Gabriel Boric, 36 ans, est devenu hier officiellement le plus jeune président de l’histoire du Chili. L’ancien leader étudiant, héritier de la révolte sociale de 2019, a fait de sa cérémonie d’investiture à Valparaíso, siège du Parlement, un symbole de son projet de changement en profondeur. Il a rendu hommage à l’ancien président Salvador Allende : « Comme l’avait prédit Salvador Allende il y a presque cinquante ans, nous voici de nouveau, chers compatriotes, en train d’ouvrir de grandes avenues où passeront l’homme et la femme libres pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! » Son gouvernement est majoritairement composé de femmes (14 sur 24), notamment aux postes régaliens de l’intérieur, la défense ou des affaires étrangères. La moyenne d’âge est de 42 ans. La tâche est immense et très difficile.
Le 11 septembre 1973, jour du coup d’état militaire, à 10h15, Salvador Allende fit à Radio Magallanes son dernier discours à la nation chilienne:
«Sigan ustedes sabiendo que, mucho más temprano que tarde, se abrirán las grandes alamedas por donde pase el hombre libre para construir una sociedad. ¡Viva Chile, viva el pueblo, vivan los trabajadores!»
Gabriel Boric a cité dans son discours un vers du grand poète chilien, Vicente Huidobro (1893-1948) , un des quatre grands de la poésie chilienne du XX ème siècle (avec Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Pablo de Rokha), le fondateur du “Créationnisme”: ” el adjetivo, cuando no da vida, mata.”
Arte poética (Vicente Huidobro)
Que el verso sea como una llave que abra mil puertas. Una hoja cae; algo pasa volando; cuanto miren los ojos creado sea, y el alma del oyente quede temblando.
Inventa mundos nuevos y cuida tu palabra; el adjetivo, cuando no da vida, mata. Estamos en el ciclo de los nervios. El músculo cuelga, como recuerdo, en los museos; mas no por eso tenemos menos fuerza : el vigor verdadero reside en la cabeza.
Por qué cantáis la rosa, ¡ oh Poetas ! hacedla florecer en el poema; sólo para nosotros viven todas las cosas bajo el Sol.
Recuérdalo tú y recuérdalo a otros, Cuando asqueados de la bajeza humana, Cuando iracundos de la dureza humana: Este hombre solo, este acto solo, esta fe sola. Recuérdalo tú y recúerdalo a otros.
En 1961 y en ciudad extraña, Más de un cuarto de siglo Después. Trivial la circunstancia, Forzado tú a pública lectura, Por ella con aquel hombre conversaste: Un antiguo soldado En la Brigada Lincoln.
Veinticinco años hace, este hombre, Sin conocer tu tierra, para él lejana Y extraña toda, escogió ir a ella Y en ella, si la ocasión llegaba, decidió apostar su vida, Juzgando que la causa allá puesta al tablero Entonces, digna era de luchar por la fe que su vida llenaba.
Que aquella causa aparezca perdida, Nada importa; Que tantos otros, pretendiendo fe en ella Sólo atendieran a ellos mismos, Importa menos. Lo que importa y nos basta es la fe de uno.
Por eso otra vez hoy la causa te aparece Como en aquellos días: Noble y tan digna de luchar por ella. Y su fe, la fe aquella, él la ha mantenido A tráves de los años, la derrota, Cuando todo parece traicionarla. Mas esa fe, te dices, es lo que sólo importa.
Gracias, Compañero, gracias Por el ejemplo. Gracias porque me dices que el hombre es noble. Nada importa que tan pocos lo sean: Uno, uno tan sólo basta Como testigo irrefutable de toda la nobleza humana.
Desolación de la químera. Joaquín Mortiz, México, 1962.
Luis Cernuda séjourne à San Francisco en 1961-1962. Il donne des cours à l’Université de Californie et récite ses poèmes en public. Á la fin d’une de ces séances au San Francisco State College, un ancien brigadiste est venu le saluer.
Il a commencé à écrire ce poème à San Francisco en décembre 1961 et il le termine en avril 1962. Fatigué et triste, il meurt le 5 novembre 1963 (à 61 ans) à Mexico.
La Brigade Abraham Lincoln ou XVe Brigade internationale a été constituée par des volontaires des États-Unis qui ont servi dans la guerre civile espagnole dans les Brigades internationales.
Luis García Montero évoque aujourd’hui ce poème dans un article de Infolibre: Buen momento para volver a ver Maixabel.
Cette semaine, j’ai acheté les trois livres disponibles d’Edith Bruck :
Edith Bruck, Le pain perdu. Traduction: René de Ceccatty. Éditions du sous-sol.
Edith Bruck, Pourquoi aurais-je survécu ? Choix de textes, traduction de l’italien et préface de René de Ceccatty. Rivages poche, collection « Petite Bibliothèque ».
