Antonio Machado

 

Antonio Machado Terraza del hotel de Collioure donde murió. Última foto en vida.

Juan de Mairena, I.

“Nunca, nada, nadie. Tres palabras terribles; sobre todo la última. (Nadie es la personificación de la nada). El hombre, sin embargo, se encara con ellas y acaba perdiéndoles el miedo… ¡Don Nadie! ¡Don José María Nadie! ¡El excelentísimo señor Don Nadie! Conviene que os habituéis -habla Mairena a sus discípulos- a pensar en él y a imaginarlo. Cómo ejercicio poético no se me ocurre nada mejor. Hasta mañana.”

Homère

Portrait d’Homère du «type d’Épiménide», d’après une copie romaine d’un original grec du V ème siècle av. J.-C. Munich, Glyptothèque.

L’Iliade, chant 6.

«La génération des hommes est semblable à celle des feuilles. Le vent répand les feuilles sur la terre, et la forêt germe et en produit de nouvelles, et le temps du printemps arrive. C’est ainsi que la génération des hommes naît et s’éteint.»

Shelby Foote (1916-2005)

Shelby Foote 

“Shelby FOOTE est à la fois l’un des génies de la littérature américaine et l’un des moins connus. Son oeuvre, enracinée dans le Sud, constitue un univers souvent proche de l’univers faulknérien. Ses chefs-d’oeuvre romanesques (Tourbillon, Shiloh, L’amour en saison sèche, Septembre en noir et blanc), ses nouvelles (L’enfant de la fièvre), sa monumentale histoire de la Guerre Civile américaine en 3 tomes, en font une figure majeure du XXème siècle sudiste. Il est mort le 27 juin 2005.” Léon-Marc Lévy, Le Club de la Cause Littéraire.

Il a consacré sa vie à «dire le Sud», à tenter d’y trouver la vérité : «Pour la trouver, il faut parler, se souvenir. Il faut que tout soit révélé, coûte que coûte», y compris ses fautes, ses crises, bref son humanité.

Antonio Machado -René Descartes

Antonio Machado 1917 (Joaquín Sorolla) New York Hispanic Society of America.

Antonio Machado, Juan de Mairena I.

«Cogito, ergo sum», decía Descartes. Vosotros decid: «Existo, luego soy», por muy gedeónica que os parezca la sentencia. Y si dudáis de vuestro propio existir, apagad e idos.»

René Descartes, Discours de la méthode, IV ème partie.

«(…) et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étoient jamais entrées en l’esprit n’étoient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulois ainsi penser que tout étoit faux, il falloit nécessairement que moi qui le pensois fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étoient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvois la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois.»

Portrait de René Descartes (Frans Hals) v. 1649 Paris Louvre

Samuel Beckett (1906-1989) – Nancy Cunard (1896-1965)

Samuel Beckett

Paris, juin 1930. Samuel Beckett loge rue d’Ulm et est lecteur d’anglais à l’École Normale Supérieure depuis novembre 1928. Il quittera ce poste à la rentrée d’octobre. Il a une bourse de troisième cycle pour rédiger une thèse sur Pierre Jean Jouve

Il apprend le jour même de la date limite fixée pour le dépôt des textes, qu’un concours pour le meilleur poème de moins de cent vers ayant pour sujet le temps, a été proposé par Richard Aldington et Nancy Cunard qui dirigent à Paris les éditions en langue anglaise Hours Press. En quelques heures, il écrit Whoroscope, poème de quatre-vingt-dix-huit vers sur la vie de Descartes, telle qu’elle fut décrite en 1691 par Adrien Baillet. Il achève ce poème en pleine nuit, va le glisser dans la boîte à lettres de la boutique de Nancy Cunard (15, rue Guénégaud) avant l’aube. Il remporte le concours. Whoroscope sera publié en septembre 1930 sous forme de plaquette , tirée à 300 exemplaires. C’est la première publication séparée d’une œuvre de Samuel Beckett.  Nancy Cunard fera tout pour l’aider et Aldington le conseille et incite son ami Charles Prentice, directeur des éditions Chatto et Windus, à lui commander un livre sur Proust, publié en 1931.

