María Victoria Atencia

María Victoria Atencia.

María Victoria Atencia est née le 28 novembre 1931 à Málaga où elle réside toujours.
Elle a une passion pour sa région d’origine, l’Andalousie, et la mer est un des éléments constants de sa poésie. San Juan de la Cruz, Santa Teresa de Jesús, Luis de Góngora, Juan Ramón Jiménez, Rainer Maria Rilke, Constantin Cavafis ont marqué sa jeunesse. Elle commence à publier en 1953, encouragée par Rafael León (1931-2011), poète et éditeur. Elle se marie avec lui en 1955 et ils ont quatre enfants. Elle publie dans la revue littéraire de Málaga, Caracola (1952-1961), dont le secrétaire est Bernabé Fernández-Canivell (1907-1990), ami des poètes de la Génération de 1927. Grâce à lui, elle fait la connaissance des poètes Vicente Aleixandre (Prix Nobel de littérature 1977), Jorge Guillén, Dámaso Alonso. Elle a possédé le brevet de pilote d’avion.

Epitafio para una muchacha ( María Victoria Atencia )

Porque te fue negado el tiempo de la dicha
tu corazón descansa tan ajeno a las rosas.
Tu sangre y carne fueron tu vestido más rico
y la tierra no supo lo firme de tu paso.

Aquí empieza tu siembra y acaba juntamente
– tal se entierra a un vencido al final del combate -,
donde el agua en noviembre calará tu ternura
y el ladrido de un perro tenga voz de presagio.

Quieta tu vida toda al tacto de la muerte,
que a las semillas puede y cercena los brotes,
te quedaste en capullo sin abrir, y ya nunca
sabrás el estallido floral de primavera.

Cañada de los Ingleses. Málaga. El Guadalhorce, Cuadernos de María Cristina. 1961.

Ce poème est particulier. Elle affirme : “Es el único poema mío que incluso me sé de memoria, absolutamente el único…pero no sé por qué lo escribí”.
Elle visitait fréquemment le cimetière anglais de Málaga, le premier cimetière non-catholique d’Espagne (1831). Conçu comme un jardin botanique, il est installé face à la mer, assez près du centre-ville. On peut le visiter ainsi que la capilla de San Jorge (1850).
María Victoria Atencia fut impressionnée par l’inscription sur la tombe de Violette Pautard (24-XII-1958 – 23-I-1959), une enfant morte très jeune. On peut y lire en français : « Ce que vivent les violettes. » Elle fit visiter ce cimetière à Jorge Guillén qui voulut y être enterré. Ce poème figure depuis 1960 sur une pierre tombale placée contre un des murs du fond du cimetière. Pendant quinze ans, de 1961 à 1976, elle ne publie rien.
Dans ce cimetière, on trouve les tombes de nombreuses personnalités des communautés anglaise, espagnole, ainsi que d’autres nationalités établies ou de passage en Andalousie et en particulier, de la Costa del Sol (parmi elles celles du militaire irlandais libéral Robert Boyd 1805-1831, de Jorge Guillén 1893-1984, ou de l’écrivain britannique Gerald Brenan 1894-1987, ami de Leonard et Virginia Woolf).

Entrée du cimetière anglais de Málaga.
Tombe de Violette Pautard (24-XII-1958 – 23-I-1959)

Luis Cernuda

(Merci à Gio Bonzon pour ses photos de Torremolinos et de Málaga qui me redonnent la nostalgie du Sud.)

Torremolinos. Amanecer.

Depuis 2009, on peut voir dans le cimetière de cette ville de la Costa del Sol une plaque qui reproduit le poème de Luis Cernuda, Elegía anticipada, tiré du recueil Como quien espera el alba (1947). Le poète de Séville logea en 1928 dans la pension Castillo de Santa Clara, propriété d’un anglais, George Langworthy. Salvador Dalí et Gala passèrent là aussi plusieurs semaines en mai 1930. Torremolinos était alors un petit village de pêcheurs rattaché à Málaga. Dans un autre poème El indolente, Cernuda surnomme Torremolinos, Sansueña. Le nom évoque el sueño, le rêve. On trouve aussi un poème en prose intitulé de la même façon dans Ocnos (1942). Il fut publié pour la première fois dans le supplément littéraire du journal La Verdad de Murcie (n°56, 18 juillet 1926). Le poète est mort en exil en 1963 à México. il ne revit jamais l’Andalousie qu’il aimait tant.

Elegía anticipada (Luis Cernuda)

Por la costa del sur, sobre una roca
alta junto a la mar, el cementerio
aquel descansa en codiciable olvido,
y el agua arrulla el sueño del pasado.

Desde el dintel, cerrado entre los muros,
huerto parecería, si no fuese
por las losas, posadas en la hierba
como un poco de nieve que no oprime.

Hay troncos a que asisten fuerza y gracia,
y entre el aire y las hojas buscan nido
pájaros a la sombra de la muerte;
hay paz contemplativa, calma entera.

Si el deseo de alguien que en el tiempo
dócil no halló la vida a sus deseos,
puede cumplirse luego, tras la muerte,
quieres estar allá solo y tranquilo.

