Antonio Machado

Baeza, Calle de san Pablo. Estatua de Antonio Machado. 2008.

La saeta

¿Quién me presta una escalera,
para subir al madero,
para quitarle los clavos
a Jesús el Nazareno?
Saeta popular.

¡Oh, la saeta, el cantar
al Cristo de los gitanos
siempre con sangre en las manos
siempre por desenclavar!

¡Cantar del pueblo andaluz
que todas las primaveras
anda pidiendo escaleras
para subir a la cruz.!

¡Cantar de la tierra mía
que echa flores
al Jesús de la agonía
y es la fe de mis mayores!

¡Oh, no eres tú mi cantar
¡No puedo cantar, ni quiero
a este Jesús del madero
sino al que anduvo en el mar!

Campos de Castilla, 1912.

CXXX. La saeta

Qui me prête une échelle
pour aller sur la croix,
enlever les clous
de Jésus le Nazaréen ?
Saeta populaire.

Oh ! La saeta le couplet
au Christ des gitans,
avec toujours aux mains du sang,
et toujours sur sa croix cloué !

Oh! chanson du peuple andalou,
qui à chaque printemps,
demande des échelles
pour monter à la croix !

Chant de ma terre,
jetant des fleurs
au Christ de l’agonie,
qui est la foi de mes ancêtres !

Tu n’es pas le chant de mon coeur !
Je ne veux ni ne peux
chanter ce Christ en croix
mais celui qui marchait sur la mer.

Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé. Paris, NRF Poésie Gallimard n°144 1981.

Cristo crucificado (Diego Velázquez) 1632 Madrid. Museo del Prado.

Joan Manuel Serrat, 1974.

https://www.youtube.com/watch?v=bRgOX70qYh8

Miguel Hernández

Le poète espagnol Manuel Hernández est mort à l’ infirmerie de la Prison d’ Alicante à le 28 mars 1942 à 5h32. Il avait 31 ans.

Escribí en el arenal

Escribí en el arenal
los tres nombres de la vida:
vida, muerte, amor.

Una ráfaga de mar,
tantas claras veces ida,
vino y los borró.

Miguel Hernández, Cancionero y romancero de ausencias, 1938-1941

Miguel Hernández en la cárcel.

 

La Belle et la Belle (Sophie Fillières)

Vu dimanche 25 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :

La Belle et la Belle (2018) 95 min. Réal. et Sc.: Sophie Fillières . Int: Sandrine Kimberlain, Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud, Lucie Desclozeaux, Laurent Bateau, Brigitte Roüan .

Margaux, 20 ans, fait la connaissance de Margaux, 45 ans. Tout les unit. En réalité, elles ne forment qu’une seule et même personne, à deux âges différents de leur vie…On les voit d’abord séparément. La Margaux plus âgée est professeur d’histoire-géographie et vit à Lyon. Elle bénéficie d’un congé de formation pour préparer l’Agrégation. La plus jeune étudie peu et vit au jour le jour avec plusieurs petits amis. Elle finissent par se rencontrer dans la salle de bains de leur amie, Esther, lors d’une fête. Le personnage masculin (Melvil Poupaud) est à la fois l’amour de jeunesse de Margaux quadragénaire et l’amant de passage de la jeune Margaux.

L’histoire n’a aucun interêt. Il s’agit d’un surréalisme de pacotille, d’une comédie très laborieuse. Les répétitions et les coquetteries abondent. Les personnages sont dans l’ensemble superficiels et creux. Ils n’ont aucune réalité sociologique. Les acteurs ne jouent pas très bien. Seul a attiré mon attention le personnage d’Esther, bien interprété par Lucie Desclozeaux. Margaux vient de Lyon assister à son enterrement (!). Je peux aussi souligner un travail assez intéressant sur la langue .

Mais, je ne vois nulle part une réflexion sur la vie, le temps qui passe, les expériences et les épreuves. Je perçois à tout instant, en revanche, le manque de rythme. On pourrait conseiller aux réalisatrices et réalisateurs français  actuels de revoir quelques-unes des comédies de Howard Hawks ou de Billy Wilder, par exemple.

https://www.youtube.com/watch?v=bLghvEJAMgc

Filmographie de Sophie Fillières:
1994: Grande Petite
2000: Aïe
2005: Gentille
2009: Un chat un chat
2014: Arrête ou je continue
2017: La Belle et la Belle

Henri Michaux-Continuum

Les Masques du vide (Henri Michaux) 1942

Des oeuvres intéressantes à voir  à la galerie Thessa Herold, 7 rue de Thorigny, Paris, 3 ème jusqu’au 21 Avril .  Elles vont des années 30 jusqu’aux années 80

« Plus tard, les signes, certains signes. Les signes me disent quelque chose. J’en ferais bien, mais un signe, c’est aussi un signal d’arrêt. Or en ce temps je garde un autre désir, un par-dessus tous les autres. Je voudrais un continuum. Un continuum comme un murmure, qui ne finit pas, semblable à la vie, qui est ce qui nous continue, plus important que toute qualité.

