Bernard Frank (1929-2006)

Bernard Frank

“Le juif assimilé, je ne sais pas ce que cela veut dire. C’est un mot laid, inutile, digestif, un mot de boa. J’espère bien que, moi qui suis français et qui aime ce pays pour cent raisons qui ne le regardent pas, je ne suis pas un juif assimilé à la France. Etre français comme tout le monde, ma carte d’identité y suffit ; il n’y a pas de quoi s’en vanter. C’est vrai : je suis né à Neuilly, mon père a fait 14, mes arrières-grands-parents ont quitté l’Alsace en 1870, abandonné leurs bois, leurs futaies, ces arbrisseaux de myrtilles où les enfants aiment se rouler pour barbouiller de rouge leurs chemisettes blanches et leurs shorts, croyez-vous que j’en sois plus français pour autant? Et puis français que qui? Imaginez-vous par hasard que les Français non juifs soient des modèles de Français? Et qui aurait l’idée de leur demander? Ce n’est pas de brouter et de ruminer la même herbe dans le même village, depuis des générations, qui fait que l’on possède ou que l’on représente une patrie. La plupart des Français le sont par servitude. Les seuls Français qui se soient fait une certaine idée de la France ce sont ceux qui ont vécu ou vivent leur patrie comme un exil.”

Bernard Frank, Un siècle débordé. Grasset, 1970.

Georges Bataille

Cartier-Bresson et Georges Bataille habillés en curés dans Une partie de campagne (1936) de Jean Renoir.

Georges Bataille, Le Bleu du Ciel, écrit en 1935. publié en 1957. Avant-propos.

« Un peu plus, un peu moins, tout homme est suspendu aux récits, aux romans, qui lui révèlent la vérité multiple de la vie. Seuls ces récits, lus parfois dans les transes, le situent devant le destin. Nous devons donc chercher passionnément ce que peuvent être des récits – comment orienter l’effort par lequel le roman se renouvelle, ou mieux se perpétue.
Le souci de techniques différentes, qui remédient à la satiété des formes connues, occupe en effet les esprits. Mais je m’explique mal – si nous voulons savoir ce qu’un roman peut être – qu’un fondement ne soit d’abord aperçu et bien marqué. Le récit qui révèle les possibilités de la vie n’appelle pas forcément, mais il appelle un moment de rage, sans lequel son auteur serait aveugle à ces possibilités excessives. Je le crois: seule l’épreuve suffocante, impossible, donne à l’auteur le moyen d’atteindre la vision lointaine attendue par un lecteur las des proches limites imposées par les conventions.
Comment nous attarder à des livres auxquels, sensiblement, l’auteur n’a pas été contraint

Jorge Luis Borges

Jorge Luis Borges (Elena G. Del Pino)

Jorge Luis Borges, El libro de arena (1975), Epílogo: «No escribo para una minoría selecta, que no me importa, ni para ese adulado ente platónico cuyo apodo es la Masa. Descreo de ambas abstracciones, caras al demagogo. Escribo para mí, para los amigos y para atenuar el curso del tiempo.»

“Je n’écris pas pour une petite élite dont je n’ai cure, ni pour cette entité platonique adulée qu’on surnomme la Masse. Je ne crois pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps.”

Razzia (Nabil Ayouch)

Vu mardi 17 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel):
Razzia (2017) 119 min. Réal.: Nabil Ayouch. Sc: Nabil Ayouch et Maryam Touzani. Dir. Photo: Virginie Surdej. Int: Maryam Touzani, Ariel Worthalter, Abdelilah Rachid, Amine Ennaji, Dounia Binebine.

Much Loved en 2015 avait provoqué des remous dans la société marocaine et avait été interdit de projection pour pornographie. Le réalisateur, franco-marocain né à Sarcelles en 1969, et l’actrice principale, Loubna Abidar, avaient même reçu des menaces de mort. Nabil Ayouch revient aujourd’hui avec Razzia sur les contradictions de la société marocaine. Il choisit un récit choral, un peu comme Alejandro González Iñarritu dans Babel (2006). Il se centre sur le parcours de cinq personnages, tiraillés entre tradition et modernité et soumis au regard pas toujours bienveillant des autres. Il choisit deux périodes essentielles de l’histoire récente du Maroc: 1982 avec l’imposition de l’arabe dans l’enseignement (comme en Algérie et en Tunisie) et 2015 qui connut une vague importante de censure qui s’opposait au désir de liberté de la jeunesse.