Ardido el cuerpo, luego lo que es aire
al aire vaya, y a la tierra el polvo,
por obra del afecto de un amigo,
si un amigo tuviste entre los hombres.

Y no es el silencio solamente,
la quietud del lugar, quien así lleva
tu memoria hacia allá, mas la conciencia
de que tu vida allí tuvo su cima.

Fue en la estación cuando la mar y el cielo
dan una misma luz, la flor es fruto,
y el destino tan pleno que parece
cosa dulce adentrarse por la muerte.

Entonces el amor único quiso
en cuerpo amanecido sonreírte,
esbelto y rubio como espiga al viento.
Tú mirabas tu dicha sin creerla.

Cuando su cetro el día pasa luego
a su amada la noche, aún más hermosa
parece aquella tierra; un dios acaso
vela en eternidad sobre su sueño.

Entre las hojas fuisteis, descuidados
de una presencia intrusa, y ciegamente
un labio hallaba en otro ese embeleso
hijo de la sonrisa y del suspiro.

Al alba el mar pulía vuestros cuerpos,
puros aún, como de piedra oscura;
la música a la noche acariciaba
vuestras almas debajo de aquel chopo.

No fue breve esa dicha. ¿Quién pretende
que la dicha se mida por el tiempo?
Libres vosotros del espacio humano,
del tiempo quebrantasteis las prisiones.

El recuerdo por eso vuelve hoy
al cementerio aquel, al mar, la roca
en la costa del sur : el hombre quiere
caer donde el amor fue suyo un día.

Como quien espera el alba, 1941-1944.

Luis Cernuda. Málaga 2 septembre 1933.

Élégie anticipée

Sur la côte du sud, sur une roche
Haute près de la mer, ce cimetière
Lointain repose en enviable oubli,
Et l’eau berce le songe du passé.

Depuis le seuil, fermé entre les murs,
On croirait un jardin, s’il n’ y avait
Les dalles reposant dans l’herbe comme
Un peu de neige qui ne pèse pas.

Vigueur et grâce y assistent des troncs
Et dans l’air et les feuilles, les oiseaux
Cherchent un nid à l’ombre de la mort ;
Tout est paix contemplative, calme absolu.

Si le désir de qui, au cours du temps
ne trouva pas la vie docile à ses désirs
Peut s’accomplir ensuite, après la mort,
Tu veux reposer là, solitaire et tranquille.

Le corps brûlé, qu’ensuite l’air à l’air
Retourne, et à la terre la poussière,
Par œuvre de l’affection d’un ami,
Si tu eus un ami parmi les hommes.

Et ce n’est pas seulement le silence,
Le calme de l’endroit, qui ainsi porte
Ta mémoire là-bas, mais la conscience
Que ta vie y trouva son sommet.

Ce fut en la saison où la mer et le ciel
Brillent du même éclat, la fleur est fruit
Et le destin si plein que, semble-t-il,
Il sera doux de glisser dans la mort.

Et l’amour unique voulut alors
Te sourire à travers l’aube d’un corps,
Blond et svelte comme un épi au vent.
Tu contemplais ton bonheur sans le croire.

Lorsque le jour passe ensuite son sceptre
Á la nuit son aimée, plus belle encore
apparaît cette terre ; un dieu peut-être
Éternellement veille sur son rêve.

Là vous fûtes parmi les feuilles, oublieux
De toute autre présence et follement
une lèvre trouvait en l’autre cette extase
Qu’engendre le sourire ainsi que le soupir.

La mer à l’aube lustrait vos deux corps,
Encore purs, comme de pierre obscure ;
Á la nuit la musique caressait
Vos âmes au pied de ce peuplier.

Ce bonheur fut sans fin. Qui peut prétendre
Que le bonheur ait pour mesure le temps ?
Tous deux libres de l’espace des hommes,
Vous brisâtes les barrières du temps.

C’est pourquoi aujourd’hui le souvenir revient
Au cimetière lointain, à la mer, à la roche
Sur la côte du Sud : l’homme désire
Mourir là où un jour l’amour lui appartint.

Comme celui qui attend l’aube, 1941-1944. Traduction Jacques Ancet.

La Palma

Carte de La Palma (Îles Canaries)

Dans l’île de La Palma aux Canaries, le volcan dans la zone de Cumbre Vieja («Vieux sommet», point culminant : 1944 m), formée il y a 125 000 ans, est entré en éruption. La Cumbre Vieja se trouve au centre de l’île. C’est une crête allongée couverte de cônes volcaniques. L’île a une population de 87 000 habitants. Sa superficie est de 708,32 kilomètres carrés. Son point le plus élevé est le Roque de los Muchachos (2 426 mètres).

https://www.elmundo.es/ciencia-y -salud/ciencia/2021/09/19/61478ecce4d4d88d4f8b45be.html

Quelque 5 000 personnes ont dû être évacuées. C’est la première éruption volcanique dans l’île depuis 1971. Elle avait duré alors du 26 octobre au 18 novembre et avait fait apparaître le cône Teneguía au sud. Une éruption sous-marine avait eu aussi lieu au niveau de l’île d’El Hierro entre le 10 octobre 2011 et le 5 mars 2012 avec émission sous-marine de lave.

