Agustina González López, “la Zapatera”

Agustina González López, “la Zapatera” est née le 3 avril 1891 à Grenade dans le quartier de l’Albaicin, l’ancien quartier arabe. Cette écrivaine et activiste politique fit ses études au Real Colegio de Santo Domingo de la ville. Elle s’intéressait particulièrement à l’astronomie et à la médecine. Quand sa mère devint veuve, elle tomba à 13 ans sous le contrôle de ses frères aînés et de ses oncles paternels. Le conseil de famille lui permit la lecture, mais elle était strictement surveillée. Pour échapper à ce contrôle, elle commença à s’habiller en homme. On la considéra rapidement comme folle et hystérique. Elle voyageait seule et entrait dans les cafés et restaurants de la conservatrice et bourgeoise Grenade : “la peor burguesía de España” disait Federico García Lorca.

Elle publia en 1916 un essai Idearium Futurismo où elle prônait une simplification de l’orthographe et la suppresion de 7 lettres : y, c, h, q, v, x, z. « El sistema futurista de eskribir resuelbe las dificultades ortográfikas por lo mismo ke simplifika la ortografía. Este libro ba todo esckrito en futurismo… » (prologue)

En 1919, il y eut des manifestations contre les pratiques des caciques conservateurs locaux auxquelles participèrent Fernando de los Ríos, avocat et futur député socialiste, mais aussi deux groupes féministes la Juventud Universitaria Femenina (Milagro Almenara, pharmacienne fusillée le 2 novembre 1936 elle aussi entre Viznar et Alfacar) et la Agrupación Feminista Socialista (présidée par Agustina González López). Cette association regroupait 200 membres.

Á cette époque, Agustina González López fit la connaissance de Federico García Lorca qui vivait à 100 mètres de chez elle. Elle lui aurait inspiré le personnage de La zapatera prodigiosa (1930) et aussi par certains traits celui d’Amelia dans La casa de Bernarda Alba (1936). Agustina González utilisait le prénom Amelia pour signer certains de ses écrits.

En 1927 et 1928, elle publia deux autres essais Justificación et Las Leyes secretas. Membre de la franc-maçonnerie, elle exprimait sa liberté de pensée, sa conception théosophique de la vie et de la mort, ses idées féministes et progressistes. Elle publiait ses livres à compte d’auteur et les vendait dans son magasin de chaussures, calle de Mesones n°6.

Elle écrivit aussi deux pièces de théâtre Cuando la vida calla et Los prisioneros del espacio.

Elle souhaitait supprimer les frontières, créer une monnaie universelle et en finir avec les famines. Elle créa le Partido Entero Humanista et se présenta aux élections législatives de 1933. Elle obtint seulement 15 voix.

Après le coup d’état franquiste, elle fut emprisonnée, puis transférée à Viznar et fusillée avec deux autres femmes en août 1936. On ne connaît pas exactement la date de sa mort. La légende populaire affirme qu’elle mourut en contemplant les étoiles qu’elle avait tant étudiées. Le fasciste Juan Luis Trescastro Medina (1877 -1954), avocat et membre de la CEDA, se vantait après-guerre dans les bars de Grenade d’avoir tué Federico García Lorca (« le metí dos tiros en el culo, por maricón ») et d’avoir exécuté Agustina González (« por puta »). Elle fut condamnée a posteriori ( juillet 1941) par la justice franquiste et sa famille dut payer une amende de 8 000 pesetas.

Sources :
Enriqueta Barranco Castillo. Agustina González López (1891-1936). Espiritista, teósofa, escritora y política, Editorial Universidad de Granada. 2019.

Javier Arroyo. Kedan suprimidas por konpleto siete konsonantes del kastellano. El País, 17/12/2019.

Juan I. Pérez. Agustina González López, La Zapatera, fusilada por romper moldes. Blog Foro de la Memoria. El Independiente de Granada, 7/09/2019.

Marta Sánchez Gento. La Zapatera, una granaína cruelmente asesinada que inventó el lenguaje del chat en los años 20. La Voz del sur, 15/11/2021.

Manifestation à Grenade. Mai 1931. Agustina González, ‘la Zapatera’ se trouve au centre.

Île de Pâques

Moaïs sur le flanc du volcan Rano Raraku dans l’est de l’île de Pâques. Janvier 2018.

Le Monde, 8 octobre 2022

Sur l’île de Pâques, les célèbres statues moaïs ont subi des « dommages irréparables » à la suite d’un incendie

Un cinquième des sculptures moaïs, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité, ont été abîmées par le feu qui a ravagé le Parc national Rapa Nui.

Environ 80 statues moaïs, emblématiques de l’île de Pâques, ont été endommagées, parfois de manière « irrémédiable », par un incendie qui s’est déclaré en début de semaine dans l’île située à 3 500 kilomètres des côtes chiliennes. « L’incendie de la carrière du volcan Rano Raraku a été éteint (…), causant toutefois des dommages irréparables au Patrimoine culturel de l’humanité », a déclaré vendredi 7 octobre le président chilien, Gabriel Boric.

Une centaine d’hectares du Parc national Rapa Nui ont été dévastés. Le feu a atteint la zone du volcan Rano Raraku, et la carrière où l’ancienne civilisation indigène Rapa Nui fabriquait ses statues moais. On y compte 416 de ces sculptures à différents stades de fabrication.

