Élisabeth de Fontenay -Friedrich Nietzsche

Elisabeth de Fontenay évoque ce texte de Nietzsche dans Gaspard de la nuit. Autobiographie de mon frère. Stock, 2018 (Prix Femina essai). Folio n°6754. Janvier 2020. Dans ce récit, fait de fragments de souvenirs et de réflexions philosophiques, elle rend hommage à son frère cadet, atteint d’un profond handicap. Il a 82 ans. il se prénomme Gilbert-Jean, elle l’appelle Gaspard. Depuis la disparition de leurs parents, elle en a seule la charge. Elle en parle avec pudeur et réserve, ce qui nous repose des maniaques de l’autofiction.

Le Gai Savoir. 1882. Préface à la seconde édition. 1887.

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« – On devine que je ne voudrais pas me montrer ingrat au moment de prendre congé de cette époque de grave consomption dont je n’ai pas encore épuisé le bénéfice aujourd’hui: de même que je sais assez l’avantage que me procure ma santé aux variations nombreuses sur tous les monolithiques de l’esprit. Un philosophe qui a cheminé et continue toujours de cheminer à travers beaucoup de santés a aussi traversé un nombre égal de philosophies: il ne peut absolument pas faire autre chose que transposer à chaque fois son état dans la forme et la perspective les plus spirituelles, -cet art de la transfiguration, c’est justement cela, la philosophie. Nous ne sommes pas libres, nous philosophes, de séparer l’âme du corps, comme le peuple les sépare, nous sommes encore moins libres de séparer l’âme de l’esprit. Nous ne sommes pas des grenouilles pensantes, des instruments de mesure objective et d’enregistrement aux viscères congelés, – nous devons constamment enfanter nos pensées à partir de notre douleur et leur transmettre maternellement tout ce qu’il y a en nous de sang, de cœur, de feu, de plaisir, de passion, de torture, de conscience, de destin, de fatalité. Vivre – cela veut dire pour nous métamorphoser constamment tout ce que nous sommes en lumière et en flamme, et également tout ce qui nous concerne, nous ne pouvons absolument pas faire autrement. Et pour ce qui est de la maladie: ne serions-nous pas presque tentés de demander s’il nous est seulement possible de nous en dispenser? Seule la grande douleur est l’ultime libératrice de l’esprit, en ce qu’elle est le professeur du grand soupçon, qui fait de tout U un X, un X véritable, authentique, c’est-à-dire l’avant-dernière lettre avant la dernière… Seule la grande douleur, cette longue, lente douleur qui prend son temps, dans laquelle nous brûlons comme sur du bois vert, nous oblige, nous philosophes, à descendre dans notre ultime profondeur et à nous défaire de toute confiance, de toute bonté d’âme, de tout camouflage, de toute douceur, de tout juste milieu, en quoi nous avons peut-être autrefois placé notre humanité. Je doute qu’une telle douleur «améliore» – ; mais je sais qu’elle nous approfondit. Soit que nous apprenions à lui opposer notre fierté, notre ironie, notre force de volonté et agissions comme l’Indien d’Amérique qui, si cruellement qu’il soit martyrisé, se dédommage sur son tortionnaire par la méchanceté de sa langue, soit que, face à la douleur nous nous retirions dans ce néant oriental – on l’appelle nirvana – , dans cet abandon de soi, cet oubli de soi, cet extinction de soi muets, figés, sourds: on ressort de ces longs et dangereux exercices de maîtrise de soi en étant un autre homme, avec quelques points d’interrogation de plus, et surtout avec la volonté d’interroger désormais davantage, plus profondément, plus rigoureusement, plus fermement, plus méchamment, plus calmement que l’on n’avait interrogé jusqu’alors. La confiance dans la vie s’est évanouie: la vie elle-même est devenue problème.

– Que l’on n’aille pas croire toutefois que cela nous ait nécessairement rendus sombres! Même l’amour de la vie est encore possible, – on aime seulement de manière différente. C’est l’amour pour une femme qui suscite des doutes…Le charme exercé par tout ce qui est problématique, la joie prise à l’X est toutefois trop grande, chez de tels hommes plus spirituels, plus spiritualisés, pour ne pas dévorer comme un clair brasier toute la détresse du problématique, tout le danger de l’incertitude, et même toute la jalousie de l’amoureux. Nous connaissons un bonheur nouveau…»

Traduction Patrick Wotling. Garnier-Flammarion 1998.