Peste soit de l’horoscope (Samuel Beckett) Extrait

Qu’est-ce là?
Un oeuf?
Foi de frères Boot, il pue le frais.
Qu’on donne cela à Gillot.

Salutations à Galilée
et ses tierces consécutives!
Ce vieux copernicien abject, cet adepte du fil à plomb, ce fils d’un mercanti!
Nous sommes en mouvement, disait-il, en avant toute, Porca Madonna!
comme le dirait un quartier-maître ou, bouffi et ventripotent, un Prétendant au trône.
Ce n’est point là vaguer, mais divaguer.

Qu’est-ce là?
Une menue friture verdissante et couverte de moisissures?
Deux ovaires battus avec du jambon de charme?
Combien de temps les a t-elle couvés l’emplumée?
Trois jours et quatre nuits?
Qu’on donne cela à Gillot.
Faulhaber, Beckman et Pierre le Rouge,
approchez maintenant en votre avalanche
nébuleuse, ou portés par le rougeoyant parhélie d’une comète cirstalline de Gassendi
et je résoudrai pour vous vos devinettes mathématiques élémentaires
ou, sous la courtepointe à la mi-temps du jour, je polirai une lentille.

Dire que Pierre le Brutal était mon propre frère
et que nul syllogisme ne lui est dû
comme si en lui Père avait survécu.
Holà! Qu’on me passe la menue monnaie
gagnée à la suave sueur de mes humeurs ardentes!
Quelle belle époque celle où je demeurais assis dans mon poêle expulsant les Jésuites par ma tabatière.

Qui est-ce? Hals?
Qu’il attende.

Ma mie, mon adorable bigleuse!
Au jeu, c’était moi qui me cachais, moi qui me cherchais.
Et ma Francine, précieuse éclosion d’un foetus ancillaire!
Quelle desquamation!
Son délicat épiderme, écorché, gris, et ses amygdales écarlates!
Mon unique enfant
atteinte par une fièvre qui s’attaque au sang trouble et stagnant-
le sang! (…)

(Traduit par Edith Fournier)

Whoroscope

What’s that?
An egg?
By the brother Boot it stinks fresh.
Give it to Gillot

Galileo how are you
and his consecutive thirds!
The vile old Copernican lead-swinging son of a sutler!
We’re moving he said we’re off – Porca Madonna!
the way a boatswain would be, or a sack-of-potatoey
charging Pretender
That’s not moving, that’s moving.

What’s that?
A little green fry or a mushroomy one?
Two lashed ovaries with prosciutto?
How long did she womb it, the feathery one?
Three days and four nights?
Give it to Gillot

Faulhaber, Beeckmann and Peter the Red,
come now in the cloudy avalanche or Gassendi’s
sun-red crystally cloud
and I’ll pebble you all your hen-and-a-half ones
or I’ll pebble a lens under the quilt in the midst of day
To think he was my own brother, Peter the Bruiser,
and not a syllogism out of him
no more than if Pa were still in it.

Hey! Pass over those coppers
sweet milled sweat of my burning liver!
Them were the days I sat in the hot-cupboard
throwing Jesus out of the skylight.

Who’s that? Hals?
Let him wait.

My squinty doaty!
I hid and you sook.
And Francine my precious fruit of a
house-and-parlour foetus!
What an exfoliation!
Her little grey flayed epidermis and scarlet tonsils!
My one child
Scourged by a fever to stagnant murky blood-
Blood! (…)

 

David Goldblatt

David Goldblatt

Le photographe sud-africain David Goldblatt (1930-2018) est mort le 25 juin à 88 ans. Ses photographies sont un témoignage de la vie quotidienne en Afrique du Sud non seulement sous l’Apartheid, introduit en 1948, mais aussi depuis la fin du régime ségrégationniste. Le Centre Pompidou venait de lui consacrer une rétrospective du 27 février au 7 mai 2018 que j’avais vue avec grand intérêt. Jusqu’à la fin des années 1990, toutes ses photographies étaient en noir et blanc.Il avait reçu le prix Henri Cartier-Bresson en 2009 et le prix Cornell Capa en 2013.