Les engins de pompiers n’ont pu accéder au site

En raison des flammes, de la fumée et de l’eau, environ 20 % des statues du site ont été endommagées, selon le maire de l’île, Pedro Edmunds, qui affirme que l’une d’elles a subi des « dommages irrémédiables ».

« Elle va rester là, telle quelle, jusqu’à ce que nous évaluions les dégâts, et puis nous ferons appel à l’humanité pour voir quelle solution nous pouvons envisager. » (…)

En raison de la géographie, les engins des pompiers n’ont pas pu accéder au site même de l’incendie, vraisemblablement d’origine criminelle. « Cet incendie a été provoqué par les éleveurs de bétail pour les pâturages. Tout l’indique », a déclaré le ministre de l’agriculture chilien, Esteban Valenzuela…”

Cette nouvelle me donne envie de crier.

Moaï abîmé par l’incendie de Rapa Nui, le 6 octobre 2022 (AFP).

Federico García Lorca – Antonio Machado

Georges Soria-Federico García Lorca (Chim – David Seymour). Madrid, Plaza Mayor. Printemps-été 1936.

Le poète fut arrêté dans sa ville de Grenade le 16 août 1936. Il s’était réfugié dans la maison de la famille Rosales Camacho, calle Angulo número 1 . Il s’y croyait à l’abri puisque les fils de cette famille étaient des membres influents de la Phalange, l’organisation fasciste de José Antonio Primo de Rivera. Federico était très ami avec le poète Luis Rosales (1910-1992, Prix Cervantès 1982), le plus jeune des frères. Dans la nuit du 17 au 18 août 1936, probablement vers deux heures du matin, il fut transféré en voiture jusqu’au village de Viznar, à neuf kilomètres de là. Peu de temps après, il fut assassiné près du village voisin d’Alfacar avec trois autres personnes : l’instituteur de Pulianas Dióscoro Galindo González et deux banderilleros célèbres de de Grenade: Francisco Galadí Melgar (“el Colores”) et Joaquín Arcollas Cabezas (“Magarza”), membres du syndicat anarchiste CNT. L’historien anglais Paul Preston estime qu’il y eut 5000 exécutions à Grenade pendant la Guerre civile.

La publication dans un hors-série du « Figaro » (28 juillet 2022) d’un entretien de huit pages de la journaliste Isabelle Schmitz avec l’essayiste d’extrême droite Pío Moa, pour qui les gauches sont entièrement responsables du déclenchement de la guerre civile en Espagne en 1936, a suscité l’indignation de nombreux historiens. Comment peut-on publier en France un livre de ce pseudo-historien engagé dans sa jeunesse dans les GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre), groupuscule terroriste d’inspiration maoïste et condamné par la justice espagnole en 1983 ? Les Éditions L’Artilleur ont pourtant traduit et édité son livre révisionniste Les Mythes de la guerre civile 1936-1939, sorti en Espagne en 2003.

Antonio Machado écrivit ce poème au mois d’octobre 1936. Il en donna une lecture publique, à Valence, sur la Place Castelar.

El crimen fue en Granada (Antonio Machado)

A Federico García Lorca

I

El crimen

Se le vio, caminando entre fusiles,
por una calle larga,
salir al campo frío,
aún con estrellas, de la madrugada.
Mataron a Federico
cuando la luz asomaba.
El pelotón de verdugos
no osó mirarle la cara.
Todos cerraron los ojos;
rezaron: ¡ni Dios te salva!
Muerto cayó Federico
– sangre en la frente y plomo en las entrañas –
…Que fue en Granada el crimen
sabed – ¡pobre Granada! -, en su Granada.

II

El poeta y la muerte

Se le vio caminar solo con Ella,
sin miedo a su guadaña.
– Ya el sol en torre y torre, los martillos
en yunque – yunque y yunque de las fraguas.
Hablaba Federico,
requebrando a la muerte. Ella escuchaba.
“Porque ayer en mi verso, compañera,
sonaba el golpe de tus secas palmas,
y diste el hielo a mi cantar, y el filo
a mi tragedia de tu hoz de plata,
te cantaré la carne que no tienes,
los ojos que te faltan,
tus cabellos que el viento sacudía,
los rojos labios donde te besaban…
Hoy como ayer, gitana, muerte mía,
qué bien contigo a solas,
por estos aires de Granada, ¡mi Granada!”

III

Se le vio caminar…
Labrad, amigos,
de piedra y sueño, en el Alhambra,
un túmulo al poeta,
sobre una fuente donde llore el agua,
y eternamente diga:
el crimen fue en Granada, ¡en su Granada!

Le crime a eu lieu à Grenade

A Federico García Lorca

I

Le crime

On le vit, avançant au milieu des fusils,
Par une longue rue,
Sortir dans la campagne froide,
Sous les étoiles, au point du jour.
Ils ont tué Federico
Quand la lumière apparaissait.
Le peloton de ses bourreaux
N’osa le regarder en face.
Ils avaient tous fermé les yeux ;
Ils prient : Dieu même n’y peut rien !
Et mort tomba Federico
– Du sang au front, du plomb dans les entrailles –
… Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade
– Pauvre Grenade! – , sa Grenade…

II

Le poète et la mort

On le vit s’avancer seul avec Elle,
Sans craindre sa faux.
– Le soleil déjà de tour en tour, les marteaux
Sur l’enclume – sur l’enclume des forges.
Federico parlait ;
Il courtisait la mort. Elle écoutait
« Puisque hier, ma compagne, résonnaient dans mes vers
Les coups de tes mains desséchées,
Qu’à mon chant tu donnas ton froid de glace
Et à ma tragédie le fil de ta faucille d’argent,
Je chanterai la chair que tu n’as pas,
Les yeux qui te manquent,
Les cheveux que le vent agitait,
Les lèvres rouges que l’on baisait…
Aujourd’hui comme hier, ô gitane, ma mort,
Que je suis bien, seul avec toi,
Dans l’air de Grenade, ma Grenade !»