Friedrich Nietzsche. 1905. Oslo, Musée Munch.

Blaise Pascal – Jean Giono

Folio n°220.

Je relis Un roi sans divertissement de Jean Giono après avoir vu le film tout à fait honorable de François Leterrier (1963). Scénario de jean Giono avec de grandes différences avec le livre. Tournage dans l’Aubrac. Interprètes: Claude Giraud, Colette Renard, Charles Vanel. Photographie excellente: Jean Badal.

Le titre du roman et la dernière phrase sont empruntés aux Pensées de Pascal.

Livre de Poche n°823-824.

142. Divertissement.

«La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même, pour celui qui la possède, pour le rendre heureux par la seule vue de ce qu’il est? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens du commun? Je vois bien que c’est rendre un homme heureux de le divertir de la vue de ses misères domestiques pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser. Mais en sera-t-il de même d’un roi, et sera-t-il plus heureux en s’attachant à ces vains amusements qu’à la vue de sa grandeur? Et quel objet plus satisfaisant pourrait-on donner à son esprit? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie, d’occuper son âme à penser à ajuster ses pas à la cadence d’un air, ou à placer adroitement une [balle], au lieu de le laisser jouir en repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l’environne? Qu’on en fasse l’épreuve: qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnie, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères. Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d’y avoir auprès des personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et qui observent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu’il n’y ait point de vide; c’est-à-dire qu’ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que le roi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu’il sera misérable, tout roi qu’il est, s’il y pense.
Je ne parle point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens, mais seulement comme rois.»

Pensées. Édition Léon Brunschvig. Hachette, Collection des Grands écrivains de la France 1904 et 1914.

Jean Giono ne s’intéresse ni à Dieu, ni au problème de la foi et du pari, ni aux libertins. Il détourne le texte de Pascal à ses fins personnelles. Le romancier est tout-puissant.

Walter Benjamin

Walter Benjamin. Bibliothèque Nationale, Paris, 1937.

Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages. Le Cerf (30/05/1997)

«Nous éprouvons de l’ennui lorsque nous ne savons pas ce que nous attendons. Si nous le savons ou croyons le savoir, ce n’est presque toujours rien d’autre que l’expression de notre médiocrité ou de la confusion de notre esprit. L’ennui est le seuil des grandes entreprises.»

Résumé

Conçu tout d’abord, entre 1927 et 1929, comme une « féerie dialectique » proche, par l’inspiration, des déambulations surréalistes de Breton et surtout d’Aragon, le projet d’essai sur les passages parisiens changea de nature lorsque Walter Benjamin le reprit en 1934. C’était désormais à un livre que travaillait l’exilé allemand réfugié sous l’architecture de fer de la Bibliothèque nationale, à une oeuvre qui devait être non seulement une «histoire sociale de Paris au XIXe siècle», comme l’annonçait l’Institut de recherche sociale d’Adorno et d’Horkheimer, mais une tentative d’interprétation globale du XIXe siècle et de son équivoque modernité.

« Chaque époque rêve la suivante» disait Michelet. Benjamin nous offre, pour déchiffrer les figures équivoques du rêve propre au XIXe siècle, des catégories aussi originales que fécondes qu’il appartient au lecteur d’associer et de combiner: l’ennui, l’oisiveté, la construction en fer, les expositions universelles, la mode, le collectionneur, l’intérieur, le miroir, le joueur, les passages, etc. Elles lui permettent de montrer l’émergence de formes de construction, de communication et de transport dans les villes, dont le XXe siècle a pu seul mesurer la portée politique, en même temps qu’elles lui servent à dégager, au commencement même de ces techniques de masse, une fragile aspiration utopique et une promesse oubliée de liberté. C’est cette ambivalence qui fait des Passages, même sous leur forme fragmentaire, un extraordinaire hommage critique au Paris du XIXe siècle, à son architecture et à ses écrivains.