Edith Bruck, Qui t’aime ainsi (Chi ti ama cosi). Traduction: Patricia Amardeil. Points.
Edith Steinschreiber est née le 3 mai 1931 dans un petit village de Hongrie, Tiszabercel. Elle fait partie d’une famille juive pauvre de huit enfants. Á l’aube du 8 avril 1944, on l’emmène avec sa famille dans le ghetto de Sátoraljaújhely. Le 23 mai, ils sont déportés au camp d’Auschwitz. Elle est séparée de ses parents et de son frère Laci. Elle ne les verra plus. Elle se retrouve avec sa soeur Eliz, 16 ans, en transit à Birkenau. Son numéro: 11152. Elles sont transférées au camp de Kaufering, une annexe de Dachau, puis dans le camp de Landsberg, et ensuite à Dachau et à Christianstadt. Elles arrivent enfin après une “marche de la mort” à Bergen-Balsen. Elle pèse alors 25 kilos. Les deux soeurs survivent jusqu’à l’arrivée des Américains. 430 000 juifs hongrois furent déportés à Auschwitz entre le 16 mai et le 9 juillet 1944.
Edith revient en Hongrie, retrouve les survivants de sa famille, puis part en Tchécoslovaquie. Elle se rend en Israël où elle retrouve deux de ses soeurs et son frère. Elle y vit difficilement. Elle se marie trois fois (elle porte successivement le nom de ses trois premiers maris, Grün, Roth, Bruck). Elle finit par quitter Israël en 1952. Elle rejette toute discipline et refuse de faire le service militaire. Elle devient danseuse et chanteuse et finit par s’établir en Italie. Elle épouse le poète et cinéaste Nelo Risi (1920-2015), frère du réalisateur Dino Risi (1916-2008). Il sera son mari pendant soixante ans. Elle a traduit en italien de nombreux écrivains hongrois (Attila József, Miklós Radnóti, Gyula Illyés, Ruth Feldman). Elle a aussi travaillé comme scénariste et réalisatrice pour la RAI.
Elle publie Qui t’aime ainsi (1959) en Italie, puis Lettre à ma mère (Lettera alla madre, 1988) et SignoraAuschwitz (Signora Auschwitz: il dono della parola, 1999) qui forment une trilogie. En 2021, Le pain perdu connaît un grand succès. Le livre reçoit le prix Strega Giovani et le prix Viareggio. Il se termine par une Lettre à Dieu. Cela lui vaut une visite du pape François à son domicile le 20 février 2021.
René de Ceccaty a choisi avec Edith Bruck les poèmes de Pourquoi aurais-je survécu? Ils sont précis, sobres, presque secs. Ils apparaissent par ordre chronologique sauf les quatre premiers que je reproduis ici.
Pendant ce temps, ici, en France, un certain Z. crache son venin à la radio et sur les plateaux de télévision.
Pourquoi aurais-je survécu
Pourquoi aurais-je survécu sinon pour représenter les fautes, surtout aux personnes proches ? De tant de fautes qu’elle auront une, la plus grande, sera le regret d’avoir fait du mal, à moi qui ait tant supporté. Avec moi qui suis différente des autres et qui porte en moi six millions de morts qui parlent ma langue qui demandent à l’homme de se souvenir à l’homme qui a si peu de mémoire. Pourquoi aurais-je survécu sinon pour témoigner avec toute ma vie avec chacun de mes gestes avec chacune de mes paroles avec chacun de mes regards. Et quand se terminera cette mission ? Je suis lasse de ma présence accusatrice, le passé est une arme à double tranchant et je perds tout mon sang. Quand viendra mon heure je laisserai en héritage peut-être un écho à l’homme qui oublie et continue et recommence…
Nous
Pour nous les survivants c’est un miracle chaque jour si nous aimons, nous aimons dur comme si la personne aimée pouvait disparaître d’un moment à l’autre et nous aussi.
Pour nous les survivants le ciel ou est très beau ou est très laid, les demi-mesures les nuances sont interdites.
Avec nous les survivants il faut se montrer précautionneux parce qu’un simple regard de travers ce qu’il y a de plus banal va s’ajouter à d’autres terribles et toute souffrance fait partie d’une UNIQUE qui palpite dans notre sang.
Nous ne sommes pas des gens normaux nous avons survécu pour les autres à la place d’autres. La vie que nous vivons pour nous rappeler et nous nous rappelons pour vivre n’est pas qu’à nous. Laissez-nous… Nous ne sommes pas seuls.
Après
Même les rares survivants des camps nazis s’en vont et après ? Qui pourra jamais continuer à témoigner au nom de ceux qui ont vécu l’indicible ? Leurs enfants ? Souvent ils ont été épargnés par leurs parents. Les petit-fils fuient presque l’expérience de leurs grands-parents pour vivre affranchis de cette éternelle cage de tamponnés chiffrés. Et une fois nous disparus, les mystificateurs et les nouveaux haïsseurs, les négationnistes se multiplieront, « Tu te rends compte, ils nient déjà », me disait Primo Levi, « avec nous encore en vie ! » je m’en suis rendu compte oui, plus que jamais aujourd’hui !
