Antonio Gamoneda (Rafael Carralero) 2007. Madrid, Biblioteca Nacional de España.
Cette semaine, j’ai acheté chez Gibert Joseph la revue Europe du mois de mars (Georges Séféris-Gilles Ortlieb). J’y ai trouvé avec plaisir un cahier de création de dix pages avec les traductions des premiers poèmes d’Antonio Gamoneda. Prix Cervantes 2006, il aura 91 ans le 30 mai. La tierra y los labios a été écrit entre 1947 et 1953. Le poète avait entre 16 et 23 ans. Ces textes ont été publiés pour la première fois par Miguel Casado en 1987 (Edad Poesia 1947-1986. Cátedra, Letras Hispanicas). Edad réunissait les oeuvres composées jusqu’alors par Gamoneda. Depuis, selon son habitude, il a réécrit un peu certains des poèmes pour la publication de Esta luz , Poesía reunida (1947–2004) ( Galaxia Gutenberg/Círculo de Lectores, 2004. Deuxième édition 2019). Ces traductions ont été réalisées par Laurence Breysse-Chanet, Professeur de littérature espagnole contemporaine, et ses étudiants de l’Université de Paris-Sorbonne.
J’en ai choisi cinq :
Te beberé el cabello y cerraré los ojos.
Tú seguirás manando tu cabello turbio de besos.
1947
Je boirai tes cheveux et fermerai les yeux.
Source tu seras toujours de tes cheveux troubles de baisers.
————————————–
La tarde, sobre mis hombros, tiene el color de tus brazos.
Yo te traeré las sombras en el hueco de mis manos,
Una corona de sombra me harás sobre tu regazo.
Yo te apagaré la tarde con la nieve de mis labios.
Se hará de noche en tus ojos ; en la oscuridad del llanto.
1947
Dessus mes épaules, le soir a la couleur de tes bras.
Je t’apporterai les ombres dans le creux de mes deux mains,
une couronne d’ombre tu me feras sur ton coeur.
Pour toi j’éteindrai le soir par la neige de mes lèvres.
La nuit viendra sur tes yeux ; dans l’obscurité des pleurs.
—————————————
El gran viento de la noche entra, lento, en los trigales.
Deja tu mano en la mía que son nuestros esponsales.
Te tomo porque mi pena tiene el color de tus ojos;
porque mi pan es moreno como tu carne.
1947
Le grand vent de la nuit entre lent dans les blés.
Mets ta main dans la mienne : ce sont nos fiançailles.
Tu es mienne car ma peine a la couleur de tes yeux ;
parce que mon pain est noir comme ta chair.
——————————————–
Es un hombre. Va solo por el campo. Oye su corazón, cómo golpea, y, de pronto, el hombre se detiene y se pone a llorar sobre la tierra.
Juventud del dolor. Crece la savia verde y amarga de la primavera.
Hacia el ocaso va. Un pájaro triste canta entre las ramas negras.
Ya el hombre apenas llora. Se pregunta por el sabor a muerto en su lengua.
1951
C’est un homme. Il va seul par les champs. Écoute son coeur, comme il bat, et, soudain, l’homme s’interrompt, se met à pleurer sur la terre.
Jeunesse de la douleur. Monte la sève verte et amère du printemps.
Il va vers le crépuscule. Un oiseau triste chante parmi les branches noires.
L’homme a dès lors tari ses larmes. Il pense à ce goût de mort de sa langue.
—————————————————-
A ti, muchacha, que, de pronto, estrenas la juventud caliente de la risa, a ti te estoy diciendo: eres precisa en cierta soledad, en ciertas venas.
Crece la muerte con la vida. Apenas le llega al corazón alguna brisa, pero tú crecerías más deprisa; la alegría que tú desencadenas.
Préstame, amiga, préstame temprano tus ojos y tus pechos. Duramente por la boca te sale mucha vida.
Esta hora es feroz. Dame la mano; alcánzame una muerte sonriente; pon tus labios desnudos en mi herida.
1953
Jeune fille qui étrennes soudain la jeunesse si chaude de ton rire, à toi je le dis : tu es nécessaire à certaine solitude, à ses veines.
La mort grandit avec la vie. Á peine la brise vient-elle toucher le coeur, mais tu grandirais plus rapidement ; par cette joie que tu sais provoquer.
Viens m’offrir, oh mon amie, viens m’offrir tes yeux et tes seins. Je vois tant de vie sortir durement de ta bouche aimée.
L’heure est féroce. Donne-moi la main ; viens me donner une mort souriante ; pose tes lèvres nues sur ma blessure.
J’ai pu voir avec J. hier après-midi l’exposition : Miquel Barceló La métamorphose d’après la l’oeuvre de Franz Kafka. (26 novembre 2021 – 23 avril 2022). Exposition-vente à la Galerie Gallimard, 30-32 Rue de l’Université. 75007-Paris.
Il s’agit d’un accrochage consacré aux aquarelles originales réalisées par Miquel Barceló pour accompagner La Métamorphose. Le peintre a sélectionné une quarantaine d’oeuvres originales parmi celles qu’il a réalisées pour accompagner l’oeuvre, publiée dans la collection « Grande Blanche illustrée ». Toutes sont inédites, car non publiées dans le volume.
Miquel Barceló est né en 1957 à Felanitx (Majorque). Il vit entre Majorque et Paris. il a longtemps travaillé au Mali. Il a aussi illustré La Divine Comédie de Dante (dessins exposés au Louvre en 2005) et le Faust de Goethe.
La Photo de la Grande Guerre. 21 II 2019.
« J’ai lu La Métamorphose à l’âge de 13 ou 14 ans d’un trait, la nuit. Peut-être même deux fois de suite, comme j’avais l’habitude de faire parfois. Le jour d’après, en rentrant de l’école, j’ai trouvé ma mère en train de pleurer en le lisant, alors que je l’avais trouvé drôle et troublant. Ma mère pleurait à l’idée que j’avais lu ÇA. Je l’ai ensuite relu plusieurs fois. Peut-être à chaque décennie. Je le considère comme une sorte de comique essentiel et moderne (tel Cervantès). Plus les années et les événements passent, plus je trouve Franz Kafka pertinent, avec cet humour qu’on disait juif mais qui est une forme très ancienne d’humanisme… désespoir cosmique…Métamorphose : changement. Le seul qui ne change pas est Gregor Samsa, il maigrit peut-être, mais il reste le même du réveil jusqu’à la fin. Autour de lui tout se transforme. Son père, sa mère, sa petite soeur ! Après lecture, on prend conscience de quelque chose qu’on avait oublié depuis longtemps, que l’on savait déjà. »
« Kafka ne s’étend pas dans les descriptions, on doit se fabriquer ses propres images ».
