Walter Benjamin a désormais son nom de rue à Paris. Et en plus, c’est un passage. Dommage pour l’orthographe: Bertolt Brecht et Hannah Arendt.
2017 DU 83 Dénomination passage Walter Benjamin (4e).
PROJET DE DELIBERATION
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Il vous est aujourd’hui proposé de rendre hommage à Walter Benjamin, philosophe et écrivain allemand, traducteur de Proust et Baudelaire, en attribuant son nom à une partie de la rue des Ecouffes, à Paris (4e).
Issu d’une famille juive allemande, Walter Bendix Schönflies Benjamin naît le 15 juillet 1892 à Berlin. Après son baccalauréat en 1912, il poursuit des études de philosophie et de littérature jusqu’à son doctorat sur l’art et le romantisme allemand. A Berlin, il participe activement au Mouvement de jeunesse
antibourgeois et publie ses premiers essais au journal du mouvement Le commencement. Il effectue un bref séjour à Paris en 1913.
Alors que la Première guerre mondiale éclate, il est éprouvé par le suicide d’un couple d’amis : le poèteHeinle et son amie Rika Seligsohn.
Admirateur de Kafka et de Klee, il est proche de Max Horkheimer et Theodor Adorno et ami de Berthold Brecht, Ernst Bloch et Hannah Harendt.
Chassé d’Allemagne en 1933 lors de l’accès au pouvoir d’Hitler, il émigre à Paris où l’Institut de Recherche sociale l’accueille comme membre permanent et assure la publication de ses essais. Les travaux sur Edouard Fuchs, collectionneur et historien (1937) ainsi que L’œuvre d’art à l’époque de sa
reproductibilité technique (1936) représentent une contribution essentielle à la sociologie des arts plastiques. Il gagne sa vie comme chroniqueur et essayiste. Il traduit notamment Baudelaire et Proust. Il rédige ses derniers essais Sur le Concept d’histoire pendant l’hiver 39-40. Paris, capitale du XIXe siècle est la grande œuvre inachevée de Walter Benjamin. Pendant l’Occupation, il préfère rester en Europe, tentant sans succès de rejoindre Londres. En 1940, ses amis lui procurent un visa d’émigration aux
Etats-Unis mais trop tard : il ne lui reste plus que la frontière espagnole pour fuir. Parvenu à Portbou, en Espagne, Walter Benjamin craint d’être livré à la Gestapo par le régime franquiste. Il se suicidera le 26 septembre 1940.
Un monument funéraire intitulé Passages, réalisé par le sculpteur israélien Dani Karavan, lui est dédié au cimetière de Portbou.
La Commission de dénomination des voies, places, espaces verts et équipements publics municipaux qui s’est réunie le 22 septembre 2016 a donné un avis favorable sur ce projet de dénomination.
Aussi, si vous en êtes d’accord, la dénomination “ passage Walter Benjamin ” sera attribuée à la partie de la rue des Ecouffes, voie publique, comprise entre la rue de Rivoli et la rue du Roi de Sicile, à Paris (4e), conformément au plan annexé au présent exposé des motifs.
Je vous prie, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir en délibérer.
La Maire de Paris
Vassili Grossman,Carnets de guerre. De Moscou à Berlin. 1941-1945.
«Et il n’y a plus personne à Kazary pour se plaindre, personne pour raconter, personne pour pleurer. Le silence et le calme règnent sur les corps des morts enterrés sous des terres calcinées, effondrées et envahies d’herbes folles. Ce silence est plus terrible que les larmes et les malédictions. Et il m’est venu à l’esprit que, de même que se tait Kazary, les Juifs se taisent dans toute l’Ukraine.