Une promenade avec Primo Levi
Pour toi si piémontais pour tes pas presque de clandestin pour tes yeux éblouis par tant de lumière comme du prisonnier qui vient d’être libéré Rome était une ville trop ensoleillée.
« Il y a une atmosphère de vacances, de fête, de marché », me disais-tu, de tes lèvres serrées et incrédules, jetant un regard scrutateur et furtif sur les vitrines tentatrices que tu t’interdisais, Pourquoi Primo ?
La normalité désirée ne nous est plus possible dans la maison, dans la rue, avec les amis les épouses, les maris, les amants – une existence a été marquée qui peut finir aussi au pied d’un escalier comme la tienne, quand tu as cédé au clin d’œil du vieux malin nous appauvrissant nous et tes innombrables lecteurs, Pourquoi Primo ?
Ta figure tutélaire nous manque, Nécessaire comme l’eau à l’assoiffé, La prière au croyant, La lumière au non-voyant. Notre devoir est De vivre et jamais de mourir ! Pourquoi Primo ?
Le mardi 14 décembre, visite de l’excellente exposition Picasso l’étranger au Musée de l’Histoire de l’immigration (4 novembre 2021 – 13 février 2022) avec mes amis Elizabeth et Patrick. Commissariat: Annie Cohen-Solal, assistée d’Elsa Rigaux. Voir Un étranger nommé Picasso, Paris, Fayard, 2021. Prix Femina essai 2021.
Texte de présentation en ligne:
Comment, face aux aléas politiques du XX ème siècle, traversant deux guerres mondiales, une guerre civile et une guerre froide, au sein d’une Europe déchirée par les nationalismes et dans une France xénophobe qui l’accueille mal, Picasso impose-t-il au monde son œuvre magistrale ? Pourquoi le 18 juin 1901 Picasso est-il « signalé comme anarchiste » à la Préfecture de police, quinze jours avant sa première exposition parisienne ? Pourquoi le 1 décembre 1914 près de sept cents peintures, dessins et autres œuvres de sa période cubiste sont-ils séquestrés par le gouvernement français pour une période qui dure près de dix ans ? D’où vient l’absence presque totale de ses tableaux dans les collections publiques du pays jusqu’en 1947 ? Comment expliquer, enfin, que Picasso ne soit jamais devenu citoyen français ? Si l’œuvre de l’artiste a suscité expositions, ouvrages et commentaires en progression exponentielle à la hauteur de son immense talent, la situation de Picasso « étranger » en France a paradoxalement été négligée. C’est cet angle inédit qui constitue l’objet de ce livre.
Pour l’éclairer, il faut exhumer des strates de documents ensevelis, retrouver des fonds d’archives inexploités, en rouvrir, un à un, tous les cartons, déplier chacune des enveloppes, déchiffrer les différentes écritures manuscrites. Alors tout s’organise autrement et le statut de l’artiste se révèle beaucoup plus complexe qu’on ne l’imaginait.
Un étranger nommé Picasso nous entraîne dans une enquête stupéfiante sur les pas de l’artiste surdoué, naviguant en grand stratège dans une France travaillée par ses propres tensions. On le voit imposer au monde son œuvre magistrale, construire ses propres réseaux et devenir un puissant vecteur de modernisation du pays. Un modèle à contempler et peut-être à suivre.
Extraits du discours prononcé par Robert Badinter lors de l’hommage rendu à Pierre Masse (1879-1942) par le Barreau de Paris le 19 mai 2009. « Le statut des juifs frappa Pierre Masse, au coeur. Il avait grandi dans une famille où l’appartenance à la religion juive était en quelque sorte naturelle, comme le catholicisme pour une grande majorité de familles françaises. Mais à l’instar de nombreux notables israélites, Pierre Masse s’était déjudaïsé au long des années. Il était un bourgeois français et s’éprouvait tel. Qu’avait-il de commun avec ces juifs immigrés, besogneux, écorchant le français qui fourmillaient dans les échoppes et les ateliers du Marais ? Et voici que d’un coup, après un siècle et demi, l’appartenance à la nation était rompue. Il se trouvait, lui, Maître Masse, rejeté à la limite de la communauté nationale, repoussé par la France à laquelle il avait tant donné de lui-même.
Un autre avocat juif, plus jeune, Lucien Vidal-Naquet, fils d’avocat, ancien secrétaire de la Conférence, confiait à son journal intime : « C’est ainsi que je ne suis plus qu’un demi citoyen sur le sol même où je suis né et où dorment les miens. C’est ainsi que j’ai perdu le droit d’exercer la profession qui fut celle de mon père, et que demain se posera pour mes enfants la question de savoir à quelle activité ils auront le droit de se livrer. Je ressens comme Français l’injure qui m’est faite comme juif. J’étais si fier de mon pays ! ».
