, avec moi Qui respire, invisible, autour de toi l’amour mais ce n’est pas toi, rien que ton image.
Ton image des années passées
Belle comme toujours, sur le papier, me parle
Alors que je suis loin, si loin de toi
Dans le temps et l’espace.
Mais non pas dans l’oubli, car si je la regarde,
Si je contemple ton image de ces jours,
Au fond de moi je la retrouve, je les revis.
Ta grâce et ton sourire,
Compagnons en ces jours lointains, reviennent
M’envahir maintenant que je suis,
Comme tant d’autres fois
Avant de te connaître, seul.
Une échéance était fixée Á notre relation comme à tout Dans la vie et un jour, un jour quelconque, Sans raison ni cause apparente, Nous avons cessé de nous voir. L’avais-tu pressenti ? Moi, oui, depuis toujours je le savais. La tentation me hante De penser : à quoi bon tout cela, Ce tourment d’aimer, vieux comme le monde, Que seuls quelques instants rachètent ? Peines d’amour perdues. Non, ne les renie pas, N’insulte pas l’amour. Tout s’est payé, oui, cher payé, Mais cela en valait la peine, La peine du mal d’amour Qui te semble aujourd’hui perdue.
Á l’heure de la mort
(Si l’on peut à son propos
Risquer présages ou calculs),
Ton image à mon côté
Comme aujourd’hui me sourira peut-être,
Illuminant cette existence obscure et solitaire
D’amour, seule clarté du monde.
Poèmes pour un corps. 1957. Traduction Bruno Roy. Fata Morgana, 1985.
Largo se le hace el día a quien no ama
y él lo sabe. Y él oye ese tañido
corto y duro del cuerpo, su cascada
canción, siempre sonando a lejanía.
Cierra su puerta y queda bien cerrada;
sale y, por un momento, sus rodillas
se le van hacia el suelo. Pero el alba,
con peligrosa generosidad,
le refresca y le yergue. Está muy clara
su calle, y la pasea con pie oscuro,
y cojea en seguida porque anda
sólo con su fatiga. Y dice aire:
palabras muertas con su boca viva.
Prisionero por no querer, abraza
su propia soledad. Y está seguro,
más seguro que nadie porque nada
poseerá; y él bien sabe que nunca
vivirá aquí, en la tierra. A quien no ama,
¿cómo podemos conocer o cómo
perdonar? Día largo y aún más larga
la noche. Mentirá al sacar la llave.
Entrará. Y nunca habitará su casa.
Alianza y condena. Revista de Occidente, Madrid, 1965.
Étranger
Longue est la journée de qui n’aime pas
et le sait. Il entend les accents
durs et courts de son corps, sa chanson
éraillé, sonnant toujours à lointain.
Il ferme sa porte, la voilà bien fermée ;
il sort et, pour un moment, ses genoux
vont heurter le sol. Mais l’aube
avec une dangereuse générosité,
le rafraîchit et le redresse. Très claire
est sa rue, il l’arpente d’un pied sombre,
et il boîte aussitôt parce qu’il est accompagné
de sa seule fatigue. Et il se voue à l’air :
paroles mortes dans sa bouche vivante.
Prisonnier de ne pas aimer, il étreint
sa propre solitude. Et il est sûr de lui,
plus sûr que quiconque car il ne possédera
rien; et il sait bien que jamais
il ne vivra ici, sur la terre. Comment
connaître celui qui n’aime pas, comment
lui pardonner ? Longue journée et plus longue
nuit. Il mentira en sortant sa clé.
Il entrera. Et jamais il n’habitera sa maison.
Poésie espagnole, Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995. Traduction Claude de Frayssinet.
Claudio Rodríguez est né à Zamora (Castilla y León) le 30 janvier 1934. Ce poète est l’une des grandes voix de l’Espagne de la seconde moitié du XX ème siècle. Dans la bibliothèque paternelle, Claudio Rodríguez découvre la poésie : les poètes mystiques (Santa Teresa de la Cruz, San Juan de la Cruz, Fray Luis de León), la poésie française (Rimbaud, Mallarmé), mais aussi les poètes espagnols (Juan Ramón Jiménez, Antonio Machado). Il fait ses études supérieures à Madrid et obtient sa licence (Filología Románica) en 1957. En mars 1953, il envoie à Vicente Aleixandre (1898-1984) , le futur Prix Nobel de Littérature (1977), le manuscrit de Don de la ebriedad. C’est le début d’une grande amitié. Il obtient cette année-là l’important prix Adonáis. Il participe aux mouvements étudiants antifranquistes de 1956 à l’Université de Madrid. Il choisit une certaine forme d’exil en devenant lecteur d’Espagnol à l’Université de Nottingham (1958-1960), puis à l’université de Cambridge (1960-1964). Il épouse Carmen Miranda en 1959. En Grande-Bretagne, il se lie d’amitié avec le poète Francisco Brines (1932-2021), récemment décédé, qui est lecteur à l’Université d’Oxford. Á son retour en Espagne, il se consacre à l’enseignement de la littérature espagnole et à la traduction (T.S.Eliot). Il est considéré comme un membre de la Génération de 1950 (Carlos Barral, Francisco Brines, José María Caballero Bonald, Jaime Gil de Biedma, José Agustín Goytisolo, Ángel González, José Ángel Valente ). Il appelle pourtant ce groupe “El archipiélago “(L’archipel), étant donné la diversité de ces auteurs. Il n’aime pas la vie littéraire. Il préfère la marche, la nature, la lumière, la Castille, les personnes simples. Il déteste le protocole (“Hoy hay mucho protoculo” “¿Pero qué es esa expresión horrible del cultivo de la imagen? Una persona es una persona, no una imagen”). Il ne manquait pas d’humour: «Si yo estuviera en un país comunista me expulsarían por falta de producción» Sa sœur María del Carmen est assassinée en 1974. C’est le fait le plus tragique de sa vie (cf. Herida en cuatro tiempos in El vuelo de la celebración. 1976) Il entre à la Real Academia Española en 1987. Il obtient le Prix Príncipe de Asturias en 1993 pour l’ensemble de son œuvre et la même année le Prix Reina Sofía de Poésie Ibéroaméricaine. Il meurt à Madrid le 22 juillet 1999.
