Au sommet du mont, parmi les cailloux, les trompettes de terre cuite des hommes des vieilles gelées blanches pépiaient comme de petits aigles.
Pour une douleur drue, s’il y a douleur.
La poésie vit d’insomnie perpétuelle.
Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l’entend jamais.
Il n’y a pas de repli ; seulement une patience millénaire sur laquelle nous sommes appuyés.
Dormez, désespérés, c’est bientôt jour, un jour d’hiver.
Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire de l’art avant elle.
La réalité ne peut être franchie que soulevée.
Aux époques de détresse et d’improvisation, quelques-uns ne sont tués que pour une nuit et les autres pour l’éternité : un chant d’alouette des entrailles.
La quête d’un frère signifie presque toujours la recherche d’un être, notre égal, à qui nous désirons offrir des transcendances dont nous finissons à peine de dégauchir les signes.
Le probe tombeau : une meule de blé. Le grain au pain, la paille pour le fumier.
Ne regardez qu’une fois la vague jeter l’ancre dans la mer.
L’imaginaire n’est pas pur ; il ne fait qu’aller.
Les grands ne se perpétuent que par les grands. On oublie. La mesure seule est blessée.
Qu’est-ce qu’un nageur qui ne saurait se glisser entièrement sous les eaux ?
Avec des poings pour frapper, ils firent de pauvres mains pour travailler.
Les pluies sauvages favorisent les passants profonds.
L’essentiel est ce qui nous escorte, en temps voulu, en allongeant la route. C’est aussi une lampe sans regard, dans la fumée.
L’écriture d’un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide, du Ventoux alors enfant, courait toujours sur l’horizon de Montmirail qu’à tout moment notre amour m’apportait, m’enlevait.
Des débris de rois d’une inexpugnable férocité.
Les nuages ont des desseins aussi fermés que ceux des hommes.
Ce n’est pas l’estomac qui réclame la soupe bien chaude, c’est le cœur.
Sommeil sur la plaie pareil à du sel.
Une ingérence innommable a ôté aux choses, aux circonstances, aux êtres, leur hasard d’auréole. Il n’y a d’avènement pour nous qu’à partir de cette auréole. Elle n’immunise pas.
Cette neige, nous l’aimions, elle n’avait pas de chemin, elle découvrait notre faim.
Sur l’île de Pâques, les célèbres statues moaïs ont subi des « dommages irréparables » à la suite d’un incendie
” Un cinquième des sculptures moaïs, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité, ont été abîmées par le feu qui a ravagé le Parc national Rapa Nui.
Environ 80 statues moaïs, emblématiques de l’île de Pâques, ont été endommagées, parfois de manière « irrémédiable », par un incendie qui s’est déclaré en début de semaine dans l’île située à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. « L’incendie de la carrière du volcan Rano Raraku a été éteint (…), causant toutefois des dommages irréparables au Patrimoine culturel de l’humanité », a déclaré vendredi 7 octobre le président chilien, Gabriel Boric.
Une centaine d’hectares du Parc national Rapa Nui ont été dévastés. Le feu a atteint la zone du volcan Rano Raraku, et la carrière où l’ancienne civilisation indigène Rapa Nui fabriquait ses statues moais. On y compte 416 de ces sculptures à différents stades de fabrication.
Les engins de pompiers n’ont pu accéder au site
En raison des flammes, de la fumée et de l’eau, environ 20 % des statues du site ont été endommagées, selon le maire de l’île, Pedro Edmunds, qui affirme que l’une d’elles a subi des « dommages irrémédiables ».
« Elle va rester là, telle quelle, jusqu’à ce que nous évaluions les dégâts, et puis nous ferons appel à l’humanité pour voir quelle solution nous pouvons envisager. » (…)
En raison de la géographie, les engins des pompiers n’ont pas pu accéder au site même de l’incendie, vraisemblablement d’origine criminelle. « Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre de l’agriculture chilien, Esteban Valenzuela…”
Nous rentrons d’un voyage de douze jours en Grèce. Marie Paule Farina a publié hier sur Facebook une citation de El héroe discreto de Mario Vargas Llosa (Alfaguara, 2013). Je recherche dans ma bibliothèque l’original en espagnol. Je me rends compte que l’écrivain péruvien a placé en épigraphe une citation de El hilo de la fábula (Los conjurados. Alianza editorial, 1985) : ” Nuestro hermoso deber es imaginar que hay un laberinto y un hilo. ” ” Notre beau devoir à nous est d’imaginer qu’il y a un labyrinthe et un fil. ” Je remercie Marie Paule et Raymond Farina de me permettre de revenir à Vargas Llosa et à Borges.