Le fils du fermier avec sa bonne d’enfants, ferme de Heimweeberg, environs de Nietverdiend, Marico Bushveld, province du Nord-Ouest 1964.

Lisons donc Simone Weil sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations!

Simone Weil

Le Monde, 23/06/2018

«Lisons donc Simone Weil sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations!»

Spécialistes reconnus de l’œuvre de la philosophe, Robert Chenavier, Olivier Mongin et Jean-Louis Schlegel s’insurgent dans une tribune au «Monde» contre la récupération de l’auteur de «L’Enracinement» par la droite conservatrice et les intellectuels antimodernes.

La philosophe Simone Weil (1909-1943) serait-elle en passe de devenir la nouvelle muse des politiques conservatrices? Au service de cette cause est souvent et presque seul cité d’elle, dans les livres et revues qui revendiquent le nouveau conservatisme, son livre posthume publié par Albert Camus en 1949, L’Enracinement (Yann Raison du Cleuziou, «Le renouveau conservateur en France», Esprit, octobre 2017).

Selon Le Monde du 16 février, M. Wauquiez, entre autres, cite volontiers dans ses interventions, outre Marcel Gauchet et Régis Debray, ce livre et son auteure. Dans Le Monde du 5 décembre 2017, Bérénice Levet faisait même de Laurent Wauquiez le «candidat de l’enracinement»! Dans cette ligne, il emprunterait à la philosophe décédée en 1943 deux de ses thèmes préférés: le patriotisme et l’«identité française». Cette interprétation est, selon nous, tout à fait abusive.

Quasi blasphématoire
Certes, on ne désavouera pas Levet quand elle résume la position de la philosophe en écrivant que l’«enracinement est inscription […] dans une histoire, dans des histoires même», dans des «communautés d’appartenance qui se conjuguent au pluriel» et sont «dépositaires de récits, de traditions, de significations».

En coupant les racines, le déracinement provoque en effet la perte des «milieux naturels» – qui sont des milieux de vie pour l’homme et pas seulement des «environnements». Pour Simone Weil, constituent de tels «milieux naturels» «la patrie, les milieux définis par la langue, par la culture, par un passé historique commun, la profession, la localité…» (Œuvres complètes, Gallimard, t. V, vol. 2, p. 104).

Sauf que L’Enracinement, livre complexe, est aussi une longue dénonciation du fait que la France précisément a, au cours de son histoire, enlevé leur sens aux collectivités qui correspondaient à des territoires, des régions, des langues, des traditions. Collectivités d’autant plus nécessaires que la patrie est une communauté imparfaite (mélange de juste et d’injuste), qui a aussi besoin des influences extérieures pour se réformer.

Dès lors, le patriotisme ne peut se justifier que par son rôle protecteur des différents milieux dont les hommes ont un besoin vital. Parler d’une «France éternelle», à célébrer et à défendre comme un bloc intangible, fermé à toute nouveauté, est une expression quasi blasphématoire pour Simone Weil.

Fausse route
La France est chose purement temporelle et terrestre, et il importe de présenter la patrie «comme une chose belle et précieuse, mais d’une part imparfaite, d’autre part très fragile, exposée au malheur, qu’il faut chérir et préserver». Ce «sentiment de tendresse poignante» pour une patrie toujours imparfaite et fragile, toujours exposée, lui paraît «autrement chaleureux que celui de la grandeur nationale» lancé à la figure de ceux qu’on veut rejeter.