Miquel Barceló a peint ces aquarelles en 2019 dans le sud de la Thaïlande, au soleil, au bord de la mer.
Franz Kafka, La Métamorphose. Traduction Jean-Pierre Lefebvre. NRF Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. 2018
« Quand Gregor Samsa se réveilla un beau matin au sortir de rêves agités, il se retrouva transformé dans son lit en une énorme bestiole immonde. Il était couché sur le dos, qu’il sentait dur comme une carapace, et chaque fois qu’il levait un peu la tête il apercevait son ventre bombé, brun, segmenté par des indurations arquées, au sommet duquel l’édredon, prêt à glisser complètement, arrivait à peine à se maintenir. Ses multiples pattes, lamentablement fluettes par rapport au volume qu’il occupait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d’être humain, simplement un peu trop petite, était là bien tranquille entre ses quatre murs familiers. Au-dessus de la table, où s’étalait une collection d’échantillons de tissus qu’il avait déballée – Samsa était voyageur de commerce , était accroché l’image qu’il avait récemment découpée dans un illustré et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa., de fourrure l’une et l’autre, assise bien droite et présentant à qui l’examinait un lourd manchon de fourrure dans lequel tout son avant-bras avait disparu. Gregor tourna ensuite les yeux vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie taper sur l’appui de zinc – le rendit tout mélancolique. « Qu’est-ce qui se passerait si je continuais plutôt à dormir encore un peu en oubliant toutes ces fariboles ? » pensa-t-il, mais c’était totalement irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit, et dans l’état où il était maintenant il n’arrivait pas à prendre cette position. Quelle que fût l’énergie avec laquelle il se jetait sur le côté droit, il se retrouvait toujours sur le dos par un mouvement de balancier. Il essaya bien cent fois, fermant les yeux pour ne pas être obligé de voir ses pattes frétillantes, et ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une douleur sourde, discrète, qu’il n’avait jamais ressentie. »
Oviedo. Campo de San Francisco. Monument à Clarín (Víctor Hevia et Manuel Álvarez Laviada) 1931.
Leopoldo Alas (Leopoldo Enrique García-Alas y Ureña) est né le 25 avril 1852 à Zamora. Il publie sous le pseudonyme de Clarín des articles de presse (plus de deux mille), des critiques littéraires, des récits courts (une centaine de contes ou de nouvelles) et deux romans (La Regenta, 1884-1885 – Su único hijo, 1890). C’est le grand romancier espagnol du XIX ème siècle avec Benito Pérez Galdós. Il fait des études de droit à Oviedo (Licence en droit civil et canonique en 1871), puis à Madrid (Docteur en droit en 1878 ; titre de sa thèse : El Derecho y la Moralidad- Le Droit et la Moralité). Il suit les cours des professeurs krausistes de l’université de Madrid, Nicolás Salmerón et Francisco Giner de los Ríos. Leurs idées progressistes font naître en lui le doute et le scepticisme philosophique et religieux. Francisco Giner de los Ríos, fondateur en 1876 et directeur de l’Institution libre d’enseignement (Institución Libre de Enseñanza), sera le directeur de sa thèse. Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Il enseignera à dans cette ville pendant dix-huit ans.
La Regenta est un long roman qu’il publie en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Ana Ozores, à l’âme noble et au coeur pur, échoue là après avoir épousé le vieux Victor Quintanar, président du tribunal territorial (El Regente). Elle s’ennuie terriblement dans cette société bourgeoise et provinciale aux allures vertueuses. Désespérée par le vide et la monotonie de sa vie, en quête d’absolu, elle choisit de s’échapper de la réalité de deux façons, le mysticisme et une passion amoureuse effrénée, ce qui déclenche le scandale. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. » Clarín fait une acerbe critique de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Il meurt le 13 juin 1901 d’une tuberculose intestinale à 49 ans.
Monument à la mémoire de Leopoldo Alas Argüelles près du lieu où il a été fusillé.
Son fils aîné, Leopoldo Alas Argüelles (Leopoldo García-Alas García-Argüelles), naît à Oviedo le 12 novembre 1883. Il obtient sa licence de droit en 1904. Il voyage en Allemagne pour améliorer sa formation et préparer sa thèse: Las fuentes del Derecho y el Código Civil alemán. Le déclenchement de la Première Guerre Mondiale le fait rentrer en Espagne. En 1920, il obtient la chaire de Droit civil de l’université d’Oviedo. Il est membre du Parti Socialiste (PSOE), puis du Partido Republicano Radical Socialista, et enfin d’ Izquierda Republicana, le parti de Manuel Azaña. Á l’avènement de la République, il est élu député en juin 1931 (Coalition entre républicains et socialistes). Il sera aussi sous-secrétaire du Ministère de la Justice. Il est recteur de l’université d’Oviedo de mai 1931 à 1936. Lors de la révolution d’octobre 1934 aux Asturies, l’Université et la Bibliothèque d’Oviedo sont détruites. Il s’emploie à les reconstruire : “Sin libros no hay Universidad”. Il est arrêté le 29 juillet 1936. Un conseil de guerre le condamne à mort le 21 janvier 1937. Il est fusillé le 20 février 1937 dans la prison d’Oviedo. La haine de certains secteurs, particulièrement les secteurs ecclésiastiques contre son père ne sont pas étrangers à cette vengeance même si Clarín est mort depuis plus de trente ans. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.
Clarín connaissait sa ville à fond. Les lecteurs reconnaissaient parfaitement certaines familles, les lieux de pouvoir (la cathédrale, l’hôtel de ville, l’université) dans ce roman à clefs. Le pivot de la vie à Vetusta reste toujours la noblesse, représentée par la maison du marquis de Vegallana.
Ricardo Labra vient de publier El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.)
Leopoldo Alas, Clarín. La Regenta.Incipit.