El hilo de la fábula
El hilo que la mano de Ariadne dejó en la mano de Teseo (en la otra estaba la espada) para que éste se ahondara en el laberinto y descubriera el centro, el hombre con cabeza de toro o, como quiere Dante, el toro con cabeza de hombre, y le diera muerte y pudiera, ya ejecutada la proeza, destejer las redes de piedra y volver a ella, a su amor.
Las cosas ocurrieron así. Teseo no podía saber que del otro lado del laberinto estaba el otro laberinto, el del tiempo, y que en algún lugar prefijado estaba Medea.
El hilo se ha perdido; el laberinto se ha perdido también. Ahora ni siquiera sabemos si nos rodea un laberinto, un secreto cosmos, o un caos azaroso. Nuestro hermoso deber es imaginar que hay un laberinto y un hilo. Nunca daremos con el hilo; acaso lo encontramos y lo perdemos en un acto de fe, en una cadencia, en el sueño, en las palabras que se llaman filosofía o en la mera y sencilla felicidad.
Cnossos, 1984.
Le fil de la fable
Le fil que la main d’Ariane glissa dans la main de Thésée (son autre main tenait l’épée) pour que celui-ci s’enfonce dans le labyrinthe et qu’il en découvre le centre, l’homme à la tête de taureau ou, comme le veut Dante, le taureau à la tête d’homme, et qu’il lui donne la mort et qu’il puisse enfin, sa prouesse accomplie, défaire les mailles de pierre et revenir vers elle, son amour.
Les choses se passèrent ainsi. Thésée ne pouvait savoir que de l’autre côté du labyrinthe s’ouvrait l’autre labyrinthe, celui du temps, et que dans quelque lieu déjà établi se trouvait Médée.
Le fil s’est perdu. Le labyrinthe s’est perdu, lui aussi. Nous ne savons même plus, maintenant, si c’est un labyrinthe qui nous entoure, un cosmos secret ou un chaos hasardeux. Notre beau devoir à nous est d’imaginer qu’il y a un labyrinthe et un fil. Jamais nous ne tiendrons le fil. Il se peut que nous le rencontrions et que nous le perdions dans un acte de foi, une cadence, un rêve, dans les mots que l’on nomme philosophique ou dans le simple bonheur.
Cnossos, 1984.
Les Conjurés précédé de Le Chiffre. Gallimard. 1988. Traduction de Claude Esteban.
Le livre regroupe les quarante-quatre derniers poèmes et proses poétiques de Jorge Luis Borges. Le livre a été publié en 1985. L’écrivain argentin est décédé à Genève le 14 juin 1986. il avait 86 ans. La traduction de Claude Esteban, mon ancien professeur, est excellente comme toujours.
Le 1 août, l’île de Pâques (Rapa Nui -163,6 km²) se prépare à recevoir à nouveau des touristes après 28 mois de fermeture due à la pandémie. L’île a perdu 2000 de ses 7 700 habitants. En effet, 71 % de la population vivait du tourisme. Il n’ y a plus de vols réguliers depuis le 16 mars 2020. La réouverture se fera graduellement. Les premiers mois, il n’ y aura que deux vols commerciaux par semaine (compagnie Latam), soit 600 passagers. Cela ne représente qu’un tiers des passagers qui visitaient l’île auparavant (16 vols hebdomadaires). 11 des 24 sites touristiques vont rouvrir : la plage d’ Anakena, la carrière Rano Raraku, berceau de la culture de l’île, le site d’ Ahu Akivi et ses sept moais. Le chômage concerne actuellement 58 % de la population active. Avant la pandémie, l’île recevait 156.000 visiteurs par an ce qui générait 120 millions de dollars de recettes (119 millions d’euros). Le programme Pro Empleo a donné du travail à 800 personnes qui sont occupées au nettoyage des côtes, aux plantations et à la promotion d’ activités culturelles. Le Ministère de l’Économie chilien a annoncé la semaine dernière le déblocage d’un fonds de 700.000 dollars (694.000 euros) pour l’aide aux PME. Plus d’une centaine ont fermé Ce qui empêche une réouverture complète, c’est la faiblesse du système sanitaire. L’île fait partie de la région de Valparaíso qui se trouve à 3526 kilomètres. Elle ne possède qu’un hôpital et dix-huit lits. En cas d’urgence, il faut faire appel à un avion-ambulance qui transporte les patients jusqu’au continent en 5 heures et demie, Pedro Edmunds Paoa, maire élu depuis 1994, se plaint du manque d’aides du gouvernement central. Celui-ci veut atteindre un taux de vaccination de la population de 80 %. Il n’est actuellement que de 73 %. Il n’ y a eu aucun décès pour cause de Covid dans l’île.