Pierre Masse, lui, écrivit au Maréchal Pétain la lettre fameuse que ceux qui la découvrent lisent toujours avec la même émotion (octobre 1940) :
« Monsieur le Maréchal,
J’ai lu le décret qui déclare que les Israélites ne peuvent plus être officiers, même ceux d’ascendance strictement française. Je vous serais obligé de me faire dire si je dois aller retirer leurs galons à mon frère, sous-lieutenant au 36ème régiment d’infanterie, tué à Douaumont en avril 1916, à mon gendre, sous-lieutenant au 14ème régiment de dragons, tué en Belgique en mai 1940; à mon neveu J.-P. Masse, lieutenant au 3ème colonial, tué à Rethel en mai 1940 ?
Puis-je laisser à mon frère la médaille militaire, gagnée à Neuville-Saint-Vaast, avec laquelle je l’ai enseveli ?
Mon fils Jacques, sous-lieutenant au 62ème bataillon de chasseurs alpins, blessé à Soupir en juin 1940, peut-il conserver son galon ?
Suis-je enfin assuré qu’on ne retirera pas rétroactivement la médaille de Sainte-Hélène à mon arrière-grand-père ? Je tiens à me conformer aux lois de mon pays, même quand elles sont dictées par l’envahisseur.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, les assurances de mon profond respect. Pierre Masse Ancien Capitaine au 36ème RI Officier de la Légion honneur, Croix de guerre Ancien sous-secrétaire d’État à la Justice militaire »
Au sursaut du soldat outragé allait succéder celui du républicain humilié. En février 1941, Pierre Masse reçut une circulaire demandant à tout sénateur de faire savoir s’il était de famille juive, ce qui entraînait la déchéance de tout mandat électif. Pierre Masse adressa sa réponse directement au Maréchal Pétain : « Monsieur le Maréchal, Mon premier mouvement a été de ne pas faire réponse : il n’y a pas de « juifs » au Sénat. Ne font partie de cette Assemblée que des citoyens français, quelle que soit leur religion, élus par un collège électoral français, conformément à une Constitution qui n’a pas été abrogée sur ce point.
J’ai décidé cependant de répondre, par déférence pour le gouvernement dont vous êtes le chef.
Mes deux grands-pères étaient de religion israélite.
L’un, Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg en 1870, a tout abandonné propriétés familiales et sa situation pour rester français; l’autre a été, il y a un siècle, maire de la Commune de l’Hérault que je représente depuis 34 ans au Conseil général. Leurs femmes appartenaient à la même religion.
J’élève contre la loi du 3 octobre 1940 la protestation la plus formelle.
D’ascendance strictement française dans toutes les branches et aussi loin que je puis remonter, officier d’infanterie, titulaire de citations qui ont toutes été gagnées en avant des lignes françaises, ancien chef de la Justice militaire à une époque où les gens de la 5ème Colonne étaient envoyés aux fossés de Vincennes, ayant parmi mes parents les plus proches quatre officiers tués à l’ennemi, membre du Conseil de mon Ordre, régulièrement élu Sénateur par mes compatriotes de l’Hérault, je n’accepte pas d’être traité en Français de la 2ème catégorie.
Croyez que je regrette, m’adressant à vous, d’avoir à m’exprimer avec cette fermeté. Je n’oublie pas la déférence que je vous dois, ni que j’ai eu l’honneur de siéger avec vous au Comité de guerre en 1917.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l’assurance de ma respectueuse considération ».
….
Le 13 décembre 1941, Pierre Masse fut soudainement transféré de Drancy à l’École militaire avec d’autres personnalités juives. On leur fit croire qu’ils allaient être fusillés à titre de représailles pour des attentats commis à Paris. Dans ces circonstances dramatiques, Pierre Masse écrivit deux lettres, l’une adressée à sa femme, l’autre au Bâtonnier de Paris.
Il faut en ce moment solennel, ici au Palais de justice en rappeler les termes :
« Monsieur le Bâtonnier,
Je suis appelé. Je vais probablement mourir. Je suis venu ici comme avocat. Je mourrai, j’espère dignement, pour ma Patrie, ma Foi et mon Ordre.