Bibliographie Don de la ebriedad, Madrid, Adonáis, 1953. (Premio Adonáis) Conjuros, Torrelavega, Ed. Cantalpiedra, 1958. Alianza y condena, Madrid, Revista de Occidente, 1965. (Premio de la Crítica) El vuelo de la celebración, Madrid, Visor, 1976. Casi una leyenda, Barcelona, Tusquets, 1991. Aventura, (edición facsímil), Salamanca, Tropismos, 2005. Poemas laterales. Lanzarote, Fundación César Manrique. 2006.
En français : Quatre chants de Don de l’ébriété. Traduction : Laurence Breysse-Chanet, Polyphonies, n° 1, hiver-printemps 1992. Poèmes traduits par Lionel Destremau. Prétexte n° 2, janvier-février 1995 Ballet de papier, in Anthologie bilingue de la poésie espagnole, La Pléiade, 1995, p. 944-947. Traduction Nadine Ly. Poesia/poesie. Traduction et présentation de Laurence Breysse-Chanet, Ed. Hispanogalias, n° 2, 2005 (choix de dix poèmes de trois recueils de Claudio Rodriguez). Don de l’ébriété. Traduction et présentation de Laurence Breysse-Chanet. Préface de Antonio Gamoneda, Arfuyen, 2008.
La romancière espagnole Carmen Laforet est née il y a tout juste 100 ans le 6 septembre 1921 à Barcelone. Elle reçoit le 6 janvier 1945 le Prix Nadal pour son roman Nada. Elle avait alors 23 ans. Ce roman reflète assez bien l’ atmosphère étouffante de l’après-guerre civile. Elle se marie en 1948 avec le journaliste et critique Manuel Cerezales. Elle aura cinq enfants : Marta, Cristina, Silvia, Manuel, Agustín. Ils se séparent à la fin de l’été 1970. Elle meurt le 28 février 2004 à Majadahonda (Communauté de Madrid) à 82 ans.
Oeuvres principales : 1944 Nada (Prix Nadal 1944) — Traduction française : Rien, Éditions Bartillat, 2004. Traducteurs : Marie-Madeleine Peignot Mathilde Pomès, Maria Guzmán. 1950 La isla y los demonios — Traduction française : L’île et ses démons, Éditions Bartillat, 2006. Traducteur : André Gabastou. 1955 La mujer nueva (Prix national de Narration 1955) — Traduction française : Une nouvelle femme, Éditions Bartillat, 2009. Traducteur : André Gabastou. 1963 La insolación. 2003 Puedo contar contigo (1965-1975) Correspondance avec Ramón J. Sender. 2004 Al volver la esquina.
En épigraphe de son célèbre roman Nada, on trouve la première strophe de ce poème de Juan Ramón Jiménez qui appréciera beaucoup le livre comme Azorín.
Nada
A veces un gusto amargo,
un olor malo, una rara
luz, un tono desacorde,
un contacto que desgana,
como realidades fijas
nuestros sentidos alcanzan
y nos parece que son
la verdad no sospechada.
Volvemos luego a lo otro
y, baja, la nube ¿pasa?
No es posible gustar ya,
oler, ver, oír, tocar la
miseria que nos sumía
en sus profundas entrañas.
Pero hay un fondo vano
donde todo aquello para,
y aunque no se sepa, sigue
allí, sucia la amenaza.
« Felicidad (dice el día)
tu gloria está terminada ».
El corazón y la frente
lo repiten : «¡Terminada!».
Pero en el nadir más triste,
por su cuenta, no en palabras
repite un eco soez :
«¡Nada, nada, nada, nada!»
Canción, 1916.