III

On le vit s’avancer…
Élevez, mes amis,
Dans l’Alhambra, de pierre et de songe,
Un tombeau au poète,
Sur une fontaine où l’eau gémira
Et dira éternellement :
Le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !

Poésie de guerre, 1936-1939. Traduction : Bernard Sesé.

Baeza (Jaén), calle san Pablo. Statue d’ Antonio Machado (Antonio Pérez Almahan) (2009).

La Grande Rafle (La Gran Redada o Prisión general de gitanos ).

L’Espagne est le pays d’Europe qui accueille la plus grande communauté de Gitans. Ils sont présents dans le pays depuis le début du XVe siècle. Ils seraient arrivés en 1425 comme pèlerins chrétiens et auraient obtenu un laissez-passer du roi d’Aragon, Alfonso V (1396-1458). Au début du XXIe siècle, il y avait environ 800 000 Gitans dans la péninsule.
Le 30 juillet 1749, est un jour marqué d’infamie dans l’histoire de l’Espagne. Un plan fut imaginé par l’évêque d’Oviedo (Asturies), alors gouverneur du Conseil de Castille, Gaspar Vázquez Tablada (1688-1749). Il fut mené à bien par le Marquis de La Ensenada (1706-1781), principal ministre du roi Ferdinand VI (1713-1759, roi d’Espagne et des Indes de 1746 à 1759, troisième de la dynastie des Bourbons, surnommé «el Prudente» ou «el Justo» !) qui autorisa l’opération. Le père jésuite Francisco Rávago, confesseur de Ferdinand VI déclara : « Les moyens proposés par le gouverneur du conseil pour extirper cette mauvaise race odieuse à Dieu et pernicieuse pour l’homme me semblent bons. Le roi ferait un grand cadeau à Dieu, notre Seigneur, s’il parvenait à se débarrasser de ces gens. ». L’opération reçut de plus l’aval du Vatican.

Marquis de La Ensenada v 1750. (Jacopo Amigoni 1682 – 1752).


Au cours de ce « mercredi noir », entre 9 000 et 12 000 gitans ( hommes, femmes et enfants ) furent arrêtés. Les hommes et les enfants de plus de 7 ans furent envoyés aux travaux forcés dans les arsenaux de la marine ; les femmes et les enfants de moins de 7 ans furent incarcérés ou condamnés à des travaux forcés. Pendant leur captivité, de nombreuses femmes gitanes prirent soin de bébés arrachés à des familles qui avaient été dispersées dans les régions les plus inhospitalières de la péninsule et même au nord du Maroc.
Les Gitans vécurent alors une période de terreur. Ils étaient accusés d’être des délinquants, de ne pas accepter les lois de la monarchie absolue, de ne pas respecter certains dogmes de l’Église catholique. Du jour au lendemain, on leur enleva leurs moyens de subsistance et on les éloigna de leurs foyers. Leurs biens furent saisis et vendus aux enchères pour couvrir les frais encourus par cette opération qui fut coordonnée par les autorités sur l’ensemble du territoire national. Il s’agissait d’un véritable plan de réclusion et d’extermination. Ce n’était pas le premier. Des rafles assez similaires avaient eu lieu en 1571 et 1637, mais elles ne furent pas aussi impitoyables. On doit rappeler qu’en 1749 les Gitans étaient déjà installés dans les villes. Dès 1499, ils ne pouvaient exercer que certains métiers et le nomadisme était interdit (“Pragmática” de Medina del Campo.)
Pendant ces années d’enfermement, il y eut des mutineries et des révoltes, menées le plus souvent par les femmes. De grandes évasions eurent lieu aussi, par exemple celle de la Casa de La Misericordia de Saragosse. Certaines furent couronnées de succès.

Cadix, Château de Santa Catalina.


Une amnistie fut promulguée en 1763 sous le règne de Charles III (1716-1788, roi d’Espagne de 1759 à 1788), mais il fallut attendre 1765 pour qu’elle soit effective. Pendant seize ans, des hommes, des femmes et des enfants moururent à cause des conditions de vie déplorables et de la répression militaire.
La culture et l’existence même du peuple gitan étaient niées. La communauté Rom d’Espagne toute entière ne s’est jamais remise complètement de ce sombre épisode du Siècle des Lumières. En effet, la rafle a eu des effets dévastateurs. Les structures internes de la communauté ont été bouleversées à la suite de la déportation, de l’internement, de l’envoi aux travaux forcés, des mauvais traitements et du meurtre de milliers de ses membres. Les spécialistes en veulent pour preuve la disparition, au bout de quelques décennies, du « caló », mélange de romani et de castillan propre aux Roms d’Espagne. La confiance dans les institutions et dans ses dirigeants a été mise à mal et cela dure encore aujourd’hui. Le traitement auquel a été soumis cette communauté n’a fait qu’accentuer le racisme et la marginalisation sociale. Le pouvoir civil, militaire et religieux a légitimé par ses actes l’idée que les Gitans n’étaient pas dignes de respect et de confiance.
Les préjugés envers les Gitans sont encore profondément ancrés dans la population espagnole. Le règlement de la Garde Civile précisait encore en 1978 : “ Se vigilará escrupulosamente a los gitanos, cuidando mucho de reconocer todos los documentos que tengan, confrontar sus señas particulares, observar sus trajes, averiguar su modo de vida […] ”.
Des associations et des instances représentatives ont vu le jour dans les années 1980 et ont lutté pour une meilleure intégration grâce à l’éducation et au travail. L’Espagne est l’un des rares pays à avoir donné a cette communauté le statut de minorité nationale. Le 30 juillet 2020, Pablo Iglesias, alors vice-président du gouvernement de Pedro Sánchez, a demandé pardon au peuple gitan pour le racisme institutionnel.