La volonté de Nabil Ayouch de représenter la grande diversité de la population du pays fait que le spectateur perd peu à peu le fil de ces histoires. J’ai surtout été touché par l’épisode qui se passe dans un village des montagnes de l’Atlas. Le paysage est d’une très grande beauté. Un maître d’école bienveillant parle à ses jeunes élèves de la lune, du soleil, de l’immensité de l’univers dans leur langue. L’obligation faite d’enseigner en arabe classique que les enfants berbères ne comprennent pas fait disparaître le sens des mots et du monde. Les épisodes qui se déroulent à Casablanca m’ont paru plus confus et convenus, même si on sent bien le dynamisme de cette métropole que le réalisateur présente comme une ville-monde et une ville-tombeau. Le personnage de Maryam Touzani est aussi attachant. Très belle, elle n’a pas honte de son corps malgré les injonctions de son mari égoïste qui la bride. Lors des dernières images, on la voit, enceinte, s’avancer vers l’océan. L’évocation du film de Michael Curtiz Casablanca (1942) rythme aussi le film. Il ne faut pas oublier que ce classique du cinéma américain était déjà un film de résistance.

L’épigraphe du film est: «Heureux ceux qui peuvent agir selon ses désirs.» (Proverbe berbère)

Le film est sorti au Maroc le 14 février 2018 et remporte un grand succès.

https://www.youtube.com/watch?v=FLaITh9PFZQ

Il figlio, Manuel (Dario Albertini)

Vu lundi 16 avril à la Ferme du Buisson (Noisiel):

Il figlio, Manuel (Manuel) (2017) 97 min. Réal.: Dario Albertini. Sc: Dario Albertini et Simone Ranucci . Dir. Photo: Giuseppe Maio. Int: Andrea Lattanzi, Francesca Antonelli, Giulia Elettra Gorietti, Raffaella Rea, Renato Scarpa, Luciano Miele, Alessandri Di Carlo, Frankino Murgia.

Manuel vient d’avoir 18 ans et va quitter le foyer pour jeunes où il a vécu ces dernières années. Sa mère est incarcérée depuis cinq ans pour une raison jamais révélée. La liberté retrouvée aura pour Manuel un goût amer. Il erre dans les rues de son quartier, dans la banlieue de Rome, mais essaie de devenir un adulte responsable. Pour que sa mère que l’on sent très fragile obtienne l’assignation à résidence, il doit prouver aux autorités qu’il pourra la prendre en charge. Dès le début, on voit sa capacité à s’occuper des autres. Il prend dans ses bras une petite fille endormie, pousse une voiturette qui n’arrive pas à démarrer, remet de l’ordre dans l’appartement familial, rencontre l’avocat de sa mère, accepte un travail chez un boulanger, répond aux questions d’une assistante sociale peu amène.

Cet adolescent est tiraillé entre son devoir filial et ses rêves d’évasion, entre ses obligations sociales et ses aspirations personnelles. Il agit, mais parle peu. C’est un grand échalas, mais il a encore tout d’un enfant. L’angoisse l’étouffe à certains moments du film. Il est tenté par la fuite, mais n’abandonnera pas.

Le photographe et vidéaste romain Dario Albertini, 43 ans, a réalisé là son premier long métrage de fiction. Son documentaire de 2014, La Repubblica dei Ragazzi , a servi de point de départ à ce film. Il figlio, Manuel a obtenu 3 prix lors du Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier 2017: l’Antigone d’or, décerné par le Jury, le Prix de la critique et le prix Nova.

L’interprétation d’Andrea Lattanzi est remarquable. La mise en scène du réalisateur qui suit avec soin les personnages secondaires que Manuel rencontre est délicate. Il utilise avec habileté et efficacité plans-séquences, ellipses et non-dits. On pense par moments aux grands films italiens néo-réalistes des années 50. Une jolie scène évoque aussi Baisers volés (1968) de François Truffaut.

https://www.youtube.com/watch?v=7Oc6q-ff8jk

René Char-Alberto Giacometti

Autoportrait (Alberto Giacometti) 1920.

                                               Alberto Giacometti

Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, retenu par des pinces, pendait à une corde. Son insouciant propriétaire lui laissait volontiers passer la nuit dehors. Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres et sur les herbes. Malgré la promesse de chaleur la campagne n’osait pas encore babiller. La beauté du matin, parmi les cultures désertes, était totale, car les paysans n’avaient pas ouvert leur porte, à large serrure et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La basse-cour réclamait. Un couple de Giacometti, abandonnant le sentier proche, parut sur l’aire. Nus ou non. Effilés et transparents, comme les vitraux des églises brulées, gracieux, tels des décombres ayant beaucoup souffert en perdant leur poids et leur sang anciens. Cependant hautains de décision, à la manière de ceux qui se sont engagés sans trembler sous la lumière irréductible des sous-bois et des désastres. Ces passionnés de laurier-rose s’arrêtèrent devant l’arbuste du fermier et humèrent longuement son parfum. Le linge sur la corde s’effraya. Un chien stupide s’enfuit sans aboyer. L’homme toucha le ventre de la femme qui remercia d’un regard, tendrement. Mais seule l’eau du puits profond, sous son petit toit de granit, se réjouit de ce geste, parce qu’elle en percevait la lointaine signification. A l’intérieur de la maison, dans la chambre rustique des amis, le grand Giacometti dormait.

