Le 25 avril, ce sera toujours pour moi le 25 avril 1974. La révolution des Œillets (revolução dos cravos) au Portugal mettait fin à quarante-huit ans de dictature et permettait la fin des guerres et la décolonisation: Angola, Mozambique, Cap-Vert, Sao-Tomé-et-Principe et Guinée-Bissau.
Relisons Sophia de Mello Breyner, une des plus importantes poétesses portugaises.
25 de abril (Sophia de Mello Breyner)
Esta é a madrugada que eu esperava O dia inicial inteiro e limpo Onde emergimos da noite e do silêncio E livres habitamos a substância do tempo
25 avril
Voici le matin que j’attendais Le jour premier net et plein Où nous émergeons de la nuit et du silence et habitons libre la substance du temps
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução (Sophia de Mello Breyner)
Como casa limpa Como chão varrido Como porta aberta
Como puro início Como tempo novo Sem mancha nem vício
Como a voz do mar Interior de um povo
Como página em branco Onde o poema emerge
Como arquitectura Do homem que ergue Sua habitação
27 de Abril de 1974.
Révolution
Comme une maison propre Comme un plancher balayé Comme une porte ouverte
Comme le pur commencement Comme le temps nouveau Sans tache ni vice
Comme la voix de la mer Intérieure d’un peuple
Comme la page blanche D’où le poème émerge
Comme l’architecture De l’homme qui construit Son habitation
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Revolução-Descobrimento (Sophia de Mello Breyner)
Revolução isto é: descobrimento Mundo recomeçado a partir da praia pura Como poema a partir da página em branco — Katharsis emergir verdade exposta Tempo terrestre a perguntar seu rosto
Révolution-Découverte
Révolution c’est à dire découverte Monde qui recommence à partir de la plage pure Comme le poème à partir de la page blanche – Catharsis émergence vérité nue Temps terrestre qui cherche son visage
Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.
Le Seuil (Collection La Librairie du XXI ème siècle) a publié en novembre 2021 Á chacun sonciel, une anthologie bilingue de l’oeuvre du poète mexicain Fabio Morábito. La traduction de Fabienne Bradu a été supervisée par l’auteur lui-même. Olivier Barbarant a publié dans la revue Europe de mars 2022 une intéressante critique de ce recueil (Les quatre vents de la poésie. Tremplins pour la pensée. Fabio Morábito. Pages 299-304)
Fabio Morábito est né le 21 février 1955 à Alexandrie (Égypte) de parents italiens. Il a vécu à Milan jusqu’à l’âge de quatorze ans. Sa famille a émigré en 1969 à México. Adulte, il a commencé à écrire dans une langue différente de sa langue maternelle. Dans son introduction, Jacques Rueff affirme : « Si c’est en traduisant la poésie italienne que Fabio Morábito est devenu écrivain, c’est en traduisant Montale qu’il est devenu poète. » Il vit à México où il est chercheur à l’Université autonome.
Il a publié cinq recueils de poésie : 1985 Lotes Baldios. México, Fondo de Cultura Económica. (Terrains vagues. Québec, Écrits des Forges, 2001. Traduction Fabienne Bradu.) 1991 De lunes todo el año. México, Joaquín Mortiz. 2002 Alguien de lava. México, Era. 2011 Delante de un prado una vaca. México, Era. Madrid, Visor Libros, 2014. 2019 A cada cual su cielo.
Trois livres en prose ont aussi été traduits en français : Les mots croisés ( 15 nouvelles). Éditions José Corti. 2009. Traduction Marianne Million. Emilio, los chistes y la muerte, Editorial Anagrama 2009. (Emilio, les blagues et la mort. Éditions José Corti. 2010). Traduction Marianne Million. El lector a domicilio. Editorial Sexto Piso. 2018. Le lecteur à domicile. Éditions José Corti. Ibériques. 2019. Traduction Marianne Million.
J’ai choisi trois poèmes de cet auteur :
¿Y si ya no diera de sí la fruta?
¿Y si ya no diera de sí la fruta? ¿Si dejara de colgar de los árboles y de madurar en el suelo? ¿Si ya no hubiera cítricos, ni siquiera nueces? ¿Qué sería de nuestros brazos, de nuestros célebres pulgares, nacidos para arrancarla? Todas las distancias nacieron de la fruta, que debimos recoger en la rama de al lado, en el árbol de junto, en el bosque contiguo, en la tribu al otro lado del río. Nos impulsó la fruta, nos dispersó desde el principio. Detrás de cada lujo, de cada anhelo, de cada viaje, su dulzura. La carne misma la comemos como fruta y no como carne, la arrancamos de un rebaño de carne como se arranca la fruta más madura, todo lo suculento cae a nuestra boca como descolgado de una rama, como tú, que arranco cada día de tu árbol, de tu tribu y te traigo a este lado del río y te como y te muerdo y te guardo y tengo miedo que te pudras.
A cada cual su cielo, 2019.
Et s’il n’ y avait plus de fruits ?
Et s’il n’ y avait plus de fruits ? S’ils cessaient de pendre aux arbres et de mûrir au sol ? S’il n’y avait plus de citrons, ni même de noix ? Qu’adviendrait-il de nos bras, de nos fameux pouces, nés pour les arracher ? Toutes les distances sont nés des fruits, que l’on dut cueillir sur la branche d’à côté, sur l’arbre voisin, dans la tribu sur l’autre rive du fleuve. Les fruits nous ont impulsés nous ont dispersés, depuis le commencement. Sous chaque luxe, chaque désir, chaque voyage,leur douceur. La chair même nous la mangeons comme un fruit et non pas comme une chair, nous l’arrachons d’un troupeau de chair comme on arrache le fruit la plus mûr, tout ce qui nous enchante finit dans la bouche comme si nous le détachions d’une branche, comme toi, que j’arrache chaque jour à ton arbre, à ta tribu et que j’amène sur cette rive du fleuve et je te mange et je te mords et je te garde et j’ai peur que tu pourrisses.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
El maestro pasa lista
El maestro pasa lista sin mirarnos. Después de cada nombre se escucha “presente”. Cada tanto un silencio: alguien no vino. El maestro levanta la vista para cerciorarse. Hubo una vez uno que guardó silencio al oír su nombre, el maestro levantó la vista, no lo vio y puso la cruz de la falta. El otro permaneció impasible y lo miramos con envidia. Tenía una cruz y estaba entre nosotros. No se quitó la cruz en toda la mañana. Sin percatarse del engaño, el maestro le pidió que leyera en voz alta y en el salón estalló la risa. ¿Por qué se ríen?, y todos bajamos la vista, incluido el ausente, que leyó con voz de ausente, o así me pareció. Al otro día no vino, tampoco al otro día y pocos días después, pasando lista, el maestro se saltó su nombre, después lo tachó con la pluma y yo olvidé su nombre, su rostro y su cruz.
Delante del prado una vaca, 2011.