Ida Vitale

La Generación del 45 en ocasión de la visita de Juan Ramón Jiménez en 1948. De izquierda a derecha, parados: María Zulema Silva Vila, Manuel Arturo Claps, Carlos Maggi, María Inés Silva Vila, Juan Ramón Jiménez, Idea Vilariño, Emir Rodríguez Monegal, Ángel Rama. Sentados: José Pedro Díaz, Amanda Berenguer, Zenobia Camprubí, Ida Vitale, Elda Lago, Manuel Flores Mora.

Ida Vitale a reçu le 23 avril 2019 à l’Université d’Alcalá de Henares le Prix Cervantes. Elle est née le 2 novembre 1923 à Montevideo. Elle a 95 ans.

Fortuna

Por años, disfrutar del error
y de su enmienda,
haber podido hablar, caminar libre,
no existir mutilada,
no entrar o sí en iglesias,
leer, oír la música querida,
ser en la noche un ser como en el día.

No ser casada en un negocio,
medida en cabras,
sufrir gobierno de parientes
o legal lapidación.
No desfilar ya nunca
y no admitir palabras
que pongan en la sangre
limaduras de hierro.
Descubrir por ti misma
otro ser no previsto
en el puente de la mirada.

Ser humano y mujer, ni más ni menos.

Trema, Pre-Textos, 2005.

Fortune

Se délecter longtemps de l’erreur
et de son amendement,
avoir pu parler, marcher en liberté,
ne pas avoir été mutilée,
ne pas entrer ou entrer dans les églises,
lire, écouter la musique aimée,
être dans la nuit un être comme dans le jour.

Ne pas être mariée dans un commerce,
ni payée avec des chèvres,
souffrir la gouverne de parents
ou une légale lapidation.
Ne plus jamais défiler
et ne pas accepter des mots
qui répandent des limailles
de fer dans le sang.
Découvrir par toi-même
un autre être non prévu
dans le pont du regard.

Être humain et femme, ni plus ni moins.

Ni plus ni moins (Traduction: Silvia Baron Supervielle, François Maspéro) Le Seuil 2016)

À la suite d’une proposition de Clara Zetkin en août 1910, l’Internationale socialiste des femmes célèbre le 19 mars 1911 la première « Journée internationale des droits des femmes » et revendique le droit de vote des femmes, le droit au travail et la fin des discriminations au travail. Depuis, des rassemblements et manifestations ont lieu tous les ans.

Baruch Spinoza

George Steiner.

Dans son article La esquina Steiner (El País, 02/03/2020), Enrique Vila-Matas évoque George Steiner (1929-2020), spécialiste de littérature comparée, récemment décédé. Le père de celui-ci lui répétait constamment quand il était enfant : “Todo lo excelso es tan difícil como raro” (Baruch Spinoza, Ethique, 1677.

https://elpais.com/cultura/2020/03/02/actualidad/1583153001_386456.html

Je recherche sur Google la phrase exacte. Je remarque que les traductions en français sont très diverses comme souvent. Faut-il suivre Pierre Macherey qui affirme : “Si l’on veut comprendre ce que Spinoza a réellement dit, et en premier lieu en prendre connaissance, il est indispensable de revenir au texte original, et de s’en faire pour soi-même sa propre traduction”. (Introduction à l’Ethique de Spinoza. 5 volumes. PUF, 1994-1998)?

“Sed omnia præclara tam difficilia quam rara funt.»

“Mais toutes les belles choses sont aussi difficiles que rares” (Henri de Boulainvillers, vers 1730)
“Mais tout ce qui est beau est aussi difficile que rare” (Emile Saisset, Charpentier, 1842)
“Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare” (Charles Appuhn, Garnier Frères, 1907)
“Mais toutes les choses remarquables sont aussi difficiles qu’elles sont rares” (Raoul Lantzenberg, Flammarion, 1908)
“Mais tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare” (André Guérinot, Pelletan-Helleu-Sergent, 1930)
“Mais tout ce qui est très précieux est aussi difficile que rare” (Rolland Caillois, Gallimard, 1954)
“Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare” (Bernard Pautrat, Edition bilingue, Points Seuil, 1988)
“Mais tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare” (Robert Misrahi, PUF, 1990)
“Mais tout ce qui est supérieur est difficile autant que rare” (Pascal Severac, Ellipses, 1997)

Baruch Spinoza. Portrait de 1665 tiré de la Herzog August Bibliothek. Wolfenbüttel, Basse-Saxe, en Allemagne.