Les Gitans sont souvent socialement marginalisés mais culturellement appréciés.

La camisa de Camarón (Pablo Julià) 1989.

https://www.youtube.com/watch?v=tTvqC0pJsck

(Merci à Alfon Fernández)

Guernica – Pablo Picasso – Paul Éluard

Guernica, 1937.

Le lundi 26 avril 1937, jour de marché, a lieu une attaque aérienne contre la petite ville de Guernica, capitale sprituelle du Pays basque . Sous le nom de code opération Rügen, 44 avions de la Légion Condor allemande nazie et 13 avions de l’Aviation Légionnaire italienne fasciste procèdent au bombardement de la ville . L’attaque commence à 16 h 30, aux bombes explosives puis à la mitrailleuse pendant plus de trois heures. Après avoir lâché quelque cinquante tonnes de bombes incendiaires, les derniers avions quittent le ciel de Guernica vers 19 h 45. Après le bombardement, un cinquième de la ville est en flammes. Le feu se propage au deux tiers des habitations. Le gouvernement basque fait état de 1 654 morts et 889 blessés.  Il s’agit du premier raid de l’histoire de l’aviation militaire moderne sur une population civile sans défense. La contre-propagande fasciste a accusé les habitants d’avoir eux-mêmes fomenté cette opération. Aujourd’hui encore, des militants du parti fasciste espagnol Vox nie les faits.

Pablo Picasso a réalisé, dans son atelier de la rue des Grands-Augustins à Paris, son plus célèbre tableau (349,31 × 776,61 cm) du 1 mai au 4 juin 1937. Il l’ a exposé à l’Exposition internationale de Paris du 12 juillet 1937 à la fin de l’année 1937. Il s’agissait d’un commande du gouvernement de la République espagnole.

Le tableau a été conservé au MoMa de New York pendant la dictature franquiste. Il a été transféré en Espagne le 11 septembre 1981 et installé dans le Casón del Buen Retiro à Madrid. Il est alors protégé par des vitres anti-balles et par la Garde civile. Depuis 1992, le tableau est exposé au Musée national centre d’art Reina Sofía. Depuis 1995, il n’y a plus de vitres anti-balles.

L’amitié entre Paul Éluard et Pablo Picasso a été très forte entre 1935 et 1952, date de la mort du poète.

La victoire de Guernica (Paul Éluard)

I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs

II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups

III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple

IV
La mort cœur renversé

V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie

VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses

VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs

IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent

X

Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang

XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile

XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché

XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir

XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.

Cours naturel, 1938.

Paul Éluard – Pablo Picasso, Juan-les-Pins. Septembre 1937. (Eileen Agar)

25 avril – Sophia de Mello Breyner

Le 25 avril, ce sera toujours pour moi le 25 avril 1974. La révolution des Œillets (revolução dos cravos) au Portugal mettait fin à quarante-huit ans de dictature et permettait la fin des guerres et la décolonisation: Angola, Mozambique, Cap-Vert, Sao-Tomé-et-Principe et Guinée-Bissau.

Relisons Sophia de Mello Breyner, une des plus importantes poétesses portugaises.

25 de abril (Sophia de Mello Breyner)

Esta é a madrugada que eu esperava
O dia inicial inteiro e limpo
Onde emergimos da noite e do silêncio
E livres habitamos a substância do tempo

25 avril

Voici le matin que j’attendais
Le jour premier net et plein
Où nous émergeons de la nuit et du silence
et habitons libre la substance du temps

Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.

Revolução (Sophia de Mello Breyner)

Como casa limpa
Como chão varrido
Como porta aberta

Como puro início
Como tempo novo
Sem mancha nem vício

Como a voz do mar
Interior de um povo

Como página em branco
Onde o poema emerge

Como arquitectura
Do homem que ergue
Sua habitação

27 de Abril de 1974.

Révolution

Comme une maison propre
Comme un plancher balayé
Comme une porte ouverte

Comme le pur commencement
Comme le temps nouveau
Sans tache ni vice

Comme la voix de la mer
Intérieure d’un peuple

Comme la page blanche
D’où le poème émerge

Comme l’architecture
De l’homme qui construit
Son habitation

Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.