Le maître fait l’appel
Le maître fait l’appel sans nous regarder. Après chaque nom on entend « présent ». Parfois un silence : quelqu’un n’est pas venu. Le maître lève les yeux pour vérifier. Une fois il y en eut un qui ne répondit pas en écoutant son nom, le maître leva les yeux, ne le vit pas et marqua la croix de l’absence. L’autre demeura impassible et nous le regardions avec envie. Il n’a pas renié sa croix de toute la matinée. Sans remarquer la ruse le maître lui demanda de lire à voix haute et toute la classe éclata de rire. Pourquoi riez-vous ?, nous baissâmes la tête, y compris l’absent, qui lut d’une voix d’absent, ou ainsi me sembla-t-il. Le lendemain il ne vint pas, pas plus que le surlendemain, et quelques jours plus tard, en faisant l’appel, le maître sauta son nom, puis le raya d’un trait de plume et j’ai oublié son nom, son visage et sa croix.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
Los columpios
Los columpios no son noticia, son simples como un hueso o como un horizonte, funcionan con un cuerpo y su manutención estriba en una mano de pintura cada tanto, cada generación los pinta de un color distinto (para realzar su infancia) pero los deja como son, no se investigan nuevas formas de columpios, no hay competencias de columpios, no se dan clases de columpio, nadie se roba los columpios, la radio no transmite rechinidos de columpios, cada generación los pinta de un color distinto para acordarse de ellos, ellos que inician a los niños en los paréntesis, en la melancolía, en la inutilidad de los esfuerzos para ser distintos, donde los niños queman sus reservas de imposible, sus últimas metamorfosis, hasta que un día, sin una gota de humedad, se bajan del columpio hacia sí mismos, hacia su nombre propio y verdadero, hacia su muerte todavía lejana.
De lunes todo el año, 1991.
Les balançoires
Les balançoires ne sont pas une nouveauté, elles sont simples comme un os ou un horizon. Un corps les fait marcher et leur entretien consiste en une couche de peinture de temps en temps, chaque génération les peinture d’une couleur différente (pour donner du lustre à son enfance) mais les laisse tels qu’elles sont, on ne cherche pas de nouvelles formes de balançoires, il n’y a pas de compétition de balançoires, pas de leçons de balançoires, personne ne vole les balançoires, la radio ne transmet pas des grincements de balançoires, chaque génération les peint d’une couleur différente pour se souvenir d’elles, qui initient les enfants aux parenthèses, à la mélancolie, à l’inutilité des efforts pour être différents, où les enfants brûlent leurs réserves d’impossible, leurs dernières métamorphoses, jusqu’au jour où, sans un reste d’humidité, ils descendent de la balançoire vers eux-mêmes, vers leur nom propre et véritable, vers leur mort encore lointaine.
Á chacun son ciel. Éditions du Seuil, 2021. Traduction : Fabienne Bradu.
“La poesía no es sinónimo de lentitud, como muchos creen. Es el atajo lingüístico por excelencia. Por eso los poemas suelen ser breves, un acelerador de partículas que permite saltar sobre muchas cosas e ir directos al grano. El poeta es un velocista. »
« La poésie n’est pas synonyme de lenteur. C’est un raccourci linguistique par excellence. Les poèmes sont généralement courts ; ils constituent un accélérateur de particules qui permet de sauter beaucoup de choses et d’aller droit à l’essentiel. Le poète est un champion de la vitesse. »
« La poesía tiene el prestigio que tiene toda actividad secreta, inútil e incomprensible. Si no fuera tan incomprensible para la mayoría, no tendría prestigio y los poetas no viajaríamos como viajamos. »
« La poésie a le prestige de toute activité secrète, inutile et incompréhensible. Si elle n’était pas aussi incompréhensible, elle n’aurait pas ce prestige. Et nous, poètes, ne voyagerions pas comme nous le faisons. »
« Il y a une veine spéculative dans ma poésie, qui en accompagne une autre, plus vécue, souvent autobiographique. J’aspire à une poésie qui, sans perdre ses racines dans le quotidien, ne se limite pas à l’anecdote. À partir d’une expérience particulière, la poésie parvient à illuminer une zone profonde de l’esprit. »
« No me interesa ser poeta en absoluto. Lo que me interesa es escribir un libro de poemas. Se es poeta sólo cuando se escribe poesía, después deja de serlo. Ser poeta no se convierte jamás en profesión. »
« Être poète ne m’intéresse pas le moins du monde. Ce qui m’importe, c’est écrire un livre de poèmes. On n’est poète que lorsqu’on écrit de la poésie. Ensuite on cesse de l’être. Être poète n’est jamais une profession. »
Discurso de Federico García Lorca en la inauguración de la biblioteca de su pueblo, Fuentevaqueros (septiembre de 1931).
” Cuando alguien va al teatro, a un concierto o a una fiesta de cualquier índole que sea, si la fiesta es de su agrado, recuerda inmediatamente y lamenta que las personas que él quiere no se encuentren allí. «Lo que le gustaría esto a mi hermana, a mi padre», piensa, y no goza ya del espectáculo sino a través de una leve melancolía. Ésta es la melancolía que yo siento, no por la gente de mi casa, que sería pequeño y ruin, sino por todas las criaturas que por falta de medios y por desgracia suya no gozan del supremo bien de la belleza que es vida y es bondad y es serenidad y es pasión.
Por eso no tengo nunca un libro, porque regalo cuantos compro, que son infinitos, y por eso estoy aquí honrado y contento de inaugurar esta biblioteca del pueblo, la primera seguramente en toda la provincia de Granada.
No sólo de pan vive el hombre. Yo, si tuviera hambre y estuviera desvalido en la calle no pediría un pan; sino que pediría medio pan y un libro. Y yo ataco desde aquí violentamente a los que solamente hablan de reivindicaciones económicas sin nombrar jamás las reivindicaciones culturales que es lo que los pueblos piden a gritos. Bien está que todos los hombres coman, pero que todos los hombres sepan. Que gocen todos los frutos del espíritu humano porque lo contrario es convertirlos en máquinas al servicio de Estado, es convertirlos en esclavos de una terrible organización social.
Yo tengo mucha más lástima de un hombre que quiere saber y no puede, que de un hambriento. Porque un hambriento puede calmar su hambre fácilmente con un pedazo de pan o con unas frutas, pero un hombre que tiene ansia de saber y no tiene medios, sufre una terrible agonía porque son libros, libros, muchos libros los que necesita y ¿dónde están esos libros?
¡Libros! ¡Libros! Hace aquí una palabra mágica que equivale a decir: «amor, amor», y que debían los pueblos pedir como piden pan o como anhelan la lluvia para sus sementeras. Cuando el insigne escritor ruso Fedor Dostoyevsky, padre de la revolución rusa mucho más que Lenin, estaba prisionero en la Siberia, alejado del mundo, entre cuatro paredes y cercado por desoladas llanuras de nieve infinita; y pedía socorro en carta a su lejana familia, sólo decía: «¡Enviadme libros, libros, muchos libros para que mi alma no muera!». Tenía frío y no pedía fuego, tenía terrible sed y no pedía agua: pedía libros, es decir, horizontes, es decir, escaleras para subir la cumbre del espíritu y del corazón. Porque la agonía física, biológica, natural, de un cuerpo por hambre, sed o frío, dura poco, muy poco, pero la agonía del alma insatisfecha dura toda la vida.
