La Dama de Elche, de reina mora a icono patriótico del franquismo
La arqueóloga Carmen Aranegui publica un estudio que recorre la historia de la joya del arte ibérico y tercia sobre su posible traslado
“La Dama de Elche tiene la gloria de una reina y posee el atractivo de un ángel con la fuerza de una amazona”. Salvador Dalí ha sido uno de los artistas rendidos a la belleza de esta figura. Han pasado 121 años desde que la joya del arte ibérico fue descubierta en una finca de La Alcudia, a tres kilómetros de Elche. Aupada como esencia de España, tanto en la República como, sobre todo, en el franquismo, la idolatría hacia esta escultura del siglo IV antes de Cristo propició “un grado de manipulación tal que incluso llegó a alejar a los investigadores de su estudio un tiempo”, dice a EL PAÍS la arqueóloga Carmen Aranegui Gascó, catedrática emérita de la Universidad de Valencia, que ha publicado La Dama de Elche (editorial Marcial Pons). En este libro, lamenta que de la Dama “hayan interesado más los aspectos sentimentales que el estudio de su contexto”.
Ese momento clave fue el 4 de agosto de 1897, cuando unos peones agrícolas instalaban un regadío y plantaban granados en la finca de La Alcudia. El busto apareció como una pieza reaprovechada dentro de una pared. Tras ser mostrada unos días en Elche, “la reina mora”, como la llamaron los ilicitanos, partió a París. “La arqueología internacional tenía una visión romántica de España como lugar exótico, de antiguas tradiciones”, explica la profesora Aranegui. Casualmente, un hispanista francés, Pierre Paris, que acudía cada verano a España, estaba en Elche y se movió rápido. Contactó con un banquero que pagó 4.000 francos al dueño del terreno, que ya había vendido otros hallazgos, y con los responsables del Louvre.
Por parte española, el arqueólogo Pedro Ibarra, cronista del descubrimiento, lo había comunicado “a la Real Academia de la Historia y a las autoridades de patrimonio, pero el 8 de agosto fue asesinado el presidente del Consejo de Ministros, Antonio Cánovas del Castillo, lo que dificultó cualquier respuesta oficial”, explica Aranegui.
El busto (“hay quien ha teorizado que era parte de una mujer sentada o en pie, pero defiendo que no es así”) recibe en Francia el nombre de “dama” porque “los anticuarios de la época habían empezado a sustituir el nombre de Venus, con el que se bautizaba a las representaciones que se encontraban, por algo más acorde con los tiempos”.
Uso funerario
Se suceden las investigaciones, como las que han apuntado que la Dama es una diosa, algo que Aranegui, que comisarió hace 20 años una gran exposición sobre arte ibérico en París, descarta: “Creo que es una representación de los valores de las élites de aquella sociedad”. También recuerda un dato conocido, su uso funerario. “Se analizó su hueco de la parte posterior y se sabe que contuvo cenizas y restos de combustión de huesos humanos”.
¿Quién talló semejante maravilla hace casi 2.500 años? “Una aportación de mi libro es que al estudiar el conjunto de La Alcudia se deduce que hubo un taller de muy buenos escultores en lo que era la ciudad ibérica de Ilici. Hoy, un 80% del yacimiento está sin excavar”. El autor de la Dama fue minucioso en los detalles. “Destaca el tratamiento del rostro, enmarcado en joyas, pero el objetivo del artista fue describir la joyería y las telas de la vestimenta. No le interesó el lenguaje de la expresión anatómica”.
El rostro hierático de la Dama seguía en el Louvre, a pesar de que la España republicana reclamaba su devolución. “En producciones teatrales de Alberti y María Teresa León, España estaba personificada como la Dama. Y Margarita Xirgu se vistió, en el exilio, como la estatua para la Numancia de Cervantes. Las negociaciones continuaron tras la Guerra Civil. La España de la dictadura y la Francia colaboracionista de Vichy llegaron a un acuerdo, tras un tira y afloja por el intercambio de piezas. “En el difícil equilibrio de Pétain, quería acercarse a España para que Franco fuera más neutral, menos amistoso con el Eje, y pensó que, devolviendo la Dama, así sucedería”.
El regreso y su exposición en el Prado, desde junio de 1941, marcan el principio de la retirada de la bibliografía internacional. “Se despliega la propaganda de que España es una civilización sin rival en cuanto a su antigüedad”. Su imagen se multiplica en sellos, rótulos, marcas…
El bloque de arenisca, de 65 kilos de peso y 56 centímetros de altura, permanece en la pinacoteca hasta 1971, cuando es trasladada “escoltada y en taxi” al Museo Arqueológico para realzar un centro que necesitaba una estrella. Allí sigue con su mirada penetrante. ¿Puede trasladarse para exposiciones temporales, como se hizo, en 1965, a Elche? “La pieza está estabilizada en su conservación, con precauciones no tiene por qué ser un obstáculo”. Sin embargo, la profesora Aranegui teme que al plantear esta cuestión suceda como otras veces, “cuando lo identitario irrumpe, la Dama pierde”.
Cimetière de Draveil (Essonne) dimanche 28 octobre 2018. Stèle en l’honneur des Brigades Internationales.
Le 28 octobre 1938, la République Espagnole, dissout les Brigades internationales. Leurs membres sont renvoyés chez eux. Sur les 30 à 35 000 engagés, 10 000 ont trouvé la mort, 8 000 sont portés disparus, des milliers ont été blessés.