“La heroica ciudad dormía la siesta. El viento sur, caliente y perezoso, empujaba las nubes blanquecinas que se rasgaban al correr hacia el norte.En las calles no había más ruido que el rumor estridente de los remolinos de polvo, trapos, pajas y papeles, que iban de arroyo en arroyo, de acera en acera, de esquina en esquina, revolando y persiguiéndose, como mariposas que se buscan y huyen y que el aire envuelve en sus pliegues invisibles. Cual turbas de pilluelos, aquellas migajas de la basura, aquellas sobras de todo, se juntaban en un montón, parábanse como dormidas un momento y brincaban de nuevo sobresaltadas, dispersándose, trepando unas por las paredes hasta los cristales temblorosos de los faroles, otras hasta los carteles de papel mal pegados a las esquinas, y había pluma que llegaba a un tercer piso, y arenilla que se incrustaba para días, o para años, en la vidriera de un escaparate, agarrada a un plomo. Vetusta, la muy noble y leal ciudad, corte en lejano siglo, hacia la digestión del cocido y de la olla podrida, y descansaba oyendo entre sueños el monótono y familiar zumbido de la campana del coro, que retumbaba allá en lo alto de la esbelta torre en la Santa Basílica. La torre de la catedral, poema romántico de piedra, delicado himno, de dulces líneas de belleza muda y perenne, era obra del siglo diez y seis, aunque antes comenzada, de estilo gótico, pero, cabe decir, moderado por un instinto de prudencia y armonía que modificaba las vulgares exageraciones de esta arquitectura. La vista no se fatigaba contemplando horas y horas aquel índice de piedra que señalaba al cielo; no era una de esas torres cuya aguja se quiebra de sutil, más flacas que esbeltas, amaneradas, como señoritas cursis que aprietan demasiado el corsé; era maciza sin perder nada de su espiritual grandeza, y hasta sus segundos corredores, elegante balaustrada, subía como fuerte castillo, lanzándose desde allí en pirámide de ángulo gracioso, inimitable en sus medidas y proporciones. Como haz de músculos y nervios la piedra enroscándose en la piedra trepaba a la altura, haciendo equilibrios de acróbata en el aire; y como prodigio de juegos malabares, en una punta de caliza se mantenía, cual imantada, una bola grande de bronce dorado, y encima otra más pequeña, y sobre esta una cruz de hierro que acababa en pararrayos.
La Régente. Fayard, 1987. Traduction : Albert Belot, Claude Bleton, Jean-François Botrel. Robert Jammes, Yvan Lissorgues (coordinateur). Incipit.
« L’héroïque cité faisait la sieste. Chaud et paresseux, le vent du sud poussait de pâles nuages qui se déchiraient dans leur course vers le nord. Dans les rues, point d’autre bruit que la rumeur stridente des tourbillons de poussière, de chiffons, de brins de paille et de papiers qui allaient de caniveau en caniveau, de trottoir en trottoir, d’un coin de rue à l’autre, voltigeant et se poursuivant comme des papillons qui se cherchent et se fuient et que l’air enveloppe dans ses plis invisibles. Tels des bandes de gosses, ces débris d’ordures, ces restes de n’importe-quoi s’amassaient, s’arrêtaient un moment, comme endormis, et, réveillés en sursaut, bondissaient à nouveau et se dispersaient, les uns grimpant le long des murs jusqu’aux carreaux branlants des réverbères, d’autres jusqu’aux affiches de papier mal collés au coin des rues et telle plume atteignait même un troisième étage, et tel grain de sable s’incrustait pour des jours, voire pour des années, dans la vitrine d’une devanture, accroché à un plomb. Vetusta, la très noble et très loyale cité, ville de cour en un siècle lointain, digérait son pot-au-feu et son bouilli et se reposait en écoutant dans un demi-sommeil le tintement monotone et familier de la cloche du chapitre qui résonnait là-haut au sommet de la tour élancée, dans la Sainte Basilique. La tour de la cathédrale, romantique poème de pierre, hymne délicat, aux douces lignes d’une beauté muette et pérenne, ouvrage du seizième siècle, bien que commencé plus tôt, était de style gothique, mais modéré, si l’on peut dire, par un instinct de prudence et d’harmonie qui tempérait les outrances les plus vulgaires de cette architecture. Le regard ne se lassait pas de contempler, des heures durant, cet index de pierre, pointé vers le ciel ; ce n’était pas une de ces tours dont la flèche s’amenuise au point de se briser, une de ces tours plus grêles qu’élancées, maniérées, comme des mijaurées serrant trop leur corset ; elle était massive sans rien perdre de sa grandeur spirituelle et s’élevait comme une forteresse jusqu’aux deuxièmes galeries, élégantes balustrades, et de là, s’élançait en une pyramide à la pente gracieuse, aux mesures et proportions inimitables. Tel un faisceau de muscles et de nerfs, la pierre enlacée à la pierre s’élevait vers les hauteurs en des prouesses dignes d’équilibristes et, tour de force prodigieux, sur une pointe de calcaire se maintenait, comme aimantée, une grosse boule de bronze doré, avec au-dessus une autre boule plus petite, elle-même surmontée d’une croix de fer qui s’achevait en paratonnerre. »
La Regenta. Excipit.
« Celedonio sintió un deseo miserable, una perversión de la perversión de su lascivia: y por gozar un placer extraño, o por probar si lo gozaba, inclinó el rostro asqueroso sobre el de la Regenta y le besó los labios. Ana volvió a la vida rasgando las nieblas de un delirio que le causaba náuseas. Había creído sentir sobre la boca el vientre viscoso y frío de un sapo. »
La Régente. Excipit.
« Celedonio éprouva un désir ignoble, une perversion de sa perversion lascive: pour jouir d’un plaisir nouveau ou pour voir s’il en tirerait jouissance, il pencha son visage répugnant sur celui de la régente et baisa ses lèvres. Ana revint à la vie, déchirant les brumes d’un délire qui lui donnait la nausée. Elle avait cru sentir sur sa bouche le ventre froid et visqueux d’un crapaud. »
J’ai pu revoir cette semaine en DVD le film de Joseph Losey (1909-1984) : Le Messager (The Go-Between). Je l’avais vu à sa sortie en France (15 mai 1971), il y cinquante ans et jamais revu depuis.
Il s’agit de l’ adaptation du roman éponyme de Leslie Poles Hartley (1895-1972), écrit en 1953.
Photographie : Gerry Fisher.
Montage : Reginald Beck.
Musique : Michel Legrand. Cette composition musicale (treize variations sur un thème unique) est obsessionnelle. Elle est aujourd’hui très célèbre, mais ne plaisait pas du tout au départ ni à Losey ni à son monteur.
Distribution: Julie Christie, Alan Bates, Margaret Leighton, Michael Redgrave, Dominic Guard, Michael Gough, Edward Fox.
Joseph Losey a choisi Julie Christie et Alan Bates après les avoir vus dans Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger-1967) d’après le roman de Thomas Hardy, publié en 1874. C’est un film que j’aimerais bien aussi revoir. L’adaptation de Thomas Vinterberg en 2015 ne m’a pas laissé un grand souvenir.
Le scénario de The Go-Between est d’ Harold Pinter. Le Prix Nobel de Littérature anglais (2005) a écrit quatre scénarios pour le cinéaste américain, dont seuls les trois premiers ont été réalisés : The Servant (1963), Accident (1967), Le Messager (1971) et Le Scénario Proust (The Proust screenplay-1972). Joseph Losey a dû fuir les États-Unis à cause du maccarthysme en 1952 et s’est exilé au Royaume-Uni. Cette épreuve l’a marqué à jamais.