Informations tirées de l’article d’Antonia Laborde (El País, 18 juillet 2022) : La Isla de Pascua se prepara para mostrar de nuevo su misterioso patrimonio tras dos años de aislamiento .
Tepito-Te-Henúa, ombligo del mar grande, taller del mar, extinguida diadema. De tu lava escorial subió la frente del hombre más arriba del Océano, los ojos agrietados de la piedra midieron el ciclónico universo, y fue central la mano que elevaba la pura magnitud de tus estatuas.
Tu roca religiosa fue cortada hacia todas las líneas del Océano y los rostros del hombre aparecieron surgiendo de la entraña de las islas, naciendo de los cráteres vacíos con los pies enredados al silencio.
Fueron los centinelas y cerraron el ciclo de las aguas que llegaban desde todos los húmedos dominios, y el mar frente a las máscaras detuvo sus tempestuosos árboles azules. Nadie sino los rostros habitaron el círculo del reino. Era callado como la entrada de un planeta, el hilo que envolvía la boca de la isla.
Así, en la luz del ábside marino la fábula de piedra condecora la inmensidad con sus medallas muertas, y los pequeños reyes que levantan toda esta solitaria monarquía para la eternidad de las espumas, vuelven al mar en la noche invisible, vuelven a sus sarcófagos de sal.
Sólo el pez luna que murió en la arena.
Sólo el tiempo que muerde los moais.
Sólo la eternidad en las arenas conocen las palabras: la luz sellada, el laberinto muerto, las llaves de la copa sumergida.
Canto general, 1950.
Rapa Nui
Tepito-Te-Henua, ombilic de l’immensité, atelier de la mer, diadème éteint. De la scorie de tes volcans, le front de l’homme monta plus haut que l’Océan, les yeux crevassés de la pierre prirent les dimensions du monde cyclonal, et ce fut une main centrale qui dressa la pure et suprême grandeur de tes statues.
Ta roche religieuse fut taillée vers toutes les issues de l’Océan et les visages de l’homme apparurent des entrailles des îles surgissant, naissant du vide des cratères, les pieds entravés au silence.
Ils furent factionnaires. Ils arrêtèrent le cycle des eaux déferlant de tous les domaines humides. La mer retint, devant les masques, ses arbres bleus et tempétueux. Nul hormis les visages n’habita le cercle du royaume. Il était muet comme l’entrée d’une planète, le fil qui bâillonna cette bouche insulaire.
Ainsi, dans la clarté de l’abside marine la fable de pierre décore l’immensité de ses médailles mortes, et les petits rois qui érigent cette monarchie solitaire pour l’éternité de l’écume, retournent à la mer dans la nuit invisible, rentrent dans leurs tombeaux, sarcophages de sel.
Et seul le poisson-lune qui mourut sur le sable,
seul le temps qui mord les moais,
seul l’éternité dans son gîte des grèves ont le secret des mots : la lumière arrêtée, le labyrinthe mort, les clefs de la coupe engloutie.
Il y avait hier dans le journal El País un article sur le Parc naturel de Cabo de Gata-Níjar : Porlos cortijos de Cabo de Gata en busca de rincones. C’est un endroit fragile et assez fascinant où je suis allé deux fois, en 1999 et 2005.