Mary Elizabeth Plummer (1849 – 1922) était l’épouse d’origine américaine de Georges Clemenceau. Celui-ci arriva aux États-Unis en 1865, après avoir fui la France en raison de son implication dans la lutte contre le régime de Napoléon III. Il enseigna dans un collège pour jeunes filles à Stamford (Connecticut), où Mary Elizabeth Plummer étudiait. Ils se marièrent en 1869 et déménagèrent en France un an plus tard. Ils auront trois enfants (Madeleine, Thérèze Juliette et Michel William Benjamin). Mary Elisabeth Plummer et Clemenceau se séparèrent en 1876 et divorcèrent en 1891.
Bien que Clemenceau se vantât de plusieurs centaines conquêtes féminines, lorsque sa femme se prit pour Madame de Rénal et le trompa avec le précepteur de leurs enfants, il la mit en prison pendant deux semaines à la prison Saint-Lazare où l’on enfermait prostituées et femmes adultères. Il la renvoya aux États-Unis sur un bateau à vapeur en troisième classe, divorça et obtint la garde de leurs enfants et la déchéance de sa nationalité française. Revenue vivre en France, mais restée perturbée psychologiquement par ces événements conjugaux particulièrement humiliants, l’ex-Madame Georges Clemenceau mourut seule le 13 septembre 1922, dans son appartement parisien, au 208 rue de la Convention. Elle fut enterrée au cimetière de Bagneux avec une concession pour 5 ans. Sa tombe a aujourd’hui disparu.
I.
Ce livre a peut-être besoin de plus d’une préface; et finalement il reste toujours le doute qu’il soit possible que quelqu’un, sans qu’il ait fait quelque expérience semblable, soit par une préface rapproché de l’expérience de ce livre. Il semble écrit dans la langue du vent du dégel: il y a dedans de l’excitation, de l’intranquillité, de la contradiction, du temps d’avril, si bien que l’on est rappelé aussi bien à la proximité de l’hiver qu’à la victoire sur l’hiver, qui vient, qui doit venir, qui peut-être est déjà venue… La gratitude jaillit perpétuellement, comme si même le plus inattendu s’était produit, la gratitude de celui qui guérit, – car la guérison fut cet inattendu. «gai savoir»: cela signifie les saturnales d’un esprit qui a résisté patiemment à une pression effroyablement longue – patiemment, fortement, froidement, sans se soumettre, mais sans espoir –, et qui d’un seul coup est assailli par l’espoir, par l’espoir de santé, par l’ivresse de la guérison. Comment s’étonner que cela mette au jour beaucoup de déraisonnable et de fou, beaucoup de tendresse vandale gaspillée à des problèmes qui ont le poil piquant et qui ne sont pas conçus pour être cajolés et séduits. Ce livre entier n’est rien que réjouissance après une longue privation et impuissance, la jubilation des forces revenues, de la foi éveillée de nouveau en un demain et en un lendemain, du soudain sentiment et du pressentiment de l’avenir, des aventures proches, des mers réouvertes, des buts de nouveau permis, en lesquels de nouveau avoir foi. Et tout ce qui était derrière moi alors! Ce bout de désert, d’épuisement, d’incroyance, de givre au milieu de la jeunesse, cette état de vieillard intervenant au mauvais endroit, cette tyrannie de la douleur encore dépassée par la tyrannie de la fierté, qui repoussait les conclusions de la fierté – et les conclusions sont des consolations -, cette solitude radicale comme défense contre un mépris de l’humanité devenu maladivement lucide, cette réduction fondamentale sur ce que la connaissance a d’amer, d’âpre, de douloureux, et comment la prescrivait le dégoût qui d’une peu prudente diète et complaisance spirituelle – on l’appelle romantisme – avait peu a peu grandi, oh qui pourrait le sentir après moi! Mais celui qui pourrait m’accorderait sans doute davantage qu’un peu de folie, d’exubérance de «gai savoir», – par exemple la poignée de chants qui cette fois sont jointes à ce livre – des chants dans lesquels un poète d’une façon difficilement pardonnable se moque de tous les poètes. – Ah, ce n’est pas seulement sur les poètes et leurs beaux «sentiments lyriques» que ce ressuscité doit exercer sa méchanceté: qui sait quelle victime il se cherche, quel monstre d’étoffe parodique le provoquera sous peu? «Incipit tragoedia» – c’est la fin de ce livre préoccupant-non-préoccupant: il faudra être sur ses gardes! Est donné congé à quelque chose d’exemplairement grave et méchant: incipit parodia, il n’y a aucun doute…
II.