Ya ha dicho el gran Menéndez Pidal, uno de los sabios más verdaderos de Europa, que el lema de la República debe ser: «Cultura». Cultura porque sólo a través de ella se pueden resolver los problemas en que hoy se debate el pueblo lleno de fe, pero falto de luz.”
Discours de Federico Garcia Lorca lors de l’inauguration de la bibliothèque de Fuente Vaqueros, sa ville natale. (Septembre 1931)
« Quand quelqu’un va au théâtre, à un concert ou à une fête quelle qu’elle soit, si le spectacle lui plaît il évoque tout de suite ses proches absents et s’en désole : « Comme cela plairait à ma soeur, à mon père ! » pensera-t-il et il ne profitera dès lors du spectacle qu’avec une légère mélancolie. C’est cette mélancolie que je ressens, non pour les membres de ma famille, ce qui serait mesquin, mais pour tous les êtres qui, par manque de moyens et à cause de leur propre malheur ne profitent pas du suprême bien qu’est la beauté, la beauté qui est vie, bonté, sérénité et passion.
C’est pour cela que je n’ai jamais de livres. A peine en ai-je acheté un, que je l’offre. j’en ai donné une infinité. Et c’est pour cela que c’est un honneur pour moi d’être ici, heureux d’inaugurer cette bibliothèque du peuple, la première sûrement de toute la province de Grenade.
L’homme ne vit pas que de pain. Moi si j’avais faim et me trouvais démuni dans la rue, je ne demanderais pas un pain mais un demi-pain et un livre. Et depuis ce lieu où nous sommes, j’attaque violemment ceux qui ne parlent que revendications économiques sans jamais parler de revendications culturelles : ce sont celles-ci que les peuples réclament à grands cris. Que tous les hommes mangent est une bonne chose, mais il faut que tous les hommes accèdent au savoir, qu’ils profitent de tous les fruits de l’esprit humain car le contraire reviendrait à les transformer en machines au service de l’état, à les transformer en esclaves d’une terrible organisation de la société.
J’ai beaucoup plus de peine pour un homme qui veut accéder au savoir et ne le peut pas que pour un homme qui a faim. Parce qu’un homme qui a faim peut calmer facilement sa faim avec un morceau de pain ou des fruits. Mais un homme qui a soif d’apprendre et n’en a pas les moyens souffre d’une terrible agonie parce que c’est de livres, de livres, de beaucoup de livres dont il a besoin, et où sont ces livres ?
Des livres ! Des livres ! Voilà un mot magique qui équivaut à clamer: « Amour, amour », et que devraient demander les peuples tout comme ils demandent du pain ou désirent la pluie pour leur semis. Quand le célèbre écrivain russe Fédor Dostoïevski, père de la révolution russe bien davantage que Lénine, était prisonnier en Sibérie, retranché du monde, entre quatre murs, cerné par les plaines désolées, enneigées, il demandait secours par courrier à sa famille éloignée, ne disant que : « Envoyez-moi des livres, des livres, beaucoup de livres pour que mon âme ne meure pas ! ». Il avait froid ; ne demandait pas le feu, il avait une terrible soif, ne demandait pas d’eau, il demandait des livres, c’est-à-dire des horizons, c’est-à-dire des marches pour gravir la cime de l’esprit et du coeur. Parce que l’agonie physique, biologique, naturelle d’un corps, à cause de la faim, de la soif ou du froid, dure peu, très peu, mais l’agonie de l’âme insatisfaite dure toute la vie.
Le grand Menéndez Pidal, l’un des véritables plus grands sages d’Europe, , l’a déjà dit : « La devise de la République doit être la culture ». La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auxquels se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi mais privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière. »
Cette semaine, j’ai acheté chez Gibert Joseph la revue Europe du mois de mars (Georges Séféris-Gilles Ortlieb). J’y ai trouvé avec plaisir un cahier de création de dix pages avec les traductions des premiers poèmes d’Antonio Gamoneda. Prix Cervantes 2006, il aura 91 ans le 30 mai. La tierra y los labios a été écrit entre 1947 et 1953. Le poète avait entre 16 et 23 ans. Ces textes ont été publiés pour la première fois par Miguel Casado en 1987 (Edad Poesia 1947-1986. Cátedra, Letras Hispanicas). Edad réunissait les oeuvres composées jusqu’alors par Gamoneda. Depuis, selon son habitude, il a réécrit un peu certains des poèmes pour la publication de Esta luz , Poesía reunida (1947–2004) ( Galaxia Gutenberg/Círculo de Lectores, 2004. Deuxième édition 2019). Ces traductions ont été réalisées par Laurence Breysse-Chanet, Professeur de littérature espagnole contemporaine, et ses étudiants de l’Université de Paris-Sorbonne.
J’en ai choisi cinq :
Te beberé el cabello y cerraré los ojos.
Tú seguirás manando tu cabello turbio de besos.
1947
Je boirai tes cheveux et fermerai les yeux.
Source tu seras toujours de tes cheveux troubles de baisers.
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La tarde, sobre mis hombros, tiene el color de tus brazos.
Yo te traeré las sombras en el hueco de mis manos,
Una corona de sombra me harás sobre tu regazo.
Yo te apagaré la tarde con la nieve de mis labios.
Se hará de noche en tus ojos ; en la oscuridad del llanto.
1947
Dessus mes épaules, le soir a la couleur de tes bras.
Je t’apporterai les ombres dans le creux de mes deux mains,
une couronne d’ombre tu me feras sur ton coeur.
Pour toi j’éteindrai le soir par la neige de mes lèvres.
La nuit viendra sur tes yeux ; dans l’obscurité des pleurs.
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El gran viento de la noche entra, lento, en los trigales.
Deja tu mano en la mía que son nuestros esponsales.
Te tomo porque mi pena tiene el color de tus ojos;
porque mi pan es moreno como tu carne.
1947
Le grand vent de la nuit entre lent dans les blés.
Mets ta main dans la mienne : ce sont nos fiançailles.
Tu es mienne car ma peine a la couleur de tes yeux ;
parce que mon pain est noir comme ta chair.
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Es un hombre. Va solo por el campo. Oye su corazón, cómo golpea, y, de pronto, el hombre se detiene y se pone a llorar sobre la tierra.
Juventud del dolor. Crece la savia verde y amarga de la primavera.
Hacia el ocaso va. Un pájaro triste canta entre las ramas negras.
Ya el hombre apenas llora. Se pregunta por el sabor a muerto en su lengua.
1951
C’est un homme. Il va seul par les champs. Écoute son coeur, comme il bat, et, soudain, l’homme s’interrompt, se met à pleurer sur la terre.