El Cortijo del Fraile a été construit par les Dominicains au XVIII ème siècle. Il est passé dans les mains de l’état en 1836 (Loi de désamortissement du ministre Juan Álvarez Mendizábal), puis a été vendu à des intérêts privés. Les ruines du bâtiment et ses 730 hectares sont aujourd’hui la propriété de l’entreprise de Murcia, Agrícola La Misión, S. L. La ferme est située au sud-est de Níjar (Almería). Les touristes curieux ne trouvent pas le lieu facilement. Les communes les plus proches proches sont Los Albaricoques y Rodalquilar, célèbre pour ses anciennes mines d’or.
El Cortijo del Fraile est connu pour plusieurs raisons. La première pour le crime (Crimen de Níjar) qui eut lieu le 22 juillet 1928. Francisca Cañada Morales (1907 ou 1908-1987) en fut la protagoniste. Paca la Coja (c’était son surnom) avait 20 ans et allait se marier avec Casimiro Pérez Pino. Francisca et son cousin, Francisco Montes Cañada, dix ans plus âgé (Leonardo dans l’oeuvre de García Lorca alors que tous les autres personnages ne portent pas de nom) s’enfuirent sur une mule avant la cérémonie de mariage. Le frère de Casimiro, José, pour venger l’honneur de la famille, les surprit et tua Francisco de trois coups de fusil à quelques kilomètres du Cortijo del Fraile. Paca la Coja que l’on avait essayé d’étrangler vécut célibataire toute sa vie dans les environs. Ce fait divers fut beaucoup commenté par la presse de l’époque. Il inspira le roman Puñal de Claveles (1931) de Carmen de Burgos (1867-1932) et surtout la pièce de théâtre de Federico García Lorca, Bodas de sangre (Noces de sang, écrite en 1931, représentée à Madrid au Théâtre Beatriz le 8 mars 1933 par la Compagnie de Josefina Díaz et Manuel Collado).
La ferme et ses environs apparaissent aussi dans les westerns spaghetti de Sergio Leone Pour quelques dollars de plus (1965) Le bon, la brute et le truand (1966) Il était une fois larévolution (1971) (1966) ou de Damiano Damiani, El Chuncho (1966)
Bien que le site soit un Bien de Interés Cultural, les murs s’écroulent, le clocher de l’église penche dangereusement et la végétation envahit les bâtiments.
” La Novia
¡Porque yo me fui con el otro, me fui! (Con angustia). Tú también te hubieras ido. Yo era una mujer quemada, llena de llagas por dentro y por fuera, y tu hijo era un poquito de agua de la que yo esperaba hijos, tierra, salud. Pero el otro era un río oscuro, lleno de ramas, que acercaba a mí el rumor de sus juncos y su cantar entre dientes. Y yo corría con tu hijo que era como un niñito de agua fría y el otro me mandaba cientos de pájaros que me impedían el andar y que dejaban escarcha sobre mis heridas de pobre mujer marchita, de muchacha acariciada por el fuego. Yo no quería, ¡óyelo bien! ; Yo no quería. ¡Tu hijo era mi fin y yo no lo he engañado, pero el brazo del otro me arrastró como un golpe de mar, como la cabezada de un mulo, y me hubiera arrastrado siempre, siempre, siempre, aunque hubiera sido vieja y todos los hijos de tu hijo me hubiesen agarrado de los cabellos!”
” La Fiancée Je suis partie avec l’autre. Je suis partie (avec angoisse) Toi aussi tu l’aurais suivie ! J’étais brûlée, couverte de plaies en dedans et en dehors. Ton fils était l’eau fraîche dont j’attendais des enfants, la santé. Mais l’autre était un fleuve obscur sous la ramée. Il apportait vers moi la rumeur de ses joncs, sa chanson murmurante. Je courais avec ton fils qui, lui, était tout froid comme un petit enfant de l’eau. Et l’autre par centaine m’envoyait des oiseaux qui m’empêchaient de marcher et qui laissaient du givre sur mes blessures de pauvre femme flétrie, de jeune fille caressée par le feu. Je ne voulais pas, entends moi bien , je ne voulais pas. Ton fils était mon salut et je ne l’ai pas trompé, mais le bras de l’autre m’a entraînée comme un paquet de mer, comme vous pousse le coup de tête d’un mulet. Et même si j’avais été une vieille femme avec tous les enfants nés de ton fils accrochés à mes cheveux, il m’aurait emportée.” (Traduction Marcelle Auclair)
Pablo Neruda est né le 12 juillet 1904 à Parral (province de Linares, région du Maule). Il perd sa mère qui meurt de tuberculose le 14 septembre 1904. Son père, José del Carmen Reyes Morales (1872-1938), employé des chemins de fer chiliens, déménage en 1905 avec son fils à Temuco, petite ville de la province de Cautín, region d’ Araucanie. Il se remarie en 1906 avec Trinidad Candia Marverde, la « mamadre » (1869-1938).
