Le vin

Portrait de Charles Baudelaire (Gustave Courbet) 1848-49

L’âme du vin (Charles Baudelaire)

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles:
“Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité!

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! ”

Les Fleurs du mal, 1857.

Isla Negra Café Restaurante El rincón del poeta Oda al vino (Pablo Neruda)

ODA AL VINO (Pablo Neruda)

Vino color de día,
vino color de noche,
vino con pies de púrpura
o sangre de topacio,
vino,
estrellado hijo
de la tierra,
vino, liso
como una espada de oro,
suave
como un desordenado terciopelo,
vino encaracolado
y suspendido,
amoroso,
marino,
nunca has cabido en una copa,
en un canto, en un hombre,
coral, gregario eres,
y cuando menos, mutuo.
A veces
te nutres de recuerdos
mortales,
en tu ola
vamos de tumba en tumba,
picapedrero de sepulcro helado,
y lloramos
lágrimas transitorias,
pero
tu hermoso
traje de primavera
es diferente,
el corazón sube a las ramas,
el viento mueve el día,
nada queda
dentro de tu alma inmóvil.
El vino
mueve la primavera,
crece como una planta la alegría,
caen muros,
peñascos,
se cierran los abismos,
nace el canto.
Oh tú, jarra de vino, en el desierto
con la sabrosa que amo,
dijo el viejo poeta.
Que el cántaro de vino
al beso del amor sume su beso.

Amor mio, de pronto
tu cadera
es la curva colmada
de la copa,
tu pecho es el racimo,
la luz del alcohol tu cabellera,
las uvas tus pezones,
tu ombligo sello puro
estampado en tu vientre de vasija,
y tu amor la cascada
de vino inextinguible,
la claridad que cae en mis sentidos,
el esplendor terrestre de la vida.

Pero no sólo amor,
beso quemante
o corazón quemado
eres, vino de vida,
sino
amistad de los seres, transparencia,
coro de disciplina,
abundancia de flores.
Amo sobre una mesa,
cuando se habla,
la luz de una botella
de inteligente vino.
Que lo beban,
que recuerden en cada
gota de oro
o copa de topacio
o cuchara de púrpura
que trabajó el otoño
hasta llenar de vino las vasijas
y aprenda el hombre oscuro,
en el ceremonial de su negocio,
a recordar la tierra y sus deberes,
a propagar el cántico del fruto.

Odas elementales, 1954.

Buenos Aires Café Tortoni Jorge Luis Borges

Soneto del vino (Jorge Luis Borges)

¿En qué reino, en qué siglo, bajo qué silenciosa
Conjunción de los astros, en qué secreto día
Que el mármol no ha salvado, surgió la valerosa
Y singular idea de inventar la alegría?

Con otoños de oro la inventaron. El vino
Fluye rojo a lo largo de las generaciones
Como el río del tiempo y en el arduo camino
Nos prodiga su música, su fuego y sus leones.

En la noche del júbilo o en la jornada adversa
Exalta la alegría o mitiga el espanto
Y el ditirambo nuevo que este día le canto

Otrora lo cantaron el árabe y el persa.
Vino, enséñame el arte de ver mi propia historia
Como si ésta ya fuera ceniza en la memoria,

El otro, el mismo, 1964.

Georges Bernanos

“Je pense depuis longtemps déjà que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles de la vengeance qu’elle s’attire…mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public. Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister ne signalent pas que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu’il y a de plus en plus d’hommes obéissants et dociles.”

Journal d’un curé de campagne” (1936)

Jean Fautrier Matière et Lumière

Du 26 janvier au 20 mai 2018, le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend hommage à Jean Fautrier (1898-1964), à travers une grande rétrospective.

Exposition vue mardi 6 février avec mes amis de toujours E. et P.

Biographie
Jean Fautrier est né à Paris en 1898. A la mort de son père, il part à Londres avec sa mère d’origine irlandaise.  Il fera ses études d’art à la Royal Academy of Arts de Londres à partir de 1912. Il est mobilisé dans l’armée française et est gazé.  Il revient à Paris en 1920. Influencé par la peinture expressionniste, il peint alors des tableaux de facture réaliste. Jean Fautrier peint et dessine des portraits, des nus, des bêtes écorchées. Sa première exposition personnelle sera organisée en 1924. Il intéresse des galeristes connus comme Jeanne Castel, Paul Guillaume et Léopold Zborowski.