Á la Palma, l’éruption a commencé dimanche 19 septembre à 14 h 12 locales (15 h 12 en France) dans la zone de Cabeza de Vaca, près du village de Las Manchas (Commune d’El Paso). D’après les projections du cabildo (administration locale insulaire), les coulées de lave issues du volcan, situé au centre de l’île, devraient se diriger vers la mer, dans le sud-ouest de l’île, en passant par des zones habitées désormais évacuées mais boisées, ce qui fait craindre des départs d’incendies. Ces coulées de lave avancent à une vitesse moyenne de 700 mètres par heure à près de 1 000 °C, d’après l’Institut volcanologique des Canaries.

Avant l’éruption, plusieurs milliers de séismes de basse magnitude ont été enregistrés depuis samedi dernier par l’Institut volcanologique des Canaries. Des millions de mètres cubes de magma se sont par ailleurs déplacés à l’intérieur du volcan, tandis que le sol s’est élevé d’environ 10 centimètres dans la zone du volcan.

Selon les experts, l’éruption pourrait durer de deux semaines à quatre mois maximum.

L’ensemble de l’île (La Isla Bonita) est reconnu comme Réserve de biosphère par l’Unesco. Dans le centre de l’île se trouve le Parc national de la Caldera de Taburiente, qui est l’un des quatre parcs nationaux situés aux îles Canaries sur les quinze que compte l’Espagne.

Les différents petits sommets sont parcourus par le sentier de grande randonnée 131 ou GR 131, aussi appelé en Espagne El Bastón.

Nos derniers séjours dans cette île magnifique où l’on peut faire d’extraordinaires randonnées datent de 2004, 2006 et 2007. Nous aimerions beaucoup y retourner.

Parque Natural de Cumbre Vieja. Hoyo Negro.
Parque Natural de Cumbre Vieja. Ruta de los Volcanes.

Maurice Barrès – El Greco – Luis de Góngora

Vue de Tolède (El Greco), v 1604-1614. New York, Metropolitan Museum of Art.

Ces jours derniers, j’ai trouvé dans la boîte à livres qui se trouve devant le Parc de Noisiel un essai que je cherchais depuis un certain temps: Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. Le texte a beaucoup vieilli, mais il fut important à son époque pour la reconnaissance du peintre d’origine crétoise.

Le 15 juin 1924, à l’initiative de Gregorio Marañón, une rue Maurice-Barrès (calle de Mauricio Barrès) fut inaugurée à Tolède, près de la cathédrale de Santa María, en mémoire des séjours de l’auteur dans la ville espagnole, le premier en 1892.

El Greco fut redécouvert au XIX ème siècle et reconnu en France par Delacroix, Millet, Manet, Cézanne. Édouard Manet et le critique d’art Zacharie Astruc ont échangé sur ce peintre par lettres. « Deux hommes seulement, après le Maître ( Vélasquez), m’ont séduit là-bas : Greco dont l’œuvre est bizarre, des portraits fort beaux cependant (je n’ai pas été content du tout de son Christ de Burgos) et Goya» écrit Manet à Astruc le 17 septembre 1865.
« Combien de fois ne vous ai-je parlé de ce pauvre Greco. N’est-il pas vrai que son œuvre semble empreinte de quelque horrible tristesse. Avez-vous remarqué l’étrangeté de ses portraits ? Rien de plus funèbre. Il les ordonne avec deux gammes : le noir, le blanc. Le caractère en est frappant. Tolède possède deux toiles que je vous avais signalées : La Mort d’un chevalier – Jésus au milieu des soldats. Mais pourrez-vous croire, maintenant, à cette absurdité propagée, encore par Gautier, – Greco devint fou, désespéré de sa ressemblance avec Titien. Voilà bien, toujours la critique française – l’historiette. Est-il un artiste plus personnel que celui-là – personnel de ton, de forme, de conception ? » lui répond Astruc le 20 septembre 1865.

Á la fin de l’essai de Maurice Barrès, on trouve un sonnet de Luis de Góngora et sa traduction par Francis de Miomandre.

Portrait de Luis de Góngora y Argote (Diego Velázquez), 1622. Boston, Museum of Fine Arts.

Inscripción para el sepulcro de Domenico Greco, excelente pintor

Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.

Su nombre, aun de mayor aliento dino
Que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo, y prosigue tu camino.

Yace el Griego. Heredó Naturaleza
arte, y el Arte, estudio. Iris, colores,
Febo, luces si no sombras Morfeo.

Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.

1614.

Au tombeau du grand maître Domenico Greco

” O passant, ce beau monument, dure voûte de brillant porphyre, dérobe désormais à l’univers le pinceau le plus doux qui ait fait frémir la vie sur le bois et la toile.
Son nom, digne d’un souffle plus puissant que celui qui remplit le clairon de la Renommée, s’étend et brille sur ce champ de marbre lourd. Révère-le et passe.
Ici gît le Greco. Si l’étude lui livra les secrets de l’art, l’art lui révéla ceux de la nature. Iris lui légua ses couleurs, Phébus sa lumière, sinon Morphée ses ombres.
Que cette urne, écorce funèbre de l’arbre sabéen, boive nos larmes et que, malgré sa dureté, elle en exsude autant d’aromates. ”

Traduction de Francis de Miomandre.

