Dans l’île de La Palma aux Canaries, le volcan dans la zone de Cumbre Vieja («Vieux sommet», point culminant : 1944 m), formée il y a 125 000 ans, est entré en éruption. La Cumbre Vieja se trouve au centre de l’île. C’est une crête allongée couverte de cônes volcaniques. L’île a une population de 87 000 habitants. Sa superficie est de 708,32 kilomètres carrés. Son point le plus élevé est le Roque de los Muchachos (2 426 mètres).
Quelque 5 000 personnes ont dû être évacuées. C’est la première éruption volcanique dans l’île depuis 1971. Elle avait duré alors du 26 octobre au 18 novembre et avait fait apparaître le cône Teneguía au sud. Une éruption sous-marine avait eu aussi lieu au niveau de l’île d’El Hierro entre le 10 octobre 2011 et le 5 mars 2012 avec émission sous-marine de lave.
Á la Palma, l’éruption a commencé dimanche 19 septembre à 14 h 12 locales (15 h 12 en France) dans la zone de Cabeza de Vaca, près du village de Las Manchas (Commune d’El Paso). D’après les projections du cabildo (administration locale insulaire), les coulées de lave issues du volcan, situé au centre de l’île, devraient se diriger vers la mer, dans le sud-ouest de l’île, en passant par des zones habitées désormais évacuées mais boisées, ce qui fait craindre des départs d’incendies. Ces coulées de lave avancent à une vitesse moyenne de 700 mètres par heure à près de 1 000 °C, d’après l’Institut volcanologique des Canaries.
Avant l’éruption, plusieurs milliers de séismes de basse magnitude ont été enregistrés depuis samedi dernier par l’Institut volcanologique des Canaries. Des millions de mètres cubes de magma se sont par ailleurs déplacés à l’intérieur du volcan, tandis que le sol s’est élevé d’environ 10 centimètres dans la zone du volcan.
Selon les experts, l’éruption pourrait durer de deux semaines à quatre mois maximum.
L’ensemble de l’île (La Isla Bonita) est reconnu comme Réserve de biosphère par l’Unesco. Dans le centre de l’île se trouve le Parc national de la Caldera de Taburiente, qui est l’un des quatre parcs nationaux situés aux îles Canaries sur les quinze que compte l’Espagne.
Les différents petits sommets sont parcourus par le sentier de grande randonnée 131 ou GR 131, aussi appelé en Espagne El Bastón.
Nos derniers séjours dans cette île magnifique où l’on peut faire d’extraordinaires randonnées datent de 2004, 2006 et 2007. Nous aimerions beaucoup y retourner.
Ces jours derniers, j’ai trouvé dans la boîte à livres qui se trouve devant le Parc de Noisiel un essai que je cherchais depuis un certain temps: Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. Le texte a beaucoup vieilli, mais il fut important à son époque pour la reconnaissance du peintre d’origine crétoise.
Le 15 juin 1924, à l’initiative de Gregorio Marañón, une rue Maurice-Barrès (calle deMauricio Barrès) fut inaugurée à Tolède, près de la cathédrale de Santa María, en mémoire des séjours de l’auteur dans la ville espagnole, le premier en 1892.
El Greco fut redécouvert au XIX ème siècle et reconnu en France par Delacroix, Millet, Manet, Cézanne. Édouard Manet et le critique d’art Zacharie Astruc ont échangé sur ce peintre par lettres. « Deux hommes seulement, après le Maître ( Vélasquez), m’ont séduit là-bas : Greco dont l’œuvre est bizarre, des portraits fort beaux cependant (je n’ai pas été content du tout de son Christ de Burgos) et Goya» écrit Manet à Astruc le 17 septembre 1865. « Combien de fois ne vous ai-je parlé de ce pauvre Greco. N’est-il pas vrai que son œuvre semble empreinte de quelque horrible tristesse. Avez-vous remarqué l’étrangeté de ses portraits ? Rien de plus funèbre. Il les ordonne avec deux gammes : le noir, le blanc. Le caractère en est frappant. Tolède possède deux toiles que je vous avais signalées : La Mort d’un chevalier – Jésus au milieu des soldats. Mais pourrez-vous croire, maintenant, à cette absurdité propagée, encore par Gautier, – Greco devint fou, désespéré de sa ressemblance avec Titien. Voilà bien, toujours la critique française – l’historiette. Est-il un artiste plus personnel que celui-là – personnel de ton, de forme, de conception ? » lui répond Astruc le 20 septembre 1865.
Á la fin de l’essai de Maurice Barrès, on trouve un sonnet de Luis de Góngora et sa traduction par Francis de Miomandre.
Inscripción para el sepulcro de Domenico Greco, excelente pintor
Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.
Su nombre, aun de mayor aliento dino
Que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo, y prosigue tu camino.
Yace el Griego. Heredó Naturaleza
arte, y el Arte, estudio. Iris, colores,
Febo, luces si no sombras Morfeo.
Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.
1614.
Au tombeau du grand maître Domenico Greco
” O passant, ce beau monument, dure voûte de brillant porphyre, dérobe désormais à l’univers le pinceau le plus doux qui ait fait frémir la vie sur le bois et la toile.
Son nom, digne d’un souffle plus puissant que celui qui remplit le clairon de la Renommée, s’étend et brille sur ce champ de marbre lourd. Révère-le et passe.
Ici gît le Greco. Si l’étude lui livra les secrets de l’art, l’art lui révéla ceux de la nature. Iris lui légua ses couleurs, Phébus sa lumière, sinon Morphée ses ombres.
Que cette urne, écorce funèbre de l’arbre sabéen, boive nos larmes et que, malgré sa dureté, elle en exsude autant d’aromates. ”
Traduction de Francis de Miomandre.
Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. La Revue bleue, 1909, puis Émile-Paul frère, 1912. Flammarion . Images et idées. Arts et métiers graphiques. 1966.