– Mais laissons là Monsieur Nietzsche: qu’est-ce que ça peut nous faire que Monsieur Nietzsche ait retrouvé la santé?…Un psychologue connaît peu de questions aussi attirantes que celle du rapport entre la santé et la philosophie, et au cas où il tombe lui-même malade, il apporte toute sa curiosité scientifique avec lui dans la maladie. On a en effet, à supposer que l’on soit une personne, nécessairement la philosophie de sa personne: mais il y a là une différence considérable. Chez l’un ce sont ses manques qui philosophent, chez l’autre ses richesses et ses forces. Le premier a la nécessité de sa philosophie, ne serait-ce que comme appui, apaisement, médecine, soulagement, élévation, mise à distance de lui-même; chez l’autre elle n’est qu’un beau luxe, dans le meilleur cas la volupté d’une gratitude triomphante, qui doit quand même pour finir s’inscrire en majuscules cosmiques au ciel des notions. Dans l’autre, dans les cas les plus habituels toutefois, quand les états de nécessité font la philosophie, comme chez tous les penseurs malades – et peut-être que les penseurs malades sont majoritaires dans l’histoire de la philosophie –: qu’est-ce qu’il sera de la pensée même qui est soumise à la pression de la maladie? Voilà la question qui concerne le psychologue: et ici l’expérimentation est possible. Pas autrement que ne le fait un voyageur qui résout de se réveiller à une heure déterminée et qui ensuite se livre tranquille au sommeil: ainsi nous philosophes à supposer que nous tombions malade, nous nous abandonnons temporairement corps et âme à la maladie – nous fermons pour ainsi dire les yeux devant nous. Et comme celui-là sait que quelque chose ne dort pas, que quelque chose compte les heures et le réveillera, ainsi nous aussi nous savons que l’instant décisif nous trouvera éveillé, – qu’ensuite quelque chose surgit et prend l’esprit sur le fait, je veux dire la faiblesse ou le changement d’avis ou la résignation ou l’endurcissement ou l’empoussièrement et toutes ces façons de désigner l’état maladif de l’esprit, qui aux jours de la santé ont contre elles la fierté de l’esprit (car on en reste au vieux dicton «l’esprit fier, le paon, le cheval sont les trois bêtes les plus fières»-). Après une telle interrogation de soi-même, tentation de soi-même, on apprend à regarder d’un œil plus fin tout ce qui dans l’absolu a été philosophé jusqu’alors; on devine mieux qu’avant les involontaires détours, ruelles latérales, places pour le repos, endroits ensoleillés de la pensée, sur lesquels sont conduits et séduits les penseurs souffrants justement en tant que souffrants, on sait désormais où inconsciemment le corps malade et ses besoins entraîne l’esprit, le pousse, l’attire – vers le soleil, le calme, la douceur, la patience, la médecine, le baume en un sens quelconque. Chaque philosophie qui met la paix au dessus de la guerre, chaque éthique avec une conception négative du concept de bonheur, chaque métaphysique et physique qui connaît un point final, un état final de quelque nature que ce soit, chaque exigence principalement esthétique ou religieuse d’un en-marge, d’un au-delà, d’un en-dehors, d’un au-dessus, autorise à se demander si ce n’est pas la maladie qui a inspiré le philosophe. Le déguisement inconscient des besoins physiologiques sous le manteau de l’objectif, de l’idéal, du purement spirituel s’étend loin jusqu’à l’épouvante, – et bien souvent je me suis demandé si, en fin de compte, la philosophie jusqu’alors n’avait pas été qu’une interprétation du corps et un malentendu du corps. Derrière les plus hauts jugements de valeur par lesquels l’histoire de la pensée a été menée jusqu’ici, gisent dissimulés des malentendus sur la texture corporelle, soit de l’individu, soit des états ou des races entières. Il faut dans un premier temps toujours prendre toutes les folies de la métaphysiques, en particulier ses réponses à la question de la valeur de l’existence, comme les symptômes de corps bien précis; et si ces approbations du monde ou négations du monde en bloc, mesurées scientifiquement, ne contiennent pas une graine de signification, en revanche elles donnent à l’historien et au psychologue des indices d’autant plus valables qu’ils sont des symptômes, comme déjà dit, du corps, de ce qui lui réussit et de ce qu’il manque, de sa plénitude, de sa puissance, de sa domination de soi dans l’histoire, ou bien au contraire de ses scrupules, de ses épuisements, de ses appauvrissements, de son pressentiment de la fin, de sa volonté de fin. J’attends toujours qu’un médecin philosophique dans le sens extraordinaire du terme – un homme tel qu’il puisse s’occuper de la santé d’ensemble du peuple, de l’époque, de la race, de l’humanité – aie le courage de promouvoir jusqu’à son terme mon soupçon et d’oser cette phrase: dans toute la philosophie il s’est agi jusqu’ici non pas de vérité, mais de quelque chose d’autre, disons de santé, avenir, croissance, puissance, vie…
III.