Impossible de dessiner comme si ce continuum n’existait pas. C’est lui qu’il faut rendre.

Echecs. Echecs. Essais. Echecs. »

(Henri Michaux, Emergences. Résurgences. Genève, Skira, Les Sentiers de la création, 1972.)

“Un jour, j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers. (…) Etre rien et rien que rien (…). vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier. (…) Perdu en un endroit lointan (ou même pas) sans nom, sans identité.”

(Peintures, GLM,  1939)

Henri Michaux

MA VIE (Henri Michaux)

Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.

Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
A cause de ce manque, j’aspire à tant.
A tant de choses, à presque l’infini…
A cause de ce peu qui manque, que jamais tu
n’apportes.

1932

Henri Michaux “La Nuit Remue” Gallimard 1935

Je me souviens aussi de ma lecture d’ Ecuador en 2015, ce récit de voyage écrit par Henri Michaux, après un voyage de l´auteur, malade, à travers les Andes, l’Équateur, et le Brésil et publié en 1929. Il était accompagné par son ami, le grand poète écuatorien, Alfredo Gangotena (1904-1944).

Alfredo Gangotena.

Vicent Andrés Estellés

Vicent Andrés Estellés.

Els Amants                            

                           La carn vol carn (Ausias March)

No hi havia a València dos amants com nosaltres.

Feroçment ens amàvem del matí a la nit.
Tot ho recorde mentre vas estenent la roba.
Han passat anys, molt anys; han passat moltes coses.
De sobte encara em pren aquell vent o l’amor
i rodolem per terra entre abraços i besos.
No comprenem l’amor com un costum amable,
com un costum pacífic de compliment i teles
(i que ens perdone el cast senyor López-Picó).
Es desperta, de sobte, com un vell huracà,
i ens tomba en terra els dos, ens ajunta, ens empeny.
Jo desitjava, a voltes, un amor educat
i en marxa el tocadiscos, negligentment besant-te,
ara un muscle i després el peço d’una orella.
El nostre amor es un amor brusc i salvatge
i tenim l’enyorança amarga de la terra,
d’anar a rebolcons entre besos i arraps.
Què voleu que hi faça! Elemental, ja ho sé.
Ignorem el Petrarca i ignorem moltes coses.
Les Estances de Riba i les Rimas de Bécquer.
Després, tombats en terra de qualsevol manera,
comprenem que som bàrbars, i que això no deu ser,
que no estem en l’edat, i tot això i allò.

No hi havia a València dos amants com nosaltres,
car d’amants com nosaltres en son parits ben pocs.

Vicent Andrés Estellés  ( 1924-1993 ), Llibre de meravelles, València, 1971.

https://www.youtube.com/watch?v=2ptTQJmK1i0

Música: Toti Soler Intèrpret: Ovidi Montllor

L’Apparition (Xavier Giannoli)

Vu dimanche 18 mars à la Ferme du Buisson (Noisiel) :
L’Apparition (2018) 137 min. Réal.: Xavier Giannoli. Sc: Xavier Giannoli en collaboration avec Jacques Fieschi et Marcia Romano. Dir. Photo: Éric Gautier. Musique: Arvo Pärt et Georges Delerue. Int:Vincent Lindon, Galatéa Bellugi, Patrick d’Assumçao, Anatole Taubman, Elina Löwensohn, Claude Lévèque, Gérard Dessalles, Bruno Georis, Alicia Hava, Candice Bouchet.

Jacques, reporter de guerre chevronné à Ouest France, vient de perdre son coéquipier photographe dans une mission de guerre. Il revient chez lui traumatisé et a des problèmes auditifs à cause de la déflagration. Il reçoit un jour un coup de téléphone du Vatican. Dans la région de Gap (Hautes-Alpes), une jeune fille de 18 ans affirme avoir eu une apparition de la Vierge Marie. La rumeur s’est vite répandue. Le phénomène a pris une grande ampleur. Des milliers de pèlerins viennent désormais se recueillir sur le lieu des apparitions présumées. Jacques qui n’a rien à voir avec ce monde-là accepte de faire partie d’une commission  qui va mener une «enquête canonique» et essayer de faire la lumière sur ces événements.