Très triste d’apprendre la mort de Christian Boltanski. Son installation méditative (Na-Après) à l’Oude Kerk d’Amsterdam en 2017-2018 était extraordinaire. Nous l’avions visitée le premier jour de notre voyage à Amsterdam. Il faisait froid. Oude Kerk est la plus vieille église d’Amsterdam. Elle a été construite à partir de 1300 et dédiée à saint Nicolas. Elle a été restaurée en 2013. C’est un lieu de culte et d’exposition, ce qui est déjà peu banal. Elle se trouve de plus au beau milieu du quartier “rouge” d’Amsterdam, celui des prostituées en vitrine et des sex-shops. Il y a, semble-t-il, 2500 caveaux et 10 000 personnes y seraient enterrées dont Saskia van Uylenburgh (1612-1642), la première épouse de Rembrandt. Ce fut un lieu de sépulture jusqu’en 1865. Christian Boltanski disait: « Je ne suis pas croyant, mais ce que je désire faire, c’est une expérience de ce type : “Une église, la porte est ouverte, alors on entre. Il y a une odeur particulière, une légère musique, un homme les bras levés et quelques bouquets de fleurs. On la traverse sans comprendre et on retourne dans la vie.” »
L’installation Animitas ou la musique des âmes se trouve dans le désert d’Atacama au Chili. Elle se compose de huit cents clochettes japonaises fixées sur de longues tiges plantées dans le sol qui sonnent au gré du vent pour faire entendre la musique des âmes et dessinent la carte du ciel la nuit de la naissance de l’artiste, le 6 septembre 1944. Le désert d’Atacama est aussi un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus de la dictature de Pinochet (voir Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz), film documentaire franco-chilien réalisé par Patricio Guzmán et sorti en 2010). C’est également un lieu exceptionnel pour observer les étoiles grâce à la pureté du ciel : c’est là que sont installés les plus grands observatoires du monde.
Misterios (2017) est une sculpture métallique installée en Patagonie, qui a la particularité d’imiter le chant des baleines lorsque le vent s’engouffre dans ses larges trompes. Elle est située au Cap Aristizabal. Elle peut se visiter depuis Bahía Bustamante, connue pour être les Galapagos de l’Argentine.
Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto) est né le 12 juillet 1904 à Parral (Chili). Il entre dans la carrière diplomatique en 1927 et devient consul à Rangoun (Birmanie) . Il est en poste ensuite à Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Djakarta, en Indonésie), Calcutta (Inde) et Buenos Aires (Argentine) où il fait la connaissance de Federico García Lorca. Il est consul général du Chili d’abord à Barcelone en 1934, puis à Madrid en 1935. Il dirige la revue Caballo verde para la poesía, créée par Manuel Altolaguirre (1905-1959) et Concha Méndez (1898-1986). Cette revue, à la typographie très soignée, connaîtra six numéros. Chaque numéro commence par un texte en prose de Pablo Neruda. Elle accueille des poètes espagnols (Vicente Aleixandre, Federico García Lorca, Jorge Guillén, Miguel Hernández o Leopoldo Panero), latinoaméricains ou européens, liés à la Génération de 1927. Dès le premier numéro, Pablo Neruda défend une poésie « impure » :
Sobre una poesía sin pureza. Manifiesto.
“La confusa impureza de los seres humanos se percibe en ellos, la agrupación, uso y desuso de los materiales; las huellas del pie y los dedos, la constancia de una atmósfera inundando las cosas desde lo interno y lo externo. Así sea la poesía que buscamos, gastada como por un ácido por los deberes de la mano, penetrada por el sudor y el humo, oliente a orina y a azucena salpicada por las diversas profesiones que se ejercen dentro y fuera de la ley. Una poesía impura como un traje, como un cuerpo, con manchas de nutrición, y actitudes vergonzosas, con arrugas, observaciones, sueños, vigilia, profecías, declaraciones de amor y de odio, bestias, sacudidas, idilios, creencias políticas, negaciones, dudas, afirmaciones, impuestos. La sagrada ley del madrigal y los decretos del tacto, olfato, gusto, vista, oído, el deseo de justicia, el deseo sexual, el ruido del océano, sin excluir deliberadamente nada, sin aceptar deliberadamente nada.”
Pablo Neruda a vécu de 1934 à 1936 dans un appartement au cinquième étage de La Casa de las Flores, ensemble de bâtiments en briques de cinq étages, situé dans le quartier d’Argüelles à Madrid (calles Princesa, Hilarión Eslava, Rodríguez San Pedro, Gaztambide y Meléndez Valdés) et conçu en 1931 par l’architecte Secundino Zuazo Ugalde (1887-1971) dans un esprit rationaliste. On y trouve 288 logements et trois patios au centre. La répartition des espaces avec un couloir paysager a servi de modèle à des générations d’étudiants en architecture. Les bâtiments sont décorés de balcons et de jardinières fleuries. Le poète Rafael Alberti qui vit à l’époque dans ce même quartier trouve là un appartement libre pour son ami chilien qui vient d’être nommé à Madrid. Neruda y reçoit beaucoup. Cet ensemble a beaucoup souffert des bombardements pendant la Guerre civile, le front se situant dans cette zone de la ville, proche de la cité universitaire. Après une mission à Paris, il revient dans la capitale espagnole en 1937. Il raconte ainsi dans ses mémoires (Confieso que he vivido, 1974) son retour dans son appartement devasté avec le poète Miguel Hernández : « Por fin llegamos a Madrid. Mientras los visitantes recibían bienvenida y alojamiento, yo quise ver de nuevo mi casa que había dejado intacta hacía cerca de un año. Mis libros y mis cosas, todo había quedado en ella. Era un departamento en el edificio llamado “Casa de las Flores”, a la entrada de la ciudad universitaria. Hasta sus límites llegaban las fuerzas avanzadas de Franco. Tanto que el bloque de departamentos había cambiado varias veces de mano. Miguel Hernández, vestido de miliciano y con su fusil, consiguió una vagoneta destinada a acarrear mis libros y los enseres de mi casa que más me interesaban. Subimos al quinto piso y abrimos con cierta emoción la puerta del departamento. La metralla había derribado ventanas y trozos de pared. Los libros se habían derrumbado de las estanterías. Era imposible orientarse entre los escombros. De todas maneras, busqué algunas cosas atropelladamente. Lo curioso era que las prendas más superfluas e inaprovechables habían desaparecido; se las habían llevado los soldados invasores o defensores. Mientras las ollas, la máquina de coser, los platos, se mostraban regados en desorden, pero sobrevivían, de mi frac consular, de mis máscaras de Polinesia, de mis cuchillos orientales no quedaba ni rastro. -La guerra es tan caprichosa como los sueños, Miguel. Miguel encontró por ahí, entre los papeles caídos, algunos originales de mis trabajos. Aquel desorden era una puerta final que se cerraba en mi vida. Le dije a Miguel: -No quiero llevarme nada. -¿Nada? ¿Ni siquiera un libro? -Ni siquiera un libro –le respondí. Y regresamos con el furgón vacío.»
