Abril de 1939: Joaquín de Entrambasaguas (1904-1995), filólogo que presidía la comisión depuradora franquista ordenó la destrucción de los 50.000 ejemplares de El Hombre Acecha de Miguel Hernández imprimidos en la Tipografía moderna (Valencia, calle de Avellanas, 9). Dos ejemplares ocultos permitieron su reedición en 1981. Antonio Rodríguez-Moñino (1910-1970) salvó uno de ellos. Había protegido la Biblioteca Nacional durante la guerra. Fue depurado, despojado de su cátedra e inhabilitado para la enseñanza durante veinte años.
Le Monde, 8 août 1970
L’érudit Antonio Rodriguez-Moñino vient de mourir à Madrid, à l’âge de soixante ans, des suites d’une longue maladie. (Robert Marrast)
Avec lui disparaît une des plus grandes figures de l’hispanisme contemporain. Né en 1910, en Estrémadoure, il avait publié son premier article à quinze ans, et, depuis, n’avait cessé de collaborer aux plus éminentes revues du monde entier. Professeur, membre de la Bibliographical Society de Londres et de la Cambridge Bibliographical Society, il enseigna depuis 1960 à Berkeley (Californie) et donna des conférences aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. Docteur ” honoris causa ” de l’université de Bordeaux, il avait été élu récemment membre de la Real Academia Española.
Sa compétence s’étendait à tous les domaines, particulièrement à ceux de la bibliographie hispanique et du ” romancero ” ; il dirigea plusieurs collections de textes et d’études, et réalisa des éditions définitives et des publications en fac-similé de ” romanceros ” et de ” cancioneros ” dont certains sont uniques au monde. C’est également sur l’étude des ” romances ” que portait la thèse de doctorat qu’il soutint naguère à Salamanque. Il avait créé, voici deux ans, une remarquable collection de classiques espagnols aux éditions Castalia ; en 1965, il publiait, en collaboration avec sa femme, Maria Brey, elle-même hispaniste de valeur, un monumental catalogue des manuscrits de poésie espagnole de la Hispanic Society of America, dont il était le vice-président.
Celui que Marcel Bataillon appelait ” le prince des bibliophiles espagnols ” avait cette qualité rare : il ouvrait largement aux chercheurs venus à lui de partout les inestimables trésors de ses collections de manuscrits et de sa très riche bibliothèque. Les hispanistes de tous les pays se retrouvaient l’après-midi à sa ” tertulia “, au café Lyon de Madrid. Il les accueillait tous, jeunes ou chevronnés, avec bienveillance et courtoisie. Il n’est pas une thèse, un ouvrage d’érudition, un catalogue bibliographique du domaine hispanique des vingt dernières années qui ne lui doivent quelque chose, et souvent beaucoup. Pour tous, Don Antonio était le symbole même de la rigueur intellectuelle et son exemple, autant que celui de son œuvre brutalement interrompue, demeureront longtemps présents auprès des hispanistes et des bibliophiles du monde entier.
La photographe franco-suisse Sabine Weiss est décédée mardi 28 décembre à son domicile parisien à l’âge de 97 ans. Elle était née le 23 juillet 1924 à Saint-Gingolph en Suisse et avait été naturalisée française en 1995. Elle vivait à Paris depuis 1946. On la classait dans l’école française humaniste ( Robert Doisneau, Willy Ronis, Édouard Boubat… ) ce qu’elle n’appréciait pas beaucoup. En 2020, elle avait remporté le prix Women in Motion pour la photographie, remis par Kering et les Rencontres d’Arles pour l’ensemble de son œuvre. Elle avait toujours beaucoup travaillé, passant de la mode et de la photo de rue à la consommation et aux loisirs, mais elle préférait les photos qu’elle avait prises pour elle, à la sauvette. Elle flânait ainsi beaucoup la nuit dans Paris avec son mari, le peintre américain Hugh Weiss (1925-2007). Les enfants sont très présents dans ses photos. En 2017, elle avait donné l’ensemble de ses archives (200 000 négatifs, 7 000 planches-contact, environ 2 700 tirages vintage et 2 000 tardifs, 3 500 tirages de travail et 2 000 diapositives) au Musée de l’Élysée à Lausanne
« J’ai été un témoin, je n’ai rien créé »
« Je suis allée dans des morgues, dans des usines, j’ai photographié des gens riches, j’ai fait des photos de mode… Mais ce qui reste, ce sont uniquement des photos que j’ai prises pour moi, à la sauvette. »
« La vie, c’est quand même pas toujours jojo. Alors tant mieux s’il y a un peu d’humour dans mes images. »
J’avais beaucoup aimé en 2018 l’exposition du centre Georges Pompidou Les villes, la rue, l’autre (20 juin-15 octobre 2018), sous la direction de la commissaire Karolina Ziebinska-Lewandowska.