Levet fait aussi fausse route quand elle présente l’«autre thème que Laurent Wauquiez emprunte à la philosophe»: l’identité. Pour Simone Weil, l’enracinement n’est précisément pas une identité, car l’«enracinement et la multiplication des contacts sont complémentaires.»Est-ce du moins de cette sorte d’identité ouverte qu’il s’agit chez Laurent Wauquiez? Manifestement non.

Quand ce «républicain» déclare, lors d’un meeting tenu dans les Alpes-Maritimes, que la France doit retrouver son «identité», menacée dans «certains quartiers» par une «juxtaposition de communautés où le salafisme a remplacé l’adoration de la République française» (Le Monde du 27 octobre), il est aux antipodes de L’Enracinement. En effet, jamais Simone Weil n’a employé un tel langage. Jamais elle n’aurait admis – et encore moins prôné – une quelconque «adoration de la République française»: elle considérait cela comme de l’idolâtrie.

«L’identité française», dit de son côté Levet, il faut se donner la peine de l’acquérir. Apprendre l’histoire de la France, la connaître, mais pas seulement – il faut l’aimer». Certes, mais l’expression «identité française» n’apparaît jamais chez Simone Weil.

Courants politiques rétrogrades
L’Enracinement est très exactement une contre-histoire de la France (sous la monarchie absolue, sous le jacobinisme républicain, sous la IIIe République, que Simone Weil ne prise guère…). Une contre-histoire dans laquelle sont littéralement flétries la «grandeur» (valeur qui est un héritage romain qu’elle déteste), la gloire, la conquête par le pouvoir central de tous les territoires qui représentaient un haut lieu de civilisation (l’Occitanie par exemple), pour ne laisser à «aimer» que l’Etat, sans oublier cette entreprise par excellence de déracinement qu’a été la colonisation.

M. Wauquiez, que l’on sache, ne partage d’aucune façon tout ou partie de cette contre-histoire.

Lisons donc Simone Weil (dont l’œuvre ne se réduit pas, loin de là, à L’Enracinement) sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations. Les courants politiques rétrogrades n’ont toujours voulu retenir que L’Enracinement, interprété à leur aune. Ils préfèrent oublier celle qui était avant tout sensible au malheur des humains, l’auteure, en 1934, des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale.

Sa pensée n’est pas un système. Elle a une fonction de «nettoyage philosophique» de la politique. Elle est plus subtile, inquiète et excessive que les mots d’ordre bien calés (et intéressés) qu’on lui prête. Empêchons qu’un «weilisme» vulgaire ne devienne une vulgate des contresens sur ses intuitions dérangeantes. Apprenons à «ne pas se laisser bourrer le crâne»– «c’est déjà quelque chose», ajoutait-elle.

Les signataires de cette tribune sont: Robert Chenavier, directeur de la publication des «Cahiers Simone Weil»; Olivier Mongin, membre de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil et Jean-Louis Schlegel, codirecteur de la rédaction de la revue «Esprit».

Louis Aragon

Louis Aragon (Man Ray) 1925.

Louis Aragon vécut une intense histoire d’amour du début de l’année 1926 à la fin de l’année 1928 avec Nancy Cunard (1896-1965), riche héritière anglaise. mais aussi poète. Elle connaissait tous les écrivains anglais importants de son époque.  L’essentiel de la deuxième partie du Roman inachevé (1956) est consacré à cette femme extraordinaire. Elsa Triolet disait: “On parle toujours des poèmes que Louis a écrits pour moi. Mais les plus beaux étaient pour Nancy.” Aragon la nommait Nane, mais aussi l'”Abeille” (“busy bee”). Cette femme l’a particulièrement marquée et l’a fait souffrir comme personne. Les conflits réguliers entre les deux amants entre 1926 et 1928 les menèrent à la rupture. Les milieux fréquentés par Nancy, l’inégalité de fortune, la difficulté de s’en tenir à une stricte égalité sentimentale et sexuelle l’expliquent aussi. De plus, Nancy rencontrera en 1928 à Venise Henry Crowder, un pianiste de jazz en tournée. Se sentant abandonné, Aragon fera début de septembre une tentative de suicide dans un hôtel de Venise. Il sera sauvé de justesse.