Le film a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes en 1971. Le grand favori, cette année-là, était Mort à Venise de Luchino Visconti qui obtint seulement le Prix du 25 ème anniversaire du Festival. On trouvait aussi dans la sélection officielle entre autres: Joe Hill (Bo Widerberg), Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo), Le Souffle au cœur (Louis Malle), Taking Off (Miloš Forman).
Le Messager est un des plus beaux films de Joseph Losey.
L’histoire se passe vers 1900. Un jeune garçon de 12 ans, Leo Colston, (Dominic Guard-Michael Redgrave), issu d’une famille ruinée de la classe moyenne, est invité par un camarade d’école, Marcus Maudsley, à passer les vacances d’été dans le manoir familial aux cent vingt-six pièces de Brandham Hall (Norfolk ). Leo est fasciné par ce milieu aristocratique et surtout par la belle Marian (Julie Christie), la sœur aînée de son ami, qui est fiancée à Lord Trimingham (Edward Fox), un vicomte qui est revenu de la guerre des Boers le visage balafré. Elle profite de la situation et va demander à Leo de porter régulièrement des lettres à son amant, le métayer d’une ferme voisine, Ted Burgess (Alan Bates), pour qu’ils puissent se retrouver clandestinement. Le livre comme le film s’achève sur le retour de Leo au manoir. Á la fin, Marian, très âgée, lui demande à nouveau de lui servir de messager pour révéler à son petit-fils l’identité de son véritable grand-père, Ted Burgess, qui s’est suicidé.
Melton Constable Hall (Brandham Hall dans Le Messager)
Le film commence par le générique qui défile sur les images d’une vitre sur laquelle coulent comme des larmes des gouttes de pluie. Le plan suivant montre le manoir dans la pleine lumière de l’été. La voix-off de Léo âgé (Michael Redgrave) dit : « Le passé est un pays étranger. On fait les choses autrement, là-bas. » (« The past is a foreign country; they do things differently there. »)
Tout au long du film, nous voyons un vieil homme, portant un chapeau melon qui revient vers le manoir par temps de pluie. Le passé et le présent ne font qu’un. Leo, toute sa vie, a été sous l’emprise de Marian qui n’est pas consciente de l’anéantissement psychique dans laquelle elle l’a plongé toute sa vie.
C’est un beau récit d’initiation, mais aussi un film sur les rapports de classes et de domination. L’interpétation est magnifique et très ambiguë. La photo de Gerry Fisher est splendide.
Joseph Losey porte sur le comportement humain et son pouvoir destructeur un regard pessimiste. Il réussit à créer une distance par rapport à l’intrigue tragique et fuit tout sentimentalisme.
Michel Ciment, le directeur de la publication de la revue Positif, insiste sur les thèmes propres à la plupart des films du metteur en scène : l’intrusion d’un corps étranger dans un milieu donné, l’importance du décor (ici le manoir et son grand escalier), le temps. On retient aussi la performance des acteurs, en particulier celle de la sublime Julie Christie. Joseph Losey a beaucoup travaillé pour le théâtre. Il a étudié la mise en scène en Allemagne, en Suède, en Finlande et en U.R.S.S. En 1947, il a créé en étroite collaboration avec Bertolt Brecht La Vie de Galileo Galilei, interprétée par Charles Laughton .
Fuentevaqueros (Granada). Museo-Casa natal de Federico García Lorca. (El Niño de las Pinturas – Raúl Ruiz)
Lluvia
Enero de 1919 (Granada)
La lluvia tiene un vago secreto de ternura, algo de soñolencia resignada y amable, una música humilde se despierta con ella que hace vibrar el alma dormida del paisaje.
Es un besar azul que recibe la Tierra, el mito primitivo que vuelve a realizarse. El contacto ya frío de cielo y tierra viejos con una mansedumbre de atardecer constante.
Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores y nos unge de espíritu santo de los mares. La que derrama vida sobre las sementeras y en el alma tristeza de lo que no se sabe.
La nostalgia terrible de una vida perdida, el fatal sentimiento de haber nacido tarde, o la ilusión inquieta de un mañana imposible con la inquietud cercana del color de la carne.
El amor se despierta en el gris de su ritmo, nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre, pero nuestro optimismo se convierte en tristeza al contemplar las gotas muertas en los cristales.
Y son las gotas: ojos de infinito que miran al infinito blanco que les sirvió de madre.
Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio y le dejan divinas heridas de diamante. Son poetas del agua que han visto y que meditan lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.
¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos, lluvia mansa y serena de esquila y luz suave, lluvia buena y pacífica que eres la verdadera, la que amorosa y triste sobre las cosas caes!
¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas almas de fuentes claras y humildes manantiales! Cuando sobre los campos desciendes lentamente las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.
El canto primitivo que dices al silencio y la historia sonora que cuentas al ramaje los comenta llorando mi corazón desierto en un negro y profundo pentágrama sin clave.
Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena, tristeza resignada de cosa irrealizable, tengo en el horizonte un lucero encendido y el corazón me impide que corra a contemplarte.
¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman y eres sobre el piano dulzura emocionante; das al alma las mismas nieblas y resonancias que pones en el alma dormida del paisaje!
Libro de poemas, 1921.
Fuentevaqueros (Granada). Museo – Casa natal de Federico García Lorca. Busto del poeta.
Pluie
Janvier 1919 (Grenade)
La pluie a comme un vague secret de tendresse, Plein de résignation, de somnolence aimable. Discrète, une musique avec elle s’éveille Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.
C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit, Le mythe primitif accompli de nouveau, Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.
C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs, La purification du Saint-Esprit des mers. C’est elle qui répand la vie sur les semailles Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.
La nostalgie terrible d’une vie perdue, Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard, L’espérance inquiète d’un futur impossible, Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.
Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes. Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe; mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.
Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.
Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre Y fait, divine, une blessure de diamant, Poétesses de l’eau qui a vu et médite Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves
Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse, Douceur sereine de sonnaille et de lumière, Pacifique bonté, la seule véritable, Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,
Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte Une âme claire de fontaine et d’humble source, Quand lentement sur la campagne tu descends, Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent. Le psaume primitif que tu dis au silence, Le conte mélodieux que tu dis aux ramées, Mon cœur dans son désert le répète en pleurant Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.
J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine, Tristesse résignée de l’irréalisable Je vois à l’horizon une étoile allumée Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.
Tu mets sur le piano une douceur troublante, Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres. Tu donnes à mon cœur les vagues résonances Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.
Livre de poèmes. Gallimard, 1954. Traduction André Belamich.
Retrato de José Hierro (Rafael Cidoncha). 1998. Biblioteca Nacional de España.
Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.
Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.
Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.
Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires : 1947 Premio Adonáis (Alegría). 1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras. 1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana 1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.
Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.
Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.
Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.