Greco ou le secret de Tolède de Maurice Barrès. La Revue bleue, 1909, puis Émile-Paul frère, 1912. Flammarion . Images et idées. Arts et métiers graphiques. 1966.

Christian Boltanski

Amsterdam. Oude Kerke. Exposition Na (Après).

Très triste d’apprendre la mort de Christian Boltanski. Son installation méditative (Na-Après) à l’Oude Kerk d’Amsterdam en 2017-2018 était extraordinaire. Nous l’avions visitée le premier jour de notre voyage à Amsterdam. Il faisait froid. Oude Kerk est la plus vieille église d’Amsterdam. Elle a été construite à partir de 1300 et dédiée à saint Nicolas. Elle a été restaurée en 2013. C’est un lieu de culte et d’exposition, ce qui est déjà peu banal. Elle se trouve de plus au beau milieu du quartier “rouge” d’Amsterdam, celui des prostituées en vitrine et des sex-shops. Il y a, semble-t-il, 2500 caveaux et 10 000 personnes y seraient enterrées dont Saskia van Uylenburgh (1612-1642), la première épouse de Rembrandt. Ce fut un lieu de sépulture jusqu’en 1865. Christian Boltanski disait: « Je ne suis pas croyant, mais ce que je désire faire, c’est une expérience de ce type : “Une église, la porte est ouverte, alors on entre. Il y a une odeur particulière, une légère musique, un homme les bras levés et quelques bouquets de fleurs. On la traverse sans comprendre et on retourne dans la vie.” »

Christian Boltanski (Jean-François Robert).

L’installation Animitas ou la musique des âmes se trouve dans le désert d’Atacama au Chili. Elle se compose de huit cents clochettes japonaises fixées sur de longues tiges plantées dans le sol qui sonnent au gré du vent pour faire entendre la musique des âmes et dessinent la carte du ciel la nuit de la naissance de l’artiste, le 6 septembre 1944. Le désert d’Atacama est aussi un lieu de pèlerinage à la mémoire des disparus de la dictature de Pinochet (voir Nostalgie de la lumière (Nostalgia de la luz), film documentaire franco-chilien réalisé par Patricio Guzmán et sorti en 2010). C’est également un lieu exceptionnel pour observer les étoiles grâce à la pureté du ciel : c’est là que sont installés les plus grands observatoires du monde.

Misterios (2017) est une sculpture métallique installée en Patagonie, qui a la particularité d’imiter le chant des baleines lorsque le vent s’engouffre dans ses larges trompes. Elle est située au Cap Aristizabal. Elle peut se visiter depuis Bahía Bustamante, connue pour être les Galapagos de l’Argentine.

Misterios. 2017.

Pablo Neruda

Pablo Neruda (Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto) est né le 12 juillet 1904 à Parral (Chili). Il entre dans la carrière diplomatique en 1927 et devient consul à Rangoun (Birmanie) . Il est en poste ensuite à Colombo (Sri Lanka), Batavia (aujourd’hui Djakarta, en Indonésie), Calcutta (Inde) et Buenos Aires (Argentine) où il fait la connaissance de Federico García Lorca. Il est consul général du Chili d’abord à Barcelone en 1934, puis à Madrid en 1935. Il dirige la revue Caballo verde para la poesía, créée par Manuel Altolaguirre (1905-1959) et Concha Méndez (1898-1986). Cette revue, à la typographie très soignée, connaîtra six numéros. Chaque numéro commence par un texte en prose de Pablo Neruda. Elle accueille des poètes espagnols (Vicente Aleixandre, Federico García Lorca, Jorge Guillén, Miguel Hernández o Leopoldo Panero), latinoaméricains ou européens, liés à la Génération de 1927. Dès le premier numéro, Pablo Neruda défend une poésie « impure » :

Sobre una poesía sin pureza. Manifiesto.

“La confusa impureza de los seres humanos se percibe en ellos, la agrupación, uso y desuso de los materiales; las huellas del pie y los dedos, la constancia de una atmósfera inundando las cosas desde lo interno y lo externo.
Así sea la poesía que buscamos, gastada como por un ácido por los deberes de la mano, penetrada por el sudor y el humo, oliente a orina y a azucena salpicada por las diversas profesiones que se ejercen dentro y fuera de la ley.
Una poesía impura como un traje, como un cuerpo, con manchas de nutrición, y actitudes vergonzosas, con arrugas, observaciones, sueños, vigilia, profecías, declaraciones de amor y de odio, bestias, sacudidas, idilios, creencias políticas, negaciones, dudas, afirmaciones, impuestos.
La sagrada ley del madrigal y los decretos del tacto, olfato, gusto, vista, oído, el deseo de justicia, el deseo sexual, el ruido del océano, sin excluir deliberadamente nada, sin aceptar deliberadamente nada.”

La Casa de las Flores bombardée.