– On devine que je veux sans ingratitude prendre congé de cette époque de lourd dépérissement, dont les gains ne sont pas encore épuisées pour moi aujourd’hui: de même que je suis absolument conscient de l’avantage que j’ai avec ma santé changeante sur tous les trapus de l’esprit. Un philosophe qui fait le chemin à travers de nombreuses santés et qui continue à le faire, a traversé autant de philosophies: il ne peut qu’appliquer à chaque fois l’état dans lequel il est à la forme et au monde spirituels – cet art de la transfiguration c’est précisément la philosophie. Il n’est pas libre à nous philosophes de séparer âme et corps comme le fait le peuple, il nous est encore moins libre de séparer âme et esprit. Nous ne sommes pas des grenouilles pensantes, pas des appareils à objectiver et à enregistrer et aux viscères froides, – nous devons continuellement enfanter nos pensées de notre douleur et maternellement leur donner tout ce que nous avons en nous de sang, cœur, feu, désir, passion, tourment, conscience, destin, fatalité. Vivre – cela veut dire pour nous continuellement transformer tout ce que nous sommes en lumière et flamme, et aussi tout ce qui nous touche, nous ne pouvons autrement. Et pour ce qui concerne la maladie: ne serions nous pas presque tentés de nous demander si elle nous est superflue absolument? C’est seulement la grande douleur qui est la dernière libératrice de l’esprit, comme le maître d’apprentissage du grand soupçon, qui fait de chaque U un X, un vrai X véritable, ce qui veut dire l’avant dernière lettre avant la dernière…C’est seulement la grande douleur, cette longue lente douleur qui prend son temps, dans laquelle nous sommes comme brûlés dans un feu de bois vert, qui nous force nous philosophes à descendre dans notre tréfonds ultime et à nous défaire de toute confiance, de tout ce qui est bon, dissimulant, doux, moyen, dans quoi nous avons peut-être auparavant placé notre humanité. Je doute qu’une telle douleur «améliore» –; mais je sais qu’elle approfondit. Soit parce que nous apprenons à lui opposer notre fierté, notre sarcasme, notre volonté et que nous faisons comme l’indien qui, si violemment torturé soit-il, se dédommage de son tortureur par la méchanceté de sa langue; soit parce que devant la douleur nous nous retirons dans ce néant oriental – on l’appelle Nirvana – dans le muet, raide, sourd abandon de soi, oubli de soi, dissolution de soi: on ressort de tels longs, dangereux exercices de maîtrise de soi comme un autre homme, avec quelques nouveaux points d’interrogation, avant tout avec la volonté d’interroger à présent davantage, d’interroger plus profondément, plus sévèrement, plus durement, plus méchamment, plus calmement que l’on avait interrogé jusque là. C’en est fini de la confiance en la vie – la vie même est devenu problème. – Qu’on ne croie pas qu’on en devient nécessairement un sombre type! Même l’amour de la vie est encore possible – mais on aime autrement. C’est l’amour pour une femme qui nous fait douter… Le charme de tout ce qui pose problème, la joie en X est en revanche chez de tels gens plus spirituels, plus spiritualisés, trop grande pour que cette joie ne se déverse pas toujours telle une claire lueur sur toute la détresse du problème, sur tout le danger de l’incertitude, et même sur la jalousie de l’amant. Nous connaissons un bonheur nouveau…
IV.
Enfin, pour ne pas laisser l’essentiel non dit: on sort de tels abîmes, d’un si grave dépérissement, et aussi du dépérissement du grave soupçon, comme né de nouveau, mué, plus délicat, plus méchant, avec un goût plus fin pour la joie, avec une langue plus délicate pour toutes les bonnes choses, avec des sens plus gais, avec une deuxième dangereuse innocence dans la joie, plus enfant à la fois et cent fois plus raffiné que l’on ne l’a jamais été. Oh comme la jouissance répugne désormais, la grossière sourde brune jouissance telle que la comprennent sinon les jouisseurs, nos «cultivés», nos riches et gouvernants! Avec quelle méchanceté nous écoutons désormais le gros boum-boum de foire annuelle par lequel l’«homme cultivé» et l’habitant des grandes villes se fait violer à travers art, livre et musique, pour des «jouissances spirituelles», avec l’aide de boissons spirituelles! Combien maintenant nous fait mal aux oreilles le cri théâtral de la passion, comme est devenu étranger à notre goût toute l’émeute romantique et le fatras des sens qu’aime la populace cultivée, avec ses aspirations au sublime, à l’élevé, à l’extravagant! Non, s’il faut absolument que nous qui guérissons ayons besoin d’art, c’est d’un autre art – un art moqueur, léger, fugitif, divinement désembarassé, divinement artificiel, qui comme une flamme claire nous fait grimper dans un ciel sans nuage! Avant tout: un art pour les artistes, seulement pour les artistes! Nous nous entendons mieux à ce qui est la première nécessité en la matière, la gaieté, toute gaieté, mes amis! aussi en tant qu’artistes –: je voudrais le prouver. Nous savons trop bien plusieurs choses à présent, nous les savants: oh comme désormais nous apprenons à bien oublier, à bien ne pas savoir, en tant qu’artistes! Et pour ce qui touche à notre avenir: on nous trouvera difficilement encore sur les chemins de ces jeunes égyptiens, qui la nuit rendent les temples peu sûrs, qui embrassent les colonnes sculptées et qui dévoilent, découvrent, veulent étaler dans la claire lumière absolument tout ce qui a été avec de bonnes raisons dissimulé. Non, ce mauvais goût, cette volonté de vérité, de «vérité à tout prix», ce délire de jeune homme dans l’amour de la vérité – nous n’y avons plus goût: nous sommes pour cela trop expérimentés, trop sérieux, trop joyeux, trop consumés, trop profonds… Nous ne croyons plus que la vérité reste la vérité quand on lui retire son voile; nous avons trop vécu pour croire encore à cela. Aujourd’hui une chose nous semble convenable: ne pas vouloir voir toute chose nue, ne pas vouloir être là pour toute chose, ne pas vouloir tout comprendre et «savoir. «Est-ce que c’est vrai que le bon Dieu est partout?» demandait une petite fille à sa mère: «mais je trouve ça indécent» – un signe pour les philosophes! On devrait davantage honorer la honte avec laquelle la nature s’est cachée derrière des énigmes et des incertitudes colorées. Peut-être la vérité est une femme qui a des raisons de ne pas laisser voir ses raisons? Peut-être que son nom est, pour parler grec, Baubo? … Oh ces Grecs! Ils s’y entendaient à vivre: et il est nécessaire de s’en tenir bravement à la surface, au pli, à la peau, d’adorer l’apparence, de croire aux formes, aux sons, aux paroles, à toute l’Olympe de l’apparence! Ces Grecs étaient superficiels – par profondeur! Et n’y revenons nous pas justement, nous les intrépides de l’esprit, qui avons escaladé les plus hauts et dangereux sommets de l’esprit actuel et de là avons regardé autour de nous, qui de là avons regardé en contrebas? N’y sommes nous pas justement – des Grecs? Adorateurs des formes, des sons, des paroles? Justement pour cela – des artistes?