La critique espagnole lui rend un hommage unanime.
L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.
1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer 2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.
Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.
El encuentro (José Hierro)
A Rafael Alberti
Diré un día: bienvenido a la casa. Esta es tu lumbre. Bebe en tu copa de vino, mira el cielo, parte el pan. Cuánto has tardado. Anduviste bajo las constelaciones del Sur, navegaste ríos de son diferente. Cuánto duró tu viaje. Te noto cansado. No me preguntes. Da de comer a tus perros, oye la canción del álamo. No me preguntes por nada, no me preguntes.
Si hablase, llorarías. Si enfrentases tus espectros al espejo, seguro que no verías imágenes reflejadas. Lo vivo lejano ha muerto: lo mató el tiempo. Tú solo puedes enterrarlo. Dale tierra mañana, después de descansar. Bienvenido a tu casa. No preguntes nada. Mañana hablaremos.
Libro de las alucinaciones, 1964.
La Rencontre
A Rafael Alberti
Un jour je dirai : bienvenue à la maison. Voici ton feu. Bois ton vin dans ton verre, Regarde le ciel, romps le pain. Comme tu as été long. Tu as erré sous les constellations du Sud, navigué sur les fleuves aux sonorités multiples. Que ton voyage a été long. Je te trouve fatigué. Ne me demande rien. Donne à manger à tes chiens, entends la chanson du peuplier. Ne me pose aucune question, ne me demande rien.
Si je parlais, tu pleurerais. Si tu mettais tes spectres face au miroir, tu ne verrais sans doute aucune image reflétée. La vie lointaine est morte : le temps l’a tuée. Toi seul peux l’enterrer. Jettes-y de la terre demain, quand tu te seras reposé. Bienvenue chez toi. Ne demande rien. Demain nous parlerons.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Lamentación
Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron!
Prodigiosas palabras jóvenes para herir los oídos viejos. Maravillosas melodías, cantos inéditos. Hemos cantado todos juntos y hemos llorado en el silencio. Aprendimos muy dura ciencia a costa de los propios sueños.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! ¡Hemos salvado tan alegres los sombríos presentimientos! Hemos amado cada tallo, cada frío harapo de invierno, cada gota de madrugada con tan loca avidez, sabiendo que éramos carne de una fábula que alguien vivía en el misterio! Tan hermosas canciones! Ráfagas tan ardientes que nos hirieron.
Música de astros interiores que nacían en nuestro reino. Flautas tañidas, en la tarde, por las manos vagas del sueño. ¡Y tantas limpias hermosuras como cayeron! Y girar sin fin en el alba con la oscura palabra dentro, con el cantar a flor de vida ignorando el remoto término.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! Y miramos cómo en el aire vuela la música sin dueño, sin que podamos apresarla con nuestros torpes instrumentos.
Alegría. Adonáis, 1947.
Lamentation
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites !
Prodigieuses paroles jeunes pour heurter les ouïes vieilles. Merveilleuses mélodies, chants inédits. Nous avons chanté tous ensemble et nous avons pleuré dans le silence. Nous avons appris une dure science au détriment de nos propres rêves.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Nous avons évité si gaiement les sombres pressentiments ! Nous avons aimé chaque pousse, chaque froide guenille d’hiver, chaque goutte de petit matin avec une avidité si folle, conscients que nous étions la chair d’une fable vécue par quelqu’un dans le mystère ! Tant de belles chansons ! des rafales si ardentes qu’elles nous ont blessés
Musiques d’astres intérieurs qui naissaient dans notre royaume. Flûtes jouées, le soir venu, par les mains vagues du rêve. Et tant de beautés si limpides qui sont tombées! Et tourner sans fin dans l’aube avec la sombre parole au-dedans, avec le chant à fleur de vie, ignorants de la fin lointaine.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Et nous regardons dans l’air voler la musique sans maître, sans que nous puissions la saisir avec nos instruments maladroits.
Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Las nubes
Inútilmente interrogas. Tus ojos miran al cielo. Buscas, detrás de las nubes, huellas que se llevó el viento.
Buscas las manos calientes, los rostros de los que se fueron, el círculo donde yerran tocando sus instrumentos.
Nubes que eran ritmo, canto sin final y sin comienzo, campanas de espumas pálidas volteando su secreto,
palmas de mármol, criaturas girando al compás del tiempo, imitándole a la vida su perpetuo movimiento. Inútilmente interrogas desde tus párpados ciegos. ¿Qué haces mirando a las nubes, José Hierro?
Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.
La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.
Á 87 ans, le chanteur Paco Ibáñez va commencer une nouvelle tournée en Espagne et en France. Elle s’appellera : «¡Nos queda la palabra!». Elle commencera au Teatro Coliseum de Madrid le 4 avril. Il chantera aussi à Barcelone, où il vit actuellement, à Valence, où il est né le 20 novembre 1934, à Palma de Mallorca au mois de juin et dans quatre villes françaises. Il chantera en castillan, catalan, galicien, français et italien. Il sera accompagné par Mario Mas à la guitare, Joxan Goikoetxea à l’ accordéon et César Stroscio au bandonéon.
«Me apetecen mucho todos estos conciertos que hemos programado porque, en este momento tan negro que estamos viviendo, es reconfortante reencontrarme con otras almas que, como la mía, necesitan alimento».
«Porque al alma también hay que alimentarla y yo ofrezco mi repertorio a la gente para que les ayude a vivir entre tanta miseria moral y cultural».
” La palabra no sólo reconforta, también te recuerda tus valores, te da criterio, te da voluntad y te ayuda a decir ‘no, por aquí no paso’».
«Las canciones tienen que apuntar a la eternidad. Las que no saben volar no valen la pena. Si haces una canción es para que dure toda la vida».
En prime, un poème peu connu du grand Luis Cernuda :
Vientres sentados (Luis Cernuda)
Con satisfacción Como quienes saben Como quienes tienen en su puño la verdad Bien apresada para que no escape Y con orgullo Como vigilantes de vosotros mismos Domináis a lo largo a lo ancho de la tierra Vosotros vientres sentados.
No hay gas No hay plomo Que tanto levante que tanto lastre proporcione Como vuestra seguridad deletérea Esa seguridad de sentir vuestro saco Bien resguardado por vuestro trasero.
Miráis a un lado y a otro Sonreís rasgando maliciosamente la hedionda boca Y desde allí emitís como el antiguo oráculo Henchidas necedades Dictámenes que se escurren entre las rendijas como ratas
Alado el pie vigoroso El pie juvenil y vigoroso Que derrumbará bien pronto Ese saco henchido de fango de maldad de injusticia Arrastrando consigo vuestro trasero y vientre Vuestra triste persona que mancha el aire El aire limpio y justo Donde hoy nos levantamos Contra vosotros todos Contra vuestra moral contra vuestras leyes Contra vuestra sociedad contra vuestro dios Contra vosotros mismos vientres sentados Con una firme espiga A quien su propia fuerza empuja desde la tierra Para que se abra al sol Para que dé su fruto Fruto de odio y de alegría Fruto de lucha y de reposo.