Massacrés les vieillards, les artisans, les maîtres renommés pour leur savoir-faire : tailleurs, chapeliers, bottiers, étameurs, orfèvres, peintres en bâtiment, fourreurs, relieurs, massacrés les vieux ouvriers, portefaix, charpentiers, fabricants de poêles, massacrés les amuseurs publics, les ébénistes, massacrés les porteurs d’eau, les meuniers, les boulangers, les cuisiniers, massacrés les médecins, praticiens, prothésistes dentaires, chirurgiens, gynécologues, massacrés les savants en bactériologie et en biochimie, les directeurs de cliniques universitaires, les professeurs d’histoire, d’algèbre, de trigonométrie, massacrés les professeurs à titre personnel, assistants, maîtres-assistants et maîtres de conférences des chaires universitaires, massacrés les ingénieurs, les architectes, massacrés les agronomes et les conseillers en agriculture, massacrés les comptables, caissiers, commanditaires, agents de fourniture, assistants de direction, secrétaires, gardiens de nuit, massacrées les maîtresses d’école, les couturières, massacrées les grands-mères qui savaient tricoter des chaussettes et cuire de délicieuses brioches, faire du bouillon et du strudel aux noix et aux pommes, massacrées les grands-mères qui n’étaient plus capables de rien, qui savaient seulement aimer leurs enfants et petits-enfants, massacrées les épouses fidèles à leur mari et massacrées les femmes légères, massacrées les belles jeunes filles, les étudiants doctes et les écolières mutines, massacrées les vilaines et les idiotes, massacrées les bossues, massacrées les chanteuses, massacrés les aveugles, massacrés les sourds-muets, massacrés les violonistes et les pianistes, massacrées les petites de deux ans et de trois ans, massacrés les vieux de quatre-vingts ans aux yeux ternis par la cataracte, aux doigts froids et transparents et aux voix presque inaudibles chuchotant comme du papier blanc, massacrés enfin les nourrissons tétant avidement le sein maternel jusqu’à leur dernière minute.
Ce n’est pas la mort des hommes morts à la guerre, les armes à la main, d’hommes ayant laissé derrière eux leur maison, leur famille, leurs champs, leurs chansons, leurs traditions, leurs récits. C’est le meurtre d’une immense expérience professionnelle, élaborée de génération en génération par des milliers d’artisans et d’intellectuels pleins d’esprit et de talent. C’est le meurtre d’habitudes du quotidien transmises par les aïeux aux enfants, c’est le meurtre des souvenirs, des chansons tristes, de la poésie populaire, de la vie allègre et amère, c’est la destruction du foyer, des cimetières, c’est la mort d’un peuple qui a vécu des siècles aux côté du peuple ukrainien…
Khristia Tchouniak, une paysanne de quarante ans du village de Krassilovka, dans le district de Brovary de la région de Kiev, m’a raconté comment les Allemands exécutèrent à Brovary, le médecin juif Feldman. Ce Feldman, un vieux célibataire qui avait adopté deux enfants de paysans, était l’objet d’une véritable adoration de la part de la population. Une foule de paysannes en pleurs, suppliantes, allèrent trouver le commandant allemand pour lui demander de laisser la vie sauve à Feldman. Le commandant fut contraint de céder aux prières des femmes. C’était à l’automne 1941. Feldman continua à vivre à Brovary et à soigner les paysans. Il a été exécuté cette année au printemps. En racontant comment le vieil homme avait lui-même creusé sa tombe (il était en effet tout seul pour mourir, car au printemps 1943 il n’y avait déjà plus de Juifs vivants), Khristia Tchouniak retenait ses sanglots et elle finit par éclater en pleurs.»
Jean-Jacques Rousseau est né le 28 juin 1712 à Genève et mort le 2 juillet 1778 à Ermenonville.
«Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient; gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets-là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point ; mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont frappé c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure; pour le connaître, il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche, et semble se communiquer à celui qui l’aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les cœurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie?»
Extrait de la «Neuvième Promenade», Rêveries du promeneur solitaire (écrites en 1776-1778, publiées en 1782).
«Cogito, ergo sum», decía Descartes. Vosotros decid: «Existo, luego soy», por muy gedeónica que os parezca la sentencia. Y si dudáis de vuestro propio existir, apagad e idos.»
René Descartes,Discours de la méthode, IV ème partie.
«(…) et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune pour lors qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étoient jamais entrées en l’esprit n’étoient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulois ainsi penser que tout étoit faux, il falloit nécessairement que moi qui le pensois fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étoient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvois la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois.»
«Lisons donc Simone Weil sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations!»
Spécialistes reconnus de l’œuvre de la philosophe, Robert Chenavier, Olivier Mongin et Jean-Louis Schlegel s’insurgent dans une tribune au «Monde» contre la récupération de l’auteur de «L’Enracinement» par la droite conservatrice et les intellectuels antimodernes.