Je lis Salvo el crepúsculo de Julio Cortázar. J’ai trouvé ce livre d’occasion chez Gibert, il y a quelques semaines. L’auteur argentin n’est pas un très grand poète, mais ses textes me touchent encore comme dans les années 70-80.
Julio Cortazár, Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques, 2010. Traduit par Silvia Baron Supervielle.
« Je ne sais pas ce qui rend un livre inoubliable mais je sais que, depuis que je découvris Salvo el crepúsculo, dans la première édition mexicaine, je n’ai jamais pu l’oublier. C’était en 1984, année de la mort de Cortázar. Une nouvelle édition est sortie récemment aux éditions Alfaguara, elle inclut de légères retouches faites par l’auteur sur des épreuves retrouvées. Mais il n’a rien supprimé, ni changé, ni désavoué de cet ensemble de textes d’époques diverses de sa vie, choisis et spécialement réunis par ses soins. De quelle manière ce livre est arrivé entre mes mains, je ne saurais le dire. J’en suis tombée amoureuse et ensuite il s’est de lui-même enraciné dans mon souvenir. Car peu de temps après, je me suis mise sans succès à le chercher sur mes étagères. Depuis lors, à intervalles réguliers, je n’ai pas cessé d’essayer de le retrouver en vain. Il me semblait impossible de l’avoir perdu ou prêté à quelqu’un ; il avait disparu et je ne me consolais pas. Il m’était cher, il enfermait une signification particulière, une musique, une indépendance, une nostalgie qui trouvaient en moi une résonance pleine. Après qu’il eut publié Rayuela (Marelle) en Argentine, Cortázar adressa une lettre à son ami Fredi Guthman, où il dit : “Maintenant les philologues, les rhétoriciens, les versés en classifications et en expertises se déchaîneront, mais nous sommes de l’autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et délicat où la poésie est possible et arrive jusqu’à nous comme une flèche d’abeilles.… ». (Silvia Baron Supervielle).
Ley del poema (Julio Cortázar)
Amargo precio del poema, las nueve sílabas del verso; una de más o una de menos lo alzan al aire o lo condenan.
Somos el ajedrez de un río, el naipe siempre entre dos lumbres; caen las caras y las cruces a cada curva del camino.
Cae en el verso la palabra, en el recuerdo llueve el llanto, cae la noche, cae el pájaro, todo es caída amortiguada.
¡Oh libertad de no ser libre, golpe de dados que desata la sigilosa telaraña de encrucijadas y deslindes!
Como tu boca a la manzana, como mis manos a tus senos, irá la mariposa al fuego para danzar su última danza.
Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.
Loi du poème
Amer est le prix du poème, les neuf syllabes de chaque vers ; l’une superflue, l’autre manquante le font voler ou le condamnent.
Nous sommes l’échiquier d’un cours d’eau la carte à jouer entre deux feux ; tombent les faces tombent les piles chaque fois que tourne le chemin
Tombe le rythme dans les vers, pleuvent les larmes dans le souvenir, tombe la nuit, tombe l’oiseau tout est chute lente sans bruit.
Ô liberté de la prison, coup de dés qui lance et détache l’énigmatique toile d’araignée des murs et des démarcations !
Comme ta bouche découvre la pomme comme mes mains découvrent tes seins, le papillon suivra le feu pour sa dernière danse danser.
Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.
El interrogador
No pregunto por las glorias ni las nieves, quiero saber dónde se van juntando las golondrinas muertas, adónde van las cajas de fósforos usadas. Por grande que sea el mundo hay los recortes de uñas, las pelusas, los sobres fatigados, las pestañas que caen. ¿Adonde van las nieblas, la borra del café, los almanaques de otro tiempo?
Pregunto por la nada que nos mueve; en esos cementerios conjeturo que crece poco a poco el miedo, y que allí empolla el Roc.
Salvo el crepúsculo. Alfaguara, 1984.
L’interrogateur
Je ne questionne pas sur les gloires ni les neiges, je veux savoir où se retrouvent les hirondelles mortes, où vont les boîtes d’allumettes usées. Aussi grand que soit le monde il y a les ongles à couper, les effiloches, les enveloppes fatiguées, les cils qui tombent. Où vont les brumes, le dépôt du café, les almanachs d’un autre temps ?
Je questionne sur le vide qui nous anime ; je présume que dans ces cimetières la peur pousse peu à peu et que c’est là où couve le Rokh.
Crépuscule d’automne. Éditions José Corti. Collection Ibériques. 2010. Traduction de Silvia Baron Supervielle.
Gracias a la Fundación Española Antonio Machado. Soria – Madrid. ¡Feliz Navidad!
XCVI. Sol de invierno (Antonio Machado)
Es mediodía. Un parque. Invierno. Blancas sendas; simétricos montículos y ramas esqueléticas.
Bajo el invernadero, naranjos en maceta, y en su tonel, pintado de verde, la palmera.
Un viejecillo dice, para su capa vieja: «¡El sol, esta hermosura de sol!…» Los niños juegan.
El agua de la fuente resbala, corre y sueña lamiendo, casi muda, la verdinosa piedra.
Soledades. Galerías. Otros poemas. VI Varia. 1907.
XCVI. Soleil d’hiver
Il est midi. Un parc. L’hiver. De blancs sentiers ; des monticules symétriques, des branches squelettiques.
Dans la serre chaude, des orangers en pot, et dans son tonneau, peint en vert, le palmier.
Un petit vieillard dit à son vieux manteau : «Le soleil, quel splendeur ce soleil !… » Les enfants jouent.
L’eau de la fontaine coule, glisse et rêve, léchant, quasi muette, la pierre vert-de-gris.
Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction : Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, Gallimard, 1973; Paris, collection Poésie/ Gallimard, 1981 (n°144).
Mardi 14 décembre, dans l’exposition Picasso l’étranger au Musée de l’Histoire de l’immigration (4 novembre 2021 – 13 février 2022) (Commissariat: Annie Cohen-Solal, assistée d’Elsa Rigaux.), j’ai remarqué une lettre manuscrite d’Henri Laugier du 1 janvier 1961 envoyée à Pablo Picasso et accompagnée d’une copie manuscrite d’un texte de Paul Valéry (Paris, Musée national Picasso), Fortune selon l’esprit. Henri Laugier (1888-1973) est un physiologiste et haut fonctionnaire, très lié à Marie Cuttoli (1879-1973), collectionneuse, gérante de l’atelier de tapis d’art Myrbor et amie de Picasso qu’elle reçoit avant-guerre dans sa villa Shady Rock d’Antibes.
Fortune selon l’esprit (Paul Valéry)
Je ne demanderai à la fortune que les conditions physiques et chimiques de la liberté de l’esprit – le tiède, le frais, le calme, l’espace, le temps, le mouvement – selon le besoin. Un robinet que l’on ouvre ou que l’on ferme, et d’où coulent la solitude ou le monde, les montagnes ou les forêts, la mer ou bien la femme. Et des instruments de travail. Le luxe m’est indifférent. Je ne regarde pas les « belles choses ». C’est en faire qui m’intéresse, en imaginer, en réaliser. Une fois faites, ce sont des déchets. Nourrissez-vous de nos déchets. Transformer le désordre en ordre. Mais une fois l’ordre créé, mon rôle est terminé. Vixi. L’œuvre d’art me donne des idées, des enseignements, pas de plaisir. Car mon plaisir est de faire, non de subir. Mais l’ouvrage qui m’impose du plaisir, son bon plaisir, m’inspire vénération, terreur, sentiment d’une force supérieure.