La verdad está en lucha y en ella os aguardamos Vientres sentados Vientres tendidos Vientres muertos.
Otros Poemas publicados e inéditos – V. Poesía completa– Volumen I.
Luis Cernuda. Séville, La Torre del Oro au bord du Guadalquivir.
Le poète Miguel Hernándezest mort de tuberculose le 28 mars 1942 dans la prison Reformatorio de Alicante, il y a 80 ans. Aujourd’hui, l’aéroport d’Alicante-Elche porte son nom, ainsi que l’Université d’Elche et la récente gare TGV (AVE) d’Orihuela, sa ville natale. Le maire conservateur de Madrid, José Luis Martínez-Almeida (Partido Popular), lui, n’a rien trouvé de mieux que de détruire le monument qui, au cimetière de La Almudena, rappelait qu’entre 1939 et 1945 plus de 2500 personnes condamnées à mort par les tribunaux militaires furent fusillées là. On pouvait aussi y lire des vers du poète.
V. A Miguel Hernández, asesinado en los presidios de España (Pablo Neruda)
Llegaste a mí directamente del Levante. Me traías, pastor de cabras, tu inocencia arrugada, la escolástica de viejas páginas, un olor a Fray Luis, a azahares, al estiércol quemado sobre los montes, y en tu máscara la aspereza cereal de la avena segada y una miel que medía la tierra con tus ojos.
También el ruiseñor en tu boca traías. Un ruiseñor manchado de naranjas, un hilo de incorruptible canto, de fuerza deshojada. Ay, muchacho, en la luz sobrevino la pólvora y tú, con ruiseñor y con fusil, andando bajo la luna y bajo el sol de la batalla.
Ya sabes, hijo mío, cuánto no pude hacer, ya sabes que para mí, de toda la poesía, tú eras el fuego azul. Hoy sobre la tierra pongo mi rostro y te escucho, te escucho, sangre, música, panal agonizante.
No he visto deslumbradora raza como la tuya, ni raíces tan duras, ni manos de soldado, ni he visto nada vivo como tu corazón quemándose en la púrpura de mi propia bandera.
Joven eterno, vives, comunero de antaño, inundado por gérmenes de trigo y primavera, arrugado y oscuro como el metal innato, esperando el minuto que eleve tu armadura.
No estoy solo desde que has muerto. Estoy con los que te buscan. Estoy con los que un día llegarán a vengarte. Tú reconocerás mis pasos entre aquellos que se despeñarán sobre el pecho de España aplastando a Caín para que nos devuelva los rostros enterrados. (…)
Primera publicación: Cultura y democracia (París). Febrero de 1950. Canto general,XII, Los ríos del canto. 1950.
V. A Miguel Hernández, assassiné dans les prisons d’Espagne
Tu vins à moi. Tu arrivais droit du Levant. Tu m’apportais, ô chevrier, ton innocence pleine de rides, la scolastique de vieilles pages, un doux relent de Fray Luis, d’orangers en fleur, de fumier brûlé sur les collines, et sur ton masque la céréale aspérité de l’avoine fauchée, un miel qui mesurait la terre avec les yeux.
Et ta bouche apportait aussi le rossignol. Un rossignol taché d’oranges, le filet d’un chant incorruptible, d’une force effeuillée. Hélas ! dans la clarté on vit surgir la poudre et l’on te vit porter rossignol et fusil sous la lune et sous le soleil de la bataille.
Tu sais, Miguel, tout ce que j’ai pu faire, tu sais bien que de toute la poésie tu étais pour moi le feu bleu. Aujourd’hui contre terre je colle mon visage et j’écoute, je t’écoute, musique, sang, rayon de ruche agonisant.
Je n’ai vu race plus éblouissante que la tienne, ni racines plus dures, ni mains plus dures de soldat, je n’ai rien vu de plus vivant que ton coeur quand il brûla dans la pourpre de mon propre drapeau.
Jeune éternel, tu vis, comunero d’antan, inondé de germes de blé et de printemps, plissé, obscur comme le métal né, en attendant l’instant de lever ton armure.
Non, je ne suis pas seul depuis que tu es mort. Je suis avec ceux qui te cherchent. Avec ceux qui un jour arriveront pour te venger. Tu reconnaîtras mes pas au milieu des pas qui, déferlant sur la poitrine de l’Espagne, écraseront Caïn pour qu’il nous rende les visages enterrés. (…)
Chant général. XII, Les Fleuves du Chant. Gallimard, 1977. Traduction Claude Couffon.
Mar Campelo Moreno, la petite-fille de la soeur du poète, Elvira, a publié le 26 mars une belle lettre à sa grand-mère dans le journal d’information numérique, Público.
Miguel Hernández en la memoria
A Elvira Hernández Gilabert, mi abuela
Querida abuela:
Hace más de 25 años que te fuiste y hoy se cumplen 80 de la última vez que viste a tu hermano Miguel con vida, pero no he olvidado las anécdotas que me contaste una y otra vez desde que era una niña hasta que la maldita enfermedad se llevó tus recuerdos; aunque, incluso cuando habías perdido la capacidad de expresarte, abrías los ojos y algo se removía dentro de ti si veías una foto de tu hermano.
Cómo te reías cuando me contabas las regañinas que le echabas cada vez que “se le iba el santo al cielo” en sus excursiones a la sierra de Orihuela para leer o escribir y tenías que justificarlo con cualquier excusa, o cuando clavaste las contraventanas para que no las abriera en las horas de calor.
También se reía él cuando leías sus poemas y le hacías que te explicara lo que se escondía en cada juego retórico, no descansabas hasta que lo entendías todo. Y cuando lo reprendías por sus expresiones subidas de tono. Siempre sonreías cuando hablabas de vuestra niñez y juventud, se te iluminaban los ojos reviviéndolo y dibujabas la imagen de un muchacho alegre, espontáneo, cariñoso y vital, con una enorme empatía con el sufrimiento ajeno.
Fuisteis compañeros de juegos y siempre cómplices, amigos. Te hablaba de sus lecturas, de su pasión creadora –fuiste la primera lectora de muchos de sus poemas-, de su deseo vehemente de ir a Madrid, pero también de sus vivencias, de sus amigos, de las mujeres a las que amó… Con esa atención al detalle que tenías que reprimir entre risas pudorosas: “Miguel, no me cuentes esas cosas”.