Le premier apprentissage du poète c’est la nature de l’Araucanie. La pluie est omniprésente. Elle peut être dangereuse mais a aussi un grand pouvoir poétique.
«Mi infancia son zapatos mojados, troncos rotos caídos en la selva, devorados por lianas y escarabajos, dulces días sobre la avena, y la barba dorada de mi padre saliendo hacia la majestad de los ferrocarriles. » (Canto general, 1950)
«J’eus pour enfance des souliers mouillés, des troncs brisés tombés dans la forêt, dévorés par les lianes et les scarabées, j’eus des journées douces sur l’avoine et la barbe dorée de mon père partant pour la majesté des chemins de fer. » (Chant général, 1977. Traduction de Claude Couffon)
Il l’évoque aussi dans ce poème sur l’Île de Pâques.
XIV El gran océano
VII. La lluvia (Rapa Nui)
No, que la reina no reconozca tu rostro, es más dulce así, amor mío, lejos de las efigies, el peso de tu cabellera en mis manos, recuerdas el árbol de Mangareva cuyas flores caían sobre tu pelo? Estos dedos no se parecen a los pétalos blancos: míralos, son como raíces, son como tallos de piedra sobre los que resbala el lagarto. No temas, esperemos que caiga la lluvia, desnudos, la lluvia, la misma que cae sobre Manu Tara.
Pero así como el agua endurece sus rasgos en la piedra, sobre nosotros cae llevándonos suavemente hacia la oscuridad, más abajo del agujero de Ranu Raraku. Por eso que no te divise el pescador ni el cántaro. Sepulta tus pechos de quemadura gemela en mi boca, y que tu cabellera sea una pequeña noche mía, una oscuridad cuyo perfume mojado me cubre.
De noche sueño que tú y yo somos dos plantas que se elevaron juntas, con raíces enredadas, y que tú conoces la tierra y la lluvia como mi boca, porque de tierra y de lluvia estamos hechos. A veces pienso que con la muerte dormiremos abajo, en la profundidad de los pies de la efigie, mirando el Océano que nos trajo a construir y a amar.
Mis manos no eran férreas cuando te conocieron, las aguas de otro mar las pasaban como a una red; ahora agua y piedras sostienen semillas y secretos.
Ámame dormida y desnuda, que en la orilla eres como la isla: tu amor confuso, tu amor asombrado, escondido en la cavidad de los sueños, es como el movimiento del mar que nos rodea.
Y cuando yo también vaya durmiéndome en tu amor, desnudo, deja mi mano entre tus pechos para que palpite al mismo tiempo que tus pezones mojados en la lluvia.
Canto general, 1950.
XIV. Le grand océan
VII . La pluie (Rapa Nui)
Non, que la reine n’identifie pas ton visage il est plus doux ainsi, mon amour, loin des effigies, le poids de ta chevelure dans mes mains, te souviens-tu de l’arbre de Mangareva, avec ses fleurs tombant sur tes cheveux ? Ces doigts que tu vois ne ressemblent pas aux blancs pétales : regarde-les ils sont pareils à des racines, pareils à des tiges de pierre sur lesquelles le lézard glisse. Ne t’effraie pas, attendons nus que la pluie tombe, la pluie, la même pluie qui tombe sur Manu Tara.
Mais l’eau, de même qu’elle durcit ses traits sur la pierre, tombe sur nous et tout doucement nous entraîne vers la nuit, plus bas que la fosse de Ranu Raraku : il ne faut pas que le pêcheur ou que la jarre t’aperçoivent. Enfouis tes seins de brûlures jumelles dans ma bouche et que ta chevelure soit pour moi nuit miniature, obscurité me recouvrant de son parfum mouillé.