Jeunesse de la douleur. Monte la sève verte et amère du printemps.
Il va vers le crépuscule. Un oiseau triste chante parmi les branches noires.
L’homme a dès lors tari ses larmes. Il pense à ce goût de mort de sa langue.
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A ti, muchacha, que, de pronto, estrenas la juventud caliente de la risa, a ti te estoy diciendo: eres precisa en cierta soledad, en ciertas venas.
Crece la muerte con la vida. Apenas le llega al corazón alguna brisa, pero tú crecerías más deprisa; la alegría que tú desencadenas.
Préstame, amiga, préstame temprano tus ojos y tus pechos. Duramente por la boca te sale mucha vida.
Esta hora es feroz. Dame la mano; alcánzame una muerte sonriente; pon tus labios desnudos en mi herida.
1953
Jeune fille qui étrennes soudain la jeunesse si chaude de ton rire, à toi je le dis : tu es nécessaire à certaine solitude, à ses veines.
La mort grandit avec la vie. Á peine la brise vient-elle toucher le coeur, mais tu grandirais plus rapidement ; par cette joie que tu sais provoquer.
Viens m’offrir, oh mon amie, viens m’offrir tes yeux et tes seins. Je vois tant de vie sortir durement de ta bouche aimée.
L’heure est féroce. Donne-moi la main ; viens me donner une mort souriante ; pose tes lèvres nues sur ma blessure.
J’ai pu voir avec J. hier après-midi l’exposition : Miquel Barceló La métamorphose d’après la l’oeuvre de Franz Kafka. (26 novembre 2021 – 23 avril 2022). Exposition-vente à la Galerie Gallimard, 30-32 Rue de l’Université. 75007-Paris.
Il s’agit d’un accrochage consacré aux aquarelles originales réalisées par Miquel Barceló pour accompagner La Métamorphose. Le peintre a sélectionné une quarantaine d’oeuvres originales parmi celles qu’il a réalisées pour accompagner l’oeuvre, publiée dans la collection « Grande Blanche illustrée ». Toutes sont inédites, car non publiées dans le volume.
Miquel Barceló est né en 1957 à Felanitx (Majorque). Il vit entre Majorque et Paris. il a longtemps travaillé au Mali. Il a aussi illustré La Divine Comédie de Dante (dessins exposés au Louvre en 2005) et le Faust de Goethe.
« J’ai lu La Métamorphose à l’âge de 13 ou 14 ans d’un trait, la nuit. Peut-être même deux fois de suite, comme j’avais l’habitude de faire parfois. Le jour d’après, en rentrant de l’école, j’ai trouvé ma mère en train de pleurer en le lisant, alors que je l’avais trouvé drôle et troublant. Ma mère pleurait à l’idée que j’avais lu ÇA. Je l’ai ensuite relu plusieurs fois. Peut-être à chaque décennie. Je le considère comme une sorte de comique essentiel et moderne (tel Cervantès). Plus les années et les événements passent, plus je trouve Franz Kafka pertinent, avec cet humour qu’on disait juif mais qui est une forme très ancienne d’humanisme… désespoir cosmique…Métamorphose : changement. Le seul qui ne change pas est Gregor Samsa, il maigrit peut-être, mais il reste le même du réveil jusqu’à la fin. Autour de lui tout se transforme. Son père, sa mère, sa petite soeur ! Après lecture, on prend conscience de quelque chose qu’on avait oublié depuis longtemps, que l’on savait déjà. »
« Kafka ne s’étend pas dans les descriptions, on doit se fabriquer ses propres images ».
Miquel Barceló a peint ces aquarelles en 2019 dans le sud de la Thaïlande, au soleil, au bord de la mer.
Franz Kafka, La Métamorphose. Traduction Jean-Pierre Lefebvre. NRF Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. 2018
« Quand Gregor Samsa se réveilla un beau matin au sortir de rêves agités, il se retrouva transformé dans son lit en une énorme bestiole immonde. Il était couché sur le dos, qu’il sentait dur comme une carapace, et chaque fois qu’il levait un peu la tête il apercevait son ventre bombé, brun, segmenté par des indurations arquées, au sommet duquel l’édredon, prêt à glisser complètement, arrivait à peine à se maintenir. Ses multiples pattes, lamentablement fluettes par rapport au volume qu’il occupait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux. « Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre d’être humain, simplement un peu trop petite, était là bien tranquille entre ses quatre murs familiers. Au-dessus de la table, où s’étalait une collection d’échantillons de tissus qu’il avait déballée – Samsa était voyageur de commerce , était accroché l’image qu’il avait récemment découpée dans un illustré et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa., de fourrure l’une et l’autre, assise bien droite et présentant à qui l’examinait un lourd manchon de fourrure dans lequel tout son avant-bras avait disparu. Gregor tourna ensuite les yeux vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie taper sur l’appui de zinc – le rendit tout mélancolique. « Qu’est-ce qui se passerait si je continuais plutôt à dormir encore un peu en oubliant toutes ces fariboles ? » pensa-t-il, mais c’était totalement irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit, et dans l’état où il était maintenant il n’arrivait pas à prendre cette position. Quelle que fût l’énergie avec laquelle il se jetait sur le côté droit, il se retrouvait toujours sur le dos par un mouvement de balancier. Il essaya bien cent fois, fermant les yeux pour ne pas être obligé de voir ses pattes frétillantes, et ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une douleur sourde, discrète, qu’il n’avait jamais ressentie. »
Leopoldo Alas (Leopoldo Enrique García-Alas y Ureña) est né le 25 avril 1852 à Zamora. Il publie sous le pseudonyme de Clarín des articles de presse (plus de deux mille), des critiques littéraires, des récits courts (une centaine de contes ou de nouvelles) et deux romans (La Regenta, 1884-1885 – Su único hijo, 1890). C’est le grand romancier espagnol du XIX ème siècle avec Benito Pérez Galdós. Il fait des études de droit à Oviedo (Licence en droit civil et canonique en 1871), puis à Madrid (Docteur en droit en 1878 ; titre de sa thèse : El Derecho y la Moralidad- Le Droit et la Moralité). Il suit les cours des professeurs krausistes de l’université de Madrid, Nicolás Salmerón et Francisco Giner de los Ríos. Leurs idées progressistes font naître en lui le doute et le scepticisme philosophique et religieux. Francisco Giner de los Ríos, fondateur en 1876 et directeur de l’Institution libre d’enseignement (Institución Libre de Enseñanza), sera le directeur de sa thèse. Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Il enseignera à dans cette ville pendant dix-huit ans.
La Regenta est un long roman qu’il publie en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Ana Ozores, à l’âme noble et au coeur pur, échoue là après avoir épousé le vieux Victor Quintanar, président du tribunal territorial (El Regente). Elle s’ennuie terriblement dans cette société bourgeoise et provinciale aux allures vertueuses. Désespérée par le vide et la monotonie de sa vie, en quête d’absolu, elle choisit de s’échapper de la réalité de deux façons, le mysticisme et une passion amoureuse effrénée, ce qui déclenche le scandale. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. » Clarín fait une acerbe critique de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Il meurt le 13 juin 1901 d’une tuberculose intestinale à 49 ans.