Con esa sonrisa tuya de medio lado, me contabas que tu madre y tú ordeñabais las cabras por segunda vez para sacar unas perricas que le enviabais a Miguel para que sobreviviera en Madrid.
Te casaste y te fuiste a Madrid con tu marido y tu hija (mi madre); el tío Miguel volvió a Madrid en esa misma época y, aunque vivía en una pensión, iba casi a diario a tu casa a comer y a que le lavaras la ropa.
Cuando leíste la elegía que le escribió a su amigo Manolo, que había muerto ahogado, le pediste que no la publicara porque causaría más dolor y te la regaló para que hicieras con ella lo que quisieras. Tú la guardaste en tu carpeta de los tesoros, la que contenía todos los recortes de prensa en los que se hablaba de él; esa carpeta que fue creciendo durante el resto de tu vida con cada carta suya, cada foto, cada publicación, cada referencia a tu hermano por mínima que fuera.
¿Por qué tuvo que volver a Orihuela cuando acabó la guerra? ¿Por qué no escuchó a vuestro padre cuando le dijo “vete, Miguel, que ahora viene el exterminio”? Porque quería abrazar a su familia y se sabía inocente. Y lo encarcelaron en el Seminario, en esa sierra en la que le gustaba perderse para escribir, para leer, para empaparse de naturaleza.
Sus cartas desde la cárcel trataban de transmitir esperanza, incluso se permitía alguna broma; os ocultó que lo habían condenado a muerte hasta que le conmutaron la pena por cadena perpetua. Esas cartas que llegaban censuradas o escondidas en el borde de las lecheras, escritas en papel higiénico. Y tú escribías o visitabas a cualquiera que pudiera interceder para su excarcelación.
Ya vivías en Alicante cuando lo trasladaron al Reformatorio de Adultos, la que sería su última cárcel. Caminabas hasta allí cada vez que se permitía una “comunicación” y le llevabas los alimentos que enviaban tus padres desde Orihuela y los que podías conseguir a través del estraperlo; esas lecheras que tanto costaba llenar y que los carceleros dejaban caer.
El día de las Mercedes los niños podían visitar a los presos y entraban su hijo y los tres tuyos. Mi madre, con siete años, era la mayor y le hacías memorizar los mensajes que querías transmitirle. Cuando salían, la interpelabas para que repitiera cada palabra de tu hermano.
Me hablabas de aquel día que fuiste a verlo con Josefina: no tenía fuerzas para caminar y se apoyaba en dos compañeros. Cuando os vio, se irguió, hinchó el pecho y sonrió:
Miguel, qué bien te veo, ¿estás mejor?
Han venido a ofrecerme dinero y la libertad si me retracto de todo lo que he escrito y pongo mi pluma al servicio del régimen.
¡Habrás dicho que sí!
He dicho que no.
“Ése era mi hermano”, concluías.
Su salud empeoraba. Recorrías Alicante de punta a punta sin descanso buscando una recomendación que traspasara el bloqueo para que lo visitara un médico, hasta que lo conseguiste. Lo ayudó a respirar mejor aunque, sin los medios suficientes, no podía hacer más. Lo ideal era trasladarlo al sanatorio para tuberculosos de Porta Coeli, donde, fuera de la insalubridad de la prisión, se recuperaría. Pero mientras tu hermano no accediera a volver al seno de la iglesia, era imposible.
Se te rompía el corazón cuando entrabas a visitarlo a la enfermería y lo encontrabas ahogándose entre suciedad. Lo lavabas, lo vestías con ropa limpia y le extraías el líquido de los pulmones como te había enseñado el médico.
Consciente de que se acercaba el final, accedió a casarse por la iglesia, postrado en la cama, para proteger a su familia (los matrimonios civiles habían quedado invalidados). Pocos días después se aprobó el traslado a Porta Coeli, pero ya era tarde.
La noche del 27 de marzo fuiste a visitarlo con Josefina, se te quebraba la voz cuando me contabas que lo aseaste y lo ayudaste a respirar por última vez. Murió esa madrugada.
Y llegaron los años del silencio, del miedo a pronunciar su nombre, de la hipocresía, de los libros de Losada llegados misteriosamente desde Argentina, de las conversaciones a media voz. Te indignaba la injusticia, el odio y las mentiras, siempre las mentiras. Me hablabas del tío Miguel entre murmullos y me pedías que bajara la voz cuando te pedía detalles: “No cuentes nada”, “no te signifiques”. Pues ahora lo estoy contando, abuela, mi memoria es tu memoria.
Ya en democracia, ibas a todos los actos y accedías a casi cualquier entrevista. Te quedabas exhausta, pero era tu “deber” homenajear y propagar el nombre y la obra de tu hermano. Esa fue la labor de toda tu vida.
Te habría encantado saber que 2017 fue el “Año de Miguel Hernández”, a ti que te preocupaba tanto que lo hicieran desaparecer. Que de vez en cuando doy una charla sobre ese legado de recuerdos que me regalaste. Que publiqué la elegía a Manolo, como tú querías. Que la cama de tu hermano (que te acompañó a todos los lugares donde viviste) está ahora en su cuarto, en la casa de la calle de Arriba, que ahora se llama de Miguel Hernández, y que es su casa-museo. No lo han olvidado, abuela, hasta la estación de tren lleva su nombre, y un aeropuerto, y una universidad, y colegios, y centros culturales.
Descansa en paz, abuela, la poesía de tu hermano resuena en todo el mundo; su nombre está marcado a fuego; y yo seguiré compartiendo este legado que me transmitiste hasta dejarlo grabado en mi memoria. Miguel Hernández es, indiscutiblemente, un gran poeta; pero para mí siempre será el tío Miguel.
Elvira Hernández, la soeur du poète (1908-1996), fleurit la tombe du poète.
Le colonel Antonio Vallejo-Nágera (1889-1960) dirigea les Services Psychiatriques de l’armée franquiste et créa le 23 août 1938 avec l’accord du général Franco le Cabinet d’investigations psychologiques (Gabinete de Investigaciones Psicológicas). Cet organisme n’avait pas d’autre précédent que L’Ahnenerbe (ou plus exactement Ahnenerbe Forschungs und Lehrgemeinschaft, c’est-à-dire la Société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral ), institut de recherches pluridisciplinaire nazi, créé par Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le 1er juillet 1935. On surnomme parfois Vallejo-Nágera, qui sera aussi professeur de psychiatrie à l’Université de Madrid de 1947 à 1959, le “Mengele espagnol”.
Paul Preston. Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Éditions Tallandier. Collection Texto. 2019. Pages 779-781.
” En 1943, plus de dix mille enfants sont placés dans des orphelinats religieux. La justification de cette politique est fournie par le chef des services psychiatriques de l’armée rebelle, le commandant Antonio Vallejo-Nágera.