La nuit je rêve que nous sommes toi et moi deux plantes qui, leurs racines mêlées, grandirent ensemble, et que tu connais la terre et la pluie comme ma bouche, puisque nous sommes faits de terre et pluie. Il m’arrive de penser que la mort venue nous dormirons dans la profondeur des pieds de l’image, regardant l’Océan qui nous a poussés à construire, à aimer.
Mes mains quand elle te connurent n’étaient pas de fer. Les eaux d’une autre mer les traversaient comme un filet ; et maintenant eau et pierres soutiennent graines et secrets.
Aime-moi nue et endormie, car sur la rive tu es pareille à l’île : ton amour confus, surpris, ton amour caché dans le creux des rêves, ressemble au mouvement marin qui nous entoure.
Et lorsque je m’endormirai, nu, à mon tour, dans ton amour, laisse ma main entre tes seins : qu’elle palpite en même temps que leurs bourgeons mouillés de pluie.
La Tour Magne est un monument gallo-romain situé à Nîmes (Gard). Haute de 18 m à la fin du III ème siècle, puis de 36 m de haut à l’époque romaine, elle ne mesure plus aujourd’hui que 32,50 m. Elle domine les jardins de la Fontaine sur le mont Cavalier. À l’époque romaine, par sa structure intégrée à l’enceinte, elle pouvait jouer un rôle défensif et celui d’une tour de guet ou à signaux.
La Tour Magne a été rendue célèbre par le distique holorime de Marc Monnier (1829-1885), souvent attribué à Victor Hugo :
Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la tour Magne, à Nîmes.
Au début de la première guerre mondiale, Guillaume Apollinaire (Guillaume Albert Vladimir, Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky) veut s’engager. Le conseil de révision ajourne sa demande car il n’a pas la nationalité française. Il est apatride. Un ami, Siégler-Pascal, lui présente Louise de Coligny-Châtillon (1881-1963) le dimanche 27 septembre 1914, lors d’un déjeuner au restaurant Bouttau dans le vieux Nice. Elle sera Lou dans Calligrammes. Elle le rejette. Il tente de nouveau une démarche pour s’engager. Positive cette fois. Il rejoint la caserne du 38e d’artillerie de campagne située route d’Uzès à Nîmes le 6 décembre 1914. Il y reste jusqu’à Pâques 1915. Du 7 au 16 décembre, Louise vient le voir. Guillaume fait le mur pour la rejoindre. Ils deviennent amants dans une chambre de l’hôtel du Midi, square de la Couronne. Ils rompent en 1915, mais continuent d’entretenir une correspondance presque quotidienne jusqu’au 18 janvier 1916. On conserve 220 lettres d’Apollinaire à Lou et 76 poèmes. Ces derniers sont regroupés pour la première fois à Genève en 1947 sous le titre Ombre de mon amouret en 1955 sous le titre Poèmes à Lou.
Un extrait mentionne la Tour Magne :
VII (Guillaume Apollinaire)
Mon Lou la nuit descend tu es à moi je t’aime Les cyprès ont noirci le ciel a fait de même Les trompettes chantaient ta beauté mon bonheur De t’aimer pour toujours ton cœur près de mon cœur Je suis revenu doucement à la caserne Les écuries sentaient bon la luzerne Les croupes des chevaux évoquaient ta force et ta grâce D’alezane dorée ô ma belle jument de race La tour Magne tournait sur sa colline laurée Et dansait lentement lentement s’obombrait Tandis que des amants descendaient de la colline La tour dansait lentement comme une sarrasine Le vent souffle pourtant il ne fait pas du tout froid Je te verrai dans deux jours et suis heureux comme un roi Et j’aime de t’y aimer cette Nîmes la Romaine Où les soldats français remplacent l’armée prétorienne Beaucoup de vieux soldats qu’on n’a pu habiller Ils vont comme des bœufs tanguent comme des mariniers Je pense à tes cheveux qui sont mon or et ma gloire Ils sont toute ma lumière dans la nuit noire Et tes yeux sont les fenêtres d’où je veux regarder La vie et ses bonheurs la mort qui vient aider Les soldats las les femmes tristes et les enfants malades Des soldats mangent près d’ici de l’ail dans la salade L’un a une chemise quadrillée de bleu comme une carte Je t’adore mon Lou et sans te voir je te regarde Ça sent l’ail et le vin et aussi l’iodoforme Je t’adore mon Lou embrasse-moi avant que je ne dorme Le ciel est plein d’étoiles qui sont les soldats Morts ils bivouaquent là-haut comme ils bivouaquaient là-bas Et j’irai conducteur un jour lointain t’y conduire Lou que de jours de bonheur avant que ce jour ne vienne luire Aime-moi mon Lou je t’adore Bonsoir Je t’adore je t’aime adieu mon Lou ma gloire
Le phare d’Eckmühl est une grosse lanterne. Si tu as perdu ta route sur la lande tu regardes à droite ou à gauche et tu vois où est Saint-Guénolé. Depuis que je vous connais, Marie Guiziou, j’ai cherché vos yeux sur toutes les mers de cette terre-ci. Mais vos yeux tournent de côté et d’autre partout où il y a des amoureux. Marie Guiziou, Marie Guiziou ! La vie est comme la lande pour moi et vous êtes pour moi comme le phare d’Eckmühl. Marie Guiziou ! Ma vie est comme l’océan autour de Penmarch ! et si je ne vois vos yeux je suis un naufragé sur les rochers.