Dès 1925, Jean Fautrier devient le véritable précurseur de l’art informel (Jean Dubuffet 1901-1985, Wols 1913-1951). Il traverse une période de recherche qu’il qualifiera de « saison en enfer » et réalise une œuvre lyrique, des séries de paysages, de nus noirs dont Jean Paulhan dira qu’ils sont « plus nus que nature ».

Ses quelques succès en peinture ne lui suffisent pas. La crise l’oblige à devenir moniteur de ski à Tignes. En 1934, il crée la une boite de jazz dont il gardera la gestion jusqu’en 1939. De temps en temps, il continue cependant de peindre.

il noue des liens d’amitié avec André Malraux,  Francis Ponge, Paul Eluard, Georges Bataille, Jean Paulhan et André Dubuffet.

Pendant la seconde guerre mondiale, Jean Fautrier revient à Paris. Il se cache à partir de 1943 et habite la maison de Chateaubriand dans la Vallée aux Loups. Il entreprend une série de collages matiéristes, de dessins peints à l’huile sur papier. Ces travaux constituent « Otages » et « Massacres », un ensemble de portraits où l’artiste se veut témoin de la mémoire des victimes. L’historien d’art Michel Ragon les décrit ainsi: ” Chaque tableau était peint de la même manière. Sur un fond vert d’eau, une flaque de blanc épais s’étalait. Un coup de pinceau indiquait la forme du visage. Et c’était tout.” Il renoue avec le succès à partir de son exposition d’ octobre-novembre 1945 à la galerie de René Drouin, place Vendôme à Paris.

Dans les années 50, il reprend des séries de paysages sombres, de sanguines, de sculptures, de lithographies et de gravures. L’artiste,  solitaire, à la marge, travaille ses oeuvres comme une chair vivante. Il reçoit le grand prix de la Biennale de Venise en 1960.

Jean Fautrier meurt en 1964 à Châtenay-Malabry (France).

La peinture de Fautrier repose sur la matière, souvenir du sujet et réalité.

cf. Jean Paulhan “Fautrier l’enragé” (Gallimard, 1962)

Le poète Francis Ponge, un de ses grands admirateurs, écrivait à son propos : « Chacun de ses tableaux s’ajoute à la réalité avec vivacité, résolution, naturel. »

«Cela tient du pétale de rose et de la tartine de camembert»

“Le fusillé remplacé le crucifié. L’homme anonyme remplace le Christ des tableaux.”

Les Otages de Jean Fautrier (4 février 1962). Le peintre est interviewé par l’historien d’art et écrivain Michel Ragon.

https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu06407/les-otages-de-jean-fautrier.html

El Presidente (La Cordillera) (Santiago Mitre)

Vu lundi soir à La Ferme du Buisson (Noisiel) El Presidente (La Cordillera) de Santiago Mitre. Ce film nous a permis de revoir la Cordillère des Andes moins d’une semaine après notre retour du Chili.

Au cours d’un sommet rassemblant les chefs d’état sud-américains dans un hôtel isolé de la Cordillère (Valle Nevado, la station de sports d’hiver la plus étendue d’Amérique latine, située entre 2860 et 3670 mètres), le nouveau président argentin, Hernán Blanco, est rattrapé par une affaire de corruption impliquant son gendre, et indirectement sa fille, divorcée, névrosée, dépressive. Alors qu’il se démène pour échapper au scandale qui menace sa carrière et sa famille, il doit aussi se battre pour conclure un accord primordial pour son pays et le développement économique du sous-continent.

Le film montre un président “normal”, un homme nouveau, issu du peuple, dans sa vie publique et  privée. Il affiche une normalité de façade. Il n’est jamais seul alors qu’il détient le pouvoir. Le pouvoir l’isole, l’enferme. Le décor, la mise en scène évoquent une atmosphère de thriller, presque de film fantastique. Le metteur en scène se réfère à Shining de Stanley Kubrick et aux films de Roman Polanski. La musique d’Alberto Iglesias contribue à cette tension ainsi que les routes en lacets, les baies vitrées donnant sur le vide, les moquettes épaisses, les garages, les couloirs sombres. Tout se trame entre hommes politiques et conseillers. La figure de Faust ou du moins la métaphore faustienne  plane sur le film. Les peuples sont laissés de côté comme d’habitude. Le film se satisfait du doute et ne conclut pas. Le film nous laisse un peu sur notre faim même si Ricardo Darín est remarquable comme toujours.