Revolução-Descobrimento (Sophia de Mello Breyner)

Revolução isto é: descobrimento
Mundo recomeçado a partir da praia pura
Como poema a partir da página em branco
— Katharsis emergir verdade exposta
Tempo terrestre a perguntar seu rosto

Révolution-Découverte

Révolution c’est à dire découverte
Monde qui recommence à partir de la plage pure
Comme le poème à partir de la page blanche
– Catharsis émergence vérité nue
Temps terrestre qui cherche son visage

Malgré les ruines et la mort. Éditions de la Différence, 2000. Traduction Joaquim Vidal.

Zeca Afonso (1929-1987) : Grândola, Vila Morena.

https://www.youtube.com/watch?v=gaLWqy4e7ls

Zeca Afonso.

Leopoldo Alas dit Clarín 1852 – 1901

Oviedo. Campo de San Francisco. Monument à Clarín (Víctor Hevia et Manuel Álvarez Laviada) 1931.

Leopoldo Alas (Leopoldo Enrique García-Alas y Ureña) est né le 25 avril 1852 à Zamora. Il publie sous le pseudonyme de Clarín des articles de presse (plus de deux mille), des critiques littéraires, des récits courts (une centaine de contes ou de nouvelles) et deux romans (La Regenta, 1884-1885 – Su único hijo, 1890). C’est le grand romancier espagnol du XIX ème siècle avec Benito Pérez Galdós. Il fait des études de droit à Oviedo (Licence en droit civil et canonique en 1871), puis à Madrid (Docteur en droit en 1878 ; titre de sa thèse : El Derecho y la Moralidad- Le Droit et la Moralité). Il suit les cours des professeurs krausistes de l’université de Madrid, Nicolás Salmerón et Francisco Giner de los Ríos. Leurs idées progressistes font naître en lui le doute et le scepticisme philosophique et religieux. Francisco Giner de los Ríos, fondateur en 1876 et directeur de l’Institution libre d’enseignement (Institución Libre de Enseñanza), sera le directeur de sa thèse. Leopoldo Alas obtient une chaire d’Économie Politique et de Statistique à Saragosse en 1882, puis de Droit Romain à Oviedo en 1883. Il enseignera à dans cette ville pendant dix-huit ans.

La Regenta est un long roman qu’il publie en deux tomes en 1884 et 1885. L’action se déroule à Vetusta, une ville de province imaginaire qui ressemble beaucoup à Oviedo. Ana Ozores, à l’âme noble et au coeur pur, échoue là après avoir épousé le vieux Victor Quintanar, président du tribunal territorial (El Regente). Elle s’ennuie terriblement dans cette société bourgeoise et provinciale aux allures vertueuses. Désespérée par le vide et la monotonie de sa vie, en quête d’absolu, elle choisit de s’échapper de la réalité de deux façons, le mysticisme et une passion amoureuse effrénée, ce qui déclenche le scandale. Lors de sa publication, l’évêque d’Oviedo, Ramón Martínez Vigil, accuse l’écrivain de brigandage moral. Il dénonce « un roman saturé d’érotisme, et outrageant pour les pratiques chrétiennes. » Clarín fait une acerbe critique de la société de la Restauration de la Monarchie d’Alfonso XII (1874), de la corruption politique, de l’inculture sociale et une féroce dénonciation des mœurs cléricales. Il meurt le 13 juin 1901 d’une tuberculose intestinale à 49 ans.

Monument à la mémoire de Leopoldo Alas Argüelles près du lieu où il a été fusillé.

Son fils aîné, Leopoldo Alas Argüelles (Leopoldo García-Alas García-Argüelles), naît à Oviedo le 12 novembre 1883. Il obtient sa licence de droit en 1904. Il voyage en Allemagne pour améliorer sa formation et préparer sa thèse: Las fuentes del Derecho y el Código Civil alemán. Le déclenchement de la Première Guerre Mondiale le fait rentrer en Espagne. En 1920, il obtient la chaire de Droit civil de l’université d’Oviedo. Il est membre du Parti Socialiste (PSOE), puis du Partido Republicano Radical Socialista, et enfin d’ Izquierda Republicana, le parti de Manuel Azaña. Á l’avènement de la République, il est élu député en juin 1931 (Coalition entre républicains et socialistes). Il sera aussi sous-secrétaire du Ministère de la Justice. Il est recteur de l’université d’Oviedo de mai 1931 à 1936. Lors de la révolution d’octobre 1934 aux Asturies, l’Université et la Bibliothèque d’Oviedo sont détruites. Il s’emploie à les reconstruire : “Sin libros no hay Universidad”. Il est arrêté le 29 juillet 1936. Un conseil de guerre le condamne à mort le 21 janvier 1937. Il est fusillé le 20 février 1937 dans la prison d’Oviedo. La haine de certains secteurs, particulièrement les secteurs ecclésiastiques contre son père ne sont pas étrangers à cette vengeance même si Clarín est mort depuis plus de trente ans. « Matan en mí la memoria de mi padre. », aurait-il dit en prison à un ami.

Clarín connaissait sa ville à fond. Les lecteurs reconnaissaient parfaitement certaines familles, les lieux de pouvoir (la cathédrale, l’hôtel de ville, l’université) dans ce roman à clefs. Le pivot de la vie à Vetusta reste toujours la noblesse, représentée par la maison du marquis de Vegallana.

Ricardo Labra vient de publier El caso Alas «Clarín». La memoria y el canon literario.(Colección Luna de abajo Alterna n°7.)

Leopoldo Alas, Clarín. La Regenta.Incipit.