Mélange, Gallimard, 1941.
La recherche de ce texte m’a mis sur la piste de Mathilde Pomés (1886-1977), hispaniste et traductrice, dont je connaissais les contacts avec les écrivains espagnols de la Génération de 1898, mais aussi avec ceux de la Génération de 1927. Amie d’Henry de Montherlant et de Paul Valéry, c’est la première femme à obtenir l’agrégation masculine d’espagnol (major en 1916). Elle publie Poètes espagnols d’aujourd’hui aux éditions Labor de Bruxelles en 1934 et chez Stock en 1957 une Anthologie de la Poésie Espagnole. Un hommage lui est rendu par de nombreux écrivains espagnols au restaurant Buenavista de Madrid le 10 avril 1931. Vicente Aleixandre, Prix Nobel de Littérature en 1977, considérait Mathilde Pomés comme “el verdadero cónsul de la poesía española en Europa”
Elle a légué un millier de lettres de 160 correspondants à ses amis Manuel Sito Alba, directeur de la Biblioteca española de París, et Elisa Ruiz García, son épouse, catedrática emérita de la Facultad de Geografía e Historia de la Universidad Complutense de Madrid. Ceux-ci les ont données à la Bibliothèque Nationale de Madrid qui a organisé une exposition du 30 septembre 2016 au 8 janvier 2017 : Cartas a una mujer: Mathilde Pomès (1886-1977).
Elle décrit ainsi la visite de Paul Valéry à Madrid au printemps 1924.
Paul Valéry et l’Espagne (Mathilde Pomés)
Le voyage, au temps de la jeunesse de Paul Valéry, n’était point article forfaitaire. C’était une entreprise individuelle, avec ses risque et ses profits singuliers. Uni à l’Italie pas des liens de famille, Valéry se déplace volontiers de sa Sète natale à Gênes, dont il a tracé de prestes, chatesques, odorants croquis. Marié, il se rend en voyage de noces en Belgique et à Cologne. Puis commence cette longue période de silence, de travail, de constitution de trésor qui durera jusqu’à l’après-guerre ; période simplement coupée de quelques déplacements intérieurs, que l’on peut dire sédentaire. Tout à coup la gloire se lève, envahit sa vie, l’écartèle. Valéry ne se possède plus ; on se dispute sa présence, on se l’arrache. C’est avant le plus fort de cette ruée qu’il reçoit son baptême espagnol. Venant d’Italie par Toulon et Montpellier, il passe pour la première fois les Pyrénées le 16 Mai 1924. La société de Cours et Conférences, que préside le duc d’Albe, lui a demandé deux conférences. Á Madrid le conférencier loge à la Residencia de Estudiantes, rue del Pinar, sur cette douce colline que le grand poète Juan Ramón Jiménez quand, en 1915, avant son mariage, il y résidait lui-même, avait baptisée « la colline des peupliers ». Valéry y parle les 17 et 20 mai, sur « Baudelaire et sa postérité » (dans l’intervalle, à l’Institut français, sur « Ronsard et l’esprit de la Pléiade ») La jeunesse intellectuelle se presse autour de lui. La courtoisie, l’empressement de ses hôtes ne le laissent pas seul. Il ne court pas la ville, ne flâne pas ; il ne visite même pas à son gré le Prado. On ne lui fait grâce ni de l’Escorial, ni de Tolède, ni d’Aranjuez. Après quoi, il faut prolonger chaque soirée jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, c’est à dire jusqu’au moment où, d’habitude, Valéry se lève. Il revient étourdi de veilles, de questions, de remarques, de vivacité, d’esprit. Il n’a retenu que des hommes. Quels êtres que ces Espagnols ! Toujours tendus, à la pointe d’eux-mêmes, vibrants, nerveux, prêts à voler ! Les fameux frondeurs d’Annibal, c’est eux-mêmes qu’ils lançaient.