Juan Ramón Jiménez, Prix Nobel de Littérature en 1956 écrira cette lettre à la jeune romancière:
“Querida Carmen Laforet: Acabo de leer “Nada”, este primer libro suyo, que me llegó, en segunda edición, de Madrid. Le escribo para decirle que le agradezco la belleza tan humana de su libro, belleza de su sentimiento; mucha parte, sin duda, un libro es uno mismo más de lo que suele creerse, sobre todo un libro como el de usted, que se le ve nutrirse, hoja tras hoja, de la sustancia propia de la escritora. … El primer libro de una muchacha y en particular el suyo… está hecho, es claro, de pedazos entrañables, como todo lo que hace la juventud, y con tanta jenerosidad de ofrecimiento público…En los libros juveniles hay siempre algo relijioso, esa fresca espontaneidad de un noviciado libre, y en su caso, de una novicia de la novela… Yo siempre he sido un gozador del defecto… Bendito el llamado defecto, que no lo es, ¡y que nos salva de la odiosa perfección! En su libro me gustan los defectos… Y he pensado muchas veces que me gustaría que toda mi obra fuese como un defecto de un andaluz. ¡Qué horror esos muchachos que empiezan a escribir “correctos”!… Porque ¡Dios del verbo, del sustantivo y del adjetivo, ¿cómo escribirán Pérez de Ayala y Jorge Guillén cuando tengan (y que Dios se los dé) 80 años! Le quiero señalar, entre lo que considero más completo de su “Nada”, el extraordinario capítulo 4, con su diálogo tan natural y revelador, entre la abuela y Gloria; el 15, que es un cuento absoluto, como lo son también otros. A mí me parece que su libro no es una novela en el sentido más usual de la palabra… sino una serie de cuentos tan hermosos alguno de ellos como los de Gorki, Eça de Queiróz, Unamuno o Hemingway… Necesito volver a lo del estilo. ¿Qué es un estilo cuidado? ¿En qué consiste ese cuidado?… Creo yo que son los de los novelistas del 98, que no solamente acertaron en su juventud, sino que mejoraron con el tiempo. Azorín, por ejemplo, escribe mejor cada vez, y en los libros últimos de Pío Baroja hay pájinas magníficas…Miguel de Unamuno murió escribiendo en plena hermosura… Y son buenos y bellos porque consiguen su propósito estético de síntesis idiomáticas. Y Ramón Gómez de la Serna, de la jeneración siguiente a Miró, sigue siendo tan profundamente natural y verde como una higuera… Siempre me ha obsesionado el asunto del estilo. Ahora yo, que estoy repasando toda mi obra escrita para una edición definitiva (y no mirarla más), me deleito en quitar todas las palabras menos naturales, “estío” por verano… “gualdo” por amarillo… “albo” por blanco… Y he vuelto a poner repeticiones que eran necesarias donde las había quitado. Yo creo que el estilo se hace con la expresión, hablando; escribiendo, con los puntos y las comas. Con puntos y comas se adornan todos los estilos. Por eso gente del pueblo que no sabe escribir según ella cree, ha puesto a veces todos los puntos y las comas al final de una carta, para que el lector los coloque donde los necesite. Y por eso ilustres filólogos que yo conozco, dejan la puntuación al cuidado de un exijente corrector de pruebas… Se me olvidaba decirle que “Nada” la hemos leído mi mujer y yo juntos. Muchas veces leemos juntos cuando el libro es novela o teatro. La poesía o el ensayo requieren para mí lectura individual y ojos. A mí se me pegan tanto los ojos a cualquier libro, que a veces tardo meses en leer veinte pájinas. Cuando leo con otra persona, releo luego con los ojos lo que recuerdo más con el oído, y este modo de leer tiene para mí la ventaja a veces de comprobar sólo lo mejor. Vamos a ver si podemos interesar a algún editor norteamericano en su libro y que sea traducido y publicado aquí. Para eso necesito dos o tres ejemplares de “Nada”. Me parece que gustaría de veras, porque “Nada”, como todo lo auténtico, es de aquí también, y de hoy, y será de mañana. Juan Ramón. Washington, marzo de 1946.”
Un documentaire de Pablo Romero Fresco, Donde acaba la memoria, a été présenté au festival de cinéma de Cans (O Porriño, Pontevedra) en Galice. Il est consacré à l’ œuvre de Ian Gibson. La lecture des livres du biographe de Federico García Lorca, Salvador Dalí, Luis Buñuel, Antonio Machado, entre autres, est indispensable à tous ceux qui aiment la culture espagnole du XX ème siècle. Ian Gibson est né à Dublin le 21 avril 1939 dans une famille protestante puritaine. Il voyage en Espagne pour la première fois en 1957. Il devient professeur d’Espagnol à Belfast, puis à Londres. Il prépare une thèse de doctorat sur Federico García Lorca. Il abandonne l’enseignement et s’installe en Espagne en 1978 avec son épouse Carole Elliott. Il obtient la nationalité espagnole en 1984. Il habite le quartier cosmopolite de Lavapiés à Madrid.
Deux articles ont été publiés dans la presse espagnole ces jours-ci:
Bibliographie: 1971 La represión nacionalista de Granada en 1936 y la muerte de Federico García Lorca. Paris, Ruedo Ibérico. Livre interdit dans l’Espagne de Franco. Rééditée et complétée en Espagne en 1979. 1985-87 Federico García Lorca. Biographie en 2 tomes De Fuente Vaqueros a Nueva York (1985) et De Nueva York a Fuente Grande (1987), réunis en un seul tome en 1994. 1989 En Granada, su Granada… Guía a la Granada de Federico García Lorca. 1998 Vida, pasión y muerte de Federico García Lorca. Resumé de sa biographie en deux volumes 1998 La vida desaforada de Salvador Dalí. 1999 Lorca-Dalí, el amor que no pudo ser. 2004 Dalí joven, Dalí genial. 2006 Ligero de equipaje. La vida de Antonio Machado. 2007 Cuatro poetas en guerra (Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez, Federico García Lorca, Miguel Hernández). 2008 El hombre que detuvo a García Lorca. Ramón Ruiz Alonso y la muerte del poeta. 2009 Caballo azul de mi locura. Lorca y el mundo gay. 2013 Luis Buñuel. La forja de un cineasta universal.
«- ¿Por Lorca ha llorado? – Sí, claro; me sigue conmoviendo. Anoche leí 1910 (Intermedio), uno de sus poemas en Nueva York, donde habla de la vega de Granada, su paraíso perdido, y me hizo llorar por la fuerza de las imágenes.» (El País, 4/09/2021)
1910. Intermedio
Aquellos ojos míos de mil novecientos diez
no vieron enterrar a los muertos,
ni la feria de ceniza del que llora por la madrugada,
ni el corazón que tiembla arrinconado como un caballito de mar.
Aquellos ojos míos de mil novecientos diez
vieron la blanca pared donde orinaban las niñas,
el hocico del toro, la seta venenosa
y una luna incomprensible que iluminaba por los rincones
los pedazos de limón seco bajo el negro duro de las botellas.