Pablo Neruda a vécu de 1934 à 1936 dans un appartement au cinquième étage de La Casa de las Flores, ensemble de bâtiments en briques de cinq étages, situé dans le quartier d’Argüelles à Madrid (calles Princesa, Hilarión Eslava, Rodríguez San Pedro, Gaztambide y Meléndez Valdés) et conçu en 1931 par l’architecte Secundino Zuazo Ugalde (1887-1971) dans un esprit rationaliste. On y trouve 288 logements et trois patios au centre. La répartition des espaces avec un couloir paysager a servi de modèle à des générations d’étudiants en architecture. Les bâtiments sont décorés de balcons et de jardinières fleuries. Le poète Rafael Alberti qui vit à l’époque dans ce même quartier trouve là un appartement libre pour son ami chilien qui vient d’être nommé à Madrid. Neruda y reçoit beaucoup. Cet ensemble a beaucoup souffert des bombardements pendant la Guerre civile, le front se situant dans cette zone de la ville, proche de la cité universitaire. Après une mission à Paris, il revient dans la capitale espagnole en 1937.
Il raconte ainsi dans ses mémoires (Confieso que he vivido, 1974) son retour dans son appartement devasté avec le poète Miguel Hernández : « Por fin llegamos a Madrid. Mientras los visitantes recibían bienvenida y alojamiento, yo quise ver de nuevo mi casa que había dejado intacta hacía cerca de un año. Mis libros y mis cosas, todo había quedado en ella. Era un departamento en el edificio llamado “Casa de las Flores”, a la entrada de la ciudad universitaria. Hasta sus límites llegaban las fuerzas avanzadas de Franco. Tanto que el bloque de departamentos había cambiado varias veces de mano.
Miguel Hernández, vestido de miliciano y con su fusil, consiguió una vagoneta destinada a acarrear mis libros y los enseres de mi casa que más me interesaban.
Subimos al quinto piso y abrimos con cierta emoción la puerta del departamento. La metralla había derribado ventanas y trozos de pared. Los libros se habían derrumbado de las estanterías. Era imposible orientarse entre los escombros. De todas maneras, busqué algunas cosas atropelladamente. Lo curioso era que las prendas más superfluas e inaprovechables habían desaparecido; se las habían llevado los soldados invasores o defensores. Mientras las ollas, la máquina de coser, los platos, se mostraban regados en desorden, pero sobrevivían, de mi frac consular, de mis máscaras de Polinesia, de mis cuchillos orientales no quedaba ni rastro.
-La guerra es tan caprichosa como los sueños, Miguel.
Miguel encontró por ahí, entre los papeles caídos, algunos originales de mis trabajos. Aquel desorden era una puerta final que se cerraba en mi vida. Le dije a Miguel:
-No quiero llevarme nada.
-¿Nada? ¿Ni siquiera un libro?
-Ni siquiera un libro –le respondí.
Y regresamos con el furgón vacío.»

L’ensemble a été restauré dans les années 40 et déclaré monument national en 1981.

La Casa de las Flores aujourd’hui.

Explico algunas cosas

Preguntaréis: Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta de amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.

Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de Junio ahogaba flores en tu boca?

Hermano, hermano!

Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.

Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!

España en el corazón: himno a la glorias del pueblo en la guerra. 1937.

J’explique certaines choses

Vous allez demander : Où sont donc les lilas ?
Et la métaphysique couverte de coquelicots ?
Et la pluie qui frappait si souvent
vos paroles les remplissant
de brèches et d’oiseaux?

Je vais vous raconter ce qui m’arrive.

Je vivais dans un quartier
de Madrid, avec des cloches,
avec des horloges, avec des arbres.

De ce quartier on apercevait
le visage sec de la Castille
ainsi qu’un océan de cuir.

Ma maison était appelée
la maison des fleurs, parce que de tous côtés
éclataient les géraniums : c’était
une belle maison
avec des chiens et des enfants.
Raúl, te souviens-tu ?
Te souviens-tu, Rafael ?
Federico, te souviens-tu
sous la terre,
te souviens-tu de ma maison et des balcons où
la lumière de juin noyait des fleurs sur ta bouche ?
Frère, frère !
Tout
n’était que cris, sel de marchandises,
agglomérations de pain palpitant,
marchés de mon quartier d’Argüelles avec sa statue
comme un encrier pâle parmi les merluches :
l’huile arrivait aux cuillères,
un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues,
métros, litres, essence
profonde de la vie,
poissons entassés,
contexture de toits cernés d’un soleil froid dans lequel
la flèche se fatigue,
délirant ivoire des fines pommes de terre,
tomates recommencées jusqu’à la mer.

Et un matin tout était en feu
et un matin les bûchers
sortaient de terre
dévorant les êtres vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre,
et ce fut le sang.
Des bandits avec des avions, avec des maures,
des bandits avec des bagues et des duchesses,
des bandits avec des moines noirs pour bénir
tombaient du ciel pour tuer des enfants,
et à travers les rues le sang des enfants
coulait simplement, comme du sang d’enfants.

Chacals que le chacal repousserait,
pierres que le dur chardon mordrait en crachant,
vipères que les vipères détesteraient !

Face à vous j’ai vu le sang
de l’Espagne se lever
pour vous noyer dans une seule vague
d’orgueil et de couteaux !

Généraux
de trahison :
regardez ma maison morte,
regardez l’Espagne brisée :
mais de chaque maison morte surgit un métal ardent
au lieu de fleurs,
mais de chaque brèche d’Espagne
surgit l’Espagne,
mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,
mais de chaque crime naissent des balles
qui trouveront un jour l’endroit
de votre coeur.