Dites à mes confrères que je les remercie des honneurs qui ont accompagné ma vie professionnelle. J’en emporte une juste fierté. Je vous recommande mon fils. Je finirai en soldat de la France et du droit que j’ai toujours été. Bien vôtre, en toute amitié et en déférent respect. Pierre Masse » Ce témoignage d’un attachement passionné à la profession d’avocat, d’autres confrères parmi lesquels de nombreux juifs l’ont exprimé aussi aux heures ultimes de leur vie avant d’être fusillés ou déportés. Ces lettres constituent l’hommage le plus précieux qui ai jamais été rendu à la profession d’avocat. »
“La rafle dite « des notables » est l’arrestation à Paris, le 12 décembre 1941, par la police française et la Gestapo, de 743 Juifs français. Les individus arrêtés sont d’abord détenus à l’École militaire, puis transférés au camp de Royallieu, situé sur le territoire de la commune de Compiègne dans l’Oise. Ils font partie, le 27 mars 1942, du premier contingent de Juifs déportés, et la plupart d’entre eux sont assassinés au camp d’Auschwitz.
L’ordre d’arrestation, donné le 5 décembre 1941, est en lien avec une série d’attentats anti-allemands en octobre et novembre de la même année. Ces attentats, qui conduisent également à l’arrestation des « fusillés de Châteaubriant », permettent à l’armée d’occupation de prétendre que les responsables des attentats sont des Juifs et des agents anglo-saxons et ainsi de mener des actions de répression ciblées visant notamment les Juifs et les communistes. La rafle est mentionnée allusivement par une photo et un commentaire dans L’Émancipation nationale, l’organe hebdomadaire du Parti populaire français de Jacques Doriot.
Les rafles commencent le 12 décembre 1941 au matin. 743 notables juifs français, parmi lesquels des chefs d’entreprises, des commerçants, des ingénieurs, des médecins, des avocats, de intellectuels sont arrêtés à leur domicile, leur nom a été trouvé dans le « fichier juif », administré par André Tulard, chef de bureau, puis sous-directeur des étrangers à la préfecture de police au printemps 1942. Ce fichier recensait les Juifs français. Parmi eux, figurent le géographe Jacques Ancel, René Blum, frère de Léon Blum, le romancier Jean-Jacques Bernard , fils de Tristan Bernard, l’entrepreneur Natan Darty, l’écrivain Maurice Goudeket, mari de Colette, le dentiste Benjamin Schatzman, le futur historien de la Shoah Georges Wellers. Après leur arrestation à l’aube, ils sont rassemblés dans le manège du commandant Louis Bossut, à l’École militaire, puis transférés au camp C de Compiègne-Royallieu, dans l’Oise. Dans ce camp ne sont internés que des prisonniers juifs : outre les Juifs français, sont transférés 300 juifs étrangers en provenance du camp de Drancy où ils étaient déjà internés, pour atteindre le nombre de 1 000 détenus, demandé par les Nazis dans la perspective d’une déportation. Cette opération, qui est antérieure à la Conférence de Wannsee, à Berlin, de janvier 1942, et à la mise en œuvre de la « solution finale de la question juive », correspond toutefois au « projet » exposé par Hitler dès 1940 de « vider l’Europe de tous ses Juifs » . Elle est supervisée par Theodor Dannecker, conseiller aux affaires juives en France de 1940 à 1942.
Le 27 mars 1942 un convoi de 565 détenus juifs du camp de Drancy est constitué à la gare du Bourget à destination de Compiègne. 547 détenus de Compiègne sont ajoutés à ce convoi, dirigé par le SS Theodor Dannecker. Le convoi de 1 112 personnes, est acheminé dans des wagons de troisième classe à Auschwitz. La majorité des Juifs arrêtés le 12 décembre 1941, dont René Blum et Natan Darty, sont de ce premier convoi. Benjamin Schatzman quant à lui est déporté le 23 septembre 1942 par le convoi n°36, Georges Wellers par le convoi n°76, du 30 juin 1944.
Une plaque commémorative est posée par l’association des Fils et filles de déportés juifs de France en 1999 à l’École militaire.”
Ramón
Acín Aquilué
est né
le 30
août 1888 à
Huesca
(Aragon).
Ce
peintre,
sculpteur
et
pédagogue
est
aussi un militant anarcho-syndicaliste,
membre
de la Confédération nationale du travail (CNT). Il participe aux
congrès de ce syndicat en tant que représentant de la ville de
Huesca où il jouit d’une grande popularité.
Comme pédagogue, il s’inspire des pratiques la Institución Libre de Enseñanza, de l’École Moderne de Francisco Ferrer i Guàrdia, fondée à Barcelone en 1901, et plus tard des apports de Célestin Freinet. Il est professeur de dessin à l’École Normale d’instituteurs de Huesca en 1917. Il crée une académie de dessin chez lui et donne des cours du soir aux ouvriers. Il montre un grand intérêt pour le végétarisme, le naturisme, le respect des animaux et de la nature au nom de la vie.
Ami de Luis Buñuel, il produit en 1932 le film Terre sans pain (Las Hurdes, tierra sin Pan) après avoir gagné à la loterie. Il accompagne son ami en Estrémadure dans Las Hurdes, une des zones les plus misérables d’Espagne. Le documentaire réalisé montre un tableau de misère endémique.