1954

Recherche de la base et du sommet, II Alliés substantiels, 1971.

Galerie Gallimard. 30-32 Rue de l’Université. Paris, VII.

Continental Films (Christine Leteux)

J’ai terminé la lecture de Continental Films (Cinéma français sous contrôle allemand) de Christine Leteux, Edition la Tour Verte, 2017. Préface de Bertrand Tavernier.
C’est un bon livre qui permet de mieux connaître cette période essentielle du cinéma français, loin des clichés et des préjugés.
Des metteurs en scène de renom ont travaillé pour la Continental, société à capitaux allemands installée en France et dirigée par le nazi Alfred Greven : Christian-Jaque, Henri Decoin, Maurice Tourneur, André Cayatte, Henri-Georges Clouzot, Albert Valentin.
Des scénaristes aussi : Charles Spaak, Jean-Paul Le Chanois, Carlo Rim, Jean Aurenche, Louis Chavance. Christine Leteux insiste également sur le rôle des techniciens.
Bertrand Tavernier montre bien dans son introduction que « le cinéma français avait bien continué à exister sous l’Occupation. » Il fallait bien vivre … et certains résistaient. Il a évoqué aussi cette période dans son film, Laissez-passer, inspiré par les mémoires du cinéaste Jean Devaivre (1912-2004) On peut rappeler que les deux vedettes de Poil de Carotte (1932) de Julien Duvivier, Harry Baur et Robert Lynen, ont été assassinées par les Allemands, dans des conditions différentes, bien sûr. Tavernier termine sa préface par cette citation de Romain Rolland (Jean-Christophe 1904-1912) : « Un héros, je ne sais pas trop ce que c’est, mais vois-tu, j’imagine, un héros, c’est quelqu’un qui fait ce qu’il peut. Les autres ne le font pas. »

Le DVD du réalisateur français, Voyage à travers le cinéma français, m’attend encore. Une citation de Martin Scorsese sur la boîte : « Vous êtes persuadé de connaître tout ça par coeur et arrive Tavernier nous révélant la beauté pure. »

Robert Lynen, acteur et résistant (1920-1944). Fusillé le 1 avril à Karlsruhe par les nazis.

César Vallejo

César Vallejo (09 06 1938). Pablo Picasso.

César Vallejo est mort le 15 avril 1938, il y a 80 ans…

César Vallejo murió el 15 de abril de 1938, hace 80 años…

Piedra negra sobre una piedra blanca 

Me moriré en París con aguacero,
un día del cual tengo ya el recuerdo.
Me moriré en París -y no me corro-
tal vez un jueves, como es hoy, de otoño.

Jueves será, porque hoy, jueves, que proso
estos versos, los húmeros me he puesto
a la mala y, jamás como hoy, me he vuelto,
con todo mi camino, a verme solo.

César Vallejo ha muerto, le pegaban
todos sin que él les haga nada;
le daban duro con un palo y duro

también con una soga; son testigos
los días jueves y los huesos húmeros,
la soledad, la lluvia y los caminos…

César Vallejo, Poemas humanos, 1939.

Pierre noire sur une pierre blanche

Je mourrai à Paris par temps de pluie,
un jour dont j’ai déjà le souvenir.
Je mourrai à Paris – pourquoi rougir –
en automne, un jeudi, comme aujourd’hui.

Un jeudi, car aujourd’hui que, jeudi,
je prose ces vers, j’ai mis au martyre
mes humérus, et jamais, pour finir,
je fus plus seul, en chemin, qu’aujourd’hui.

César Vallejo est mort, ils frappaient
tous sur lui sans qu’il ne leur ait rien fait;
ils cognaient dur avec un bâton, dur

avec une corde aussi ; sont témoins
les jours, jeudi et les os humérus,
la solitude, la pluie, les chemins.

Poèmes humains, 1939. Traduction Jacques Ancet.

Muerte de Francisco de Goya

La Lechera de Burdeos (Francisco de Goya) 1827 Madrid Prado.

El 16 de abril de 1828, Francisco de  Goya murió en Burdeos en su casa de la rue des Fossés de l’Intendance n° 39, hacia las 2 de la madrugada, acompañado por el joven artista Antonio Brugada y José Pío de Molina. Se le enterró junto a Martín Miguel de Goicoechea, su consuegro, en el cementerio de la Chartreuse. Vivía en Burdeos desde 1824.

En junio de 1899, sus restos fueron trasladados a la Sacramental de San Isidro  y finalmente, el 29 de noviembre de 1919, a la ermita de San Antonio de la Florida. Falta el cráneo del pintor.

Francisco de Goya. Estatua sedente de Goya (José San Bartolomé Llaneces). 1901. Paseo de la Florida Madrid al lado de la ermita de San Isidro.