La philosophe Simone Weil (1909-1943) serait-elle en passe de devenir la nouvelle muse des politiques conservatrices? Au service de cette cause est souvent et presque seul cité d’elle, dans les livres et revues qui revendiquent le nouveau conservatisme, son livre posthume publié par Albert Camus en 1949, L’Enracinement (Yann Raison du Cleuziou, «Le renouveau conservateur en France», Esprit, octobre 2017).
Selon Le Monde du 16 février, M. Wauquiez, entre autres, cite volontiers dans ses interventions, outre Marcel Gauchet et Régis Debray, ce livre et son auteure. Dans Le Monde du 5 décembre 2017, Bérénice Levet faisait même de Laurent Wauquiez le «candidat de l’enracinement»! Dans cette ligne, il emprunterait à la philosophe décédée en 1943 deux de ses thèmes préférés: le patriotisme et l’«identité française». Cette interprétation est, selon nous, tout à fait abusive.
Quasi blasphématoire
Certes, on ne désavouera pas Levet quand elle résume la position de la philosophe en écrivant que l’«enracinement est inscription […] dans une histoire, dans des histoires même», dans des «communautés d’appartenance qui se conjuguent au pluriel» et sont «dépositaires de récits, de traditions, de significations».
En coupant les racines, le déracinement provoque en effet la perte des «milieux naturels» – qui sont des milieux de vie pour l’homme et pas seulement des «environnements». Pour Simone Weil, constituent de tels «milieux naturels» «la patrie, les milieux définis par la langue, par la culture, par un passé historique commun, la profession, la localité…» (Œuvres complètes, Gallimard, t. V, vol. 2, p. 104).
Sauf que L’Enracinement, livre complexe, est aussi une longue dénonciation du fait que la France précisément a, au cours de son histoire, enlevé leur sens aux collectivités qui correspondaient à des territoires, des régions, des langues, des traditions. Collectivités d’autant plus nécessaires que la patrie est une communauté imparfaite (mélange de juste et d’injuste), qui a aussi besoin des influences extérieures pour se réformer.
Dès lors, le patriotisme ne peut se justifier que par son rôle protecteur des différents milieux dont les hommes ont un besoin vital. Parler d’une «France éternelle», à célébrer et à défendre comme un bloc intangible, fermé à toute nouveauté, est une expression quasi blasphématoire pour Simone Weil.
Fausse route
La France est chose purement temporelle et terrestre, et il importe de présenter la patrie «comme une chose belle et précieuse, mais d’une part imparfaite, d’autre part très fragile, exposée au malheur, qu’il faut chérir et préserver». Ce «sentiment de tendresse poignante» pour une patrie toujours imparfaite et fragile, toujours exposée, lui paraît «autrement chaleureux que celui de la grandeur nationale» lancé à la figure de ceux qu’on veut rejeter.
Levet fait aussi fausse route quand elle présente l’«autre thème que Laurent Wauquiez emprunte à la philosophe»: l’identité. Pour Simone Weil, l’enracinement n’est précisément pas une identité, car l’«enracinement et la multiplication des contacts sont complémentaires.»Est-ce du moins de cette sorte d’identité ouverte qu’il s’agit chez Laurent Wauquiez? Manifestement non.
Quand ce «républicain» déclare, lors d’un meeting tenu dans les Alpes-Maritimes, que la France doit retrouver son «identité», menacée dans «certains quartiers» par une «juxtaposition de communautés où le salafisme a remplacé l’adoration de la République française» (Le Monde du 27 octobre), il est aux antipodes de L’Enracinement. En effet, jamais Simone Weil n’a employé un tel langage. Jamais elle n’aurait admis – et encore moins prôné – une quelconque «adoration de la République française»: elle considérait cela comme de l’idolâtrie.
«L’identité française», dit de son côté Levet, il faut se donner la peine de l’acquérir. Apprendre l’histoire de la France, la connaître, mais pas seulement – il faut l’aimer». Certes, mais l’expression «identité française» n’apparaît jamais chez Simone Weil.
Courants politiques rétrogrades
L’Enracinement est très exactement une contre-histoire de la France (sous la monarchie absolue, sous le jacobinisme républicain, sous la IIIe République, que Simone Weil ne prise guère…). Une contre-histoire dans laquelle sont littéralement flétries la «grandeur» (valeur qui est un héritage romain qu’elle déteste), la gloire, la conquête par le pouvoir central de tous les territoires qui représentaient un haut lieu de civilisation (l’Occitanie par exemple), pour ne laisser à «aimer» que l’Etat, sans oublier cette entreprise par excellence de déracinement qu’a été la colonisation.