Vous allez demander pourquoi votre poésie
ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?

Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !

Résidence sur la Terre, Éditions Gallimard, 1969. Traduction : Guy Suarès.

Segovia

Segovia. Iglesia de la Vera Cruz. 1208.

Le monde est petit (“El mundo es un pañuelo”). La ville de Segovia et la province entière sont magnifiques.

Un segoviano en las antípodas
“En el municipio Valverde del Majano, un pueblo de menos de mil habitantes cerca de la ciudad de Segovia, nació el 31 de enero de 1811 Manuel José de Frutos, el hijo de un comerciante de lana que a los 20 años se vio forzado a emigrar. Tras faenar como ballenero por las costas de Perú y los mares del Sur, Manuel José recaló a bordo del barco inglés Elizabeth en Port Awanui, en la alejada región de Te Araroa, en la costa este de la Isla Norte de Nueva Zelanda, donde se dedicó al comercio, hizo buenas migas con los nativos de la tribu ngati porou, tuvo cinco esposas, nueve hijos, 41 nietos y 299 bisnietos. Más de siete generaciones después, el clan maorí de los Paniora (españoles, en lengua maorí), suma 16.000 descendientes repartidos por Nueva Zelanda y otros países.

Los maoríes transmiten sus historias mediante la tradición oral, por lo que poco a poco se fue perdiendo el conocimiento sobre la procedencia de aquel marinero español. Solo recordaban su nombre y el de de su turangawaewae, la cuna de sus ancestros: Valverde. No fue hasta 2006, a raíz de un documental realizado por la periodista neozelandesa Diana Burns en colaboración con la historiadora española María Teresa Llorente, que se dedicó a buscar por los archivos parroquiales de Segovia, que los Paniora pudieron conocer al fin sus orígenes.

En 2007, una veintena de maoríes Paniora viajó desde las antípodas hasta Segovia para visitar el pueblo de su antepasado. Allí descubrieron que tenían familia, descendientes de las dos hermanas de Manuel José. Al año siguiente, sus primos les devolvieron la visita, y los viajes se han repetido varias veces en ambos sentidos. Los restos de Manuel José reposan en una colina de Taumata, con vistas al rio Waiapu y al océano Pacífico.” (El País, 23/04/2021)

Segovia. Statue de San Juan de la Cruz de José María García Moro (1933-2012). Paseo de San Juan de la Cruz.

El milagro (Antonio Machado)

En Segovia, una tarde, de paseo
por la alameda que Eresma baña,
para leer mi Biblia
eché mano al estuche de las gafas
en busca de ese andamio de mis ojos,
mi volado balcón de la mirada.
Abrí el estuche con el gesto firme
y doctoral de quien se dice : Aguarda,
y ahora verás si veo…
Abrí el estuche pero dentro : nada;
point de lunettes… ¿ Huyeron ? Juraría
que algo brilló cuando la negra tapa
abrí del diminuto
ataúd de bolsillo, y que volaban,
huyendo de su encierro,
cual mariposa de cristal, mis gafas.
El libro bajo el brazo,
la orfandad de mis ojos paseaba
pensando: hasta las cosas que dejamos
muertas de risa en casa
tienen su doble donde estar debieran
o es un acto de fe toda mirada.

Cancionero apócrifo. Doce poetas que pudieron existir. 1919.

Le miracle

À Segovia, un après-midi me promenant
par la peupleraie que l’Eresma baigne,
pour lire ma Bible
j´ai mis la main sur mon étui à lunettes
en quête de cet échafaudage de mes yeux,
mon balcon saillant du regard.

Jorge Luis Borges

Camaret-sur-Mer. Le Port.

Mars. La mer me manque… Penser à la mer… Voir la mer…

Deux poèmes de Jorge Luis Borges. Merci à Lorenzo Oliván.

El mar

Antes que el sueño (o el terror) tejiera
mitologías y cosmogonías,
antes que el tiempo se acuñara en días,
el mar, el siempre mar, ya estaba y era.
¿Quién es el mar? ¿Quién es aquel violento
y antiguo ser que roe los pilares
de la tierra y es uno y muchos mares
y abismo y resplandor y azar y viento?
Quien lo mira lo ve por vez primera,
siempre. Con el asombro que las cosas
elementales dejan, las hermosas
tardes, la luna, el fuego de una hoguera.
¿Quién es el mar, quién soy? Lo sabré el día
ulterior que sucede a la agonía.

El otro, el mismo. 1964

La mer

Avant que le rêve (ou la terreur), n’ait tissé
mythologies et cosmogonies,
avant que le temps n’ait produit les jours,
la mer, la mer éternelle, était là et avait été.
Qui est la mer ? Quel est cet être violent
et ancien qui ronge les piliers
soutenant la terre, cette mer une et multiple
qui est abîme et gloire et hasard et grand vent ?
Qui la regarde la voit pour la première fois,
toujours. Avec le saisissement que donnent
les choses élémentaires, les belles
fins de journées, la lune, un feu de joie.
Qui est la mer, qui suis-je ? Je le saurai le jour
qui succédera à mon agonie.

L’autre, le même, 1964. Traduction Jean Pierre Bernès et Nestor Ibarra.