On retient souvent de Nancy Cunard la personnalité hors-normes et sa liberté sexuelle totale. On parle moins de l’oeuvre qu’elle a accomplie tout au long de sa vie trépidante.

Poème à crier dans les ruines

Tous deux crachons tous deux
Sur ce que nous avons aimé
Sur ce que nous avons aimé tous deux
Si tu veux car ceci tous deux
Est bien un air de valse et j’imagine
Ce qui passe entre nous de sombre et d’inégalable
Comme un dialogue de miroirs abandonnés
A la consigne quelque part Foligno peut-être
Ou l’Auvergne la Bourboule
Certains noms sont chargés d’un tonnerre lointain
Veux-tu crachons tous deux sur ces pays immenses
Où se promènent de petites automobiles de louage
Veux-tu car il faut que quelque chose encore
Quelque chose
Nous réunisse veux-tu crachons
Tous deux c’est une valse
Une espèce de sanglot commode
Crachons crachons de petites automobiles
Crachons c’est la consigne
Une valse de miroirs
Un dialogue nulle part
Écoute ces pays immenses où le vent
Pleure sur ce que nous avons aimé
L’un d’eux est un cheval qui s’accoude à la terre
L’autre un mort agitant un linge l’autre
La trace de tes pas Je me souviens d’un village désert
A l’épaule d’une montagne brûlée
Je me souviens de ton épaule
Je me souviens de ton coude
Je me souviens de ton linge
Je me souviens de tes pas
Je me souviens d’une ville où il n’y a pas de cheval
Je me souviens de ton regard qui a brûlé
Mon cœur désert un mort Mazeppa qu’un cheval
Emporte devant moi comme ce jour dans la montagne
L’ivresse précipitait ma course à travers les chênes martyrs
Qui saignaient prophétiquement tandis
Que le jour faiblissait sur des camions bleus
Je me souviens de tant de choses
De tant de soirs
De tant de chambres
De tant de marches
De tant de colères
De tant de haltes dans des lieux nuls
Où s’éveillait pourtant l’esprit du mystère pareil
Au cri d’un enfant aveugle dans une gare-frontière
Je me souviens
Je parle donc au passé Que l’on rie
Si le cœur vous en dit du son de mes paroles
Aima Fut Vint Caressa
Attendit Épia les escaliers qui craquèrent
0 violences violences je suis un homme hanté
Attendit attendit puits profonds
J’ai cru mourir d’attendre
Le silence taillait des crayons dans la rue
Ce taxi qui toussait s’en va crever ailleurs
Attendit attendit les voix étouffées
Devant la porte le langage des portes
Hoquet des maisons attendit
Les objets familiers prenaient à tour de rôle
Attendit l’aspect fantomatique Attendit
Des forçats évadés Attendit
Attendit Nom de Dieu
D’un bagne de lueurs et soudain
Non Stupide Non
Idiot
La chaussure a foulé la laine du tapis
Je rentre à peine
Aima aima aima mais tu ne peux pas savoir combien
Aima c’est au passé
Aima aima aima aima aima
Ô violences
Ils en ont de bonnes ceux
Qui parlent de l’amour comme d’une histoire de cousine
Ah merde pour tout ce faux-semblant
Sais-tu quand cela devient vraiment une histoire
L’amour
Sais-tu
Quand toute respiration tourne à la tragédie
Quand les couleurs du jour sont ce que les fait un rire
Un air une ombre d’ombre un nom jeté
Que tout brûle et qu’on sait au fond
Que tout brûle
Et qu’on dit Que tout brûle
Et le ciel a le goût du sable dispersé
L’amour salauds l’amour pour vous
C’est d’arriver à coucher ensemble
D’arriver
Et après Ha ha tout l’amour est dans ce
Et après
Nous arrivons à parler de ce que c’est que de
Coucher ensemble pendant des années
Entendez-vous
Pendant des années
Pareilles à des voiles marines qui tombent
Sur le pont d’un navire chargé de pestiférés
Dans un film que j’ai vu récemment
Une à une
La rose blanche meurt comme la rose rouge
Qu’est-ce donc qui m’émeut à un pareil point
Dans ces derniers mots
Le mot dernier peut-être mot en qui
Tout est atroce atrocement irréparable
Et déchirant Mot panthère Mot électrique
Chaise
Le dernier mot d’amour imaginez-vous ça
Et le dernier baiser et la dernière
Nonchalance
Et le dernier sommeil Tiens c’est drôle
Je pensais simplement à la dernière nuit
Ah tout prend ce sens abominable
Je voulais dire les derniers instants
Les derniers adieux le dernier soupir
Le dernier regard
L’horreur l’horreur l’horreur
Pendant des années l’horreur