– Qu’avez-vous vu à Madrid ?
– Ortega, Marichalar, Morente, Jiménez Fraud…
– Et la poésie ? Et Juan Ramón Jiménez !
– Sous les espèces de roses…
– Vous dites ?
– Que je n’ai vu ce grand poète que sous la plus belle apparence qu’il pût prendre, celle des merveilleuses roses qu’il m’a envoyées…
Á cette rencontre manquée, Valéry supplée par un compliment en vers :
À Juan Ramón Jiménez (Paul Valéry)
que me envió tan preciosas rosas…
…Voici la porte refermée Prison des roses de quelqu’un ?… La surprise avec le parfum Me font une chambre charmée…
Seul et non seul, entre ces murs, Dans l’air les présents les plus purs Font douceur et gloire muette – J’y respire un autre poète.
Le mardi 14 décembre, visite de l’excellente exposition Picasso l’étranger au Musée de l’Histoire de l’immigration (4 novembre 2021 – 13 février 2022) avec mes amis Elizabeth et Patrick. Commissariat: Annie Cohen-Solal, assistée d’Elsa Rigaux. Voir Un étranger nommé Picasso, Paris, Fayard, 2021. Prix Femina essai 2021.
Texte de présentation en ligne:
Comment, face aux aléas politiques du XX ème siècle, traversant deux guerres mondiales, une guerre civile et une guerre froide, au sein d’une Europe déchirée par les nationalismes et dans une France xénophobe qui l’accueille mal, Picasso impose-t-il au monde son œuvre magistrale ? Pourquoi le 18 juin 1901 Picasso est-il « signalé comme anarchiste » à la Préfecture de police, quinze jours avant sa première exposition parisienne ? Pourquoi le 1 décembre 1914 près de sept cents peintures, dessins et autres œuvres de sa période cubiste sont-ils séquestrés par le gouvernement français pour une période qui dure près de dix ans ? D’où vient l’absence presque totale de ses tableaux dans les collections publiques du pays jusqu’en 1947 ? Comment expliquer, enfin, que Picasso ne soit jamais devenu citoyen français ? Si l’œuvre de l’artiste a suscité expositions, ouvrages et commentaires en progression exponentielle à la hauteur de son immense talent, la situation de Picasso « étranger » en France a paradoxalement été négligée. C’est cet angle inédit qui constitue l’objet de ce livre.
Pour l’éclairer, il faut exhumer des strates de documents ensevelis, retrouver des fonds d’archives inexploités, en rouvrir, un à un, tous les cartons, déplier chacune des enveloppes, déchiffrer les différentes écritures manuscrites. Alors tout s’organise autrement et le statut de l’artiste se révèle beaucoup plus complexe qu’on ne l’imaginait.
Un étranger nommé Picasso nous entraîne dans une enquête stupéfiante sur les pas de l’artiste surdoué, naviguant en grand stratège dans une France travaillée par ses propres tensions. On le voit imposer au monde son œuvre magistrale, construire ses propres réseaux et devenir un puissant vecteur de modernisation du pays. Un modèle à contempler et peut-être à suivre.
Le 12 décembre 1821, à quatre heures du matin, est né à Rouen, Gustave Flaubert, fils de Achille-Cléophas Flaubert , chirurgien en chef à l’Hôtel-Dieu de cette ville, et d’Anne-Justine-Caroline Fleuriot.
Gallica propose de retrouver toutes ses ressources consacrées au romancier : sélections, dossier d’écrivain, billets de blog, manuscrits et éditions prestigieuses.
Je conseille aussi la lecture de Flaubert, les luxures de la plume de Marie Paule Farina. L’Harmattan, 2020.
Quelques citations retrouvées un peu au hasard :
Lettre à Louis Bouilhet, 18 février 1851.