M. Wauquiez, que l’on sache, ne partage d’aucune façon tout ou partie de cette contre-histoire.
Lisons donc Simone Weil (dont l’œuvre ne se réduit pas, loin de là, à L’Enracinement) sans la récupérer par de médiocres instrumentalisations. Les courants politiques rétrogrades n’ont toujours voulu retenir que L’Enracinement, interprété à leur aune. Ils préfèrent oublier celle qui était avant tout sensible au malheur des humains, l’auteure, en 1934, des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale.
Sa pensée n’est pas un système. Elle a une fonction de «nettoyage philosophique» de la politique. Elle est plus subtile, inquiète et excessive que les mots d’ordre bien calés (et intéressés) qu’on lui prête. Empêchons qu’un «weilisme» vulgaire ne devienne une vulgate des contresens sur ses intuitions dérangeantes. Apprenons à «ne pas se laisser bourrer le crâne»– «c’est déjà quelque chose», ajoutait-elle.
Les signataires de cette tribune sont: Robert Chenavier, directeur de la publication des «Cahiers Simone Weil»; Olivier Mongin, membre de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil et Jean-Louis Schlegel, codirecteur de la rédaction de la revue «Esprit».
L’évocation du poète anglais John Cornford me renvoie à la petite collection Maspéro, éditée par les Éditions Maspero entre 1967 et 1982, date de vente de la maison d’édition. Cette collection fut essentielle dans notre formation après 1968. J’en possède une vingtaine de titres. Leur couverture pastel les rend immédiatement identifiables. Je tiens particulièrement aux deux tomes du Romancero de la résistance espagnole. Ce sont deux recueils en édition bilingue, publiés par Dario Puccini en Italie en 1960 et en 1967 en France. On y trouve, entre autres, un poème de John Cornford.
To Margot Heinemann (John Cornford)
Heart of the heartless world,
Dear heart, the thought of you
Is the pain at my side,
The shadow that chills my view.
The wind rises in the evening,
Reminds that autumn’s near.
I am afraid to lose you,
I am afraid of my fear.
On the last mile to Huesca,
The last fence for our pride,
Think so kindly, dear, that I
Sense you at my side.
And if bad luck should lay my strength
Into the shallow grave,
Remember all the good you can;
Don’t forget my love.
A Margot Heinemann
Coeur du monde sans coeur,
cher coeur, la pensée de toi
est l’épine à mon flanc,
l’ombre qui glace ma vue.
Le vent se lève dans le soir,
rappelant l’automne proche.
J’ai peur de te perdre,
j’ai peur de ma peur.
Au dernier mile avant Huesca,
dernière barrière à notre orgueil,
songe, mon amour, avec tant de douceur
que je te sente auprès de moi.
Et si la malchance couchait ma force
en la tombe peu profonde,
rappelle-toi tout le bien possible;
n’oublie pas mon amour.
(Traduit par Michèle Mangin)
A Margot Heinemann
Alma del mundo desalmado,
alma mía, tu recuerdo
es el dolor que siento en mi costado,
la sombra que ensombrece cuanto veo.
Al atardecer se alza el viento
a recordarnos que el otoño viene,
yo, yo tengo miedo a perderte,
y tengo miedo a mi miedo.
Camino de Huesca, en el último tramo,
última barrera para nuestro honor,
tan tiernamente pienso en ti, mi amor,
como si tú estuvieras a mi lado.
Y si la suerte acaba con mi vida
dentro de una fosa mal cavada,
acuérdate de toda nuestra dicha;
no olvides que yo te amaba.
(Traduction de José Agustín Goytisolo)
La traduction espagnole me semble meilleure que la française.
L’historien Eric Hobsbawm (1917-2012) écrit que Margot Heinemann (1913-1992) fut la personne qui eut le plus d’influence sur lui.
La municipalité de Lopera, dans la province de Jaén en Andalousie, a inauguré en 1999 un Jardín de los poetas ingleses où se trouve un monument en hommage à Ralph Fox, John Cornford et aux brigadistes morts lors de la bataille de décembre 1936.