J’ai vu samedi dernier au Centre Pompidou dans le cadre de Génération Documentaire (40 ans de cinéma aux Films d’ici) le film de Carmen Castillo Calle Santa Fe (2007). 164 minutes. La réalisatrice chilienne était présente dans la salle ainsi que le journaliste Olivier Duhamel.
Elle a survécu à son compagnon, Miguel Enríquez, chef du parti d’extrême-gauche, le MIR, qui résistait à la répression sanglante de la dictature du Général Pinochet après le coup d’état du 11 septembre 1973. Il a été abattu le 5 octobre 1974, au cours d’un affrontement avec les agents de la Direction de l’intelligence nationale (DINA), au 275 de la rue Santa Fe, à San Miguel, une municipalité de la banlieue sud de Santiago du Chili. Carmen Castillo était enceinte. Elle a été gravement blessée, mais elle a survécu. Un voisin a appelé une ambulance et elle a pu être emmenée à l’hôpital. Quelques semaines plus tard, après une intense campagne de solidarité internationale, elle fut expulsée du pays avec interdiction d’y revenir sous peine de mort.
Le point de départ du film est le voyage de la réalisatrice sur les lieux où elle a vécu dans la clandestinité. Elle se souvient, revient à Santiago, rencontre sa famille aisée et influente, retrouve la rue, la maison où elle et Miguel Enríquez habitaient. Elle retrouve des survivants, des militants du MIR qui évoquent les choix politiques d’alors. Elle s’interroge: tous les actes de résistance valaient-ils la peine? Miguel Enríquez est-il mort pour rien? Valait-il la peine de sacrifier sa famille, ses enfants? Fallait-il que le MIR donne la consigne aux exilés de rentrer lutter au Chili?
Carmen Castillo parcourt le passé: des jours lumineux de l’Unité populaire de Salvador Allende (1970-1973) aux longues années de la dictature, avec tous ceux qui ont résisté à cette époque, mais elle montre aussi les jeunes qui luttent aujourd’hui et qui pensent différemment qu’elle. Elle rêve de faire de la maison de la rue Santa Fe un lieu de mémoire pour les centaines de militants du MIR assassinés par la dictature. Les jeunes semblent trouver cela inutile.
Elle mêle souvenirs personnels, images d’archives, commentaires actuels des témoins de l’époque. Le film est long (164 minutes), mais évite à la fois l’abus de la narration à la première personne et l’accumulation d’archives. Le travail de la monteuse, Eva Feigeles-Aimé, est remarquable.
Le film se termine sur la longue, interminable liste des morts et des disparus.
Le MIR était un parti né le 15 août 1965 qui se réclamait du marxisme et du communisme. Ses militants venaient de différents courants révolutionnaires (trotskystes, guevaristes, chrétiens révolutionnaires, ex-socialistes ou communistes) Il critiquait le parlementarisme et l’électoralisme des partis de gauche traditionnels. Après l’élection de Salvador Allende à la présidence du pays, le MIR soutint le gouvernement de l’Unité Populaire, mais n’y participa pas. La direction en exil du parti décida sa dissolution en 1989, sans débat ni consultation des militants,
On peut penser à la pièce de Bertolt Brecht La vie de Galilée. Dans la Scène 13, Andrea, disciple de Galilée, indigné par le fait que son maître ait abjuré suite à la condamnation de l’Eglise, s’écrie : “Malheureux le pays qui n’a pas de héros!”. Galilée le reprend quelques répliques plus tard: “Malheureux le pays qui a besoin de héros.”
Filmographie
1983: Les murs de Santiago (Los muros de Santiago) Documentaire TV.
1984: Estado de guerra: Nicaragua.
1994: La flaca Alejandra (documentaire TV).
1994-99: Tierras extranjeras. Série de longs métrages pour Arte.
1995: La verdadera historia del Subcomandante Marcos.
1996: Inca de Oro.
1999: El bolero, una educación amorosa.
2000: Viaje con la cumbia por Colombia.
2000: María Félix, la inalcanzable.
2001: El Camino del Inca.
2002: El astrónomo y el indio.
2003: José Saramago, el tiempo de una memoria.
2003: Mísia, la voz del fado.
2004: El país de mi padre.
2007: Rue Santa Fe (Calle Santa Fe) (documentaire).
2010: Pour tout l’or des Andes (El tesoro de América – El oro de Pascua Lama) (documentaire TV).
2011 : Victor Serge, l’insurgé (documentaire France 5 – JEM productions).
2013: L’Espagne de Juan Goytisolo, Manuel Rivas et Bernardo Atxaga (54’). Serie: L’Europe des écrivains.
2015: On est vivants (Aún estamos vivos).
2017: Cuba en suspens (documentaire Arte).
Depuis 2017, Simone Weil a une rue à son nom à Madrid.
El País, 19/10/2018
Simone Weil y la memoria histórica
(Alejandro del Río Herrmann, editor en la editorial Trotta, que publica las obras de Simone Weil.)