En 2019, le film d’animation Buñuel après l’Âge d’Or (Buñuel en el laberinto de las tortugas) de Salvador Simó retrace l’aventure de ce tournage. Le scénario s’inspire du roman graphique de Fermín Solis, publié en 2008.
Ramón Acín écrit à son ami dans El Diario de Huesca du 19 janvier 1930 “Amigo Buñuel: Tornémonos nidos de gusanos, antes que torcer nuestros comenzados caminos; caminos rectos, sencillos, henchidos de independencia y de humanidad”
Ramón Acín est fusillé par les franquistes contre le mur du cimetière de Huesca le 6 août 1936 ainsi que 138 autres militants de la ville. Son épouse, Conchita Monrás, sera assassinée le 23 août 1936.
Leurs deux filles Katia Acín Monrás (1923-2004) et Sol Acín Monrás (1925-1998), orphelines, vivront avec un oncle paternel. La Fondation Ramón y Katia Acín entreprend depuis 2005 de perpétuer leur mémoire:
Le 5 août 1939, Las Trece Rosas ( Les Treize Roses ), treize jeunes femmes âgées de 18 à 29 ans, la plupart membres des Jeunesses socialistes unifiées ( JSU ), sont fusillées par le régime franquiste à Madrid. Le procès sommaire condamne également cinquante hommes. Une quatorzième jeune fille (Antonia Torre Yela, 19 ans) est exécutée l’année suivante, le 19 février 1940.
Carmen Barrero Aguado (20 ans, modiste). Martina Barroso García (24 ans, modiste). Blanca Brisac Vázquez (29 ans, pianiste). Pilar Bueno Ibáñez (27 ans, modiste). Julia Conesa Conesa (19 ans, modiste). Adelina García Casillas (19 ans, activiste). Elena Gil Olaya (20 ans, activiste). Virtudes González García (18 ans, modiste). Ana López Gallego (21 ans, modiste). Joaquina López Laffite (23 ans, secrétaire). Dionisia Manzanero Salas (20 ans, modiste). Victoria Muñoz García (18 ans, activiste). Luisa Rodríguez de la Fuente (18 ans, modiste).
Depuis 1988 se tient chaque année, le 5 août, une cérémonie en hommage aux Treize Roses, dans le cimetière de la Almudena, à Madrid, face à la plaque commémorative posée en 1988, près du lieu où elles ont été exécutées.
Il y a 85 ans, le vendredi 17 juillet 1936 au Maroc, alors protectorat, et le samedi 18 juillet 1936 en Espagne, des généraux félons (Sanjurjo, Franco, Mola) se soulevaient contre la République. C’était le début de la Guerre civile en Espagne. Une occasion de relire Luis Cernuda évoquant Federico García Lorca.
A UN POETA MUERTO (F.G.L.)
Así como en la roca nunca vemos
La clara flor abrirse,
Entre un pueblo hosco y duro
No brilla hermosamente
El fresco y alto ornato de la vida.
Por esto te mataron, porque eras
Verdor en nuestra tierra árida
Y azul en nuestro oscuro aire.
Leve es la parte de la vida
Que como dioses rescatan los poetas.
El odio y destrucción perduran siempre
Sordamente en la entraña
Toda hiel sempiterna del español terrible,
Que acecha lo cimero
Con su piedra en la mano.
Triste sino nacer
Con algún don ilustre
Aquí, donde los hombres
En su miseria sólo saben
El insulto, la mofa, el recelo profundo
Ante aquel que ilumina las palabras opacas
Por el oculto fuego originario.
La sal de nuestro mundo eras,
Vivo estabas como un rayo de sol,
Y ya es tan sólo tu recuerdo
Quien yerra y pasa, acariciando
El muro de los cuerpos
Con el dejo de las adormideras
Que nuestros predecesores ingirieron
A orillas del olvido.
Si tu ángel acude a la memoria,
Sombras son estos hombres
Que aún palpitan tras las malezas de la tierra;
La muerte se diría
Más viva que la vida
Porque tú estás con ella,
Pasado el arco de tu vasto imperio,
Poblándola de pájaros y hojas
Con tu gracia y tu juventud incomparables.
Aquí la primavera luce ahora.
Mira los radiantes mancebos
Que vivo tanto amaste
Efímeros pasar junto al fulgor del mar.
Desnudos cuerpos bellos que se llevan
Tras de sí los deseos
Con su exquisita forma, y sólo encierran
Amargo zumo, que no alberga su espíritu
Un destello de amor ni de alto pensamiento.
Igual todo prosigue,
Como entonces, tan mágico,
Que parece imposible
La sombra en que has caído.
Mas un inmenso afán oculto advierte
Que su ignoto aguijón tan sólo puede
Aplacarse en nosotros con la muerte,
Como el afán del agua,
A quien no basta esculpirse en las olas,
Sino perderse anónima
En los limbos del mar.