J’ai acheté cette semaine chez Gibert le roman de Javier Reverte, Banderas en la niebla. J’avais lu avec interêt il y quelque temps El tiempo de los héroes (2013), qui évoquait la figure du général républicain espagnol, Juan Modesto (1906-1969). Ce nouveau roman traite des combats sur le front d’Andalousie pendant la Guerre Civile espagnole et bien sûr de la bataille de Lopera (Jaén) qui se déroula du 27 au 29 décembre 1936. Des centaines de brigadistes de la XIV Brigade Internationale moururent alors. Parmi eux se trouvaient les poètes anglais Ralph Fox (1900-1936) et John Cornford (1915-1936). Dans son épilogue, Javier Reverte nous dit que plusieurs poèmes ont été écrits en mémoire du jeune poète John Cornford, arrière-petit-fils de Charles Darwin. Il se réfère surtout à un poème de José María Valverde (1926-1996) qui aurait situé la bataille de Lopera dans la province de Cordoue et non dans celle de Jaén. Il commet lui-même une erreur puisqu’il confond José María Valverde et un poète bien plus important, José Ángel Valente (1929-2000) qui fait partie de la Génération de 1950.
John Cornford, 1936 (José Ángel Valente)
Only in constant action was his constant certainty found. He will throw a longer shadow as time recedes.
John Cornford, veintiún años
ametrallados sobre el aire
en que han nacido estas palabras.
El corazón de los fusiles
siguió latiendo inútilmente
cuando ya nunca alcanzaría
el rastro claro tu sangre.
Esto fue en Córdoba, en diciembre
en las montañas, combatiendo.
Después cayó, como dijiste,
la noche larga sobre Europa.
Los poetas retrocedieron
a su pasión consolatoria
y aquellas horas de amistad
en un ejército del pueblo
fueron borradas con la cola
subrepticia de la tristeza
en el tumulto repentino.
Así pasó, en efecto, todo.
Los años treinta en estampida with the unnemployed demonstrators carring «the coffin» to the Station.
Palidecieron los retratos.
Cedió el viento y se fue el público
y cundió la desesperanza.
Otros cayeron,
Entre el humo
de las ruinas y otras cosas
no apaciguadas por el tiempo
se levanta tu cuerpo joven.
De tú a tú puedes hablarnos
John Cornford, hermano nuestro,
de tú a tú como se hablan
en la verdad los hombres vivos.
Al rehacer aquella hora
cuento despacio tus palabras.
La inteligencia aún se pasea
en tren de lujo por los versos
mientras espera que otros caigan
para sentir horror de pronto.
Mas para ti solo fue uno
el camino de la certeza.
No quisiste huir de la vida
con el disfraz del pensamiento.
Así estás igual a ti mismo
con la pasión que aquí te trajo.
Un solo acto de vida y muerte,
la fe y el verso un solo acto.
Ametrallados, no vencidos,
Veintiún años, en diciembre,
Córdoba sola, un solo acto
tu juventud y la esperanza.
Robert Desnos fait « la drôle de guerre » comme sergent en Lorraine. Il stigmatise « les bobards de ceux qui, pour éviter la fascisation de la France, laisseraient volontiers Hitler triompher. On se demande s’ils sont fous » (Lettre du 11 janvier 1940). Il est lucide en juin 1940 et affirme déjà ce que sera son attitude pendant l’Occupation : « Il faut prendre les événements sérieusement mais pas désespérément (…). Les Allemands instituent une nouvelle règle du jeu et la jouent rigidement. Maintenant, nous allons tricher. » (Lettre à Youki du 7 juin 1940) Prisonnier, il pense à l’avenir et relativise la défaite : « Il faut mettre les choses au pire. C’est-à-dire victoire d’Hitler et garder de côté nos espoirs, sûr: puissance de l’Angleterre; possible: attitude des USA; douteux: intervention des URSS. (…) L’histoire d’un pays vivant est faite de cela [les défaites] et quant aux pertes de territoires elles sont la rançon de l’activité et de la vie (…). Non ce qui importe c’est le degré de vassalité auquel nous serons réduits et partant de combien nos libertés seront hypothéquées et notre vie sociale diminuée. En ce sens il nous faudra du courage mais je suis dès maintenant sûr d’en sortir en deux ou trois ans. » (Lettre du 3 juillet 1940)