Crachons veux-tu bien
Sur ce que nous avons aimé ensemble
Crachons sur l’amour
Sur nos lits défaits
Sur notre silence et sur les mots balbutiés
Sur les étoiles fussent-elles
Tes yeux
Sur le soleil fût-il
Tes dents
Sur l’éternité fût-elle
Ta bouche
Et sur notre amour
Fût-il
TON amour
Crachons veux-tu bien

La grande gaieté (1929).

Nancy Cunard (Man Ray) v 1925.

John Cornford 2

John Cornford 1934.

L’évocation du poète anglais John Cornford me renvoie à la petite collection Maspéro, éditée par les Éditions Maspero entre 1967 et 1982, date de vente de la maison d’édition. Cette collection fut essentielle dans notre formation après 1968. J’en possède une vingtaine de titres. Leur couverture pastel les rend immédiatement identifiables. Je tiens particulièrement aux deux tomes du Romancero de la résistance espagnole. Ce sont deux recueils en édition bilingue, publiés par Dario Puccini en Italie en 1960 et en 1967 en France. On y trouve, entre autres, un poème de John Cornford.

To Margot Heinemann (John Cornford)

Heart of the heartless world,
Dear heart, the thought of you
Is the pain at my side,
The shadow that chills my view.

The wind rises in the evening,
Reminds that autumn’s near.
I am afraid to lose you,
I am afraid of my fear.

On the last mile to Huesca,
The last fence for our pride,
Think so kindly, dear, that I
Sense you at my side.

And if bad luck should lay my strength
Into the shallow grave,
Remember all the good you can;
Don’t forget my love.

A Margot Heinemann

Coeur du monde sans coeur,
cher coeur, la pensée de toi
est l’épine à mon flanc,
l’ombre qui glace ma vue.

Le vent se lève dans le soir,
rappelant l’automne proche.
J’ai peur de te perdre,
j’ai peur de ma peur.

Au dernier mile avant Huesca,
dernière barrière à notre orgueil,
songe, mon amour, avec tant de douceur
que je te sente auprès de moi.

Et si la malchance couchait ma force
en la tombe peu profonde,
rappelle-toi tout le bien possible;
n’oublie pas mon amour.

(Traduit par Michèle Mangin)

A Margot Heinemann

Alma del mundo desalmado,
alma mía, tu recuerdo
es el dolor que siento en mi costado,
la sombra que ensombrece cuanto veo.

Al atardecer se alza el viento
a recordarnos que el otoño viene,
yo, yo tengo miedo a perderte,
y tengo miedo a mi miedo.

Camino de Huesca, en el último tramo,
última barrera para nuestro honor,
tan tiernamente pienso en ti, mi amor,
como si tú estuvieras a mi lado.