La pensadora francesa, sin renunciar a su pacifismo, no pudo evitar tomar partido en la Guerra Civil española
La reciente inclusión en el callejero de Madrid del nombre de Simone Weil, en el marco de la aplicación de la conocida como Ley de Memoria Histórica, da pie para evocar el breve paso de la pensadora francesa por la Guerra Civil española y reflexionar sobre el significado de esa experiencia.
Simone Weil llega a Barcelona el 9 de agosto de 1936 gracias a un carnet de periodista. Como escribirá más tarde a Georges Bernanos, lo único que la horrorizaba más que la guerra era permanecer en la retaguardia; sin renunciar a su pacifismo, no puede evitar tomar partido. Además, viene a España movida todavía por la esperanza en una revolución y queriendo conocer de primera mano los cambios sociales que están acometiendo los anarquistas. En Barcelona se entrevista con Andrés Nin y Julián Gorkin, dirigentes del POUM. Gorkin rechaza su descabellado plan de internarse en las líneas enemigas para averiguar el paradero de Joaquín Maurín en Galicia. Finalmente, consigue enrolarse en las milicias de la CNT y va a Pina de Ebro, donde se incorpora a un pequeño grupo internacional dentro de la columna Durruti. Participa en varias misiones peligrosas, aunque no llega a disparar el fusil que ha aprendido a manejar. En su Diario de guerra anota: “Un hermoso día. Si me cogen, me matarán… Pero nos lo merecemos. Los nuestros han vertido mucha sangre. Soy moralmente cómplice”. Esta lacerante mala conciencia no la abandonará ya. En Pina pregunta a los campesinos por los asuntos que los afectan, la colectivización de los cultivos y de la producción, sus condiciones de vida tras el estallido de la guerra, y escucha sus opiniones sobre el servicio militar, el cura del pueblo o los propietarios. Un desafortunado accidente la obliga a regresar a Barcelona, donde la esperan sus padres, que la habían seguido hasta allí. Solo ha estado unos pocos días en el frente de batalla. Después de unas semanas de convalecencia, deja España el 25 de septiembre. No volverá más.
Los “crímenes de España”, que reaparecen transfigurados en su propia lectura de otros conflictos, como la guerra de Troya o la cruzada albigense, constituirán desde entonces para Simone Weil la evidencia ejemplar del “postulado” de que “se es siempre bárbaro con los débiles”. Su conmoción fue grande cuando encontró plasmada su misma experiencia de la guerra civil española por un escritor del lado contrario, el católico Georges Bernanos. A raíz de su lectura en 1938 de Los grandes cementerios bajo la luna, donde Bernanos denuncia la represión franquista de la que fue testigo en la isla de Mallorca, Simone Weil le escribe una carta que cabe entender como un ejercicio de memoria histórica.
Sin incurrir en una neutralidad indiferente, intenta comprender el común destino que une a las facciones enfrentadas
Lo que le importa a Simone Weil es el carácter moral con el que afrontar una peculiar atmósfera, “ese olor a guerra civil, a sangre y a terror que desprende su libro”, como le dice a Bernanos. ¿Se deja uno llevar por ese clima, por esa “mística” o “religión de la fuerza”, en palabras del segundo? ¿O se es capaz de resistir a la embriaguez que procura el uso de la fuerza cuando se tiene el poder de ejercerla y se está legitimado a hacerlo? La mirada de Weil, como la de Bernanos, se fija ante todo en los de su propio bando, en aquellos por los que ha tomado partido y cuyas ideas y principios comparte.
No deja de luchar a su lado ni de defender su causa. Pero adopta una determinada posición moral que le exige hacer una lectura distinta de los acontecimientos; una lectura hecha a un tiempo de participación y de distancia. Sin incurrir en una neutralidad indiferente o culpable, asume una tarea de memoria consistente en comprender el común destino que une en una misma condición a las facciones enfrentadas. En este sentido le dice a Bernanos: “Está usted más próximo de mí, sin punto de comparación, que mis camaradas de las milicias de Aragón…, esos camaradas a los que, no obstante, yo amaba”.
En un ensayo concebido por esa misma época, La Ilíada o el poema de la fuerza,Simone Weil comenta la “extraordinaria equidad” que inspira al autor del poema: vencedores y vencidos despiertan en él la misma piedad, “apenas sentimos que el poeta es griego y no troyano”. En el tono de inconsolable amargura que baña la Ilíada, que ni desprecia ni ensalza, trasluce el conocimiento de la fuerza, que doblega a todos por igual, unas veces a unos, otras a otros. Una lectura a contrapelo de la historia, que haga memoria de los vencidos, hará bien en tener en cuenta la triple advertencia con la que Simone Weil concluye su ensayo: “No admirar nunca la fuerza, no odiar a sus enemigos y no despreciar a los desdichados”.
«La lucidité et la fatigue ont eu raison de moi – j’entends une fatigue philosophique autant que biologique – quelque chose en moi s’est détraqué. On écrit par nécessité et la lassitude fait disparaître cette nécessité. Il vient un temps où cela ne nous intéresse plus. En outre, j’ai fréquenté trop de gens qui ont écrit plus qu’il n’aurait fallu, qui se sont obstinés à produire, stimulés par le spectacle de la vie littéraire parisienne. Mais il me semble que moi aussi j’ai trop écrit. Un seul livre aurait suffi. Je n’ai pas eu la sagesse de laisser inexploitées mes virtualités, comme les vrais sages que j’admire, ceux qui, délibérément, n’ont rien fait de leur vie.»