Son fils aîné, Leopoldo Alas Argüelles (Leopoldo García-Alas García-Argüelles), naît à Oviedo le 12 novembre 1883. Il obtient sa licence de droit en 1904. Il voyage en Allemagne pour améliorer sa formation et préparer sa thèse: Las fuentes del Derecho y el Código Civil alemán. Le déclenchement de la Première Guerre Mondiale le fait rentrer en Espagne. En 1920, il obtient la chaire de Droit civil de l’université d’Oviedo. Il est membre du Parti Socialiste (PSOE), puis du Partido Republicano Radical Socialista, et enfin d’ Izquierda Republicana, le parti de Manuel Azaña. Á l’avènement de la République, il est élu député en juin 1931 (Coalition entre républicains et socialistes). Il sera aussi sous-secrétaire du Ministère de la Justice. Il est recteur de l’université d’Oviedo de mai 1931 à 1936. Lors de la révolution d’octobre 1934 aux Asturies, l’Université et la Bibliothèque d’Oviedo sont détruites. Il s’emploie à les reconstruire : “Sin libros no hay Universidad”. Il est arrêté le 29 juillet 1936. Un conseil de guerre le condamne à mort le 21 janvier 1937. Il est fusillé le 20 février 1937 dans la prison d’Oviedo. La haine de certains secteurs, particulièrement les secteurs ecclésiastiques contre son père ne sont pas étrangers à cette vengeance même si Clarín est mort depuis plus de trente ans. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.
Clarín connaissait sa ville à fond. Les lecteurs reconnaissaient parfaitement certaines familles, les lieux de pouvoir (la cathédrale, l’hôtel de ville, l’université) dans ce roman à clefs. Le pivot de la vie à Vetusta reste toujours la noblesse, représentée par la maison du marquis de Vegallana.
Ricardo Labra vient de publier El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.)
Leopoldo Alas, Clarín. La Regenta.Incipit.
“La heroica ciudad dormía la siesta. El viento sur, caliente y perezoso, empujaba las nubes blanquecinas que se rasgaban al correr hacia el norte.En las calles no había más ruido que el rumor estridente de los remolinos de polvo, trapos, pajas y papeles, que iban de arroyo en arroyo, de acera en acera, de esquina en esquina, revolando y persiguiéndose, como mariposas que se buscan y huyen y que el aire envuelve en sus pliegues invisibles. Cual turbas de pilluelos, aquellas migajas de la basura, aquellas sobras de todo, se juntaban en un montón, parábanse como dormidas un momento y brincaban de nuevo sobresaltadas, dispersándose, trepando unas por las paredes hasta los cristales temblorosos de los faroles, otras hasta los carteles de papel mal pegados a las esquinas, y había pluma que llegaba a un tercer piso, y arenilla que se incrustaba para días, o para años, en la vidriera de un escaparate, agarrada a un plomo. Vetusta, la muy noble y leal ciudad, corte en lejano siglo, hacia la digestión del cocido y de la olla podrida, y descansaba oyendo entre sueños el monótono y familiar zumbido de la campana del coro, que retumbaba allá en lo alto de la esbelta torre en la Santa Basílica. La torre de la catedral, poema romántico de piedra, delicado himno, de dulces líneas de belleza muda y perenne, era obra del siglo diez y seis, aunque antes comenzada, de estilo gótico, pero, cabe decir, moderado por un instinto de prudencia y armonía que modificaba las vulgares exageraciones de esta arquitectura. La vista no se fatigaba contemplando horas y horas aquel índice de piedra que señalaba al cielo; no era una de esas torres cuya aguja se quiebra de sutil, más flacas que esbeltas, amaneradas, como señoritas cursis que aprietan demasiado el corsé; era maciza sin perder nada de su espiritual grandeza, y hasta sus segundos corredores, elegante balaustrada, subía como fuerte castillo, lanzándose desde allí en pirámide de ángulo gracioso, inimitable en sus medidas y proporciones. Como haz de músculos y nervios la piedra enroscándose en la piedra trepaba a la altura, haciendo equilibrios de acróbata en el aire; y como prodigio de juegos malabares, en una punta de caliza se mantenía, cual imantada, una bola grande de bronce dorado, y encima otra más pequeña, y sobre esta una cruz de hierro que acababa en pararrayos.
La Régente. Fayard, 1987. Traduction : Albert Belot, Claude Bleton, Jean-François Botrel. Robert Jammes, Yvan Lissorgues (coordinateur). Incipit.
« L’héroïque cité faisait la sieste. Chaud et paresseux, le vent du sud poussait de pâles nuages qui se déchiraient dans leur course vers le nord. Dans les rues, point d’autre bruit que la rumeur stridente des tourbillons de poussière, de chiffons, de brins de paille et de papiers qui allaient de caniveau en caniveau, de trottoir en trottoir, d’un coin de rue à l’autre, voltigeant et se poursuivant comme des papillons qui se cherchent et se fuient et que l’air enveloppe dans ses plis invisibles. Tels des bandes de gosses, ces débris d’ordures, ces restes de n’importe-quoi s’amassaient, s’arrêtaient un moment, comme endormis, et, réveillés en sursaut, bondissaient à nouveau et se dispersaient, les uns grimpant le long des murs jusqu’aux carreaux branlants des réverbères, d’autres jusqu’aux affiches de papier mal collés au coin des rues et telle plume atteignait même un troisième étage, et tel grain de sable s’incrustait pour des jours, voire pour des années, dans la vitrine d’une devanture, accroché à un plomb. Vetusta, la très noble et très loyale cité, ville de cour en un siècle lointain, digérait son pot-au-feu et son bouilli et se reposait en écoutant dans un demi-sommeil le tintement monotone et familier de la cloche du chapitre qui résonnait là-haut au sommet de la tour élancée, dans la Sainte Basilique. La tour de la cathédrale, romantique poème de pierre, hymne délicat, aux douces lignes d’une beauté muette et pérenne, ouvrage du seizième siècle, bien que commencé plus tôt, était de style gothique, mais modéré, si l’on peut dire, par un instinct de prudence et d’harmonie qui tempérait les outrances les plus vulgaires de cette architecture. Le regard ne se lassait pas de contempler, des heures durant, cet index de pierre, pointé vers le ciel ; ce n’était pas une de ces tours dont la flèche s’amenuise au point de se briser, une de ces tours plus grêles qu’élancées, maniérées, comme des mijaurées serrant trop leur corset ; elle était massive sans rien perdre de sa grandeur spirituelle et s’élevait comme une forteresse jusqu’aux deuxièmes galeries, élégantes balustrades, et de là, s’élançait en une pyramide à la pente gracieuse, aux mesures et proportions inimitables. Tel un faisceau de muscles et de nerfs, la pierre enlacée à la pierre s’élevait vers les hauteurs en des prouesses dignes d’équilibristes et, tour de force prodigieux, sur une pointe de calcaire se maintenait, comme aimantée, une grosse boule de bronze doré, avec au-dessus une autre boule plus petite, elle-même surmontée d’une croix de fer qui s’achevait en paratonnerre. »
La Regenta. Excipit.