Aquellos ojos míos en el cuello de la jaca,
en el seno traspasado de Santa Rosa dormida,
en los tejados del amor, con gemidos y frescas manos,
en un jardín donde los gatos se comían a las ranas.
Desván donde el polvo viejo congrega estatuas y musgos,
cajas que guardan silencio de cangrejos devorados
en el sitio donde el sueño tropezaba con su realidad.
Allí mis pequeños ojos.
No preguntarme nada. He visto que las cosas cuando buscan su curso encuentran su vacío. Hay un dolor de huecos por el aire sin gente y en mis ojos criaturas vestidas ¡sin desnudo!
Poeta en Nueva York.
1910. Intermède.
Ces yeux, les miens, de 1910
n’avaient pas vu enterrer les morts
ni la foire de cendre de qui pleure au petit jour,
ni le coeur qui tremble, traqué comme un petit cheval de mer.
Ces yeux, les miens, de 1910
avaient vu le mur blanc où urinaient les petites filles,
le mufle du taureau, le champignon vénéneux
et une lune incompréhensible qui éclairait dans les coins
les morceaux de citron sec sous le noir dur des bouteilles.
Ces yeux, les miens, sur lecou du poney,
sur le sein transpercé de sainte Rose endormie,
sur les toits de l’amour, plein de gémissements et de mains fraîches,
dans un jardin où les chats mangeaient les grenouilles.
Grenier où la vieille poussière agglutine statues et mousses,
boîtes qui gardent le silence des crabes dévorés,
à l’endroit où le rêve se heurtait à leur rivalité.
Là s’ouvrirent mes yeux enfants.
Ne me demandez rien. J’ai vu que les choses
quand elles cherchent leur cours ne trouvent que leur vide.
Il y a une douleur de creux dans l’air inhabité
et dans mes yeux des créatures vêtues, sans nudité !
Poésie, III, Poésie/Gallimard, 1968. Traduction Pierre Darmangeat.
Era mi voz antigua ignorante de los densos jugos amargos. La adivino lamiendo mis pies bajo los frágiles helechos mojados.
¡Ay voz antigua de mi amor, ay voz de mi verdad, ay voz de mi abierto costado, cuando todas las rosas manaban de mi lengua y el césped no conocía la impasible dentadura del caballo!
Estás aquí bebiendo mi sangre, bebiendo mi humor de niño pasado, mientras mis ojos se quiebran en el viento con el aluminio y las voces de los borrachos.
Dejarme pasar la puerta donde Eva come hormigas y Adán fecunda peces deslumbrados. Dejarme pasar, hombrecillo de los cuernos, al bosque de los desperezos y los alegrísimos saltos.
Yo sé el uso más secreto que tiene un viejo alfiler oxidado y sé del horror de unos ojos despiertos sobre la superficie concreta del plato.
Pero no quiero mundo ni sueño, voz divina, quiero mi libertad, mi amor humano en el rincón más oscuro de la brisa que nadie quiera. ¡Mi amor humano!
Esos perros marinos se persiguen y el viento acecha troncos descuidados. ¡Oh voz antigua, quema con tu lengua esta voz de hojalata y de talco!
Quiero llorar porque me da la gana como lloran los niños del último banco, porque yo no soy un hombre, ni un poeta, ni una hoja, pero sí un pulso herido que ronda las cosas del otro lado.
Quiero llorar diciendo mi nombre, rosa, niño y abeto a la orilla de este lago, para decir mi verdad de hombre de sangre matando en mí la burla y la sugestión del vocablo.
No, no. Yo no pregunto, yo deseo, voz mía libertada que me lames las manos. En el laberinto de biombos es mi desnudo el que recibe la luna de castigo y el reloj encenizado.
Así hablaba yo. Así hablaba yo cuando Saturno detuvo los trenes y la bruma y el Sueño y la Muerte me estaban buscando. Me estaban buscando allí donde mugen las vacas que tienen patitas de paje y allí donde flota mi cuerpo entre los equilibrios contrarios.
Poeta en Nueva York. 1929-1930. 1940.
Philip Cummings (1906-1991), étudiant et jeune poète américain, et Federico García Lorca se rencontrent à Madrid en 1928, à la Residencia de Estudiantes. Le poète andalou arrive à New York le 25 juin 1929. Il y reste jusqu’en février 1930 , puis se rend à Cuba en mars. Il ne cesse d’écrire, mais traverse une grave crise intérieure. Il s’échappe quelque temps de New York et de ses cours d’anglais. Il vit du 17 au 26 août 1929 au bord du Lac Eden (Vermont) dans une cabane louée par la famille de son ami. Ils traduisent ensemble en anglais le recueil Canciones. La nature est magnifique, mais il pleut sans cesse. García Lorca est désespéré. Il pense à son enfance et réfléchit à sa douloureuse expérience récente. Le poète andalou aurait confié à son ami américain 53 feuilles manuscrites qu’il lui aurait demandé de détruire s’il ne les lui réclamait pas dix ans plus tard. Cummings lui aurait obéi en 1961.
Double poème du Lac Eden Nos brebis paissent, la brise souffle. Garcilaso
Ma voix ancienne
ignorait les sucs amers et denses.
Je la devine qui lèche mes pieds
sous les frêles fougères mouillées.
Ô voix ancienne de mon amour,
ô voix de ma vérité,
ô voix de mon flanc ouvert,
quand toutes les roses jaillissent de ma langue,
quand le gazon ne connaissait l’impassible denture du cheval!
Tu es ici à boire mon sang,
à boire mon humeur d’enfant ennuyeux,
tandis que mes yeux se brisent dans le vent
avec l’aluminium et les voix des ivrognes.