El mar

El mar. El joven mar. El mar de Ulises
y el de aquel otro Ulises que la gente
del Islam apodó famosamente
Es-Sindibad del Mar. El mar de grises
olas de Erico el Rojo, alto en su proa.
y el de aquel caballero que escribía
A la vez la epopeya y la elegía
de su patria, en la ciénaga de Goa.
El mar de Trafalgar. El que Inglaterra
cantó a lo largo de su larga historia,
el arduo mar que ensangrentó de gloria
en el diario ejercicio de la guerra.
El incesante mar que en la serena
mañana surca la infinita arena.

El oro de los tigres. 1972.

La mer

La mer. La jeune mer. La mer d’Ulysse,
Celle de cet autre Ulysse que ceux
D’Islam ont surnommé d’un nom fameux :
Sindibad de la mer. La mer aux grises
Vagues d’Erik le Rouge, haut sur sa proue,
Et de ce chevalier qui a chanté
Á la fois l’élégie et l’épopée
De sa patrie, à Goa et ses boues.
La mer de Trafalgar, que l’Angleterre
A célébrée au long de son histoire,
La dure mer ensanglantée de gloire
Jour après jour, dans l’œuvre de la guerre.
Au matin calme, la mer intarissable,
Et ses sillons dans l’infini du sable.

L’or des tigres Traduction Jacques Ancet.

Julien Gracq

Julien Gracq. 1984. (Henri Cartier-Bresson).

Madrid me manque. La Bretagne me manque. Les voyages me manquent. Certaines personnes me manquent. Les textes de Julien Gracq me permettent de revoir la baie d’Audierne, la pointe du Raz, l’île de Sein, la presqu’île de Crozon, Argol.

Julien Gracq, élève à l’École normale supérieure, passe les mois de juillet et d’août 1931 avec Henri Queffélec (1910-1992) et Pierre Petitbon (1910-1940) à Budapest au collège Eötvös, réplique hongroise de l’ENS qui héberge chaque été trois normaliens. Fin septembre, Julien Gracq va passer huit jours en Basse-Bretagne. De la consultation d’un horaire d’autocar il retiendra le nom d’Argol. (voir Henri Queffélec, Cahiers de l’Herne, Julien Gracq, 1972. Réédition Le Livre de poche p.471 et suivantes). Il enseigne de 1937 à 1939 au lycée La Tour d’Auvergne de Quimper.

Pointe du Raz.

Le Raz. Quand je le vis pour la première fois, c’était par une journée d’octobre 1937, qui fut en Bretagne (c’était mon premier automne armoricain) un mois exceptionnellement beau. J’avais pris le car à Quimper ; il se vida peu à peu au hasard des escales dans les écarts du pays bigouden. Après Plogoff, nous n’étions plus que deux voyageurs ; nul n’avait affaire au Raz ce jour-là que le soleil qui devant nous commençait à descendre : il y avait dans le déclin de la journée dorée, comme presque toujours dans l’automne du Cap, déjà une imperceptible suggestion de brume. La lumière était, comme dans le poème de Rimbaud et comme je l’ai revue une fois avec B. en septembre sur la grève de Sainte-Anne-la-Palud – « jaune comme les dernières feuilles des vignes ». Le car allégé s’enleva comme une plume pour attaquer l’ultime raidillon qui escalade le plateau du Cap – alors indemne d’hôtels et vierge de parking – et tout à coup la mer que nous longions depuis longtemps sur notre gauche se découvrit à notre droite, vers la baie des Trépassés et la pointe du Van : ce fut tout, ma gorge se noua, je ressentis au creux de l’estomac le premier mouvement du mal de mer – j’eus conscience en une seconde, littéralement, matériellement, de l’énorme masse derrière moi de l’Europe et de l’Asie, et je me sentis comme un projectile au bout du canon, brusquement craché dans la lumière. Je n’ai jamais retrouvé, ni là, ni ailleurs, cette sensation cosmique et brutale de l’envol – enivrante, exhilarante – à laquelle je ne m’attendais nullement.
Auprès du Raz, la pointe Saint-Mathieu n’est rien. Quelques années plus tôt – en 1933 – parti de Saint-Ives, j’avais visité avec L. le cap Land’s End en Cornouaille. Il ne m’a laissé d’autre souvenir que celui d’une vaste forteresse rocheuse, compliquée de redans et de bastions, qui décourageait l’exploration du touriste de passage. Un château plutôt qu’une pointe, comme on voit dans la presqu’île de Crozon, le château de Dinan, mais plus spacieux – moins un finistère qu’un confin perdu et anonyme, trempé de brume, noyé de solitude, enguirlandé, empanaché de nuées d’oiseaux de mer comme une île à guano.
Ce qui fait la beauté dramatique du raz, c’est le mouvement vivant de son échine centrale, écaillée, fendue, lamellée, qui n’occupe pas le milieu du cap, mais sinue violemment en mèche de fouet, hargneuse et reptilienne, se portant tantôt vers les aplombs de droite, tantôt vers les aplombs de gauche. Le plongement final, encore éveillé, laboure le Raz de Sein comme le versoir d’un soc de charrue. Le minéral vit et se révulse dans cette plongée qui se cabre encore : c’est le royaume de la roche éclatée ; la terre à l’instant de s’abîmer dans l’eau hostile redresse et hérisse partout ses écailles à rebrousse-poil.
Depuis, je suis retourné quatre fois au Raz. Une fois avec le président du cercle d’échecs de Quimper, nous y conduisîmes Znosko-Borovsky, célèbre joueur d’échecs, que nous avions invité dans notre ville pour une conférence et une séance de simultanées ; avec sa moustache taillée en brosse, il avait l’air d’un gentil et courtois bouledogue. Je ne sais pourquoi je le revois encore parfaitement , silhouetté au bord de la falaise , regardant l’horizon du sud : il y avait dans cette image je ne sais quoi d’incongru et de parfaitement dépaysant. Il ne disait rien. Peut-être rêvait-il, sur ce haut lieu, à la victoire qu’il avait un jour remportée sur Capablanca.
Chaque fois que j’ai revu la pointe, c’était le même temps, la même lumière : jour alcyonien, calme et tiédeur, fête vaporeuse du soleil et de la brume, «brouillard azuré de la mer où blanchit une voile solitaire» comme dans le poème de Lermontov. Chaque fois c’est la terre à l’endroit de finir qui m’a paru irritée, non la mer. Je n’ai vu le raz que souriant, assiégé par le chant des sirènes, je ne l’ai quitté qu’à regret, en me retournant jusqu’à la fin : il y a un désir puissant, sur cette dernière avancée de la terre, de n’aller plus que là où plonge le soleil.»