L’ensemble a été restauré dans les années 40 et déclaré monument national en 1981.
Explico algunas cosas
Preguntaréis: Y dónde están las lilas? Y la metafísica cubierta de amapolas? Y la lluvia que a menudo golpeaba sus palabras llenándolas de agujeros y pájaros?
Os voy a contar todo lo que me pasa.
Yo vivía en un barrio de Madrid, con campanas, con relojes, con árboles.
Desde allí se veía el rostro seco de Castilla como un océano de cuero.
Mi casa era llamada la casa de las flores, porque por todas partes estallaban geranios: era una bella casa con perros y chiquillos. Raúl, te acuerdas? Te acuerdas, Rafael? Federico, te acuerdas debajo de la tierra, te acuerdas de mi casa con balcones en donde la luz de Junio ahogaba flores en tu boca?
Hermano, hermano!
Todo eran grandes voces, sal de mercaderías, aglomeraciones de pan palpitante, mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua como un tintero pálido entre las merluzas: el aceite llegaba a las cucharas, un profundo latido de pies y manos llenaba las calles, metros, litros, esencia aguda de la vida, pescados hacinados, contextura de techos con sol frío en el cual la flecha se fatiga, delirante marfil fino de las patatas, tomates repetidos hasta el mar.
Y una mañana todo estaba ardiendo y una mañana las hogueras salían de la tierra devorando seres, y desde entonces fuego, pólvora desde entonces, y desde entonces sangre.
Bandidos con aviones y con moros, bandidos con sortijas y duquesas, bandidos con frailes negros bendiciendo venían por el cielo a matar niños, y por las calles la sangre de los niños corría simplemente, como sangre de niños.
Chacales que el chacal rechazaría, piedras que el cardo seco mordería escupiendo, víboras que las víboras odiaran!
Frente a vosotros he visto la sangre de España levantarse para ahogaros en una sola ola de orgullo y de cuchillos!
Generales traidores: mirad mi casa muerta, mirad España rota: pero de cada casa muerta sale metal ardiendo en vez de flores, pero de cada hueco de España sale España, pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos, pero de cada crimen nacen balas que os hallarán un día el sitio del corazón.
Preguntaréis por qué su poesía no nos habla del sueño, de las hojas, de los grandes volcanes de su país natal?
Venid a ver la sangre por las calles, venid a ver la sangre por las calles, venid a ver la sangre por las calles!
España en el corazón: himno a la glorias del pueblo en la guerra. 1937.
J’explique certaines choses
Vous allez demander : Où sont donc les lilas ? Et la métaphysique couverte de coquelicots ? Et la pluie qui frappait si souvent vos paroles les remplissant de brèches et d’oiseaux?
Je vais vous raconter ce qui m’arrive.
Je vivais dans un quartier
de Madrid, avec des cloches,
avec des horloges, avec des arbres.
De ce quartier on apercevait le visage sec de la Castille ainsi qu’un océan de cuir.
Ma maison était appelée la maison des fleurs, parce que de tous côtés éclataient les géraniums : c’était une belle maison avec des chiens et des enfants. Raúl, te souviens-tu ? Te souviens-tu, Rafael ? Federico, te souviens-tu sous la terre, te souviens-tu de ma maison et des balcons où la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ? Frère, frère ! Tout n’était que cris, sel de marchandises, agglomérations de pain palpitant, marchés de mon quartier d’Argüelles avec sa statue comme un encrier pâle parmi les merluches : l’huile arrivait aux cuillères, un profond battement de pieds et de mains emplissait les rues, métros, litres, essence profonde de la vie, poissons entassés, contexture de toits cernés d’un soleil froid dans lequel la flèche se fatigue, délirant ivoire des fines pommes de terre, tomates recommencées jusqu’à la mer.
Et un matin tout était en feu
et un matin les bûchers
sortaient de terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.
Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !
Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !
Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l’endroit
de votre coeur.
Vous allez demander pourquoi votre poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !
Résidence sur la Terre, Éditions Gallimard, 1969. Traduction : Guy Suarès.
Le monde est petit (“El mundo es un pañuelo”). La ville de Segovia et la province entière sont magnifiques.
Un segoviano en las antípodas “En el municipio Valverde del Majano, un pueblo de menos de mil habitantes cerca de la ciudad de Segovia, nació el 31 de enero de 1811 Manuel José de Frutos, el hijo de un comerciante de lana que a los 20 años se vio forzado a emigrar. Tras faenar como ballenero por las costas de Perú y los mares del Sur, Manuel José recaló a bordo del barco inglés Elizabeth en Port Awanui, en la alejada región de Te Araroa, en la costa este de la Isla Norte de Nueva Zelanda, donde se dedicó al comercio, hizo buenas migas con los nativos de la tribu ngati porou, tuvo cinco esposas, nueve hijos, 41 nietos y 299 bisnietos. Más de siete generaciones después, el clan maorí de los Paniora (españoles, en lengua maorí), suma 16.000 descendientes repartidos por Nueva Zelanda y otros países.