« Celedonio sintió un deseo miserable, una perversión de la perversión de su lascivia: y por gozar un placer extraño, o por probar si lo gozaba, inclinó el rostro asqueroso sobre el de la Regenta y le besó los labios. Ana volvió a la vida rasgando las nieblas de un delirio que le causaba náuseas. Había creído sentir sobre la boca el vientre viscoso y frío de un sapo. »
La Régente. Excipit.
« Celedonio éprouva un désir ignoble, une perversion de sa perversion lascive: pour jouir d’un plaisir nouveau ou pour voir s’il en tirerait jouissance, il pencha son visage répugnant sur celui de la régente et baisa ses lèvres. Ana revint à la vie, déchirant les brumes d’un délire qui lui donnait la nausée. Elle avait cru sentir sur sa bouche le ventre froid et visqueux d’un crapaud. »
J’ai pu revoir cette semaine en DVD le film de Joseph Losey (1909-1984) : Le Messager (The Go-Between). Je l’avais vu à sa sortie en France (15 mai 1971), il y cinquante ans et jamais revu depuis.
Il s’agit de l’ adaptation du roman éponyme de Leslie Poles Hartley (1895-1972), écrit en 1953.
Photographie : Gerry Fisher.
Montage : Reginald Beck.
Musique : Michel Legrand. Cette composition musicale (treize variations sur un thème unique) est obsessionnelle. Elle est aujourd’hui très célèbre, mais ne plaisait pas du tout au départ ni à Losey ni à son monteur.
Distribution: Julie Christie, Alan Bates, Margaret Leighton, Michael Redgrave, Dominic Guard, Michael Gough, Edward Fox.
Joseph Losey a choisi Julie Christie et Alan Bates après les avoir vus dans Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger-1967) d’après le roman de Thomas Hardy, publié en 1874. C’est un film que j’aimerais bien aussi revoir. L’adaptation de Thomas Vinterberg en 2015 ne m’a pas laissé un grand souvenir.
Le scénario de The Go-Between est d’ Harold Pinter. Le Prix Nobel de Littérature anglais (2005) a écrit quatre scénarios pour le cinéaste américain, dont seuls les trois premiers ont été réalisés : The Servant (1963), Accident (1967), Le Messager (1971) et Le Scénario Proust (The Proust screenplay-1972). Joseph Losey a dû fuir les États-Unis à cause du maccarthysme en 1952 et s’est exilé au Royaume-Uni. Cette épreuve l’a marqué à jamais.
Le film a obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes en 1971. Le grand favori, cette année-là, était Mort à Venise de Luchino Visconti qui obtint seulement le Prix du 25 ème anniversaire du Festival. On trouvait aussi dans la sélection officielle entre autres: Joe Hill (Bo Widerberg), Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo), Le Souffle au cœur (Louis Malle), Taking Off (Miloš Forman).
Le Messager est un des plus beaux films de Joseph Losey.
L’histoire se passe vers 1900. Un jeune garçon de 12 ans, Leo Colston, (Dominic Guard-Michael Redgrave), issu d’une famille ruinée de la classe moyenne, est invité par un camarade d’école, Marcus Maudsley, à passer les vacances d’été dans le manoir familial aux cent vingt-six pièces de Brandham Hall (Norfolk ). Leo est fasciné par ce milieu aristocratique et surtout par la belle Marian (Julie Christie), la sœur aînée de son ami, qui est fiancée à Lord Trimingham (Edward Fox), un vicomte qui est revenu de la guerre des Boers le visage balafré. Elle profite de la situation et va demander à Leo de porter régulièrement des lettres à son amant, le métayer d’une ferme voisine, Ted Burgess (Alan Bates), pour qu’ils puissent se retrouver clandestinement. Le livre comme le film s’achève sur le retour de Leo au manoir. Á la fin, Marian, très âgée, lui demande à nouveau de lui servir de messager pour révéler à son petit-fils l’identité de son véritable grand-père, Ted Burgess, qui s’est suicidé.
Le film commence par le générique qui défile sur les images d’une vitre sur laquelle coulent comme des larmes des gouttes de pluie. Le plan suivant montre le manoir dans la pleine lumière de l’été. La voix-off de Léo âgé (Michael Redgrave) dit : « Le passé est un pays étranger. On fait les choses autrement, là-bas. » (« The past is a foreign country; they do things differently there. »)
Tout au long du film, nous voyons un vieil homme, portant un chapeau melon qui revient vers le manoir par temps de pluie. Le passé et le présent ne font qu’un. Leo, toute sa vie, a été sous l’emprise de Marian qui n’est pas consciente de l’anéantissement psychique dans laquelle elle l’a plongé toute sa vie.
C’est un beau récit d’initiation, mais aussi un film sur les rapports de classes et de domination. L’interpétation est magnifique et très ambiguë. La photo de Gerry Fisher est splendide.
Joseph Losey porte sur le comportement humain et son pouvoir destructeur un regard pessimiste. Il réussit à créer une distance par rapport à l’intrigue tragique et fuit tout sentimentalisme.
Michel Ciment, le directeur de la publication de la revue Positif, insiste sur les thèmes propres à la plupart des films du metteur en scène : l’intrusion d’un corps étranger dans un milieu donné, l’importance du décor (ici le manoir et son grand escalier), le temps. On retient aussi la performance des acteurs, en particulier celle de la sublime Julie Christie. Joseph Losey a beaucoup travaillé pour le théâtre. Il a étudié la mise en scène en Allemagne, en Suède, en Finlande et en U.R.S.S. En 1947, il a créé en étroite collaboration avec Bertolt Brecht La Vie de Galileo Galilei, interprétée par Charles Laughton .
La lluvia tiene un vago secreto de ternura, algo de soñolencia resignada y amable, una música humilde se despierta con ella que hace vibrar el alma dormida del paisaje.
Es un besar azul que recibe la Tierra, el mito primitivo que vuelve a realizarse. El contacto ya frío de cielo y tierra viejos con una mansedumbre de atardecer constante.
Es la aurora del fruto. La que nos trae las flores y nos unge de espíritu santo de los mares. La que derrama vida sobre las sementeras y en el alma tristeza de lo que no se sabe.
La nostalgia terrible de una vida perdida, el fatal sentimiento de haber nacido tarde, o la ilusión inquieta de un mañana imposible con la inquietud cercana del color de la carne.
El amor se despierta en el gris de su ritmo, nuestro cielo interior tiene un triunfo de sangre, pero nuestro optimismo se convierte en tristeza al contemplar las gotas muertas en los cristales.
Y son las gotas: ojos de infinito que miran al infinito blanco que les sirvió de madre.