“La heroica ciudad dormía la siesta. El viento sur, caliente y perezoso, empujaba las nubes blanquecinas que se rasgaban al correr hacia el norte.En las calles no había más ruido que el rumor estridente de los remolinos de polvo, trapos, pajas y papeles, que iban de arroyo en arroyo, de acera en acera, de esquina en esquina, revolando y persiguiéndose, como mariposas que se buscan y huyen y que el aire envuelve en sus pliegues invisibles. Cual turbas de pilluelos, aquellas migajas de la basura, aquellas sobras de todo, se juntaban en un montón, parábanse como dormidas un momento y brincaban de nuevo sobresaltadas, dispersándose, trepando unas por las paredes hasta los cristales temblorosos de los faroles, otras hasta los carteles de papel mal pegados a las esquinas, y había pluma que llegaba a un tercer piso, y arenilla que se incrustaba para días, o para años, en la vidriera de un escaparate, agarrada a un plomo.
Vetusta, la muy noble y leal ciudad, corte en lejano siglo, hacia la digestión del cocido y de la olla podrida, y descansaba oyendo entre sueños el monótono y familiar zumbido de la campana del coro, que retumbaba allá en lo alto de la esbelta torre en la Santa Basílica. La torre de la catedral, poema romántico de piedra, delicado himno, de dulces líneas de belleza muda y perenne, era obra del siglo diez y seis, aunque antes comenzada, de estilo gótico, pero, cabe decir, moderado por un instinto de prudencia y armonía que modificaba las vulgares exageraciones de esta arquitectura. La vista no se fatigaba contemplando horas y horas aquel índice de piedra que señalaba al cielo; no era una de esas torres cuya aguja se quiebra de sutil, más flacas que esbeltas, amaneradas, como señoritas cursis que aprietan demasiado el corsé; era maciza sin perder nada de su espiritual grandeza, y hasta sus segundos corredores, elegante balaustrada, subía como fuerte castillo, lanzándose desde allí en pirámide de ángulo gracioso, inimitable en sus medidas y proporciones. Como haz de músculos y nervios la piedra enroscándose en la piedra trepaba a la altura, haciendo equilibrios de acróbata en el aire; y como prodigio de juegos malabares, en una punta de caliza se mantenía, cual imantada, una bola grande de bronce dorado, y encima otra más pequeña, y sobre esta una cruz de hierro que acababa en pararrayos.

La Régente. Fayard, 1987. Traduction : Albert Belot, Claude Bleton, Jean-François Botrel. Robert Jammes, Yvan Lissorgues (coordinateur). Incipit.

« L’héroïque cité faisait la sieste. Chaud et paresseux, le vent du sud poussait de pâles nuages qui se déchiraient dans leur course vers le nord. Dans les rues, point d’autre bruit que la rumeur stridente des tourbillons de poussière, de chiffons, de brins de paille et de papiers qui allaient de caniveau en caniveau, de trottoir en trottoir, d’un coin de rue à l’autre, voltigeant et se poursuivant comme des papillons qui se cherchent et se fuient et que l’air enveloppe dans ses plis invisibles. Tels des bandes de gosses, ces débris d’ordures, ces restes de n’importe-quoi s’amassaient, s’arrêtaient un moment, comme endormis, et, réveillés en sursaut, bondissaient à nouveau et se dispersaient, les uns grimpant le long des murs jusqu’aux carreaux branlants des réverbères, d’autres jusqu’aux affiches de papier mal collés au coin des rues et telle plume atteignait même un troisième étage, et tel grain de sable s’incrustait pour des jours, voire pour des années, dans la vitrine d’une devanture, accroché à un plomb.
Vetusta, la très noble et très loyale cité, ville de cour en un siècle lointain, digérait son pot-au-feu et son bouilli et se reposait en écoutant dans un demi-sommeil le tintement monotone et familier de la cloche du chapitre qui résonnait là-haut au sommet de la tour élancée, dans la Sainte Basilique. La tour de la cathédrale, romantique poème de pierre, hymne délicat, aux douces lignes d’une beauté muette et pérenne, ouvrage du seizième siècle, bien que commencé plus tôt, était de style gothique, mais modéré, si l’on peut dire, par un instinct de prudence et d’harmonie qui tempérait les outrances les plus vulgaires de cette architecture. Le regard ne se lassait pas de contempler, des heures durant, cet index de pierre, pointé vers le ciel ; ce n’était pas une de ces tours dont la flèche s’amenuise au point de se briser, une de ces tours plus grêles qu’élancées, maniérées, comme des mijaurées serrant trop leur corset ; elle était massive sans rien perdre de sa grandeur spirituelle et s’élevait comme une forteresse jusqu’aux deuxièmes galeries, élégantes balustrades, et de là, s’élançait en une pyramide à la pente gracieuse, aux mesures et proportions inimitables. Tel un faisceau de muscles et de nerfs, la pierre enlacée à la pierre s’élevait vers les hauteurs en des prouesses dignes d’équilibristes et, tour de force prodigieux, sur une pointe de calcaire se maintenait, comme aimantée, une grosse boule de bronze doré, avec au-dessus une autre boule plus petite, elle-même surmontée d’une croix de fer qui s’achevait en paratonnerre. »

La Regenta. Excipit.

« Celedonio sintió un deseo miserable, una perversión de la perversión de su lascivia: y por gozar un placer extraño, o por probar si lo gozaba, inclinó el rostro asqueroso sobre el de la Regenta y le besó los labios.
Ana volvió a la vida rasgando las nieblas de un delirio que le causaba náuseas.
Había creído sentir sobre la boca el vientre viscoso y frío de un sapo. »

La Régente. Excipit.