« Mais j’éprouve par là le premier symptôme d’une décadence qui m’humilie et que je sens bien. Je grossis, je deviens bedaine et commence à faire vomir. Peut-être que bientôt je vais regretter ma jeunesse et, comme la grand’mère de Béranger, le temps perdu. Où es tu, chevelure plantureuse de mes dix-huit ans, qui me tombais sur les épaules avec tant d’espérances et d’orgueil ! Oui, je vieillis ; il me semble que je ne peux plus rien faire de bon. J’ai peur de tout en fait de style. Que vais-je écrire à mon retour ? Voilà ce que je me demande sans cesse. »
Lettre à Louise Colet, 26 mars 1854
« Chaque voix trouve son écho ! Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l’humanité. Tous ceux qui vivront de votre pensée, ce sont comme des enfants attablés à votre foyer. Aussi quelle reconnaissance, j’ai, moi, pour ces pauvres vieux braves dont on se bourre à si large gueule, qu’il semble que l’on a connus, et auxquels on rêve comme à des amis morts.”
Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 4 septembre 1858.
“Pourquoi ne travaillez-vous pas ? Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l’Art cause une longue ivresse et il est inépuisable. C’est de penser à soi qui rend malheureux”
Lettre à Léon de Saint-Valéry, 15 janvier 1870.
« Vous me demandez de vous répondre franchement à cette question : « Dois-je continuer à faire des romans ? » Or, voici mon opinion : il faut toujours écrire, quand on en a envie. Nos contemporains (pas plus que nous-mêmes) ne savent ce qui restera de nos œuvres. Voltaire ne se doutait pas que le plus immortel de ses ouvrages était Candide. Il n’y a jamais eu de grands hommes, vivants. C’est la postérité qui les fait. – Donc travaillons si le cœur nous en dit, si nous sentons que la vocation nous entraîne »
Lettre à George Sand, 4 décembre 1872.
“Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte), non pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour tous les lecteurs qui pourront se présenter tant que la langue vivra. Ma marchandise ne peut donc être consommée maintenant, car elle n’est pas faite exclusivement pour mes contemporains. Mon service reste donc indéfini et, par conséquent, impayable.»
Lettre à Guy de Maupassant, 9 août 1878. «Prenez garde à la tristesse. C’est un vice. On prend plaisir à être chagrin et, quand le chagrin est passé, comme on y a usé des forces précieuses, on en reste abruti. Alors on a des regrets, mais il n’est plus temps. Croyez-en l’expérience d’un scheik à qui aucune extravagance n’est étrangère.»
Je relis Roberto Juarroz et je compare les traductions de Fernand Verhesen (1913-2009) et celles de Roger Munier (1923-2010) . La collection Poésie/Gallimard, créée en mars 1966, vient de republier les traductions du premier. C’est précieux car elle privilégie enfin les éditions bilingues.
(Roberto Juarroz)
La vida nos va haciendo marcas como si tallara ciertos datos sobre una vara. Y esas marcas duran más que nosotros.
Parecemos el ayuda-memoria de un sombrío quehacer o el soporte accidental de un mensaje que se apoya un momento y continúa.
Las ancestrales disonancias danzan sobre los paredones deshilvanados y su funambulesca coreografía encuentra allí las figuras necesarias para desatar los impávidos jeroglíficos.
Las marcas que llevamos nos sobrevivirán como trincheras abandonadas. Y como todas las trincheras, por mucho que las rellenen, seguirán aguardando el retorno del áspero combate que circuló por las carnales incisuras de sus cavados y olvidados laberintos.
Cuarta poesía vertical. Buenos Aires, Aditor. 1969.
(Roberto Juarroz)
La vie nous fait des marques comme si elle taillait certaines données sur un bâton. Et ces marques durent plus que nous.
Nous ressemblons à l’aide-mémoire d’une obscure occupation ou au support accidentel d’un message qui s’appuie un moment et continue.
Les dissonances ancestrales dans sur les gros murs défaufilés et leur funambulesque chorégraphie trouve là les figures nécessaires pour dénouer les hiéroglyphes impavides.
Les marques que nous portons nous survivront comme des tranchées abandonnées. Et comme toutes les tranchées, pour autant qu’on les remplisse, attendront le retour de l’âpre combat qui circula dans les charnelles incisions de ses labyrinthes creusés et oubliés.