“- ¿Cree usted en la existencia del Bien y del Mal?

– ¿Usted piensa que si yo no creyera en la existencia del Bien y del Mal podría dedicarme a la política?”

El Presidente (la Cordillera) (2017) 1h54. Réal: Santiago Mitre. Sc: Mariano Llinás, Santiago Mitre. Dir.photo: Javier Julia. Mus: Alberto Iglesias. Int: Ricardo Darín (Hernán Blanco), Dolores Fonzi (sa fille, Marina), Erica Rivas (Luisa Cordero), Elena Anaya (Claudia Klein, la journaliste espagnole), Daniel Giménez Cacho (Sebastián Sastre, le président du Mexique), Alfredo Castro (Desiderio García (le psychiatre hypnotiseur), Gerardo Romano (Castex), Leonardo Franco (le président du Brésil, Oliveira Prete), Christian Slater (Dereck Mc Kinley, le conseiller des Etats-Unis), Paulina García (la présidente du Chili, Paula Scherson)

Filmographie de Santiago Mitre (né en 1980):

2002 : El escondite (court-métrage).
2005 : Un regalo para Carolina (court-métrage).
2005 : El amor – primera parte (coréalisé avec Alejandro Fadel, Martín Mauregui et Juan Schnitman).
2011 : El estudiante.
2013 : Los posibles (moyen-métrage coréalisé avec Juan Onofri Barbato).
2015 : Paulina (La patota). Grand prix de la semaine de la Critique au festival de Cannes.
2017 : El Presidente (La Cordillera).  Présenté en sélection officielle « Un certain regard » lors du Festival de Cannes 2017.

Il a été le coscénariste des films de son compatriote Pablo Trapero (né en 1971) : Leonera (2008), Carancho (2010) et Elefante blanco (2012).

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19575187&cfilm=247636.html

 L’échange des princesses (Marc Dugain)

Vu dimanche au Cinéma L’Epée de Bois, Rue Mouffetard, 75005-Paris L’échange des princesses de Marc Dugain.

1721. Une idée germe dans la tête de Philippe d’Orléans, Régent de France… Louis XV, 11 ans, va bientôt devenir Roi et un échange de princesses permettrait de consolider la paix avec l’Espagne, après des années de guerre qui ont laissé les deux royaumes exsangues.
Il marie donc sa fille, Louise-Élisabeth d’Orléans, dite Mademoiselle de Montpensier, 12 ans, à l’héritier du trône d’Espagne, Luis I, 14 ans, et Louis XV doit épouser l’Infante d’Espagne, Mariana Victoria, âgée de 4 ans. L’entrée précipitée dans la cour des Grands de ces jeunes princesses, sacrifiées sur l’autel des jeux de pouvoirs, aura raison de leur insouciance…Ces unions apparaissent rapidement compromises.

L’échange des princesses (2017) 1 h 40. Scén.: Marc Dugain, Chantal Thomas d’après le roman éponyme de cette dernière (2013). Dir.photo: Gilles Porte. Int: Lambert Wilson (Philippe V), Anamaria Vartolomei (Louise-Elisabeth), Olivier Gourmet (Philippe d’Orléans, le Régent), Catherine Mouchet (Madame de Ventadour), Kacey Mottet-Klein (Don Luis), igor Van Dessel (Louis XV), Juliane Lepoureau (Mariana Victoria), Maya Sansa (Elisabeth Farnèse), Andréa Férréol (la princesse Palatine).

Loin du Grand Siècle, Marc Dugain s’attache à cette période d’incertitude et de flottements de la Régence et des débuts du règne de Louis XV. La France comme l’Espagne sont épuisées par des années de guerre. Les épidémies (la variole, le choléra) et la mort sont omniprésentes. Elles frappent enfants et vieillards. C’est déjà le crépuscule d’un monde qui annonce la fin de la monarchie. Les princes et les rois sont des objets plutôt que des êtres de chair et de sang. Les princesses n’ont plus d’identité. Elles doivent enlever leurs vêtements lors de l’échange à la frontière sur l’île aux Faisans, au milieu de la Bidassoa, et adopter ceux de la Cour où elles vont s’installer. La photographie  nocturne de Gilles Porte est très soignée. La nature est filmée dans des tonalités automnales. Deux choses m’ont gêné: le son (certains acteurs ont une diction assez incompréhensible) et les paysages de la Vieille Castille que je ne reconnais pas. Les scènes espagnoles semblent avoir été tournées en Belgique. C’est pourtant Philippe V qui fit construire le Palais royal de la Granja de San Ildefonso, dans la province de Ségovie, à 80 kilomètres de Madrid. Il y est même enterré. Le roman de Chantal Thomas était plus complexe.