Los maoríes transmiten sus historias mediante la tradición oral, por lo que poco a poco se fue perdiendo el conocimiento sobre la procedencia de aquel marinero español. Solo recordaban su nombre y el de de su turangawaewae, la cuna de sus ancestros: Valverde. No fue hasta 2006, a raíz de un documental realizado por la periodista neozelandesa Diana Burns en colaboración con la historiadora española María Teresa Llorente, que se dedicó a buscar por los archivos parroquiales de Segovia, que los Paniora pudieron conocer al fin sus orígenes.
En 2007, una veintena de maoríes Paniora viajó desde las antípodas hasta Segovia para visitar el pueblo de su antepasado. Allí descubrieron que tenían familia, descendientes de las dos hermanas de Manuel José. Al año siguiente, sus primos les devolvieron la visita, y los viajes se han repetido varias veces en ambos sentidos. Los restos de Manuel José reposan en una colina de Taumata, con vistas al rio Waiapu y al océano Pacífico.” (El País, 23/04/2021)
El milagro (Antonio Machado)
En Segovia, una tarde, de paseo por la alameda que Eresma baña, para leer mi Biblia eché mano al estuche de las gafas en busca de ese andamio de mis ojos, mi volado balcón de la mirada. Abrí el estuche con el gesto firme y doctoral de quien se dice : Aguarda, y ahora verás si veo… Abrí el estuche pero dentro : nada; point de lunettes… ¿ Huyeron ? Juraría que algo brilló cuando la negra tapa abrí del diminuto ataúd de bolsillo, y que volaban, huyendo de su encierro, cual mariposa de cristal, mis gafas. El libro bajo el brazo, la orfandad de mis ojos paseaba pensando: hasta las cosas que dejamos muertas de risa en casa tienen su doble donde estar debieran o es un acto de fe toda mirada.
Cancionero apócrifo. Doce poetas que pudieron existir. 1919.
Le miracle
À Segovia, un après-midi me promenant par la peupleraie que l’Eresma baigne, pour lire ma Bible j´ai mis la main sur mon étui à lunettes en quête de cet échafaudage de mes yeux, mon balcon saillant du regard.
Mars. La mer me manque… Penser à la mer… Voir la mer…
Deux poèmes de Jorge Luis Borges. Merci à Lorenzo Oliván.
El mar
Antes que el sueño (o el terror) tejiera mitologías y cosmogonías, antes que el tiempo se acuñara en días, el mar, el siempre mar, ya estaba y era. ¿Quién es el mar? ¿Quién es aquel violento y antiguo ser que roe los pilares de la tierra y es uno y muchos mares y abismo y resplandor y azar y viento? Quien lo mira lo ve por vez primera, siempre. Con el asombro que las cosas elementales dejan, las hermosas tardes, la luna, el fuego de una hoguera. ¿Quién es el mar, quién soy? Lo sabré el día ulterior que sucede a la agonía.
El otro, el mismo. 1964
La mer
Avant que le rêve (ou la terreur), n’ait tissé mythologies et cosmogonies, avant que le temps n’ait produit les jours, la mer, la mer éternelle, était là et avait été. Qui est la mer ? Quel est cet être violent et ancien qui ronge les piliers soutenant la terre, cette mer une et multiple qui est abîme et gloire et hasard et grand vent ? Qui la regarde la voit pour la première fois, toujours. Avec le saisissement que donnent les choses élémentaires, les belles fins de journées, la lune, un feu de joie. Qui est la mer, qui suis-je ? Je le saurai le jour qui succédera à mon agonie.
L’autre, le même, 1964. Traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra.
El mar
El mar. El joven mar. El mar de Ulises y el de aquel otro Ulises que la gente del Islam apodó famosamente Es-Sindibad del Mar. El mar de grises olas de Erico el Rojo, alto en su proa. y el de aquel caballero que escribía A la vez la epopeya y la elegía de su patria, en la ciénaga de Goa. El mar de Trafalgar. El que Inglaterra cantó a lo largo de su larga historia, el arduo mar que ensangrentó de gloria en el diario ejercicio de la guerra. El incesante mar que en la serena mañana surca la infinita arena.
El oro de los tigres. 1972.
La mer
La mer. La jeune mer. La mer d’Ulysse, Celle de cet autre Ulysse que ceux D’Islam ont surnommé d’un nom fameux : Sindibad de la mer. La mer aux grises Vagues d’Erik le Rouge, haut sur sa proue, Et de ce chevalier qui a chanté Á la fois l’élégie et l’épopée De sa patrie, à Goa et ses boues. La mer de Trafalgar, que l’Angleterre A célébrée au long de son histoire, La dure mer ensanglantée de gloire Jour après jour, dans l’œuvre de la guerre. Au matin calme, la mer intarissable, Et ses sillons dans l’infini du sable.
Madrid me manque. La Bretagne me manque. Les voyages me manquent. Certaines personnes me manquent. Les textes de Julien Gracq me permettent de revoir la baie d’Audierne, la pointe du Raz, l’île de Sein, la presqu’île de Crozon, Argol.
Julien Gracq, élève à l’École normale supérieure, passe les mois de juillet et d’août 1931 avec Henri Queffélec (1910-1992) et Pierre Petitbon (1910-1940) à Budapest au collège Eötvös, réplique hongroise de l’ENS qui héberge chaque été trois normaliens. Fin septembre, Julien Gracq va passer huit jours en Basse-Bretagne. De la consultation d’un horaire d’autocar il retiendra le nom d’Argol. (voir Henri Queffélec, Cahiers de l’Herne, Julien Gracq, 1972. Réédition Le Livre de poche p.471 et suivantes). Il enseigne de 1937 à 1939 au lycée La Tour d’Auvergne de Quimper.