Pero antes no sabías
La realidad más honda de este mundo:
El odio, el triste odio de los hombres,
Que en ti señalar quiso
Por el acero horrible su victoria,
Con tu angustia postrera
Bajo la luz tranquila de Granada,
Distante entre cipreses y laureles,
Y entre tus propias gentes
Y por las mismas manos
Que un día servilmente te halagaran.
Para el poeta la muerte es la victoria;
Un viento demoníaco le impulsa por la vida,
Y si una fuerza ciega
Sin comprensión de amor
Transforma por un crimen
A ti, cantor, en héroe,
Contempla en cambio, hermano,
Cómo entre la tristeza y el desdén
Un poder más magnánimo permite a tus amigos
En un rincón pudrirse libremente.
Tenga tu sombra paz,
Busque otros valles,
Un río donde del viento
Se lleve los sonidos entre juncos
Y lirios y el encanto
Tan viejo de las aguas elocuentes,
En donde el eco como la gloria humana ruede,
Como ella de remoto,
Ajeno como ella y tan estéril.
Halle tu gran afán enajenado
El puro amor de un dios adolescente
Entre el verdor de las rosas eternas;
Porque este ansia divina, perdida aquí en la tierra,
Tras de tanto dolor y dejamiento,
Con su propia grandeza nos advierte
De alguna mente creadora inmensa,
Que concibe al poeta cual lengua de su gloria
Y luego le consuela a través de la muerte.
Poème écrit à Valence du 19 au 23 avril 1937. Il a été publié une première fois sous le titre Elegía a un poeta muerto dans la revue Hora de España VI. Valencia, junio de 1937.
Las nubes, 1937-1940. Buenos Aires, 1943.
La sixième strophe a été censurée lors de la première publication sous l’influence de Wenceslao Roces, communiste et Subsecretario de instrucción Pública du gouvernement républicain.
A un poète mort (F.G.L.)
Comme on ne voit jamais sur le rocher
La claire fleur s’épanouir,
Ainsi ne brille en sa beauté
Parmi un peuple hargneux et dur
L’ornement frais et noble de la vie.
C’est pourquoi ils t’ont tué: tu étais
verdure de notre terre aride,
Azur de notre ciel obscur.
Légère est la part de la vie
Que tels des dieux rachètent les poètes.
La destruction, la haine habitent pour toujours
Sourdement les entrailles
Toute de fiel de l’Espagnol terrible
Qui épie le sublime
Une pierre à la main.
Triste destin celui de naître
Avec un don illustre
Ici, où les hommes
Dans leur misère ne gardent
Qu’insulte, moquerie et défiance profonde
Pour celui qui éclaire les paroles opaques
Du feu secret originel.
Tu étais sel de notre monde,
Vivant tu étais un rayon de soleil,
Et seul voici ton souvenir
Qui passe errant et qui caresse
Le mur des corps
De la saveur de ces pavots
Que nos prédécesseurs ont ingérés
Aux rives de l’oubli.
Si vient ton ange à ta mémoire,
Ce sont des ombres, ces hommes
Qui palpitent encore dans les broussailles de la terre;
On dirait que la mort
Est plus vivante que la vie,
Parce que tu es chez elle,
Passé le porche de son vaste empire,
Et tu la peuples d’oiseaux et de feuilles
Avec ta grâce et ta jeunesse incomparables.
Ici le printemps brille en ce moment.
Vois les radieux garçons
Que vivant tu as tant aimés,
Éphémères passer dans la lueur marine.
Belles nudités qui traînent
Après elles les désirs
Avec leur forme exquise, et ne renferment
Qu’un suc amer, car leur esprit n’habite
Ni lumière d’amour ni hauteur de pensée.
Tout continue de même
Et, comme alors, magique,
Si bien que paraît impossible
L’ombre où tu es tombé.
Mais une immense aspiration secrète nous prévient
Que son aiguillon ignoré ne se peut
Émousser en nous qu’avec la mort,
Comme l’aspiration de l’eau
Á qui ne suffit pas de se sculpter en vagues,
Mais anonyme se veut perdre
Aux limbes de la mer.
Mais avant tu ne connaissais pas
La plus profonde réalité de ce monde:
La haine, la triste haine des humains,
Qui en toi voulut marquer
Par l’horreur de l’acier sa victoire,
Avec ton angoisse ultime
Sous la calme lumière de Grenade,
Lointain parmi cyprès et lauriers,
Parmi les tiens,
Et par les mêmes mains
Qui serviles un jour t’avaient flatté
La mort pour le poète est la victoire;
Un vent démoniaque le pousse dans la vie,
Et si une force aveugle
Sans compréhension ni amour
Par un crime te change,
Toi chanteur, en héros,
Considère en revanche, frère,
Comme dans la tristesse et le dédain
Un pouvoir plus magnanime permet à tes amis
de pourrir dans un coin librement.