Laisse -moi passer la porte
où Eve mange des fourmis
et Adam féconde des poissons éblouis.
Laisse-moi passer, petit homme cornu,
dans le bois où l’on étire son corps
et où l’on saute gaîment.
Je sais l’usage le plus secret
d’une vieille épingle oxydée
et je sais l’horreur des yeux éveillés
sur la surface concrète de l’assiette.
Mais je veux ni monde ni songe, voix divine,
je veux ma liberté, mon amour humain,
dans le coin le plus sombre de la brise, que nul ne veuille.
Mon amour humain!
Ces chiens de la mer se poursuivent
et le vent guette des troncs négligés.
Ô voix ancienne, brûle de ta langue
cette voix de fer-blanc et de talc!
Je veux pleurer parce que j’en ai envie
comme pleurent les enfants du dernier banc,
parce que je ne suis homme, poète ni feuille,
mais pulsation blessée qui sonde les choses de l’autre côté.
Je veux pleurer en disant mon nom,
rose, enfant et sapin au bord de ce lac,
pour dire ma vérité d’homme de sang
en tuant en moi la raillerie et la suggestion du mot.
Non, non, je n’interroge pas, je désire, ô ma voix libérée qui me lèche les mains. Dans le labyrinthe de paravents, c’est ma nudité qui reçoit la lune de châtiment et l’horloge couverte de cendres.
Ainsi parlais-je. Ainsi parlais-je quand Saturne arrêta les trains et que la brume et le Songe et la Mort me cherchaient. Ils me cherchaient là où mugissent les vaches qui ont de petites pattes de page et là où mon corps flotte entre équilibres contraires.
Poésie, III. Poésie/Gallimard, 1968. Traduction Pierre Darmangeat.
(Pour Manuel, mon fils, philosophe et apiculteur…)
Federico García Lorca est né à Fuente Vaqueros, près de Grenade, le 5 juin 1898. Son père, Federico García Rodríguez (1859-1945) est un riche et libéral propriétaire terrien de la très fertile Vega de Granada. Le futur poète passe les onze premières années de son enfance à la campagne dans une zone de longue tradition apicole. En 1906-1907, sa famille s’installe à Asquerosa, petit village tout proche, aujourd’hui appelé Valderrubio, et en 1909 à Grenade en ville (Acera del Darro, 46). Toute sa vie, il fait aussi des séjours dans la maison de campagne familiale, la Huerta de San Vicente. L’ambiance rurale est centrale dans toute son oeuvre.
El canto de la miel
Noviembre de 1918
(Granada)
La miel es la palabra de Cristo,
el oro derretido de su amor.
El más allá del néctar,
la momia de la luz del paraíso.
La colmena es una estrella casta,
pozo de ámbar que alimenta el ritmo
de las abejas. Seno de los campos
tembloroso de aromas y zumbidos.
La miel es la epopeya del amor,
la materialidad de lo infinito.
Alma y sangre doliente de las flores
condensada a través de otro espíritu.
(Así la miel del hombre es la poesía
que mana de su pecho dolorido,
de un panal con la cera del recuerdo
formado por la abeja de lo íntimo)
La miel es la bucólica lejana
del pastor, la dulzaina y el olivo,
hermana de la leche y las bellotas,
reinas supremas del dorado siglo.
La miel es como el sol de la mañana,
tiene toda la gracia del estío
y la frescura vieja del otoño.
Es la hoja marchita y es el trigo.
¡Oh divino licor de la humildad,
sereno como un verso primitivo!
La armonía hecha carne tú eres,
el resumen genial de lo lírico.
En ti duerme la melancolía,
el secreto del beso y del grito.
Dulcísima. Dulce. Este es tu adjetivo. Dulce como los vientres de las hembras. Dulce como los ojos de los niños. Dulce como las sombras de la noche. Dulce como una voz. O como un lirio.
Para el que lleva la pena y la lira,
eres sol que ilumina el camino.
Equivales a todas las bellezas,
al color, a la luz, a los sonidos.
¡Oh! Divino licor de la esperanza,
donde a la perfección del equilibrio
llegan alma y materia en unidad
como en la hostia cuerpo y luz de Cristo.
Y el alma superior es de las flores,
¡Oh licor que esas almas has unido!
El que te gusta no sabe que traga
un resumen dorado del lirismo.
Libro de poemas. 1921.
Le cantique au miel
Novembre 1918
(Grenade)
Le miel est la parole du Christ
L’or fondu de son amour,
L’au-delà du nectar,
La momie de la lumière du paradis.
La ruche est une chaste étoile,
Un puit d’ambre alimenté au rythme
Des abeilles. Le sein des campagnes,
Tremblant d’arômes et de bourdonnements.
Le miel est l’épopée de l’amour,
La matérialité de l’infini,
L’âme et le sang plaintif des fleurs
Condensés à travers un autre esprit.
(Et le miel de l’homme est la poésie
Qui coule de son cœur endolori,
Rayon dont la cire est le souvenir,
Façonnée par l’abeille la plus intime.)
Le miel est la bucolique lointaine
Du pasteur, la flûte et les oliviers,
Le frère du gland et du lait
Qui régnaient en l’âge d’or.
Comme le soleil du matin, le miel
A tout le charme de l’Été
Et la fraîcheur ancienne de l’Automne.
C’est la feuille morte et le blé.
Ô divine liqueur d’humilité
Aussi sereine qu’un vers primitif !
Tu es l’harmonie incarnée
Et la géniale essence du lyrisme.
En toi dort la mélancolie,
Le secret du baiser et du cri.