Y si la suerte acaba con mi vida
dentro de una fosa mal cavada,
acuérdate de toda nuestra dicha;
no olvides que yo te amaba.

(Traduction de José Agustín Goytisolo)

La traduction espagnole me semble meilleure que la française.

L’historien Eric Hobsbawm (1917-2012) écrit que Margot Heinemann (1913-1992) fut la personne qui eut le plus d’influence sur lui.

La municipalité de Lopera, dans la province de Jaén en Andalousie, a inauguré en 1999 un Jardín de los poetas ingleses où se trouve un monument en hommage à Ralph Fox, John Cornford et aux brigadistes morts lors de la bataille de décembre 1936.

Lopera (Jaén) Jardín de los Poetas Ingleses Monumento dedicado a los brigadistas (Jacobo Gálvez) 1999

John Cornford 1

J’ai acheté cette semaine chez Gibert le roman de Javier Reverte, Banderas en la niebla. J’avais lu avec interêt il y quelque temps El tiempo de los héroes (2013), qui évoquait la figure du général républicain espagnol, Juan Modesto (1906-1969). Ce nouveau roman traite des combats sur le front d’Andalousie pendant la Guerre Civile espagnole et bien sûr de la bataille de Lopera (Jaén) qui se déroula du 27 au 29 décembre 1936. Des centaines de brigadistes de la XIV Brigade Internationale moururent alors. Parmi eux se trouvaient les poètes anglais Ralph Fox (1900-1936) et John Cornford (1915-1936). Dans son épilogue, Javier Reverte nous dit que plusieurs poèmes ont été écrits en mémoire du jeune poète John Cornford, arrière-petit-fils de Charles Darwin. Il se réfère surtout à un poème de José María Valverde (1926-1996) qui aurait situé la bataille de Lopera dans la province de Cordoue et non dans celle de Jaén. Il commet lui-même une erreur puisqu’il confond José María Valverde et un poète bien plus important, José Ángel Valente (1929-2000) qui fait partie de la Génération de 1950.

John Cornford, 1936 (José Ángel Valente)

                           Only in constant action was his constant certainty found.
                           He will throw a longer shadow as time recedes.

John Cornford, veintiún años
ametrallados sobre el aire
en que han nacido estas palabras.

El corazón de los fusiles
siguió latiendo inútilmente
cuando ya nunca alcanzaría
el rastro claro tu sangre.

Esto fue en Córdoba, en diciembre
en las montañas, combatiendo.

Después cayó, como dijiste,
la noche larga sobre Europa.
Los poetas retrocedieron
a su pasión consolatoria
y aquellas horas de amistad
en un ejército del pueblo
fueron borradas con la cola
subrepticia de la tristeza
en el tumulto repentino.

Así pasó, en efecto, todo.
Los años treinta en estampida
with the unnemployed demonstrators
carring «the coffin» to the Station.
Palidecieron los retratos.
Cedió el viento y se fue el público
y cundió la desesperanza.

Otros cayeron,
Entre el humo
de las ruinas y otras cosas
no apaciguadas por el tiempo
se levanta tu cuerpo joven.
De tú a tú puedes hablarnos
John Cornford, hermano nuestro,
de tú a tú como se hablan
en la verdad los hombres vivos.

Al rehacer aquella hora
cuento despacio tus palabras.
La inteligencia aún se pasea
en tren de lujo por los versos
mientras espera que otros caigan
para sentir horror de pronto.

Mas para ti solo fue uno
el camino de la certeza.
No quisiste huir de la vida
con el disfraz del pensamiento.

Así estás igual a ti mismo
con la pasión que aquí te trajo.
Un solo acto de vida y muerte,
la fe y el verso un solo acto.
Ametrallados, no vencidos,
Veintiún años, en diciembre,
Córdoba sola, un solo acto
tu juventud y la esperanza.

Obra poética 1. Punto cero (1953-1976)

José Ángel Valente en su casa de Almería.