Le film est divisé en six chapitres. Plusieurs histoires se mêlent à l’intrigue principale. Xavier Giannoli s’intéresse souvent à l’imposture. Ici, il sort beaucoup de cartes, mais passe à côté de l’essentiel. Il  perd le fil. Il étire le temps, ce qui finit par créer un certain ennui chez le spectateur. Le film me semble manquer de force émotionnelle. J’ai du mal à croire que Jacques, ce personnage bien ancré dans la réalité, soit presque touché par la grâce. Galatéa Belluggi est convaincante dans son rôle, mais Vincent Lindon, que j’apprécie le plus souvent, joue ici presque uniquement de sa présence physique. Il oublie qu’un grand acteur doit aussi varier son jeu et articuler.

Moi qui pourrais parfaitement affirmer comme Luis Buñuel: «Soy ateo, gracias a Dios.», je m’étonne un peu de la floraison ces derniers temps de films français traitant de la religion catholique. Tout le monde n’est pas Carl Dreyer, Ingmar Bergman, Roberto Rossellini, Pier Paolo Pasolini ou même Martin Scorsese.

Filmographie de Xavier Giannoli :
2003: Les Corps impatients.
2005: Une aventure.
2006: Quand j’étais chanteur.
2008: À l’origine.
2012: Superstar.
2015: Marguerite.
2018: L’Apparition.

https://www.youtube.com/watch?v=81FxWiDWJDc

Renée Falconetti (1892-1946) La Passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer) 1927.

Jean-Luc Sarré

Jean-Luc Sarré était né à Oran en 1944. Il vivait à Marseille depuis 1968. Il participa aux premiers numéros de la revue Sud de Jean Malrieu et publia ses poèmes dans des revues comme Argile, Port des Singes, Europe et Action Poétique. Ses recueils furent publiés par Orange Export Limited, Flammarion, Fourbis-Farrago, La Dogana et Le Bruit du Temps. Il est décédé du cancer le 3 février 2018 à Marseille.

Je l’ai découvert grâce à Antoine Jaccottet qui a créé la maison d’édition Le Bruit du Temps (66 Rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris). J’aime ses carnets, je suis moins sensible à ses poèmes.

Quelques-uns des livres de Jean Luc Sarré:
Extérieur blanc, Flammarion, 1983  (poèmes).
La Chambre, Flammarion, 1986 (poèmes).
Les Journées immobiles, Flammarion, 1990 (poèmes).
Rurales, urbaines et autres, Fourbis, 1991, repris dans Comme si rien ne pressait, La Dogana, 2010 (carnets).
Embardées, La Dogana, 1994 (poèmes).
Au crayon, Farrago, 1999, repris dans Comme si rien ne pressait, La Dogana, 2010 (carnets).
Affleurements, Flammarion, 2000 (poèmes).
Bardane, Farrago, 2001 (poèmes).
Poèmes costumés, Farrago, 2003 (poèmes).
Bât. B2, Farrago, 2006 (poèmes).
La Part des anges, La Dogana, 2007 (poèmes).
Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010 (poèmes).
Comme si rien ne pressait, Carnets 1990-2005, La Dogana, 2010 (carnets).
Ainsi les jours, Le Bruit du temps, 2014 (carnets).
Poèmes costumés suivi de Bât. B2, Le Bruit du temps, 2017 (poèmes/poche).
Apostumes, Le Bruit du temps, 2017 (carnets).

Jean-Luc Sarré, Ainsi vont les jours:
«J’ai peu fréquenté l’espoir mais assez cependant pour le reconnaître sous les traits de son absence.»
« Voici des années que je ne vis plus grand-chose, pour ne pas dire rien, mais souvent très intensément.»
«Les solutions sont des réponses, je préfère les questions.»
«Mon but? Il m’atteindra tôt ou tard.»
« Oran. Eté 43. Etre le fruit d‘une négligence, une faute d’étourderie, une coquille, un cuir, un lapsus…c’est, au bout du compte, plutôt léger à porter. J’aurais trouvé plus contrariant qu’on ait pu «me vouloir».
«Le mal du pays? Je suis né avec.»
«Visiterais-je plus souvent ma jeunesse algérienne si elle n’était synonime de lumière brutale? Ce n’est peut-être là qu’un prétexte ou une raison parmi tant d’autres ou bien encore une sujétion car, dans cette lumière, baignent nombre de mes souvenirs. (Devant la fenêtre alors que tombe la pluie)»
«Les jours rallongent et je ne suis pas prêt.»
«On vit (…) le désespoir, mais on ne vit pas l’absence d’espoir…»