Paul Teitgen , résistant dès 1940, torturé par la Gestapo à Nancy, déporté au Struthof puis à Dachau, issu de la première promotion de l’ENA – « France combattante »-, est nommé secrétaire général de la préfecture d’Alger chargé de la police générale à la mi-août 1956, soit quelques mois avant le début de la « bataille d’Alger ». Il est connu pour son attachement aux droits humains et sa foi chrétienne intransigeante : la présence de ce brillant haut-fonctionnaire, frère cadet de l’ancien ministre MRP Pierre- Henri Teitgen, dans l’administration de Robert Lacoste sert à ce dernier à tenter de corriger, notamment au sein de son parti, la SFIO, son image par trop répressive.
Après le 7 janvier 1957, date du début de la Grande répression d’Alger, c’est à Teitgen qu’est confié le seul contrôle civil – théorique – sur la répression : l’officialisation des assignations à résidence qui lui sont demandées par les militaires pour les « suspects » qu’ils ont arrêtés. Cette fonction en fait le civil le mieux informé à Alger des pratiques de ces derniers. Il constate les arrestations arbitraires en masse, la torture, les « disparitions », sans pouvoir s’y opposer autrement qu’à la marge, ses supérieurs, Lacoste et le préfet Serge Baret soutenant systématiquement les parachutistes. Fin mars 1957, après deux mois et demi de terreur parachutiste et alors qu’a éclaté en métropole le scandale de la torture en Algérie, dans une lettre amère et solennelle à Lacoste, il demande à être relevé de ses fonctions. Cette démission est refusée par le ministre, qui utilisera Teitgen jusqu’au 12 septembre 1957, date à laquelle, usé et écœuré, il est autorisé à quitter ses fonctions à la préfecture, après avoir tenté de lutter de l’intérieur contre les pratiques criminelles des militaires. Il dira avoir alors signé 24 000 assignations à résidence et dénombré 3024 disparitions forcées. Le 13 mai 1958, il échappe aux parachutistes qui haïssent ce « traître » – certains l’ont menacé de mort – et tentent de l’arrêter. Il est finalement expulsé d’Algérie avec sa famille par le général Raoul Salan qui l’échange avec le gouvernement Pfimlin contre son bras droit, le général Dulac. Teitgen est ensuite mis au ban de la préfectorale – deux années sans poste et sans traitement – par Michel Debré, éloigné six mois au Brésil, puis nommé finalement au Conseil d’Etat pour l’obliger à se taire. Malgré cela, Teitgen accepte de témoigner en décembre 1960 pour la défense des « porteurs de valises » au procès du réseau Jeanson et rend publique sa lettre à Lacoste. Il alimente dès 1958 les travaux de Pierre Vidal-Naquet, dont il devient un ami très cher, en documents et informations de première main. C’est lui qui apporte notamment à l’historien la certitude de l’assassinat de Maurice Audin par les militaires.
Source : Fabrice Riceputi, « Une trahison républicaine : Paul Teitgen et la terreur coloniale », à paraître au 1er semestre 2019 dans Vingtième siècle. Revue d’histoire.
Lettre de Paul Teitgen à Robert Lacoste, 24 mars 1957.
« Le 20 août 1956, vous m’avez fait l’honneur d’agréer ma nomination au poste de secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé plus spécialement de la police générale.
Depuis cette date, je me suis efforcé avec conviction, et à mon poste, de vous servir — et quelquefois de vous défendre — c’est-à-dire de servir, avec la République, l’avenir de l’Algérie française.
Depuis trois mois, avec la même conviction, et sans m’être jamais offert la liberté, vis-à-vis de qui que ce soit d’irresponsable, de faire connaître mes appréhensions ou mes indignations, je me suis efforcé dans la limite de mes fonctions, et par-delà l’action policière nouvelle menée par l’armée, de conserver — chaque fois que cela a été possible — ce que je crois être encore et malgré tout indispensable et seul efficace à long terme : le respect de la personne humaine.
J’ai aujourd’hui la ferme conviction d’avoir échoué et j’ai acquis l’intime certitude que depuis trois mois nous sommes engagés non pas dans l’illégalité — ce qui, dans le combat mené actuellement, est sans importance —mais dans l’anonymat et l’irresponsabilité qui ne peuvent conduire qu’aux crimes de guerre.
Je ne me permettrais jamais une telle affirmation si, au cours de visites récentes effectuées aux centres d’hébergement de Paul-Cazelles et de Beni-Messous, je n’avais reconnu sur certains assignés les traces profondes des sévices ou des tortures qu’il y a quatorze ans je subissais personnellement dans les caves de la Gestapo de Nancy.
Or ces deux centres d’hébergement, installés, à sa demande, par l’autorité militaire d’Alger, sont essentiellement pourvus par elle. Les assignés qui y sont conduits ont d’abord été interrogés dans les quartiers militaires après une arrestation dont l’autorité civile, qui est celle de l’Etat, n’est jamais informée. C’est ensuite, et souvent après quelques semaines de détention et d’interrogatoires sans contrôle, que les individus sont dirigés par l’autorité militaire au centre de Beni-Messous et de là, sans assignation préalable et par convoi de cent cinquante à deux cents, au centre de Paul-Cazelles.