Emmanuel Levinas – Simone Weil

Emmanuel Levinas.

Emmanuel Levinas, Totalité et infini: essai sur l’extériorité. (Préface). 1961. Le Livre de poche. Biblio essais.

«L’épreuve de force est l’épreuve du réel. La violence ne consiste pas tant à blesser et à anéantir, qu’à interrompre la continuité des personnes, à leur faire jouer des rôles où elles ne se retrouvent plus, à leur faire trahir, non seulement des engagements, mais leur propre substance, à faire accomplir des actes qui vont détruire toute possibilité d’acte. Comme la guerre moderne, toute guerre se sert déjà d’armes qui se retournent contre celui qui les tient. Elle instaure un ordre à l’égard duquel personne ne peut prendre distance. Rien n’est dès lors extérieur. La guerre ne manifeste pas l’extériorité de l’autre comme autre; elle détruit l’identité du Même.»

Simone Weil, Ecrits historiques et politiques. 1960. Gallimard. Collection Espoir. 1960.

«Tout ce qui est soumis au contact de force est avili, quel que soit le contact. Frapper ou être frappé, c’est une seule et même souillure. Le froid de l’acier est pareillement mortel à la poignée et à la pointe. Tout ce qui est exposé au contact de la force est susceptible de dégradation. Toutes choses en ce monde sont exposées au contact de la force, sans aucune exception, sinon celle de l’amour.»

(Merci à Manuel qui m’a lu la citation de Simone Weil.)

Bertrand Russell – Richard Dawkins

Bertrand Russell (Roger Fry). 1923. Londres, National Portrait Gallery.

Bertrand Russell (1872-1970). Prix Nobel de littérature 1950. Article Is there a God?, écrit pour un numéro de l’Illustrated Magazine de 1952 (mais qui ne fut jamais publié),

«De nombreuses personnes orthodoxes parlent comme si c’était le travail des sceptiques de réfuter les dogmes plutôt qu’à ceux qui les soutiennent de les prouver. Ceci est bien évidemment une erreur. Si je suggérais qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j’aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j’affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n’est pas tolérable pour la raison humaine d’en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. Cependant, si l’existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l’école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d’excentricité et vaudrait au sceptique les soins d’un psychiatre à une époque éclairée, ou de l’Inquisiteur en des temps plus anciens. »

Dans son livre A Devil’s Chaplain (2003), le biologiste et éthologiste britannique Richard Dawkins (1941-) détaille ainsi le thème de la théière: « La religion organisée mérite la plus vive hostilité car, contrairement à la croyance en la théière de Russell, la religion organisée est puissante, influente, exemptée de taxes et systématiquement transmise à des enfants trop jeunes (le catéchisme commence à 7 ans) pour pouvoir s’en défendre. On ne force pas les enfants à passer leurs années de formation en mémorisant des livres farfelus sur les théières. Les écoles publiques n’excluent pas les enfants dont les parents préfèrent la mauvaise forme de théière. Les fidèles de la théière ne lapident pas les non-croyants en la théière, les apostats de la théière, les hérétiques de la théière ou les blasphémateurs de la théière. Les mères n’empêchent pas leurs fils d’épouser des shiksas de la théière sous prétexte que leurs parents croient en trois théières plutôt qu’une seule. Ceux qui versent le lait en premier ne mutilent pas ceux qui préfèrent commencer par verser le thé. »

Lors d’une conférence TED (Technology, Entertainment and Design) en 2002, il ajoute:

«[…] Strictement parlant, vous devriez être agnostique sur la question de l’existence d’une théière en orbite autour de Mars, mais cela ne signifie pas que vous considériez la probabilité de son existence comme étant égale à celle de sa non-existence. La liste des choses à propos desquelles nous devons être agnostiques strictement parlant ne s’arrête pas aux petites souris et aux théières. Elle est infinie. Si vous voulez en croire une en particulier, les licornes, les petites souris, les théières ou Yahvé, il vous incombe de le justifier. Il n’incombe pas au reste d’entre nous de dire pourquoi nous n’y croyons pas. Nous, les athées, sommes aussi des a-souristes et des a-théièristes. […]»

Richard Dawkins, 2009.