“Le Raz. Quand je le vis pour la première fois, c’était par une journée d’octobre 1937, qui fut en Bretagne (c’était mon premier automne armoricain) un mois exceptionnellement beau. J’avais pris le car à Quimper ; il se vida peu à peu au hasard des escales dans les écarts du pays bigouden. Après Plogoff, nous n’étions plus que deux voyageurs ; nul n’avait affaire au Raz ce jour-là que le soleil qui devant nous commençait à descendre : il y avait dans le déclin de la journée dorée, comme presque toujours dans l’automne du Cap, déjà une imperceptible suggestion de brume. La lumière était, comme dans le poème de Rimbaud et comme je l’ai revue une fois avec B. en septembre sur la grève de Sainte-Anne-la-Palud – « jaune comme les dernières feuilles des vignes ». Le car allégé s’enleva comme une plume pour attaquer l’ultime raidillon qui escalade le plateau du Cap – alors indemne d’hôtels et vierge de parking – et tout à coup la mer que nous longions depuis longtemps sur notre gauche se découvrit à notre droite, vers la baie des Trépassés et la pointe du Van : ce fut tout, ma gorge se noua, je ressentis au creux de l’estomac le premier mouvement du mal de mer – j’eus conscience en une seconde, littéralement, matériellement, de l’énorme masse derrière moi de l’Europe et de l’Asie, et je me sentis comme un projectile au bout du canon, brusquement craché dans la lumière. Je n’ai jamais retrouvé, ni là, ni ailleurs, cette sensation cosmique et brutale de l’envol – enivrante, exhilarante – à laquelle je ne m’attendais nullement. Auprès du Raz, la pointe Saint-Mathieu n’est rien. Quelques années plus tôt – en 1933 – parti de Saint-Ives, j’avais visité avec L. le cap Land’s End en Cornouaille. Il ne m’a laissé d’autre souvenir que celui d’une vaste forteresse rocheuse, compliquée de redans et de bastions, qui décourageait l’exploration du touriste de passage. Un château plutôt qu’une pointe, comme on voit dans la presqu’île de Crozon, le château de Dinan, mais plus spacieux – moins un finistère qu’un confin perdu et anonyme, trempé de brume, noyé de solitude, enguirlandé, empanaché de nuées d’oiseaux de mer comme une île à guano. Ce qui fait la beauté dramatique du raz, c’est le mouvement vivant de son échine centrale, écaillée, fendue, lamellée, qui n’occupe pas le milieu du cap, mais sinue violemment en mèche de fouet, hargneuse et reptilienne, se portant tantôt vers les aplombs de droite, tantôt vers les aplombs de gauche. Le plongement final, encore éveillé, laboure le Raz de Sein comme le versoir d’un soc de charrue. Le minéral vit et se révulse dans cette plongée qui se cabre encore : c’est le royaume de la roche éclatée ; la terre à l’instant de s’abîmer dans l’eau hostile redresse et hérisse partout ses écailles à rebrousse-poil. Depuis, je suis retourné quatre fois au Raz. Une fois avec le président du cercle d’échecs de Quimper, nous y conduisîmes Znosko-Borovsky, célèbre joueur d’échecs, que nous avions invité dans notre ville pour une conférence et une séance de simultanées ; avec sa moustache taillée en brosse, il avait l’air d’un gentil et courtois bouledogue. Je ne sais pourquoi je le revois encore parfaitement , silhouetté au bord de la falaise , regardant l’horizon du sud : il y avait dans cette image je ne sais quoi d’incongru et de parfaitement dépaysant. Il ne disait rien. Peut-être rêvait-il, sur ce haut lieu, à la victoire qu’il avait un jour remportée sur Capablanca. Chaque fois que j’ai revu la pointe, c’était le même temps, la même lumière : jour alcyonien, calme et tiédeur, fête vaporeuse du soleil et de la brume, «brouillard azuré de la mer où blanchit une voile solitaire» comme dans le poème de Lermontov. Chaque fois c’est la terre à l’endroit de finir qui m’a paru irritée, non la mer. Je n’ai vu le raz que souriant, assiégé par le chant des sirènes, je ne l’ai quitté qu’à regret, en me retournant jusqu’à la fin : il y a un désir puissant, sur cette dernière avancée de la terre, de n’aller plus que là où plonge le soleil.»
Nostalgie de Madrid!
La glorieta de Quevedo est une place importante du quartier de Chamberí à Madrid. Au centre se trouve une sculpture de l’écrivain espagnol du Siècle d’or en marbre de Carrare, œuvre d’ Agustín Querol (1860-1909). Elle date de 1902.
Quatre sculptures allégoriques (la Satire, la Poésie, la Prose et l’Histoire) apparaissent sur le socle en calcaire.
La calle de Fuencarral, la calle de San Fernando et la calle de Bravo Murillo débouchent sur cette place. La statue se trouvait primitivement Plaza de Alonso Martínez. José Ángel Valente a dédié un poème à cette statue .
A Don Francisco de Quevedo, en piedra
«cavan en mi vivir mi monumento»
Yo no sé quién te puso aquí, tan cerca –alto entre los tranvías y los pájaros– Francisco de Quevedo, de mi casa.
Tampoco sé qué mano
organizó en la piedra tu figura
o sufragó los gastos,
los discursos, la lápida,
la ceremonia, en fin, de tu alzamiento.
Porque arriba te han puesto y allí estás
y allí, sin duda alguna, permaneces,
imperturbable y quieto,
igual a cada día,
como tú nunca fuiste.
Bajo cada mañana
al café de la esquina,
resonante de vida,
y sorbo cuanto puedo
el día que comienza.
Desde allí te contemplo en pie y en piedra,
convidado de tal piedra que nunca
bajarás cojeando
de tu propia cojera
a sentarte en la mesa que te ofrezco.
Arriba te dejaron
como una teoría de ti mismo,
a ti, incansable autor de teorías
que nunca te sirvieron
más que para marchar como un cangrejo
en contra de tu propio pensamiento.