Ô douceur ! Le doux est ton attribut, Doux comme le ventre des femmes, Doux comme les yeux des enfants, Doux comme l’ombre de la nuit, Doux comme une voix. Ou comme un lys.
Soleil qui éclaires les pas
De celui qui porte la peine et la lyre,
Tu équivaux à toutes les beautés,
Á la couleur, à la lumière, à la musique.
Ô divine liqueur de l’espérance
Où l’âme et la matière se marient
Dans un équilibre parfait,
Comme en l’hostie le corps du Christ et sa lumière.
Tu es des fleurs l’achèvement suprême,
Ô liqueur, en qui leurs âmes s’unissent !
Qui te goûte ne sait qu’il absorbe
L’essence dorée du lyrisme.
Poésies I Livre de poèmes Mon village. NRF. Poésie/Gallimard n° 20. 1967. Traduction : André Belamich.
António Lobo Antunes est né le 1 septembre 1942 à Lisbonne, dans le quartier de Benfica. Il est issu d’une famille de la grande bourgeoisie portugaise. Son père était neurologue. Il avait cinq frères. Il fait des études de médecine et participe en tant que médecin militaire à la guerre d’Angola de janvier 1971 à avril 1973. Cette expérience est centrale dans ses trois premiers romans : Mémoire d’éléphant (1979), Le Cul de Judas (1979)et Connaissance de l’enfer (1980) . Á son retour d’Angola, il se spécialise en psychiatrie. Il exerce à l’hôpital Miguel Lombarda de Lisbonne jusqu’en 1985. Il obtient le prix Camões en 2007. En France, il est publié chez Christian Bourgois et aux Éditions Métailié.
J’ai lu, il y a longtemps, le livre d’entretiens de Maria Luisa Blanco, Conversation avec António Lobo Antunes (Christian Bourgois éditeur, 2004). Je suis allé le rechercher dans ma bibliothèque ainsi que Le cul de Judas.
Quelques citations:
“En ce qui concerne les livres , c’est ceux qui sont les plus simples en apparence qui s’avèrent être les plus difficiles, comme le Quichotte, par exemple. Cervantes est un des écrivains qui me transportent le plus, qui me laissent toujours bouche bée. Sterne, avec son Tristam Shandy, ce roman extraordinaire, est de ceux-là également.” “Les personnages de mes livres me poursuivent, c’est comme si je vivais entouré de fantômes.”
“Les personnages de mes livres me poursuivent, c’est comme si je vivais entouré de fantômes.”
“Quand j’écris, je dois prendre du valium.”
“Je me souviens de l’écrivain Thomas Wolfe: quand il a fait paraître son premier roman, qui était autobiographique, on lui a demandé comment il pouvait présenter ses parents d’une façon aussi brutale. Il a été déconcerté parce qu’il disait qu’à ses yeux c’étaient des gens de valeur, que c’était ce qu’il s’était efforcé de transmettre, et qu’il ne comprenait pas pourquoi les autres l’avaient interprété autrement. Il était réellement déconcerté. C’est un peu la même chose qui se passe pour moi.”
“Pour moi, la guerre a signifié une très grande souffrance, mais elle m’a beaucoup apporté.”
“Vivre, c’est comme écrire, mais sans pouvoir corriger.”
“Dans mon roman Le Cul de Judas, je raconte beaucoup de choses de ma vie en Afrique. je parle d’un missionnaire basque qui s’est présenté en disant: “Je suis basque, et je suis un ami intime de ce salaud de Francisco Franco” et j’ai reproduit la phrase exactement comme il l’avait dite. Il passait son temps à compiler des proverbes et des poèmes oraux qui étaient d’une beauté extraordinaire, et la police politique l’a tué. il appartenait à un ordre missionnaire, et moi j’ai été impressionné, parce que c’était la première fois que j’entendais un curé dire “salaud”. Cet homme était seulement venu pour tenter d’évangéliser les gens de là-bas.”
“Je me sens terriblement orphelin…”
“Je sens que je ne suis de nulle part…”
“…Quand l’inspiration est très abondante, on ne peut pas tout mettre dans un petit récit. et quand on a lu Tchékhov, Cortázar, Katherine Mansfield, qu’est-ce qu’on peut écrire après avoir lu ce qu’ils ont fait ? Ils ont la concision qu’il me manque.”
“Écrire c’est une drogue dure.”
“…mais le lyrisme ibérique est très difficile à traduire. il est très dionysiaque. Comment traduire Lorca ? et certains poèmes de Machado ? il y a de très bons poètes en langue espagnole. Quevedo, par exemple, saint Jean de la Croix. Quels grand poètes ! Il nous laissent sans voix. Moi, au fond, j’aimerais écrire des romans qui soient comme leurs poèmes.”
“Je continue à aller dans les librairies et à en ressortir chargé de livres parce que j’aime tous les livres, même les mauvais. Je lis tout ce qui est imprimé. C’est une boulimie qui m’a accompagné toute ma vie et qui me tient encore.”
“Os Cus de Judas est une phrase toute faite qui pourrait se traduire par quelque chose comme “au diable-vauvert”
“Le suicide est une présence constante. Je suis conscient qu’il existe en moi une dimension autodestructrice.”
“Moi, au fond, je suis un puritain.”
“Je me rappelle quels ont été les vainqueurs du Tour de France d’il y a très longtemps…les équipes de foot. Je me dis parfois que j’emmagasine des choses inutiles, mais c’est bon pour écrire parce que c’est avec la mémoire qu’on écrit.”