Paix à ton ombre,
Qu’elle cherche d’autres vallées,
Une rivière où le vent
Pour une musique parmi les joncs
Et les iris avec le charme
Si vieillot de cette eau éloquente,
Où l’écho telle la gloire humaine roule,
Comme elle en un lointain
Étranger tout comme elle et stérile.
Trouve ton grand désir dépossédé
Le pur amour d’un dieu adolescent
dans la verdeur des roses éternelles;
Car ce désir divin, perdu sur notre terre
Après tant de douleur et d’abandon,
Nous révèle en sa propre grandeur
Je ne sais quel esprit immense et créateur
Qui du poète a fait la langue de sa gloire
Et par-delà la mort ensuite le console.
Le poète Bernard Noël est mort le 13 avril 2021 à Laon (Aisne) à 90 ans. Il était né le 19 novembre 1930 à Sainte-Geneviève-sur-Argence (Aveyron).
J’ai très peu lu ses poèmes. Je me souviens que son récit érotique et baroque Le Château de Cène, publié sous pseudonyme (Urbain d’Orlhac) chez Jérôme Martineau, puis sous son nom en 1972 chez Jean-Jacques Pauvert, lui a valu un procès pour «atteinte aux bonnes mœurs» en 1973. Tous les exemplaires du livre ont été saisis et détruits. L’auteur a été condamné en première instance à payer une amende de 3 000 Francs. Il a bénéficié d’une amnistie après l’arrivée à la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. C’était hier.
Dans son ouvrage L’Outrage aux mots (1975), il dénonce la “sensure”. Ce néologisme, c’est la censure sémantique de ce qu’il nomme le «pouvoir bourgeois». Selon lui, celui-ci “fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage”. Le langage se trouve ainsi peu à peu privé de sens, détourné par le capitalisme, la communication, la télévision. En 1970, Bernard Noël écrit à Serge Fauchereau: « Á un certain moment du gaullisme, le roman érotique m’est apparu comme une arme contre la bêtise politique – la seule arme contre cette société satisfaite et puante ».
Le Chateau de Cène a été réédité par Gallimard en 1990 dans la collection L’Imaginaire. On trouve aussi dans la collection Poésie/Gallimard La Chute des temps (1993) et Extraits du corps (2006).
«Être inacceptable… Il ne s’agissait pas de faire scandale ni violence, mais de céder à l’emportement d’une révolte qui, en soulevant l’imagination, combattait la censure intérieure et la réserve timide. L’écriture fut en tout cas un moment de jubilation et de liberté intenses, car être inacceptable conduit simplement à ne pas accepter les oppressions de l’ordre moral et de sa propre soumission. Ce livre, poursuivi pour outrage aux mœurs, est-il devenu inoffensif ? Ou bien la censure s’est-elle faite plus subtile en privant de sens – donc de plaisir – aussi bien les excès imaginaires que les valeurs raisonnables ?» (Bernard Noël. Quatrième de couverture. Le château de Cène, Gallimard – L’imaginaire, 1990).
Il y a quelques années, j’avais lu avec grand intérêt son Dictionnaire de la Commune (Hazan, 1971, réédité en poche chez Flammarion en 1978, puis chez Mémoire du Livre en 2000). Je l’avais emprunté à ma médiathèque. Je suis retourné le chercher ce matin. J’en ai profité pour demander Le château de cène, mais aussi Les états du corps (Fata Morgana, 1999) et Le roman des postures (Fata Morgana, 2003). Merci les bibliothèques et médiathèques d’exister.
Il était aussi l’ami de Georges Perros qui a écrit en 1977: « Le Bernard Noël que j’ai connu était bardé d’un silence à couper au couteau ». (Bernard Noël-Georges Perros, Correspondances. Éditions Unes, 1998. )
«Mon cher Georges,
tant de silence, comme un désert à franchir maintenant, et dont j’ai assez peur. Vous étiez présent quand même, mais ce qui demeure fixe de mon côté a pu bouger du vôtre… J’aurais préféré venir vous voir. Déjà dit, autrefois. Longtemps malade, l’an passé. Sans doute simplement d’en avoir par dessus la tête du dictionnaire, et surtout de ceux qui le font faire. Plus détaché maintenant, et moins prêt à tomber dans les nostalgies passées. C’est drôle, quand le cœur cède, des tas de mots deviennent inemployables, dont on sait soudain trop bien le sens.»
où est la lettre ?
cette question vient d’un mourant
puis il se tait
tant qu’un homme vit
il n’a pas besoin de compter sa langue
quand un homme meurt
il doit rendre son alphabet
de chaque mort
nous attendons le secret de la vie
le dernier souffle emporte
la lettre manquante
elle s’envole derrière le visage
elle se cache au milieu du nom
Portrait, in La rumeur de l’air. Fata Morgana, 1986. Poésie/Gallimard, 2006. p. 217.