Yo me pregunto
qué haces allá arriba, Francisco
de Quevedo, maestro,
amigo, padre,
con quien es grato hablar,
difícil entenderse,
fácil sentir lo mismo:
cómo en el aire rompen
un sí y un no sus poderosas armas,
y nosotros estamos
para siempre esperando
la victoria que debe
decidir nuestra suerte.
Yo me pregunto si en la noche lenta, cuando el alma desciende a ras de suelo, caemos en la especie y reina el sueño, te descuelgas de tanta altura, dejas tu máscara de piedra, corres por la ciudad, tientas las puertas con que el hombre defi ende como puede su secreta miseria y vas diciendo a voces:
– Fue el soy un será, pero en el polvo un ápice hay de amor que nunca muere.
¿O acaso has de callar
en tu piedra solemne,
enmudecer también,
caer de tus palabras,
porque el gran dedo un día
te avisara silencio?
Dime qué ves desde tu altura.
Pero tal vez lo mismo. Muros, campos,
solar de insolaciones. Patria. Falta
su patria a Osuna, a ti y a mí y a quien
la necesita.
Estamos
todos igual y en idéntico amor
podría comprenderte.
Hablamos
mucho de ti aquí abajo, y día a día
te miro como ahora, te saludo
en tu torre de piedra,
tan cerca de mi casa,
Francisco de Quevedo, que si grito
me oirás en seguida.
Ven entonces si puedes,
si estás vivo y me oyes
acude a tiempo, corre
con tu agrio amor y tu esperanza – cojo,
mas no del lado de la vida – si eres
el mismo de otras veces.
Poemas a Lázaro (1955-1960). Madrid, Índice, 1960 (Premio de la Crítica 1961).
La spéculation immobilière menace les paysages qui entourent Soria et qu’ ont immortalisés les poètes Antonio Machado et Gustavo Adolfo Bécquer. Voir la pétition lancée par notre amie Carmen Heras Uriel.
Julio Llamazares a publié dans le journal El País hier un bel article qui rappelle l’importance de la préservation de cet endroit magnifique: Paisaje y memoria.
“Decía alguien que los paisajes no existen hasta que los colonizan los escritores o los pintores y esa curva de ballesta que el río Duero traza a los pies de Soria es el ejemplo más claro de que es así. La mirada de Antonio Machado compuso ese lugar para nosotros y ya siempre será como él lo cantó en sus versos, impregnado el paisaje de la emoción que a él le produjo y que es ya patrimonio de todos independientemente de su propiedad real. El paisaje es memoria y como tal nos pertenece a todos, y más en el caso de que constituya un patrimonio cultural y estético, como es el de Soria para su suerte.
Hasta el Romanticismo el paisaje era el decorado del teatro de la vida de los hombres, el telón el fondo del escenario que para nada o muy poco influía en la obra, pero hoy ya sabemos que el paisaje es algo más y lo sabemos por personas como Machado, gente que entendió muy pronto que el paisaje es el alma de las personas, el espejo que refleja sus emociones y sus deseos y que los guarda cuando desaparecen.” (Julio Llamazares)
Campos de Soria (Antonio Machado)
I
Es la tierra de Soria, árida y fría.
Por las colinas y las sierras calvas,
verdes pradillos, cerros cenicientos,
la primavera pasa
dejando entre las hierbes olorosas
sus diminutas margaritas blancas.
La tierra no revive, el campo sueña.
Al empezar abril está nevada
la espalda del Moncayo;
el caminante lleva en su bufanda
envueltos cuello y boca, y los pastores
pasan cubiertos con sus luengas capas.
II
Las tierras labrantías,
como retazos de estameñas pardas,
el huertecillo, el abejar, los trozos
de verde oscuro en que el merino pasta,
entre plomizos peñascales, siembran
el sueño alegre de infantil Arcadia.
En los chopos lejanos del camino,
parecen humear las yertas ramas
como un glauco vapor -las nuevas hojas-
y en las quiebras de valles y barrancas
blanquean los zarzales florecidos,
y brotan las violetas perfumadas.
III
Es el campo ondulado, y los caminos
ya ocultan los viajeros que cabalgan
en pardos borriquillos,
ya al fondo de la tarde arrebolada
elevan las plebeyas figurillas,
que el lienzo de oro del ocaso manchan.
Mas si trepáis a un cerro y veis el campo
desde los picos donde habita el águila,
son tornasoles de carmín y acero,
llanos plomizos, lomas plateadas,
circuídos por montes de violeta,
con las cumbre de nieve sonrosada.
IV
¡ Las figuras del campo sobre el cielo !
Dos lentos bueyes aran
en un alcor, cuando el otoño empieza,
y entre las negras testas doblegadas
bajo el pesado yugo,
pende un cesto de juncos y retama,
que es la cuna de un niño;
y tras la yunta marcha
un hombre que se inclina hacia la tierra,
y una mujer que en las abiertas zanjas
arroja la semilla.
Bajo una nube de carmín y llama,
en el oro fluido y verdinoso
del poniente, las sombras se agigantan.
V
La nieve. En el mesón al campo abierto se ve el hogar donde la leña humea y la olla al hervir borbollonea. El cierzo corre por el campo yerto, alborotando en blancos torbellinos la nieve silenciosa. La nieve sobre el campo y los caminos cayendo está como sobre una fosa. Un viejo acurrucado tiembla y tose cerca del fuego; su mechón de lana la vieja hila, y una niña cose verde ribete a su estameña grana. Padres los viejos son de un arriero que caminó sobre la blanca tierra y una noche perdió ruta y sendero, y se enterró en las nieves de la sierra. En torno al fuego hay un lugar vacío, y en la frente del viejo, de hosco ceño, como un tachón sombrío – tal el golpe de un hacha sobre un leño -. La vieja mira al campo, cual si oyera pasos sobre la nieve. Nadie pasa. Desierta la vecina carretera, desierto el campo en torno de la casa. La niña piensa que en los verdes prados ha de correr con otras doncellitas en los días azules y dorados, cuando crecen las blancas margaritas.