Marc Dugain a réalisé quatre longs métrages :
Une exécution ordinaire (2010), d’après son propre roman.
La Bonté des femmes (2011), téléfilm coréalisé avec Yves Angelo.
La Malédiction d’Edgar (2013), tourné en anglais, d’après son propre roman.
L’Échange des princesses (2017).

Palais royal de la Granja de San Ildefonso

Camille Claudel au Musée d’Orsay

Camille Claudel 1864-1943

Présentation exceptionnelle d’oeuvres de Camille Claudel préemptées le 27 novembre 2017 par l’État lors de la vente Artcurial “Camille Claudel, un trésor en héritage” Paris Musée d’Orsay Galerie Françoise Cachin, niveau 2. 9 janvier – 11 février 2018

Vue le jeudi 8 février.

Elle rassemble des oeuvres jusqu’alors conservées dans la famille de Camille Claudel et acquises à l’occasion de la vente aux enchères du 27 novembre 2017. L’Etat français a exercé son droit de préemption afin d’acquérir ces lots pour des collections publiques, nationales et territoriales.

Sur 20 pièces, 12 sont revenues à des institutions françaises.

Le musée d’Orsay, le musée Rodin, le musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine, La Piscine-Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix, le musée Sainte-Croix de Poitiers et la Maison Camille et Paul Claudel de Villeneuve-sur-Fère ont coordonné leurs efforts afin que ces oeuvres viennent enrichir les collections publiques, grâce au soutien de l’Etat, des collectivités territoriales et de donateurs.

Les sculptures rejoindront leurs collections respectives à l’issue de l’exposition.

Toutes issues de l’atelier de Camille Claudel, les sculptures acquises retracent une grande partie de sa carrière, depuis ses débuts à Paris en 1881 comme élève d’Alfred Boucher. S’ensuit la rencontre avec Auguste Rodin, leur liaison amoureuse et l’entrée de Claudel dans l’atelier du maître en 1884, début d’une période d’enrichissement mutuel. Les deux artistes s’éloignent à partir de 1893, avant leur séparation définitive en 1898.

Claudel s’installe en 1899 dans son dernier atelier, quai Bourbon. Sa santé mentale se dégrade autour de 1909. Internée peu après le décès de son père en 1913, elle meurt à Montfavet (Vaucluse) en 1943. Son internement aura duré 30 ans.

Nicanor Parra

Le poète chilien Nicanor Parra, apôtre de l’« antipoésie » et Prix Cervantes 2011, est décédé mardi 23 janvier, à l’âge de 103 ans. La veillée funèbre a eu lieu dans la Cathédrale de Santiago à la demande de la famille même si le poète avait déclaré: “Soy ateo, gracias a Dios”. Les autorités ecclésiastiques ont essayé d’empêcher que résonnent dans la Cathédrale les chansons de sa soeur, Violeta Parra, qui s’est suicidée en 1967, à 49 ans. Le Gouvernement chilien a décrété deux jours de deuil national.

Nicanor Parra

Ultimo brindis

Lo queramos o no
sólo tenemos tres alternativas:
el ayer, el presente y el mañana.

Y ni siquiera tres
porque como dice el filósofo
el ayer es ayer
nos pertenece sólo en el recuerdo:
a la rosa que ya se deshojó
no se le puede sacar otro pétalo.

Las cartas por jugar
son solamente dos:
el presente y el día de mañana.

Y ni siquiera dos
porque es un hecho bien establecido
que el presente no existe
sino en la medida en que se hace pasado
y ya pasó…
como la juventud.

En resumidas cuentas
sólo nos va quedando el mañana:
yo levanto mi copa
por ese día que no llega nunca
pero que es lo único
de lo que realmente disponemos.

Dernier toast (Nicanor Parra)

Que nous le voulions ou non
Nous n’avons que trois possibilités:
L’hier, le présent et le lendemain.

Et pas même trois
Car comme dit le philosophe
L’hier c’est hier
Il n’est à nous que dans le souvenir:
Lorsque la rose a défleuri
On ne peut plus lui ôter de pétale.