Jean-Luc Sarré, Apostumes:
«Est-ce par ce qu’il m’est arrivé de me sentir culpabilisé par l’histoire que je n’emploie jamais l’expression «terre natale»? (…) Ne pas appartenir.»
«Me voici devenu un vieux con. Ça devait finir ainsi. Un évolution tout ce qu’il y a de plus logique quand je considère le chemin parcouru. En être conscient est une bien maigre consolation.»
«Non seulement je n’ai pas tiqué mais nous avons franchement ri, avec Ch. qui connaît mes origines, quand il a parlé du cancer du colon.»
«Si je me sens exilé, aujourd’hui comme toujours, ce serait plutôt de naissance. Je considère moins l’Algérie comme ma terre natale que comme l’espace où se déroula une jeunesse heureuse. En même temps, il est rare que je perde une occasion de signaler mes origines, une façon «d’être un peu moins d’ici». Rassurant exil perpétuel.»
«Je n’ai pas grand-chose à entendre de personnes à qui je n’ai rien à dire.»

Un début loin de la vie. Carnets 1978-1986. Notes d’un dilettante. (André Blanchard)

Dilmanche 6 août 1978

   “Je recopie quelques généralités que m’avaient inspirées il y a trois mois les dix ans de Mai 68. Tout se récupère, il suffit d’attendre que le grand frisson ne soit plus qu’un mauvais souvenir pour les uns et que nostalgie pour les autres. Les marchands peuvent faire leur monnaie, concocter de juteux coups éditoriaux, et ça aide que ces marchands soient ceux qui tenaient les barricades. Ils doivent aussi se dire qu’il faut renseigner un nouveau public: les lycéens d’aujourd’hui tétaient encore leur pouce en 68. Je fais le bilan comme je le vois. La Gauche prolétarienne s’est rangée: c’est aussi bien, vu le ramassis de fils à papa qu’il y avait aux commandes. Les situs se sont sabordés: normal, ils s’affirmaient eux-mêmes sûrs et ravis d’êtres dépassés. Les autonomes ont pris le relais mais refusent toute filiation historique, ne revendiquant que leur propre ” spontanéité hors de toute dialectique”: sauf celle du baratin! Certains anciens combattants commencent à se placer dans la hiérarchie sociale…normal là aussi: quand les bourgeois fabriquent de la révolution, ça a toujours été à leur profit en utilisant le peuple. il reste les vrais marginaux à qui va mon respect, ce sont les cocus de l’Histoire, par exemple ceux décrits  dans le film Comme les anges déchus de la planète Saint-Michel.”

Aujourd’hui 22 mars, je relis les lignes qu’ André Blanchard a écrites, il y a environ 40 ans. Je ne peux pas vraiment contredire ces réflexions pessimistes. Curieusement, je pense à Flaubert et à son Education sentimentale.

Gustave Flaubert. Place des Carmes. Rouen.

Emilio Prados

Emilio Prados 1899-1962.

Rincón de la sangre

Tan chico el almoraduj
y… ¡cómo huele!
Tan chico.

De noche, bajo el lucero,
tan chico el almoradujé
y, ¡cómo huele!

Y… cuando en la tarde llueve,
¡cómo huele!

Y cuando levanta el sol,
tan chico el almoraduj
¡cómo huele!

Y, ahora, que del sueño vivo
¡cómo huele,
tan chico, el almoraduj!
¡Cómo duele!…
tan chico el almoraduj
Tan chico.

Jardín cerrado (1946)

José Sanchis-Banús (1921-1987) qui fut mon professeur à l’Institut d’Etudes Hispaniques a magnifiquement analysé ce poème dans le livre Seis lecciones: Emilio Prados, su vida, su obra, su mundo (Pre-textos) 1987 .

La traduction en français de Nadine Ly qui figure dans l’Anthologie bilingue de la poésie espagnole (Bibliothèque de la Pléiade, NRF. 1995) est une grande déception.