Il est démobilisé le 22 août. Il rentre à Paris et débute comme chef des informations au quotidien Aujourd’hui, commandité par Roger Capgras. Ses rédacteurs en chef sont Henri Jeanson et Robert Perrier. L’espoir d’y maintenir une certaine liberté de parole est de courte durée. En effet, Henri Jeanson est arrêté en novembre, ayant refusé de publier des articles favorables à la loi sur le « statut des Juifs », adoptée le 3 octobre par Vichy, ainsi qu’à l’entrevue de Montoire du 24 octobre. A partir du 3 décembre, le journal est contrôlé par les Allemands. Georges Suarez, qui sera fusillé le 9 novembre 1944 pour faits de collaboration, devient son directeur politique. En accord avec Jeanson, Desnos reste au journal comme « courriériste littéraire ». Il dispose d’un salaire fixe, d’un Ausweis professionnel qui lui permet de circuler la nuit et capte des informations recueillies au journal avant censure. Désormais, il peut « tricher » . Dans les articles qu’il publie, il n’abdique pas ses idées: « Si je n’écris pas tout ce que je pense, je pense tout ce que j’écris », écrit-il à François Mauriac le 3 janvier 1941. Dès le 14 septembre 1940, il a fustigé l’esprit de délation qui règne dans Paris par un article intitulé « J’irai le dire à la Kommandantur. » Dans sa chronique du 3 mars 1941, il n’épargne pas Les Beaux draps de Céline qui le 7 mars suivant fait insérer par sommation d’huissier une protestation dans laquelle Desnos est accusé de mener une « campagne philoyoutre » et d’être juif lui-même : « Que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo grandeur nature, face et profil, à la fin de tous ses articles? . » Le 16 septembre 1942, Desnos critique sans aménité la traduction des Poèmes d’Edgar Poe par Pierre Pascal, rédacteur du journal pronazi L’ Appel. Ce dernier envoie une lettre vengeresse à Suarez et à Desnos. Il traite le poète d’ « antifasciste, enjuivé, perdu de tout ». En avril 1942, Robert Desnos gifle Alain Laubreaux, journaliste fasciste et antisémite à Je suis partout, qui jouera un rôle déterminant en 1944 dans sa déportation. En 1943, il ne publie que des critiques de disques, mais restera dans le journal jusqu’à son arrestation.
Après la « rafle du Vel d’hiv », en juillet 1942, il s’engage dans le réseau de renseignement « Agir » , créé par Michel Hollard. Du 25 juillet 1942 au 22 février 1944, il transmet des informations recueillies au journal, fabrique de fausses pièces d’identité pour les membres du réseau et des Juifs en difficulté et cache chez lui des réfractaires au STO ou des résistants. A l’automne 1943, le réseau est menacé par l’infiltration d’agents doubles. Par l’intermédiaire de Jacques Prévert, Desnos rencontre André Verdet, membre du réseau Combat, venu de la zone Sud pour constituer un groupe d’action immédiate. Il accepte d’apporter son concours à ce groupe, tout en continuant à appartenir à Agir. En février 1944, les deux réseaux sont démantelés.
Le 22 février, un coup de téléphone l’avertit de l’arrivée imminente de la Gestapo chez lui, mais Desnos refuse de fuir de crainte qu’on emmène Youki, sa compagne, qui se droguait à l’éther. Interrogé rue des Saussaies, il est envoyé à la prison de Fresnes. Il y reste du 22 février au 20 mars. Il est ensuite transféré au camp de Compiègne. Le 27 avril, le poète fait partie d’un convoi de mille sept cents hommes, le fameux convoi dit « Pucheu », direction Auschwitz où il arrive le 30 avril au soir. Il est ensuite emmené à Buchenwald. Il y est le 14 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenbürg. Le convoi qui ne compte plus qu’un millier d’hommes y arrive le 25 mai. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt-cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe. Les prisonniers fabriquent des carlingues de Messerschmitt 109. Le 14 avril 1945, le camp est évacué. Beaucoup de prisonniers meurent épuisés par les marches forcées ou sont abattus par les gardiens. Le 7-8 mai, les rescapés – dont Desnos – arrivent au camp de concentration de Terezín (Theresienstadt) en Tchécoslovaquie.