“J’envie énormément les poètes. Si j’étais capable d’écrire comme Lorca… Personne n’écrit de romans comme moi, mais je suis un poète raté. J’aime Salinas, Cernuda , j’aime les poètes solaires, lyriques, dionysiaques…Mais surtout Federico García Lorca; il m’émeut: “Cómo canta la noche, cómo canta…/ qué espesura de anémonas levanta…” Vous croyez qu’on peut mieux écrire ? Je n’ai pas la veine poétique. Pour moi, la vie , c’est ça : “Je t’aime tant que l’air me fait mal, et mon coeur, et mon chapeau… ” C’est si vrai, c’est si fort… Il me semble que Lorca est un poète dont on ne reconnaît pas la valeur. Peut-être parce qu’il est trop connu et que nous, les intellectuels, comme vous le savez, nous sommes plus attirés par des poètes plus nobles, plus hermétiques. Mais il y a chez Lorca une pureté, une force… “Sólo el misterio te hace vivir…” J’aurais dû écrire ça, mais je n’ai aucun talent dans ce domaine. Peut-être que les bons romanciers sont des poètes ratés. Je ne sais pas.”
Le 18 août 1936, il y a 85 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.
Túmulo de Lorca(Sophia de Mello Breyner Andresen)
Em ti choramos os outros mortos todos
Os que foram fuzilados em vigílias sem data
Os que se perdem sem nome na sombra das cadeias
Tão ignorados que nem sequer podemos
Perguntar por eles imaginar seu rosto
Choramos sem consolação aqueles que sucumbem
Entre os cornos da raiva sob o peso da força
Não podemos aceitar. O teu sangue não seca
Não repousamos em paz na tua morte
A hora da tua morte continua próxima e veemente
E a terra onde abriram a tua sepultura
É semelhante à ferida que não fecha
O teu sangue não encontrou nem foz nem saída
De Norte a Sul de Leste a Oeste
Estamos vivendo afogados no teu sangue
A lisa cal de cada muro branco
Escreve que tu foste assassinado
Não podemos aceitar. O processo não cessa Pois nem tu foste poupado à patada da besta A noite não pode beber nossa tristeza E por mais que te escondam não ficas sepultado
Geografía, 1967.
Tumba de Lorca
En ti lloramos todos los demás muertos Los que fueron fusilados en vigilias sin fecha Los que se pierden sin nombre en la sombra de las prisiones Tan ignorados que ni siquiera podemos Preguntar por ellos imaginar sus rostros Lloramos sin consuelo aquellos que sucumben Entre los cuernos de rabia bajo el peso de la fuerza
No podemos aceptar. Tu sangre no se seca
No descansamos en paz en tu muerte
La hora de tu muerte continúa cercana y vehemente
Y la tierra donde abrieron tu sepultura
Semeja una herida que no cierra
Tu sangre no halló embocadura ni salida
De norte a sur de este a oeste
Estamos viviendo ahogados en tu sangre
La lisa cal de cada muro blanco
Escribe que tú fuiste asesinado
No podemos aceptarlo. El proceso no cesa Pues ni tú te libraste de la patada de la bestia La noche no puede beber nuestra tristeza Y por más que te escondan aún no estás sepultado
Lo digo para ver, Septiembre 2019. 2019. Editorial: Galaxia Gutemberg. Traducción de Ángel Campos Pámpano.
Sophia de Mello Breyner Andresen est née le 6 novembre 1919 à Porto dans une vieille famille aristocratique . Elle suit des études de philologie classique à la Faculté des Lettres de Lisbonne. Elle publie en 1944 un premier recueil, Poesía, publié à compte d’auteur. Elle entame alors une carrière littéraire, encouragée par Miguel Torga. Engagée politiquement à gauche, elle a joué un rôle de premier plan dans les combats qui ont permis l’instauration de la démocratie au Portugal. Elle est élue à l’Assemblée Constituante en 1975 pour la région de Porto sur une liste du Parti Socialiste Portugais C’est une des plus importantes poétesses portugaises du XX ème siècle. Elle a écrit aussi des essais, des nouvelles et des livres pour enfants. Elle a traduit de nombreux auteurs étrangers. Elle a reçu le prix Camões, le plus important prix de littérature de langue portugaise en 1999 pour l’ensemble de son œuvre, et le prix Reina Sofía de poésie iberoamericaine en 2003. Elle est morte à 84 ans le 2 juillet 2004 à Lisbonne. Elle est enterrée au Panteão Nacional de Lisbonne depuis 2014 (Église de Santa Engrácia).
(…) Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu’on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues, Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas; (…)
(…) Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes ; C’est pour les coeurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; C’est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité !
Les Fleurs du Mal, 1857.