VI
¡ Soria fría, Soria pura, cabeza de Extremadura, con su castillo guerrero arruinado, sobre el Duero; con sus murallas roídas y sus casas denegridas !
¡ Muerta ciudad de señores,
soldados o cazadores;
de portales con escudos
de cien linajes hidalgos,
y de famélicos galgos,
de galgos flacos y agudos,
que pululan
por las sórdidas callejas,
y a la medianoche ululan,
cuando graznan las cornejas !
¡ Soria fría ! La campana
de la Audiencia da la una.
Soria, ciudad castellana
¡ tan bella ! bajo la luna.
VII
¡ Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas
por donde traza el Duero
su curva de ballesta
en torno a Soria, oscuros encinares,
ariscos pedregales, calvas sierras,
caminos blancos y álamos del río,
tardes de Soria, mística y guerrera,
hoy siento por vosotros, en el fondo
del corazón, tristeza,
tristeza que es amor ! ¡ Campos de Soria
donde parece que las rocas sueñan,
conmigo vais ! ¡Colinas plateadas,
grises alcores, cárdenas roquedas !…
VIII
He vuelto a ver los álamos dorados,
álamos del camino en la ribera
del Duero, entre San Polo y San Saturio,
tras las murallas viejas
de Soria – barbacana
hacia Aragón, en castellana tierra -.
Estos chopos del río, que acompañan
con el sonido de sus hojas secas
el son del agua cuando el viento sopla,
tienen en sus cortezas
grabadas iniciales que son nombres
de enamorados, cifras que son fechas.
¡ Álamos del amor que ayer tuvisteis
de ruiseñores vuestras ramas llenas;
álamos que seréis mañana liras
del viento perfumado en primavera;
álamos del amor cerca del agua
que corre y pasa y sueña,
álamos de las márgenes del Duero,
conmigo váis, mi corazón os lleva !
IX
¡ Oh, sí ! Conmigo vais, campos de Soria,
tardes tranquilas, montes de violeta,
alamedas del río, verde sueño
del suelo gris y de la parda tierra,
agria melancolía
de la ciudad decrépita,
me habéis llegado al alma,
¿o acaso estabais en el fondo de ella ?
¡ Gente del alto llano numantino
que a Dios guardáis como cristianas viejas,
que el sol de España os llene
de alegría, de luz y de riqueza !
Campos de Castilla. 1912.
Terres de Soria
I
La terre de Soria est aride et froide.
Sur les collines et les sierras pelées
sur les vertes prairies, sur les coteaux de cendre,
le printemps passe
laissant entre les herbes odorantes
ses minuscules pâquerettes blanches.
La terre ne revit pas, la campagne songe.
Quand arrive avril, le flanc du Moncayo
de neige est recouvert ;
le voyageur a le cou et la bouche
enveloppés dans son écharpe et les bergers
passent revêtus de leurs longues capes.
II
Les terres de labour
comme des morceaux d’étamine brune,
le potager, la ruche, les carrés
de vert sombre où paissent les moutons
au milieu de rochers de plomb sèment
un rêve joyeux d’enfantine Arcadie.
Sur les peupliers éloignés du chemin
des branches raides semblent s’élever
comme une vapeur glauque – les feuilles nouvelles –
et dans les fentes des vallées et des ravins
les ronceraies en fleur sont toutes blanches
et poussent les violettes parfumées.
III
Dans les champs ondulés, les chemins
tantôt cachent les voyageurs
montant de petits ânes gris,
tantôt sur le fond du soir rougeoyant
élèvent des silhouettes plébéiennes
qui sur la toile d’or du couchant se détachent.
Mais si vous grimpez sur une colline et que du haut
des pics où habite l’aigle vous regardez les champs,
tout n’est que chatoiement de carmin et d’acier,
plaines couleur de plomb, mamelons argentés,
cernés de montagnes violettes,
aux cimes enneigées de rose.
IV
Les silhouettes des champs sur le ciel !
Deux bœufs labourent lentement
sur un coteau, quand commence l’automne.
Entre les deux têtes noires
penchées sur le joug pesant
pend un panier de jonc et de genêt
qui est le berceau d’un enfant ;
et derrière l’attelage marchent
un homme incliné vers le sol
et une femme qui dans les sillons ouverts
jettent la semence.
Sous un nuage de carmin et de flamme,
dans l’or fluide et verdoyant
du couchant, les ombres grandissent démesurément.
V
La neige. Dans l’auberge sur la campagne ouverte on voit l’âtre où fument les bûches et où la marmite bouillonne. La bise court sur les champs gelés, soulevant en blancs tourbillons la neige silencieuse. Sur les champs et sur les chemins la neige tombe comme sur une fosse. Blotti près du feu un vieil homme tremble et tousse, la vielle file sa touffe de laine, et une fillette coud un galon vert à sa bure grenat. Les vieux sont les parents d’un muletier qui cheminait sur la terre blanche, et une nuit perdit la route et le sentier et s’ensevelit dans les neiges de la sierra. Près du feu il y a une place vide, et sur le front renfrogné du vieillard, comme une tache sombre, – telle sur un tronc la marque de la hache – . La vieille regarde la campagne comme si elle entendait des pas sur la neige. Nul ne passe. La route voisine, déserte. Déserte la campagne autour de la maison. La fillette songe qu’avec ses amies sur les vertes prairies elle ira courir dans les jours bleus et dorés, quand pousseront les blanches marguerites.
VI
Soria du froid, Soria pure,
capitale d’Estrémadure,
avec son château guerrier
tombant en ruine, sur le Douro,
avec ses murailles rongées
et ses maisons toutes noircies !
Morte cité de grands seigneurs,
soldats ou bien chasseurs;
aux porches ornés d’écussons
de cent lignées faméliques,
aux lévriers maigres et fins
qui pullulent
le long des ruelles sordides,
et qui à la minuit hululent,
lorsque croassent les corneilles !