Là, les survivants sont abandonnés dans des cellules de fortune ou expédiés au Revier, l’infirmerie. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Les SS prennent la fuite. L’ Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna consulte la liste des malades et lit: « Robert Desnos, né en 1900, nationalité française . » Il sait qui est Desnos, car il connaît les surréalistes, a lu André Breton et Paul Éluard. Avec l’aide de l’infirmière Aléna Tesarova, qui parle bien le français, il retrouve le poète et le veille. Desnos aurait appelé ce moment son « matin le plus matinal ». Le 8 juin 1945, à 5 h 30 du matin, Robert Desnos meurt du typhus. Il avait 44 ans. Son corps sera incinéré. Ses cendres seront remises à la France et déposées dans le caveau familial au cimetière Montparnasse.
Source: Desnos, Oeuvres, Gallimard, Quarto 1999. Edition présentée et commentée par Marie-Claire Dumas.
Emmanuel Macron a élevé lundi Daniel Cordier, âgé de 97 ans, au grade de Grand-Croix de la Légion d’honneur. Ils ont assisté ensuite au Mont Valérien aux commémorations de l’Appel du 18 juin, lancé il y a 78 ans par le général De Gaulle.
“Ça me bouleverse. Je vais très, très, très bien. Ce qui est curieux c’est que ça dure si longtemps. Mais enfin, je suis prêt à tout”, a ajouté le nonagénaire.
Daniel Cordier, ancien résistant et secrétaire de Jean Moulin, est l’un des cinq derniers Compagnons de la Libération encore en vie, sur les 1.038 qui avaient été distingués pour leur engagement au sein de la France libre. Il défend la mémoire de Jean Moulin depuis la fin des années 70 ( cf. 2009 : Alias Caracalla : mémoires, 1940-1943, Paris, éd. Gallimard).
Les quatre autres – Guy Charmot, Hubert Germain, Pierre Simonet et Edgard Tupët-Thomé – ont entre 96 et 103 ans. Le dernier d’entre eux qui décèdera sera inhumé au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Ce site a été le principal lieu d’exécution de résistants et d’otages par l’armée allemande durant la Seconde guerre mondiale. Le général de Gaulle y a inauguré le Mémorial de la France combattante le 18 juin 1960.
Marc Bloch, l’historien et résistant a été assassiné par les Allemands le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans (Ain), en même temps que 29 autres résistants. Cest le fondateur avec Lucien Febvre des Annales d’histoire économique et sociale en 1929.
“Je suis Juif, sinon par la religion, que je ne pratique point, non plus que nulle autre, du moins par la naissance. Je n’en tire ni orgueil ni honte, étant, je l’espère, assez bon historien pour n’ignorer point que les prédispositions raciales sont un mythe et la notion même de race pure une absurdité particulièrement flagrante, lorsqu’elle prétend s’appliquer, comme ici, à ce qui fut, en réalité, un groupe de croyants, recrutés, jadis, dans tout le monde méditerranéen, turco-khazar et slave.
Je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite.
Mais peut-être les personnes qui s’opposeront à mon témoignage chercheront-elles à le ruiner en me traitant de « métèque ». Je leur répondrai, sans plus, que mon arrière-grand-père fut soldat, en 1793; que mon père en 1870, servit dans Strasbourg assiégé ; que mes deux oncles et lui quittèrent volontairement leur Alsace natale, après son annexion au IIeme Reich; que j’ai été élevé dans le culte de ces traditions patriotiques, dont les Israélites de l’exode alsacien furent toujours les plus fervents mainteneurs; que la France, enfin, dont certains conspireraient volontiers à m’expulser aujourd’hui et peut-être (qui sait?) y réussiront, demeurera, quoi qu’il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur . J’y suis né, j’ ai bu aux sources de sa culture, j’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux .” L’étrange défaite, 1940.
Testament spirituel de Marc Bloch, écrit le 18 mars 1941:
“Je n’ai point demandé que sur ma tombe fussent récitées les prières hébraïques, dont les cadences pourtant, accompagnèrent vers leur dernier repos tant de mes ancêtres et mon père lui-même. Je me suis, toute ma vie durant efforcé de mon mieux vers une sincérité totale de l’expression et de l’esprit. Je tiens la complaisance envers le mensonge, de quelques prétextes qu’elle puisse se parer, pour la pire lèpre de l’âme. Comme un beaucoup plus grand que moi, je souhaiterais volontiers que, pour toute devise, on gravât sur ma pierre tombale ces simples mots Dilexit Véritatem.”