Quelques caricaturistes étrangers
II En Espagne, un homme singulier a ouvert dans le comique de nouveaux horizons. A propos de Goya, je dois d’abord renvoyer mes lecteurs à l’excellent article que Théophile Gautier a écrit sur lui dans le Cabinet de l’Amateur, et qui fut depuis reproduit dans un volume de mélanges. Théophile Gautier est parfaitement doué pour comprendre de semblables natures. D’ailleurs, relativement aux procédés de Goya, — aquatinte et eau-forte mêlées, avec retouches à la pointe sèche, — l’article en question contient tout ce qu’il faut. Je veux seulement ajouter quelques mots sur l’élément très-rare que Goya a introduit dans le comique : je veux parler du fantastique. Goya n’est précisément rien de spécial, de particulier, ni comique absolu, ni comique purement significatif, à la manière française. Sans doute il plonge souvent dans le comique féroce et s’élève jusqu’au comique absolu ; mais l’aspect général sous lequel il voit les choses est surtout fantastique, ou plutôt le regard qu’il jette sur les choses est un traducteur naturellement fantastique. Los Caprichos sont une œuvre merveilleuse, non seulement par l’originalité des conceptions, mais encore par l’exécution. J’imagine devant lesCaprices un homme, un curieux, un amateur, n’ayant aucune notion des faits historiques auxquels plusieurs de ces planches font allusion, un simple esprit d’artiste qui ne sache ce que c’est ni que Godoï, ni le roi Charles, ni la reine ; il éprouvera toutefois au fond de son cerveau une commotion vive, à cause de la manière originale, de la plénitude et de la certitude des moyens de l’artiste, et aussi de cette atmosphère fantastique qui baigne tous ses sujets. Du reste, il y a dans les œuvres issues des profondes individualités quelque chose qui ressemble à ces rêves périodiques ou chroniques qui assiègent régulièrement notre sommeil. C’est là ce qui marque le véritable artiste, toujours durable et vivace même dans ces œuvres fugitives, pour ainsi dire suspendues aux événements, qu’on appelle caricatures ; c’est là, dis-je, ce qui distingue les caricaturistes historiques d’avec les caricaturistes artistiques, le comique fugitif d’avec le comique éternel. Goya est toujours un grand artiste, souvent effrayant. Il unit à la gaieté, à la jovialité, à la satire espagnole du bon temps de Cervantès, un esprit beaucoup plus moderne, ou du moins qui a été beaucoup plus cherché dans les temps modernes, l’amour de l’insaisissable, le sentiment des contrastes violents, des épouvantements de la nature et des physionomies humaines étrangement animalisées par les circonstances. C’est chose curieuse à remarquer que cet esprit qui vient après le grand mouvement satirique et démolisseur du dix-huitième siècle, et auquel Voltaire aurait su gré, pour l’idée seulement (car le pauvre grand homme ne s’y connaissait guère quant au reste), de toutes ces caricatures monacales, — moines bâillants, moines goinfrants, têtes carrées d’assassins se préparant à matines, têtes rusées, hypocrites, fines et méchantes comme des profils d’oiseaux de proie ; — il est curieux, dis-je, que ce haïsseur de moines ait tant rêvé sorcières, sabbat, diableries, enfants qu’on fait cuire à la broche, que sais-je ? toutes les débauches du rêve, toutes les hyperboles de l’hallucination, et puis toutes ces blanches et sveltes Espagnoles que de vieilles sempiternelles lavent et préparent soit pour le sabbat, soit pour la prostitution du soir, sabbat de la civilisation ! La lumière et les ténèbres se jouent à travers toutes ces grotesques horreurs. Quelle singulière jovialité ! Je me rappelle surtout deux planches extraordinaires : — l’une représente un paysage fantastique, un mélange de nuées et de rochers. Est-ce un coin de Sierra inconnue et infréquentée ? un échantillon du chaos ? Là, au sein de ce théâtre abominable, a lieu une bataille acharnée entre deux sorcières suspendues au milieu des airs. L’une est à cheval sur l’autre ; elle la rosse, elle la dompte. Ces deux monstres roulent à travers l’air ténébreux. Toute la hideur, toutes les saletés morales, tous les vices que l’esprit humain peut concevoir sont écrits sur ces deux faces, qui, suivant une habitude fréquente et un procédé inexplicable de l’artiste, tiennent le milieu entre l’homme et la bête. L’autre planche représente un être, un malheureux, une monade solitaire et désespérée, qui veut à toute force sortir de son tombeau. Des démons malfaisants, une myriade de vilains gnomes lilliputiens pèsent de tous leurs efforts réunis sur le couvercle de la tombe entrebâillée. Ces gardiens vigilants de la mort se sont coalisés contre l’âme récalcitrante qui se consume dans une lutte impossible. Ce cauchemar s’agite dans l’horreur du vague et de l’indéfini. A la fin de sa carrière, les yeux de Goya étaient affaiblis au point qu’il fallait, dit-on, lui tailler ses crayons. Pourtant il a, même à cette époque, fait de grandes lithographies très-importantes, entre autres des courses de taureaux pleines de foule et de fourmillement, planches admirables, vastes tableaux en miniature, — preuves nouvelles à l’appui de cette loi singulière qui préside à la destinée des grands artistes, et qui veut que, la vie se gouvernant à l’inverse de l’intelligence, ils gagnent d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre, et qu’ils aillent ainsi, suivant une jeunesse progressive, se renforçant, se ragaillardissant, et croissant en audace jusqu’au bord de la tombe. Au premier plan d’une de ces images, où règnent un tumulte et un tohu-bohu admirables, un taureau furieux, un de ces rancuniers qui s’acharnent sur les morts, a déculotté la partie postérieure d’un des combattants. Celui-ci, qui n’est que blessé, se traîne lourdement sur les genoux. La formidable bête a soulevé avec ses cornes la chemise lacérée et mis à l’air les deux fesses du malheureux, et elle abaisse de nouveau son mufle menaçant ; mais cette indécence dans le carnage n’émeut guère l’assemblée. Le grand mérite de Goya consiste à créer le monstrueux vraisemblable. Ses monstres sont nés viables, harmoniques. Nul n’a osé plus que lui dans le sens de l’absurde possible. Toutes ces contorsions, ces faces bestiales, ces grimaces diaboliques sont pénétrées d’humanité. Même au point de vue particulier de l’histoire naturelle, il serait difficile de les condamner, tant il y a analogie et harmonie dans toutes les parties de leur être ; en un mot, la ligne de suture, le point de jonction entre le réel et le fantastique est impossible à saisir ; c’est une frontière vague que l’analyste le plus subtil ne saurait pas tracer, tant l’art est à la fois transcendant et naturel.