Obsédé par un besoin de pureté raciale, Vallejo a écrit en 1934 un livre défendant la castration des psychopathes. Membre du corps médical de l’armée, il a servi au Maroc et a passé du temps en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale pour visiter les camps de prisonniers. Il a aussi rencontré les psychiatres allemands Ernst Kretschmer, Julius Schwalbe et Hans Walter Gruhle, dont le travail l’influence profondément. Pendant la guerre civile, il est nommé chef des services psychiatriques de l’armée rebelle. En août 1938, il demande à Franco la permission de créer le Laboratoire des enquêtes psychologiques. Deux semaines plus tard, il en reçoit l’autorisation. Son but est de pathologiser les idées de gauche. Pour le plus grand bonheur du haut commandement militaire, ses travaux fournissent des arguments « scientifiques » justifiant l’idée que les adversaires sont des sous-hommes, et il est promu colonel.
Vallejo est à la recherche des facteurs environnementaux qui favorisent “le gène rouge” et des liens entre marxisme et déficience mentale; cette quête prend la forme de tests psychologiques réalisés sur des prisonniers déjà épuisés et mentalement angoissés. Son équipe se compose de deux médecins, d’un criminologue et de deux conseillers scientifiques allemands. Ses cobayes sont des membres des Brigades internationales capturés à san Pedro de Cardeña et cinquante détenues républicaines de Málaga, dont trente ont été condamnées à mort. Partant du principe qu’elles sont dégénérées et donc enclines à la criminalité marxiste, il explique la “criminalité révolutionnaire féminine” en référence à la nature animale de la psyché féminine et la “nature sadique marquée” qui se donne libre cours quand les circonstances politiques permettent aux femmes de “satisfaire leurs appétits sexuels latents”.
Les théories de Vallejo sont utilisées pour justifier la séquestration d’enfants républicains et sont rassemblées dans un livre intitulé Eugénisme de l’hispanité et régénération de la race (Burgos, Talleres gráficos El Noticiero, 1937). Plus écologique que biologique ce racisme eugéniste postule qu’une race est constituée par une série de valeurs culturelles. En Espagne, ces valeurs, bases indispensables de la santé nationale, sont hiérarchiques, militaires et patriotiques. Tout ce que la République et la gauche représentent leur est hostile et doit donc être éradiqué. Obsédé par ce qu’il appelle “la tâche transcendante de purification de la race”, son modèle est l’Inquisition qui a autrefois protégé l’Espagne l’Espagne des doctrines nocives. Il préconise “une Inquisition modernisée, avec d’autres orientations, buts, moyens et une autre organisation; mais une Inquisition” tout de même. La santé de la race exige que ses enfants soient séparés de leur mère “rouge”.
L’application de ces théories est facilitée par les liens de Vallejo avec Franco (dont l’épouse, Carmen Polo, est une amie de sa femme) et avec la Phalange. Reprenant ses travaux sur les liens entre marxisme et déficience mentale, il consacre un livre à la psychopathologie de la guerre, qu’il dédie “en hommage respectueux et admiratif à l’impérial et invaincu Caudillo”. Vallejo a aussi un lien direct avec l’organisation du régime qui veille sur les orphelins de guerre, Auxilio social, par le biais de son ami le psychiatre Jesús Ercilla Ortega (1907-1984). Ami proche d’Onésimo Redondo, Ercilla est l’un des fondateurs des JONS (Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista), membre du comité exécutif d’Auxilio social, il en est le conseiller médical et assure la liaison avec d’autres groupes. Après la guerre, Ercilla est nommé directeur médical de la clinique psychiatrique de San José, à Ciempozuelos, que dirige officiellement Vallejo Nágera. Franco lui-même est enthousiasmé par le travail d’Auxilio social avec les orphelins républicains, et y voit une contribution majeure à la “rédemption” à long terme des espagnols après leurs erreurs inspirées par la gauche. Un élément-clé du processus est la loi du 14 décembre 1941, qui légalise le changement de nom des orphelins républicains, des enfants de prisonniers incapables de veiller sur eux, et des bébés retirés (souvent par la force) à leur mère aussitôt après leur naissance en prison.”
J’ai passé plusieurs jours à lire un livre de l’historien anglais Paul Preston, professeur d’études contemporaines en espagnol à la London School of Economics, maintenant à la retraite: Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Première édition Belin/ Humensis, 2016. En poche: Éditions Tallandier. Collection Texto, 2019. On remarquera la traduction du titre en français qui évite l’emploi du terme Holocauste utilisé en France seulement dans le cadre de l’extermination nazie.
Cette lecture a été très douloureuse car elle décrit dans le détail la terreur et les atrocités innombrables de la guerre civile espagnole.
L’historien anglais insiste sur l’idée d’une guerre d’extermination dans laquelle la violence de droite a débouché sur un plan d’élimination systématique des adversaires de gauche. Il montre ce que fut la réalité de la violence politique et de la guerre dans toute l’Espagne. Il met en lumière la violence profondément enracinée dans les rapports sociaux et dans les pratiques militaires, notamment celles ayant cours dans le Maroc colonisé par l’Espagne: viols systématiques, tortures, sadisme, mépris des cadavres, assassinat de femmes enceintes.
Néanmoins, il ne montre pas de complaisance pour les massacres perpétrées par les républicains. Ainsi, à Paracuellos de Jarama, par exemple, au nord-est de Madrid, 2 500 prisonniers politiques furent tués par les républicains entre le 7 novembre et le 4 décembre 1936.
“Pendant la guerre civile espagnole, près de 200 000 hommes et femmes périrent derrière les lignes de combats, victimes d’exécutions sommaires ou après un semblant de procès. Ils furent tués à la suite du coup d’État militaire des 17 et 18 juillet 1936 contre la seconde République. De plus, près de 200 000 hommes périrent sur les différents fronts. Un nombre inconnu d’hommes, de femmes et d’enfants furent tués par des bombardements et dans l’exode qui suivit l’occupation par les forces militaires de Franco. Après la victoire des rebelles, fin mars 1939, environ 20 000 Républicains furent exécutés dans toute l’Espagne. Bien d’autres moururent de maladie et de malnutrition dans des prisons surpeuplées et des camps de concentration aux conditions d’hygiène déplorables. Certains succombèrent au travail forcé dans des bataillons de travail. Plus d’un demi-million de réfugiés furent contraints à l’exil et nombre d’entre eux moururent dans les camps français. Dans le maelström du passage de la frontière puis de l’internement improvisé en France, pas moins de 14 000 civils et militaires espagnols périrent des suites de blessures de guerre, mais aussi de malnutrition et de maladie, pour l’essentiel dans les premières semaines de la Retirada. Plusieurs milliers furent tués au travail dans les camps nazis.” (Prologue, page 9)