« Celedonio éprouva un désir ignoble, une perversion de sa perversion lascive: pour jouir d’un plaisir nouveau ou pour voir s’il en tirerait jouissance, il pencha son visage répugnant sur celui de la régente et baisa ses lèvres.
Ana revint à la vie, déchirant les brumes d’un délire qui lui donnait la nausée.
Elle avait cru sentir sur sa bouche le ventre froid et visqueux d’un crapaud. »

Paul Preston II

Le colonel Antonio Vallejo-Nágera (1889-1960) dirigea les Services Psychiatriques de l’armée franquiste et créa le 23 août 1938 avec l’accord du général Franco le Cabinet d’investigations psychologiques (Gabinete de Investigaciones Psicológicas). Cet organisme n’avait pas d’autre précédent que L’Ahnenerbe (ou plus exactement Ahnenerbe Forschungs und Lehrgemeinschaft, c’est-à-dire la Société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral ), institut de recherches pluridisciplinaire nazi, créé par Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le 1er juillet 1935. On surnomme parfois Vallejo-Nágera, qui sera aussi professeur de psychiatrie à l’Université de Madrid de 1947 à 1959, le “Mengele espagnol”.

Paul Preston. Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Éditions Tallandier. Collection Texto. 2019. Pages 779-781.

” En 1943, plus de dix mille enfants sont placés dans des orphelinats religieux. La justification de cette politique est fournie par le chef des services psychiatriques de l’armée rebelle, le commandant Antonio Vallejo-Nágera.

Obsédé par un besoin de pureté raciale, Vallejo a écrit en 1934 un livre défendant la castration des psychopathes. Membre du corps médical de l’armée, il a servi au Maroc et a passé du temps en Allemagne pendant la Première Guerre mondiale pour visiter les camps de prisonniers. Il a aussi rencontré les psychiatres allemands Ernst Kretschmer, Julius Schwalbe et Hans Walter Gruhle, dont le travail l’influence profondément. Pendant la guerre civile, il est nommé chef des services psychiatriques de l’armée rebelle. En août 1938, il demande à Franco la permission de créer le Laboratoire des enquêtes psychologiques. Deux semaines plus tard, il en reçoit l’autorisation. Son but est de pathologiser les idées de gauche. Pour le plus grand bonheur du haut commandement militaire, ses travaux fournissent des arguments « scientifiques » justifiant l’idée que les adversaires sont des sous-hommes, et il est promu colonel.

Vallejo est à la recherche des facteurs environnementaux qui favorisent “le gène rouge” et des liens entre marxisme et déficience mentale; cette quête prend la forme de tests psychologiques réalisés sur des prisonniers déjà épuisés et mentalement angoissés. Son équipe se compose de deux médecins, d’un criminologue et de deux conseillers scientifiques allemands. Ses cobayes sont des membres des Brigades internationales capturés à san Pedro de Cardeña et cinquante détenues républicaines de Málaga, dont trente ont été condamnées à mort. Partant du principe qu’elles sont dégénérées et donc enclines à la criminalité marxiste, il explique la “criminalité révolutionnaire féminine” en référence à la nature animale de la psyché féminine et la “nature sadique marquée” qui se donne libre cours quand les circonstances politiques permettent aux femmes de “satisfaire leurs appétits sexuels latents”.

Les théories de Vallejo sont utilisées pour justifier la séquestration d’enfants républicains et sont rassemblées dans un livre intitulé Eugénisme de l’hispanité et régénération de la race (Burgos, Talleres gráficos El Noticiero, 1937). Plus écologique que biologique ce racisme eugéniste postule qu’une race est constituée par une série de valeurs culturelles. En Espagne, ces valeurs, bases indispensables de la santé nationale, sont hiérarchiques, militaires et patriotiques. Tout ce que la République et la gauche représentent leur est hostile et doit donc être éradiqué. Obsédé par ce qu’il appelle “la tâche transcendante de purification de la race”, son modèle est l’Inquisition qui a autrefois protégé l’Espagne l’Espagne des doctrines nocives. Il préconise “une Inquisition modernisée, avec d’autres orientations, buts, moyens et une autre organisation; mais une Inquisition” tout de même. La santé de la race exige que ses enfants soient séparés de leur mère “rouge”.

L’application de ces théories est facilitée par les liens de Vallejo avec Franco (dont l’épouse, Carmen Polo, est une amie de sa femme) et avec la Phalange. Reprenant ses travaux sur les liens entre marxisme et déficience mentale, il consacre un livre à la psychopathologie de la guerre, qu’il dédie “en hommage respectueux et admiratif à l’impérial et invaincu Caudillo”. Vallejo a aussi un lien direct avec l’organisation du régime qui veille sur les orphelins de guerre, Auxilio social, par le biais de son ami le psychiatre Jesús Ercilla Ortega (1907-1984). Ami proche d’Onésimo Redondo, Ercilla est l’un des fondateurs des JONS (Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista), membre du comité exécutif d’Auxilio social, il en est le conseiller médical et assure la liaison avec d’autres groupes. Après la guerre, Ercilla est nommé directeur médical de la clinique psychiatrique de San José, à Ciempozuelos, que dirige officiellement Vallejo Nágera. Franco lui-même est enthousiasmé par le travail d’Auxilio social avec les orphelins républicains, et y voit une contribution majeure à la “rédemption” à long terme des espagnols après leurs erreurs inspirées par la gauche. Un élément-clé du processus est la loi du 14 décembre 1941, qui légalise le changement de nom des orphelins républicains, des enfants de prisonniers incapables de veiller sur eux, et des bébés retirés (souvent par la force) à leur mère aussitôt après leur naissance en prison.”