(Merci à Manuel de m’avoir fait connaître ces textes.)

Juan Luis Arsuaga

Juan Luis Arsuaga (Álvaro Muñoz Guzmán).

“La vida consiste en llegar a la primavera.”

“Yo recomendaría la dieta vegetariana ovoláctea”

(Juan Luis Arsuaga, paleoantropólogo).

Entrevista publicada por El Asombrario & Co.com (14/09/2019).

https://elasombrario.com/juan-luis-arsuaga-recomendaria-dieta-vegetariana-ovolactea/

“La vida no puede ser trabajar toda la semana e ir el sábado al supermercado”

Entrevista publicada por El País (31/05/2019)

https://elpais.com/elpais/2019/05/31/ciencia/1559293697_965411.html

Juan Luis Arsuaga Ferreras est né à Madrid en 1954. C’est un paléoanthropologue espagnol. Il est l’un des découvreurs de l’espèce Homo antecessor, le plus ancien représentant du genre Homo en Europe occidentale. Il date d’environ 850 000 ans. Les fossiles ont été mis au jour à Atapuerca (Burgos) en Espagne.

Ce site fut révélé lors de la construction d’une tranchée pour la construction d’une voie de chemin de fer, reliant Burgos à des mines de charbon. Les découvertes se limitèrent alors à du matériel de l’Âge du bronze et à des peintures rupestres.

L’ingénieur des mines, Trino Torres, et l’anthropologue, Emiliano Aguirre, trouvent en 1976 dans la montagne des fossiles d’ours préhistoriques, ainsi que plusieurs fossiles humains. Les fouilles commencent véritablement en 1978 dans deux des trois gisements principaux, Gran Dolina et Sima de los Huesos. A partir de 1982, Juan Luis Arsuaga est membre de l’équipe de recherche de ces gisements du Pléistocène. L’équipe de recherche reçoit le Prix Prince des Asturies (Recherche scientifique et technique) en 1997. Le site est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2000.

On peut aussi visiter à Burgos Le Musée de l’Évolution Humaine (MEH) Ce bâtiment, conçu par l’architecte Juan Navarro Baldeweg (1939-), est construit de 2006 à 2010. Il est inauguré le 13 juillet 2010. Il présente notamment les trouvailles de la Sierra d’Atapuerca et les restes fossiles de l’Homo antecessor.

Burgos. Museo de la Evolución Humana. 2010 (Juan Navarro Baldeweg).

Sigmund Freud

Portrait de Sigmund Freud. 1926. (Ferdinand Schmutzer 1870-1928)

Le malaise dans la culture. 1930. PUF 1971.

«Quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n’a guère de chance de se trom­per en répondant: ils tendent au bonheur; les hommes veulent être heureux et le res­ter. Cette aspiration a deux faces, un but négatif et un but positif: d’un côté éviter dou­leur et privation de joie, de l’autre rechercher de fortes jouissances. En un sens plus étroit, le terme «bonheur» signifie seulement que ce second but a été atteint. En corré­lation avec cette dualité de buts, l’activité des hommes peut prendre deux directions, selon qu’ils cherchent – de manière prépondérante ou même exclusive – à réaliser l’un ou l’autre. On le voit, c’est simplement le principe du plaisir que détermine le but de la vie, qui gouverne dès l’origine les opérations de l’appareil psychique; aucun doute ne peut subsister quant à son utilité, et pourtant l’univers entier – le macrocosme aussi bien que le microcosme – cherche querelle à son programme. Celui-ci est abso­lument irréalisable ; tout l’ordre de l’univers s’y oppose; on serait tenté de dire qu’il n’est point entré dans le plan de la « Création » que l’homme soit ” heureux ” .

Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d’une situation qu’a fait désirer le principe du plaisir n’engendre qu’un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l’état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l’expérience du malheur.