Lettrines 2. Librairie José Corti, 1974.

(Merci à François S.)

Francisco de Quevedo – José Ángel Valente 1929 – 2000

Madrid, Glorieta de Quevedo.

Nostalgie de Madrid!
La glorieta de Quevedo est une place importante du quartier de Chamberí à Madrid. Au centre se trouve une sculpture de l’écrivain espagnol du Siècle d’or en marbre de Carrare, œuvre d’ Agustín Querol (1860-1909). Elle date de 1902.
Quatre sculptures allégoriques (la Satire, la Poésie, la Prose et l’Histoire) apparaissent sur le socle en calcaire.
La calle de Fuencarral, la calle de San Fernando et la calle de Bravo Murillo débouchent sur cette place. La statue se trouvait primitivement Plaza de Alonso Martínez. José Ángel Valente a dédié un poème à cette statue .

José Ángel Valente.

A Don Francisco de Quevedo, en piedra

«cavan en mi vivir mi monumento»

Yo no sé quién te puso aquí, tan cerca
–alto entre los tranvías y los pájaros–
Francisco de Quevedo, de mi casa.

Tampoco sé qué mano
organizó en la piedra tu figura
o sufragó los gastos,
los discursos, la lápida,
la ceremonia, en fin, de tu alzamiento.

Porque arriba te han puesto y allí estás
y allí, sin duda alguna, permaneces,
imperturbable y quieto,
igual a cada día,
como tú nunca fuiste.

Bajo cada mañana
al café de la esquina,
resonante de vida,
y sorbo cuanto puedo
el día que comienza.

Desde allí te contemplo en pie y en piedra,
convidado de tal piedra que nunca
bajarás cojeando
de tu propia cojera
a sentarte en la mesa que te ofrezco.

Arriba te dejaron
como una teoría de ti mismo,
a ti, incansable autor de teorías
que nunca te sirvieron
más que para marchar como un cangrejo
en contra de tu propio pensamiento.

Yo me pregunto
qué haces allá arriba, Francisco
de Quevedo, maestro,
amigo, padre,
con quien es grato hablar,
difícil entenderse,
fácil sentir lo mismo:
cómo en el aire rompen
un sí y un no sus poderosas armas,
y nosotros estamos
para siempre esperando
la victoria que debe
decidir nuestra suerte.

Yo me pregunto si en la noche lenta,
cuando el alma desciende a ras de suelo,
caemos en la especie y reina
el sueño, te descuelgas
de tanta altura, dejas
tu máscara de piedra,
corres por la ciudad,
tientas las puertas
con que el hombre defi ende como puede
su secreta miseria
y vas diciendo a voces:

– Fue el soy un será, pero en el polvo
un ápice hay de amor que nunca muere.

¿O acaso has de callar
en tu piedra solemne,
enmudecer también,
caer de tus palabras,
porque el gran dedo un día
te avisara silencio?

Dime qué ves desde tu altura.
Pero tal vez lo mismo. Muros, campos,
solar de insolaciones. Patria. Falta
su patria a Osuna, a ti y a mí y a quien
la necesita.
Estamos
todos igual y en idéntico amor
podría comprenderte.
Hablamos
mucho de ti aquí abajo, y día a día
te miro como ahora, te saludo
en tu torre de piedra,
tan cerca de mi casa,
Francisco de Quevedo, que si grito
me oirás en seguida.

Ven entonces si puedes,
si estás vivo y me oyes
acude a tiempo, corre
con tu agrio amor y tu esperanza – cojo,
mas no del lado de la vida – si eres
el mismo de otras veces.

Poemas a Lázaro (1955-1960). Madrid, Índice, 1960 (Premio de la Crítica 1961).