Cada gota de lluvia tiembla en el cristal turbio y le dejan divinas heridas de diamante. Son poetas del agua que han visto y que meditan lo que la muchedumbre de los ríos no sabe.
¡Oh lluvia silenciosa, sin tormentas ni vientos, lluvia mansa y serena de esquila y luz suave, lluvia buena y pacífica que eres la verdadera, la que amorosa y triste sobre las cosas caes!
¡Oh lluvia franciscana que llevas a tus gotas almas de fuentes claras y humildes manantiales! Cuando sobre los campos desciendes lentamente las rosas de mi pecho con tus sonidos abres.
El canto primitivo que dices al silencio y la historia sonora que cuentas al ramaje los comenta llorando mi corazón desierto en un negro y profundo pentágrama sin clave.
Mi alma tiene tristeza de la lluvia serena, tristeza resignada de cosa irrealizable, tengo en el horizonte un lucero encendido y el corazón me impide que corra a contemplarte.
¡Oh lluvia silenciosa que los árboles aman y eres sobre el piano dulzura emocionante; das al alma las mismas nieblas y resonancias que pones en el alma dormida del paisaje!
Libro de poemas, 1921.
Pluie
Janvier 1919 (Grenade)
La pluie a comme un vague secret de tendresse, Plein de résignation, de somnolence aimable. Discrète, une musique avec elle s’éveille Qui fait vibrer l’âme lente du paysage.
C’est un baiser d’azur que la Terre reçoit, Le mythe primitif accompli de nouveau, Le contact d’une terre et d’un ciel déjà froids Dans la douceur d’un soir qui n’en finit jamais.
C’est l’aurore du fruit, la porteuse de fleurs, La purification du Saint-Esprit des mers. C’est elle qui répand la vie sur les semailles Et dans nos cœurs le sentiment de l’inconnu.
La nostalgie terrible d’une vie perdue, Le sentiment fatal d’être arrivé trop tard, L’espérance inquiète d’un futur impossible, Et l’inquiétude, sœur des douleurs de la chair.
Elle éveille l’amour dans le gris de ses rythmes. Notre ciel intérieur s’empourpre de triomphe; mais bientôt nos espoirs en tristesse se changent A contempler sur les carreaux ses gouttes mortes.
Ses gouttes sont les yeux de l’infini qui voient Le blanc de l’infini qui leur donna naissance.
Chaque goutte de pluie en tremblant sur la vitre Y fait, divine, une blessure de diamant, Poétesses de l’eau qui a vu et médite Ce qu’ignore la foule des ruisseaux et des fleuves
Sans orages ni vents, ô pluie silencieuse, Douceur sereine de sonnaille et de lumière, Pacifique bonté, la seule véritable, Qui, amoureuse et triste, sur toute chose tombes,
Ô pluie franciscaine où chaque goutte porte Une âme claire de fontaine et d’humble source, Quand lentement sur la campagne tu descends, Les roses de mon cœur à ta musique s’ouvrent. Le psaume primitif que tu dis au silence, Le conte mélodieux que tu dis aux ramées, Mon cœur dans son désert le répète en pleurant Sur les cinq lignes noires d’une portée sans clé.
J’ai la tristesse en moi de la pluie sereine, Tristesse résignée de l’irréalisable Je vois à l’horizon une étoile allumée Mais mon cœur m’interdit de courir pour la voir.
Tu mets sur le piano une douceur troublante, Ô pluie silencieuse, ô toi qu’aiment les arbres. Tu donnes à mon cœur les vagues résonances Qui vibrent dans l’âme lente du paysage.
Livre de poèmes. Gallimard, 1954. Traduction André Belamich.
Le poète espagnol José Hierro aurait eu 100 ans hier. Il est né le 3 avril 1922 à Madrid, mais a passé son enfance et son adolescence à Santander. Il a toujours eu la passion de la mer et a gardé un lien très fort avec sa région d’origine, Cantabria. Il doit abandonner ses études au début de la Guerre Civile. Son père, Joaquín Hierro, fonctionnaire du télégraphe, est emprisonné de 1937 à 1941. Lui-même se retrouve en prison pour avoir donné son appui à une organisation d’aide aux prisonniers politiques. Il est jugé deux fois et condamné à douze ans et un jour de réclusion. Il connaîtra les prisons de Madrid (Comendadoras, Torrijos, Porlier), Palencia, Santander, Segovia et Alcalá de Henares.
Son expérience poétique part de l’expérience extrême de l’après-guerre civile et de la prison. Ses maîtres sont Lope de Vega, San Juan de la Cruz, Rubén Darío et Juan Ramón Jiménez. Il donnera le prénom de ce dernier à un de ses fils. Il a aussi beaucoup lu les poètes de la Génération de 1927 ainsi que Baudelaire, Mallarmé et Paul Valéry.
Á sa sortie de prison le premier janvier 1944, José Hierro occupe de nombreux emplois alimentaires. Il épouse en 1949 María de los Ángeles Torres (décédée le 17 juin 2020). Ils auront quatre enfants.
Il obtient en Espagne les plus importants prix littéraires : 1947 Premio Adonáis (Alegría). 1981 Premio Príncipe de Asturias de las Letras. 1995 Premio Reina Sofía de Poesía Iberoamericana 1998 Premio Cervantes, le plus prestigieux de la littérature hispanique.
Il devient membre de la Real Academia Española en 1999.
Son recueil Cuaderno de Nueva York (Le Cahier de New York), publié en 1998 et qui regroupe trente trois poèmes, devient en Espagne un véritable best-seller.
Il meurt le 21 décembre 2002 dans un hôpital madrilène à l’âge de 80 ans d’une insuffisance respiratoire.
La critique espagnole lui rend un hommage unanime.
L’oeuvre de José Hierro est peu traduite en français.
1951 Poèmes (Pierre Seghers). Traduction Roger Noël-Mayer 2014 Tout ce que je sais de moi (Circé). Traduction Emmanuel Le Vagueresse.
Je me souviens d’avoir croisé le vieux poète au visage buriné à Madrid, Paseo de Recoletos, dans les années 1990-2000. Il marchait encore avec une grande vitalité.
El encuentro (José Hierro)
A Rafael Alberti
Diré un día: bienvenido a la casa. Esta es tu lumbre. Bebe en tu copa de vino, mira el cielo, parte el pan. Cuánto has tardado. Anduviste bajo las constelaciones del Sur, navegaste ríos de son diferente. Cuánto duró tu viaje. Te noto cansado. No me preguntes. Da de comer a tus perros, oye la canción del álamo. No me preguntes por nada, no me preguntes.
Si hablase, llorarías. Si enfrentases tus espectros al espejo, seguro que no verías imágenes reflejadas. Lo vivo lejano ha muerto: lo mató el tiempo. Tú solo puedes enterrarlo. Dale tierra mañana, después de descansar. Bienvenido a tu casa. No preguntes nada. Mañana hablaremos.
Libro de las alucinaciones, 1964.