Il n’y a que deux
Cartes à jouer:
Le présent et le lendemain.

Et pas même deux
Car c’est un fait bien établi
Que le présent n’existe
Que dans la mesure où il devient passé
Et il est passé…,
comme la jeunesse.

Tous comptes faits
Il ne nous reste que le lendemain:
Je lève mon verre
À ce jour qui n’arrive jamais
Mais qui est le seul
Dont nous disposions en réalité

(Traduction: Bernard Pautrat)

Wonder Wheel (Woody Allen)

Vu hier soir à La Ferme du Buisson (Noisiel):

Wonder Wheel (2017) de Woody Allen avec Kate Winslet, James Belushi, Justin Timberlake, Juno Temple, Max Casella, Jack Gore, David Krumholtz, Debi Mazar, Steve Schirripa, Tony Sirico. . 1h41

Vittorio Storaro, le directeur de la photographie, a à son actif des films comme Prima della revoluzione, Le Conformiste, Le Dernier tango à Paris, Novecento (Bernardo Bertolucci), Apocalypse Now, Tucker (Francis Ford Coppola) Reds (Warren Beatty) , Café Society (Woody Allen)

Wonder Wheel croise les histoires de quatre personnages dans le cadre du parc d’attractions décadent de Coney Island, plage du sud de Brooklyn, dans les années 50. L’affiche du film d’Anthony Mann Winchester 73 avec James Stewart , qui date de 1950, apparaít à la devanture du cinéma.

Mickey (Justin Timberlake) est maître-nageur, rêve de Bora-Bora et a des ambitions de dramaturge. Ginny (Kate Winslet) est une ancienne actrice, malheureuse en ménage, qui gagne sa vie comme serveuse dans un restaurant minable. Elle ressasse ses échecs et ses erreurs. Elle a épousé Humpty (James Belushi), opérateur dans un manège, qui ne s’intéresse qu’à la pêche et au base-ball. Sa fille Carolina (Juno Temple) vient se réfugier chez son père après avoir fui son mafieux de mari. Steve Schirripa et Tony Sirico, les gangsters qui la poursuivent, sortent tout droit de la série Les Soprano. L’enfant de Ginny est malheureux et pyromane. Il passe plus son temps au cinéma qu’à l’école.

Woody Allen reste un grand cinéaste à 82 ans et 48 films. Il a été pris à son tour dans le contexte de l’affaire Weinstein et a produit là un de ses films les plus sombres avec Match Point (2005) et L’Homme irrationnel (2015). La grande roue, le manège évoquent le rôle essentiel du destin, du hasard, des coïncidences dans la vie et les films. Les personnages sont creux et inconséquents. Ils se bercent d’illusions. La théâtralité est assumée. Le film évoque à la fois William Shakespeare, Eugene O’Neill (Long voyage du jour à la nuit), Tennessee Williams (Un tramway nommé Désir) et Anton Tchekhov. La photographie est essentielle pour montrer la place de l’illusion dans la vie. L’approche est poétique et non réaliste. L’appartement évoque une scène de théâtre. Il a été aménagé avec des fonds verts et a été conçu pour qu’on puisse voir le monde extérieur par les fenêtres. Les personnages sont éclairés de rouge, de bleu, de doré. La vie à l’extérieur contraste complètement avec la vie à l’intérieur. Mickey est un artiste raté, un apprenti écrivain. Woody Allen en a fait le narrateur. Le sauveteur sur sa chaise haute peut observer le monde autour de lui. On retrouve l’auteur dans tous ses personnages; Il les regarde avec beaucoup de cruauté. Le personnage de Ginny (Kate Winslet) sort du lot. On pense à Blanche DuBois dans Un tramway nommé Désir. Elle se raconte des histoires pour arriver à vivre et garde ses robes et ses bijoux minables qu’elle porte parfois. Le rôle est porté par la grande Kate Winslet, magistrale dans ce film de Woody Allen comme l’ont été par le passé Cate Blanchett ou Meryl Streep. Woody Allen sait utiliser très bien les grandes actrices.
Le narrateur séducteur utilise cette formule essentielle: «Le coeur a ses hiéroglyphes…» On peut penser au principe énoncé par Octave (Jean Renoir) dans La règle du jeu: “ Le plus terrible dans ce monde c’est que chacun à ses raisons”.

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574417&cfilm=248372.html