Paul Preston I

J’ai passé plusieurs jours à lire un livre de l’historien anglais Paul Preston, professeur d’études contemporaines en espagnol à la London School of Economics, maintenant à la retraite: Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945 (The Spanish : Inquisition and Extermination in Twentieth-Century Spain, 2012). Première édition Belin/ Humensis, 2016. En poche: Éditions Tallandier. Collection Texto, 2019. On remarquera la traduction du titre en français qui évite l’emploi du terme Holocauste utilisé en France seulement dans le cadre de l’extermination nazie.

Cette lecture a été très douloureuse car elle décrit dans le détail la terreur et les atrocités innombrables de la guerre civile espagnole.

L’historien anglais insiste sur l’idée d’une guerre d’extermination dans laquelle la violence de droite a débouché sur un plan d’élimination systématique des adversaires de gauche. Il montre ce que fut la réalité de la violence politique et de la guerre dans toute l’Espagne. Il met en lumière la violence profondément enracinée dans les rapports sociaux et dans les pratiques militaires, notamment celles ayant cours dans le Maroc colonisé par l’Espagne: viols systématiques, tortures, sadisme, mépris des cadavres, assassinat de femmes enceintes.

Néanmoins, il ne montre pas de complaisance pour les massacres perpétrées par les républicains. Ainsi, à Paracuellos de Jarama, par exemple, au nord-est de Madrid, 2 500 prisonniers politiques furent tués par les républicains entre le 7 novembre et le 4 décembre 1936.

“Pendant la guerre civile espagnole, près de 200 000 hommes et femmes périrent derrière les lignes de combats, victimes d’exécutions sommaires ou après un semblant de procès. Ils furent tués à la suite du coup d’État militaire des 17 et 18 juillet 1936 contre la seconde République. De plus, près de 200 000 hommes périrent sur les différents fronts. Un nombre inconnu d’hommes, de femmes et d’enfants furent tués par des bombardements et dans l’exode qui suivit l’occupation par les forces militaires de Franco. Après la victoire des rebelles, fin mars 1939, environ 20 000 Républicains furent exécutés dans toute l’Espagne. Bien d’autres moururent de maladie et de malnutrition dans des prisons surpeuplées et des camps de concentration aux conditions d’hygiène déplorables. Certains succombèrent au travail forcé dans des bataillons de travail. Plus d’un demi-million de réfugiés furent contraints à l’exil et nombre d’entre eux moururent dans les camps français. Dans le maelström du passage de la frontière puis de l’internement improvisé en France, pas moins de 14 000 civils et militaires espagnols périrent des suites de blessures de guerre, mais aussi de malnutrition et de maladie, pour l’essentiel dans les premières semaines de la Retirada. Plusieurs milliers furent tués au travail dans les camps nazis.” (Prologue, page 9)

Ludmila Oulitskaïa

Ludmila Oulitskaïa.

Le Nouvel Observateur, 25/02/2022

Ludmila Oulitskaïa contre la guerre en Ukraine : « Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme »

Aujourd’hui, 24 février 2022, la guerre a éclaté. Je pensais que ma génération, celle qui est née pendant la Seconde Guerre mondiale, avait de la chance, et que nous allions vivre sans avoir connu de guerre jusqu’à notre mort qui serait, comme promis dans les Évangiles, « paisible, sans douleur et sans reproche ». Mais non. On dirait bien que ce ne sera pas le cas. Et nul ne sait à quoi vont aboutir les événements de cette journée dramatique.

Le destin du pays est dirigé par la folie d’un seul homme et de ses complices dévoués. On ne peut que faire des suppositions sur ce que les manuels d’histoire en diront dans cinquante ans. De la douleur, de la peur, de la honte – voilà les sentiments que l’on éprouve aujourd’hui.

De la douleur, parce que la guerre s’en prend au vivant, à l’herbe et aux arbres, aux animaux et à leur descendance, aux êtres humains et à leurs enfants.

De la peur, parce qu’il existe chez tous les êtres vivants un instinct de conservation biologique qui les pousse à protéger leur vie et celle de leur descendance.

De la honte, parce que la responsabilité des dirigeants de notre pays dans le développement de cette situation pouvant entraîner d’immenses malheurs pour toute l’humanité est évidente.

Cette responsabilité, nous la partageons tous nous aussi, qui sommes contemporains de ces événements dramatiques et qui n’avons pas su les prévoir ni les arrêter. Il faut absolument stopper cette guerre qui se déchaîne de plus en plus à chaque minute qui passe, et résister à la propagande mensongère dont tous les médias inondent notre population.

(Texte traduit du russe par Sophie Benech)

Ce n’était que la peste. Scénario. Traduction: Sophie Benech. Hors série Littérature, Gallimard, 2021.
Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également.
La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes.
Ce texte date de 1988. Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au cœur d’un régime totalitaire. Ce texte inédit a été découvert en Russie au printemps 2020.

(Site Gallimard)