Soria du froid ! La cloche sonne
une heure au tribunal.
Soria, cité castillane,
si belle ! Sous la lune.
VII
Collines argentées, coteaux grisâtres, rocailles violacées où le Douro dessine sa courbe d’arbalète autour de Soria, obscures chênaies, champs de cailloux, sauvages, sierras pelées, chemins tout blancs, peupliers du rivage, soirs de Soria, mystique et guerrière, aujourd’hui je ressens pour vous au fond du coeur une tristesse, une tristesse qui est amour! Champs de Soria où l’on dirait que rêvent les rochers, je vous emporte en moi ! Collines argentées, coteaux de gris, rochers de pourpre !…
VIII
Je suis revenu voir les peupliers dorés,
Peupliers du chemin sur le rivage
du Douro, entre San Polo et San Saturio,
au-delà des vieilles murailles
de Soria – barbacane tournée
vers l’Aragon, en terre castillane.
Ces peupliers de la rivière, qui accompagnent du bruissement de leurs feuilles sèches le son de l’eau, quand le vent souffle, ont sur l’écorce, gravées, des initiales qui sont des noms d’amoureux, des chiffres qui sont des dates. Peupliers de l’amour dont les branches hier étaient remplies de rossignols; peupliers qui serez demain les lyres du vent parfumé au printemps; peupliers de l’amour près de l’eau qui coule, passe et songe, peupliers des berges du Douro, vous êtes en moi, mon coeur vous emporte !
IX
Oui, vous êtes en moi, campagnes de Soria, soirs tranquilles, monts de violette, allées de peupliers le long de la rivière, Oh ! Verte rêverie du sol gris et de la terre brune âcre mélancolie de la ville décrépite, vous êtes parvenus jusqu’au fond de mon âme ou bien vous étiez là, peut-être, tout au fond ? Gens du haut plateau de Numance qui gardez Dieu ainsi que vieilles chrétiennes, que le soleil d’Espagne vous emplisse de joie, de lumière, de richesses !
Poésies. Paris, Gallimard, 1980. Traduction: Sylvie Léger, Bernard Sesé.
(Pour Julia, née le 3 février 2021 à Burgos, et Gabriel, attendu cette semaine à Madrid.)
Nous attendons de voir l’exposition Matisse Comme un roman (21 octobre 2020 – 22 février 2021) au Centre Pompidou. Nous avions réservé pour le 4 novembre : confinement et fermeture des musées. Deuxième tentative pour le 16 décembre. Est-ce que cela sera possible? Pas sûr…
Henri Matisse (1869 – 1954) fait un voyage à Tahiti en 1930. Il a plus de 60 ans. Le 19 mars, il quitte Paris pour New York, traverse en train les États-Unis et embarque à San Francisco le 21 mars. Il arrive à Tahiti le 29 mars. Il s’installe à Papeete dans une chambre de l’hôtel Stuart, face au front de mer.
Le peintre voyage peu. Lorsqu’il part en voyage c’est pour ressentir le monde et les êtres. Le voyage lui rend une forme de liberté et de nouveauté. Lorsque Matisse arrive à Tahiti, il se met en retrait et ne peint pas. Il se contente de dessiner et de prendre des photos. Il s’imprègne des lumières et observe une nature et des couleurs inédites jusque là.
Pendant ce voyage, il rencontrera le metteur en scène Friedrich Wilhelm Murnau (1888 – 1931) en train de filmer Tabou. Matisse assistera à la projection du film l’année suivante. Durant ce séjour de trois mois, il visitera l’atoll d’Apataki et de Fakarava de l’archipel des Tuamotu. Il est de retour en France le 16 juillet 1930.
Il revient de ce voyage avec de nouvelles lumières et de nouvelles formes. Son trait s’épure. Il obtient une simplification progressive de la ligne. Aragon dira : « Sans Tahiti, Matisse ne serait pas Matisse ».
Raymond Escholier. Matisse, ce vivant. Paris, Librairie Arthème Fayard, 1956.
« Le séjour à Tahiti m’a apporté beaucoup. J’avais une grande envie de connaître la lumière de l’autre côté de l’Équateur, de prendre contact avec les arbres de là-bas, d’y pénétrer les choses. Chaque lumière offre son harmonie particulière. C’est une autre ambiance. La lumière du Pacifique, des îles, est un gobelet d’or profond dans lequel on regarde. Je me souviens que, tout d’abord, à mon arrivée, ce fut décevant et puis, peu à peu, c’était beau…C’est beau ! Les feuilles des hauts cocotiers retroussées par les alizés faisaient un bruit soyeux. Ce bruit de feuilles était posé sur le grondement de fond d’orchestre des vagues de la mer, vagues qui venaient se briser sur les récifs qui entourent l’île. Je me baignais dans le « lagon ». Je nageais autour des couleurs des coraux soutenues par les accents piquants et noirs des holothuries. Je plongeais la tête dans l’eau, transparente sur le fond absinthe du « lagon » , les yeux grands ouverts…et puis brusquement je relevais la tête au-dessus de l’eau et fixais l’ensemble lumineux des contrastes… Tahiti…Les îles…Mais l’île déserte tranquille n’existe pas. Nos soucis d’Européens nous y accompagnent. Or, dans cette île, il n’y avait pas de soucis. Les Européens s’y ennuyaient. Ils y attendaient confortablement la retraite dans une étouffante torpeur et ils ne faisaient rien pour se sortir de cette torpeur, pour remplir, ignorer l’ennui ; ils ne réfléchissaient même plus. Au dessus d’eux, autour d’eux, il y avait cette merveilleuse lumière du premier jour, la magnificence, mais ils ne goûtaient même plus tout cela. On avait fermé les usines et les indigènes croupissaient dans des jouissances animales. Un beau pays en sommeil dans l’éclatement du soleil. Oui, l’île déserte et tranquille, le paradis solitaire n’existent pas. On s’y ennuierait vite parce qu’on n’aurait pas d’ennuis.»