J’ai, pour mon compte personnel et sans chercher à échapper à cette responsabilité, accepté de signer et de revêtir de mon nom jusqu’à ce jour près de deux mille arrêtés d’assignation à résidence dans ces centres, arrêtés qui ne faisaient que régulariser une situation de fait. Je ne pouvais croire, ce faisant, que je régulariserais indirectement des interrogatoires indignes dont, au préalable, certains assignés avaient été les victimes.
Si je n’ignorais pas qu’au cours de certains interrogatoires des individus étaient morts sous la torture, j’ignorais cependant qu’à la villa Sesini, par exemple, ces interrogatoires scandaleux étaient menés, au nom de mon pays et de son armée, par le soldat de Ire classe F…, sujet allemand engagé dans le 1er R.E.P., et que celui-ci osait avouer aux détenus qu’il se vengeait ainsi de la victoire de la France en 1945.
Rien de tout cela, bien sûr, ne condamne l’armée française, non plus que la lutte impitoyable qui doit être menée par elle dans ce pays, et qui devait l’être à Alger plus spécialement contre la rébellion, l’assassinat, le terrorisme et leurs complices de tout ordre.
Mais tout cela condamne la confusion des pouvoirs et l’arbitraire qui en découle. Ce n’est plus tel ou tel responsable connu qui mène les interrogatoires, ce sont des unités militaires. Les suspects ne sont plus retenus dans les enceintes de la justice civile ou militaire, ni même dans les lieux connus de l’autorité administrative. Ils sont partout et nulle part. Dans ce système, la justice —même la plus expéditive — perd ne serait-ce que l’exemplarité de ses décisions. Par ces méthodes improvisées et incontrôlées, l’arbitraire trouve toutes les justifications. La France risque, au surplus, de perdre son âme dans l’équivoque.
Je n’ai jamais eu le cynisme et je n’ai plus la force d’admettre ce qu’il est convenu d’appeler des « bavures », surtout lorsque ces bavures ne sont que le résultat d’un système dans lequel l’anonymat est seul responsable.
C’est parce que je crois encore que dans sa lutte la France peut être violente sans être injuste ou arbitrairement homicide, c’est parce que je crois encore aux lois de la guerre et à l’honneur de l’armée française que je ne crois pas au bénéfice à attendre de la torture ou simplement de témoins humiliés dans l’ombre.
Sur quelque 257 000 déportés, nous ne sommes plus que 11 000 vivants. Vous ne pouvez pas, monsieur le ministre, me demander de ne pas me souvenir de ce pour quoi tant ne sont pas revenus et de ce pour quoi les survivants, dont mon père et moi-même, doivent encore porter témoignage.
Vous ne pouvez pas me le demander parce que telle est votre conviction et celle du gouvernement de mon pays.
C’est bien, au demeurant, ce qui m’autorise à vous adresser personnellement cette lettre, dont il va sans dire qu’il n’est pas dans mes intentions de me servir d’une quelconque manière. Dans l’affirmation de ma conviction comme de ma tristesse, je conserve le souci de ne pas indirectement justifier les partisans de l’abandon et les lâches qui ne se complaisent que dans la découverte de nos erreurs pour se sauver eux-mêmes de la peur. J’aimerais, en revanche, être assuré que vous voudrez bien, à titre personnel, prendre en considération le témoignage d’un des fonctionnaires installés en Algérie par votre confiance et qui trahirait cette confiance, s’il ne vous disait pas ce qu’il a vu et ce que personne n’est en droit de contester, s’il n’est allé lui-même vérifier.
J’ai, en tout état de cause, monsieur le ministre, perdu la confiance dans les moyens qui me sont actuellement impartis pour occuper honnêtement le poste que vous m’aviez assigné. Je vous demande, en conséquence, de bien vouloir prier M. le ministre de l’Intérieur de m’appeler rapidement à d’autres fonctions.
Je vous demande enfin, monsieur le ministre, d’agréer cette lettre comme l’hommage le plus sincère de mon très profond et fidèle respect.
Paul Teitgen »
Source : Charlotte Delbo, Les Belles Lettres, Paris, Minuit, 1961, p. 80.
Destin : Général Jacques de Bollardière. 1974 (André Gazut). Boycotté par toutes les télévisions de l’hexagone.
« Si l’on examine cette fiction de près, il n’apparaît même pas qu’elle vaille un regret. Il suffit de tenir compte de la faiblesse humaine pour comprendre qu’une vie d’où la notion même du travail aurait à peu près disparu serait livrée aux passions et peut-être à la folie ; il n’y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n’y a pas d’autre source de discipline pour l’homme que l’effort demandé par les obstacles extérieurs. Un peuple d’oisifs pourrait bien s’amuser à se donner des obstacles, s’exercer aux sciences, aux arts, aux jeux ; mais les efforts qui procèdent de la seule fantaisie ne constituent pas pour l’homme un moyen de dominer ses propres fantaisies. Ce sont les obstacles auxquels on se heurte et qu’il faut surmonter qui fournissent l’occasion de se vaincre soi-même. Même les activités en apparence les plus libres, science, art, sport, n’ont de valeur qu’autant qu’elles imitent l’exactitude, la rigueur, le scrupule propre aux travaux, et même les exagèrent. Sans le modèle que leur fournissent sans le savoir le laboureur, le forgeron, le marin qui travaillent comme il faut, pour employer cette expression d’une ambiguïté admirable, elles sombreraient dans le pur arbitraire. »
Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934