Quatrième poésie verticale. 1972. Éditions Le Cormier. Traduction Fernand Verhesen.
Poésies verticales. I-II-III-IV-XI Traduction Fernand Verhesen. Édition de Réginald Gaillard.
” Al otro, a Borges, es a quien le ocurren las cosas. Yo camino por Buenos Aires y me demoro, acaso ya mecánicamente, para mirar el arco de un zaguán y la puerta cancel; de Borges tengo noticias por el correo y veo su nombre en una terna de profesores o en un diccionario biográfico. Me gustan los relojes de arena, los mapas, la tipografía del siglo XVIII, el sabor del café y la prosa de Stevenson; el otro comparte esas preferencias, pero de un modo vanidoso que las convierte en atributos de un actor. Sería exagerado afirmar que nuestra relación es hostil; yo vivo, yo me dejo vivir, para que Borges pueda tramar su literatura y esa literatura me justifica. Nada me cuesta confesar que ha logrado ciertas páginas válidas, pero esas páginas no me pueden salvar, quizá porque lo bueno ya no es de nadie, ni siquiera del otro, sino del lenguaje o la tradición. Por lo demás, yo estoy destinado a perderme, definitivamente, y sólo algún instante de mí podrá sobrevivir en el otro. Poco a poco voy cediéndole todo, aunque me consta su perversa costumbre de falsear y magnificar. Spinoza entendió que todas las cosas quieren perseverar en su ser; la piedra eternamente quiere ser piedra y el tigre un tigre. Yo he de quedar en Borges, no en mí (si es que alguien soy), pero me reconozco menos en sus libros que en muchos otros o que en el laborioso rasgueo de una guitarra. Hace años yo traté de librarme de él y pasé de las mitologias del arrabal a los juegos con el tiempo y con lo infinito, pero esos juegos son de Borges ahora y tendré que idear otras cosas. Así mi vida es una fuga y todo lo pierdo y todo es del olvido, o del otro. No sé cuál de los dos escribe esta página. “
El hacedor, 1960. Buenos Aires, Emecé Editores.
Borges et moi
« C’est à l’autre, à Borges, que les choses arrivent. Moi, je marche dans Buenos Aires, je m’attarde peut-être machinalement, pour regarder la voûte d’un vestibule et la grille d’un patio. J’ai des nouvelles de Borges par la poste et je vois son nom proposé pour une chaire ou dans un dictionnaire biographique. J’aime les sabliers, les planisphères, la typographie du XVIIIe siècle, le goût du café et la prose de Stevenson ; l’autre partage ces préférences, mais non sans complaisance et d’une manière qui en fait des attributs d’acteur. Il serait exagéré de prétendre que nos relations sont mauvaises. Je vis et me laisse vivre, pour que Borges puisse ourdir sa littérature et cette littérature me justifie. Je confesse volontiers qu’il a réussi quelques pages de valeur, mais ces pages ne peuvent rien pour moi, sans doute parce que ce qui est bon n’appartient à personne, pas même à lui, l’autre, mais au langage et à la tradition. Au demeurant, je suis condamné à disparaître, définitivement, et seul quelque instant de moi aura chance de survivre dans l’autre. Peu à peu, je lui cède tout, bien que je me rende compte de sa manie perverse de tout falsifier et exagérer. Spinoza comprit que toute chose veut persévérer dans son être ; la pierre éternellement veut être pierre et le tigre un tigre. Mais moi je dois persévérer en Borges, non en moi (pour autant que je sois quelqu’un). Pourtant je me reconnais moins dans ses livres que dans beaucoup d’autres ou que dans le raclement laborieux d’une guitare. Il y a des années, j’ai essayé de me libérer de lui et j’ai passé des mythologies de banlieue aux jeux avec le temps et l’infini, mais maintenant ces jeux appartiennent à Borges et il faudra que j’imagine autre chose. De cette façon, ma vie est une fuite où je perds tout et où tout va à l’oubli, ou à l’autre. Je ne sais pas lequel des deux écrit cette page. »
L’auteuret autres textes. Gallimard, 1965. Traduction de Roger Caillois.