La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l’origine est autre.

Ne nous étonnons point si sous la pression de ces possibilités de souffrance, l’homme s’applique d’ordinaire à réduire ses prétentions au bonheur (un peu comme le fit le principe du plaisir en se transformant sous la pression du monde extérieur en ce principe plus modeste qu’est celui de la réalité), et s’il s’estime heureux déjà d’avoir échappé au malheur et surmonté la souffrance ; si d’une façon très générale la tâche d’éviter la souffrance relègue à l’arrière-plan celle d’obtenir la jouissance. La réflexion nous apprend que l’on peut chercher à résoudre ce problème par des voies très diverses ; toutes ont été recommandées par les différentes écoles où l’on ensei­gnait la sagesse ; et toutes ont été suivies par les hommes.»

Walter Benjamin

Walter Benjamin, 1933. Dessin de Jean Selz (1904-1997)

Sur le concept d’histoire, 1940.
Ce texte publié par l’Institut de recherches sociales (En mémoire de Walter Benjamin. Los Angeles, 1942) après la mort de l’écrivain a été rédigé dans les premiers mois de 1940. Il reprend et développe des idées autour desquels la réflexion de l’auteur tournait depuis plusieurs années.

Oeuvres III. Folio Essais n° 374. 2000. Page 431 (Traduction de Maurice de Gandillac).

VI

«Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir «comment les choses se sont réellement passées». Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger. Il s’agit pour le matérialisme historique de retenir l’image du passé qui s’offre inopinément au sujet historique à l’instant du danger. Ce danger menace aussi bien les contenus de la tradition que ses destinataires. Il est le même pour les uns et pour les autres, et consiste pour eux à se faire l’instrument de la classe dominante. À chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer. Car le messie ne vient pas seulement comme rédempteur; il vient comme vainqueur de l’antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher.»

Traduction de Michael Löwy.
«Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître «tel qu’il a été effectivement», mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un danger. Au matérialisme historique il appartient de retenir fermement une image du passé telle qu’elle s’impose, à l’improviste, au sujet historique à l’instant du danger. Le danger menace tout aussi bien l’existence de la tradition que ceux qui la reçoivent. Pour elle comme pour eux, il consiste à les livrer, comme instruments, à la classe dominante. A chaque époque il faut tenter d’arracher derechef la tradition au conformisme qui veut s’emparer d’elle. Le Messie ne vient pas seulement comme rédempteur ; il vient aussi comme vainqueur de l’Antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’échoit qu’à l’historiographe parfaitement convaincu que, devant l’ennemi, s’il vainc, mêmes les morts ne seront point en sécurité. Et cet ennemi n’a pas cessé de vaincre.»

Une version française, due à Walter Benjamin figure dans le volume, Ecrits français, Gallimard. 1991. Folio Essais n°418. 2003.

«Décrire le passé tel qu’il a été» voilà, d’après Ranke, la tâche de l’historien. C’est une définition toute chimérique. La connaissance du passé ressemblerait plutôt à l’acte par lequel à l’homme au moment d’un danger soudain se présentera un souvenir qui le sauve. Le matérialisme historique est tout attaché à capter une image du passé comme elle se présente au sujet à l’improviste et à l’instant même d’un danger suprême. Danger qui menace aussi bien les données de la tradition que les hommes auxquels elles sont destinées. Il se présente aux deux comme un seul et même: c’est-à-dire comme danger de les embaucher au service de l’oppression. Chaque époque devra, de nouveau, s’attaquer à cette rude tâche: libérer du conformisme une tradition en passe d’être violée par lui. Rappelons-nous que le messie ne vient pas seulement comme rédempteur mais comme le vainqueur de l’antéchrist. Seul un historien, pénétré qu’un ennemi victorieux ne va même pas s’arrêter devant les morts – seul cet historien-là saura attirer au cœur même des événements révolus l’étincelle d’un espoir. En attendant, et à l’heure qu’il est, l’ennemi n’a pas encore fini de triompher.

(Je remercie vivement Nathalie Raoux qui a publié aujourd’hui sur Twitter la fin de la citation de Walter Benjamin dans la traduction de Maurice de Gandillac.)