La Rencontre
A Rafael Alberti
Un jour je dirai : bienvenue à la maison. Voici ton feu. Bois ton vin dans ton verre, Regarde le ciel, romps le pain. Comme tu as été long. Tu as erré sous les constellations du Sud, navigué sur les fleuves aux sonorités multiples. Que ton voyage a été long. Je te trouve fatigué. Ne me demande rien. Donne à manger à tes chiens, entends la chanson du peuplier. Ne me pose aucune question, ne me demande rien.
Si je parlais, tu pleurerais. Si tu mettais tes spectres face au miroir, tu ne verrais sans doute aucune image reflétée. La vie lointaine est morte : le temps l’a tuée. Toi seul peux l’enterrer. Jettes-y de la terre demain, quand tu te seras reposé. Bienvenue chez toi. Ne demande rien. Demain nous parlerons.
Traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945 – 1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Lamentación
Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron!
Prodigiosas palabras jóvenes para herir los oídos viejos. Maravillosas melodías, cantos inéditos. Hemos cantado todos juntos y hemos llorado en el silencio. Aprendimos muy dura ciencia a costa de los propios sueños.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! ¡Hemos salvado tan alegres los sombríos presentimientos! Hemos amado cada tallo, cada frío harapo de invierno, cada gota de madrugada con tan loca avidez, sabiendo que éramos carne de una fábula que alguien vivía en el misterio! Tan hermosas canciones! Ráfagas tan ardientes que nos hirieron.
Música de astros interiores que nacían en nuestro reino. Flautas tañidas, en la tarde, por las manos vagas del sueño. ¡Y tantas limpias hermosuras como cayeron! Y girar sin fin en el alba con la oscura palabra dentro, con el cantar a flor de vida ignorando el remoto término.
¡Hemos tenido tantas cosas que decir, y no se dijeron! Y miramos cómo en el aire vuela la música sin dueño, sin que podamos apresarla con nuestros torpes instrumentos.
Alegría. Adonáis, 1947.
Lamentation
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites !
Prodigieuses paroles jeunes pour heurter les ouïes vieilles. Merveilleuses mélodies, chants inédits. Nous avons chanté tous ensemble et nous avons pleuré dans le silence. Nous avons appris une dure science au détriment de nos propres rêves.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Nous avons évité si gaiement les sombres pressentiments ! Nous avons aimé chaque pousse, chaque froide guenille d’hiver, chaque goutte de petit matin avec une avidité si folle, conscients que nous étions la chair d’une fable vécue par quelqu’un dans le mystère ! Tant de belles chansons ! des rafales si ardentes qu’elles nous ont blessés
Musiques d’astres intérieurs qui naissaient dans notre royaume. Flûtes jouées, le soir venu, par les mains vagues du rêve. Et tant de beautés si limpides qui sont tombées! Et tourner sans fin dans l’aube avec la sombre parole au-dedans, avec le chant à fleur de vie, ignorants de la fin lointaine.
Nous avons eu tant de choses à dire, qui n’ont pas été dites ! Et nous regardons dans l’air voler la musique sans maître, sans que nous puissions la saisir avec nos instruments maladroits.
Traduction Claude de Frayssinet. Poésie espagnole. Anthologie 1945-1990. Actes Sud / Editions Unesco, 1995.
Las nubes
Inútilmente interrogas. Tus ojos miran al cielo. Buscas, detrás de las nubes, huellas que se llevó el viento.
Buscas las manos calientes, los rostros de los que se fueron, el círculo donde yerran tocando sus instrumentos.
Nubes que eran ritmo, canto sin final y sin comienzo, campanas de espumas pálidas volteando su secreto,
palmas de mármol, criaturas girando al compás del tiempo, imitándole a la vida su perpetuo movimiento. Inútilmente interrogas desde tus párpados ciegos. ¿Qué haces mirando a las nubes, José Hierro?
Cuanto sé de mí. Ágora, 1957.
La Bibliothèque Nationale à Madrid, dans le cadre de son centenaire, organisera du 20 octobre 2022 au 22 février 1923, une exposition intitulée: Cuanto sé de mí. José Hierro en su centenario (1922-2022). On y découvrira aussi son talent méconnu de dessinateur.
Á 87 ans, le chanteur Paco Ibáñez va commencer une nouvelle tournée en Espagne et en France. Elle s’appellera : «¡Nos queda la palabra!». Elle commencera au Teatro Coliseum de Madrid le 4 avril. Il chantera aussi à Barcelone, où il vit actuellement, à Valence, où il est né le 20 novembre 1934, à Palma de Mallorca au mois de juin et dans quatre villes françaises. Il chantera en castillan, catalan, galicien, français et italien. Il sera accompagné par Mario Mas à la guitare, Joxan Goikoetxea à l’ accordéon et César Stroscio au bandonéon.
«Me apetecen mucho todos estos conciertos que hemos programado porque, en este momento tan negro que estamos viviendo, es reconfortante reencontrarme con otras almas que, como la mía, necesitan alimento».
«Porque al alma también hay que alimentarla y yo ofrezco mi repertorio a la gente para que les ayude a vivir entre tanta miseria moral y cultural».
” La palabra no sólo reconforta, también te recuerda tus valores, te da criterio, te da voluntad y te ayuda a decir ‘no, por aquí no paso’».
«Las canciones tienen que apuntar a la eternidad. Las que no saben volar no valen la pena. Si haces una canción es para que dure toda la vida».
En prime, un poème peu connu du grand Luis Cernuda :
Vientres sentados (Luis Cernuda)
Con satisfacción Como quienes saben Como quienes tienen en su puño la verdad Bien apresada para que no escape Y con orgullo Como vigilantes de vosotros mismos Domináis a lo largo a lo ancho de la tierra Vosotros vientres sentados.
No hay gas No hay plomo Que tanto levante que tanto lastre proporcione Como vuestra seguridad deletérea Esa seguridad de sentir vuestro saco Bien resguardado por vuestro trasero.
Miráis a un lado y a otro Sonreís rasgando maliciosamente la hedionda boca Y desde allí emitís como el antiguo oráculo Henchidas necedades Dictámenes que se escurren entre las rendijas como ratas
Alado el pie vigoroso El pie juvenil y vigoroso Que derrumbará bien pronto Ese saco henchido de fango de maldad de injusticia Arrastrando consigo vuestro trasero y vientre Vuestra triste persona que mancha el aire El aire limpio y justo Donde hoy nos levantamos Contra vosotros todos Contra vuestra moral contra vuestras leyes Contra vuestra sociedad contra vuestro dios Contra vosotros mismos vientres sentados Con una firme espiga A quien su propia fuerza empuja desde la tierra Para que se abra al sol Para que dé su fruto Fruto de odio y de alegría Fruto de lucha y de reposo.
La verdad está en lucha y en ella os aguardamos Vientres sentados Vientres tendidos Vientres muertos.
Otros Poemas publicados e inéditos – V. Poesía completa– Volumen I.