« Quand j’entre dans une cathédrale – il y en a sept en Bretagne – dans une église ou dans une chapelle – il y en a foison et dans tous les coins – je m’interroge. Qui l’ a bâtie ? Pourquoi ? Quand ? Pendant combien de temps ? À quel saint, quelle sainte est-elle vouée ? Quelle fut la vie de cet homme qui a écrit dans le cahier de prières ? Pourquoi a-t-il fait grincer la pénombre de cet église ? Mais d’abord je pénètre à l’intérieur du silence des pierres, puis je cherche quelque chose, à défaut de quelqu’un qui aurait l’oeil ouvert, l’oreille creusée. Je compte sur la chance qui pourrait changer, même d’une virgule, le cours d’une journée. Lui donner sa verticale. Ainsi ce touriste qui, en passant par sa prière, passe par le ciel pour retourner sur la terre et poursuivre son voyage. J’imagine un homme d’un certain âge, mais pas trop vieux, pas trop pressé. Plutôt honnête et même généreux. Nous sommes au printemps, à Pâques, il fait un temps à buissonner, à suivre ses panneaux intérieurs, à se souvenir de cette étrange chapelle aux mille clochetons dont on lui a parlé un jour et de la danse macabre, peinte comme si elle avait été peinte hier. Elle résiste sur son mur, se souvient de la Grande Peste de 1347 qui dévasta l’Asie et l’Europe jusqu’à la pointe bretonne. Cette danse macabre remonte au Moyen-Âge. Comme l’oeuvre du poète François Villon. »
La Bretagne sans permis. Éditions Ouest-France. 2021.
André Suarès fait cette description de Pont-l’Abbé dans Le Livre de l’Émeraude (Calmann-Lévy, 1902. Réédition Christian Pirot, 1991) : « Pont-l’Abbé est charmant. Pont-l’Abbé est fantasque. Pont-l’Abbé ne ressemble à rien. On s’y dirait à la fois, qui sait comment, en Sicile, en Irlande et en Suède. C’est une petite ville à souhait pour en faire la capitale d’une principauté paysanne et chimérique. Elle est rustique, elle est gaie jusqu’à la folie ; et tout de même elle prend un air tragique, selon les jours. Pont-l’Abbé a d’immenses places et de petites rues étroites. Tantôt il y a foule à Pont-l’Abbé, et tantôt Pont-l’Abbé est vide. Parfois la ville paraît grande, et parfois il semble qu’on en fait le tour d’un seul coup d’œil. On y a le sentiment étrange de l’immuable et du caprice ; et l’on sourit au paradoxe de les goûter ensemble. On peut ici ne pas entendre un mot de français si l’on veut… On dirait que cette ville en fête ne compte pas un bourgeois. Elle a les lèvres barbouillées des Ménades, et leur rire de pourpre ; elle bondit, et l’orgie puissante de la nature, l’âme païenne de l’instinct, font le rythme de la danse. On a la sensation si rare de vivre un moment dans un royaume inconnu; et c’est à Pont-l’Abbé, comme en certaines bourgades d’Ombrie et de Toscane, que l’on pense avec délices trouver ce qu’on ne trouve pas ailleurs, et que bientôt on ne trouvera plus.»