Sélinonte

Temple E.

Lors de notre voyage en Sicile et dans les Ïles Eoliennes, nous avons visité le mardi 6 juin 2017 le site de Sélinonte qui couvre 270 ha.

Cette prospère cité grecque occupait un magnifique endroit situé sur un promontoire entre grandes deux rivières aujourd’hui ensablées. Longée par la mer dans sa partie sud, elle abrite huit temples et une acropole qui se trouve au coeur de la nature (fleurs des champs, herbes aromatiques, espèce de céleri sauvage (selinon en grec) qui a donné son nom à la colonie grecque).

La ville aurait été fondée en 628 av.J.C. par des Grecs venant de Megara Hyblaea, colonie situé au nord de Syracuse. Ils étaient attirés par la fertilité de la région qui produisait en abondance le blé et l’ huile. La colonie prospéra pendant 200 ans. Lorsqu’elle s’allia avec Syracuse contre Carthage, Ségeste, sa rivale, demanda l’aide des Carthaginois et en 409 av.J.C., Hannibal de Giscon ( v 471 av. J.-C. – 406 av. J.-C.) lança son armée de plus de 100 000 hommes sur Sélinonte qui tomba en neuf jours. Environ 16 000 habitants furent massacrés et 5 000 vendus comme esclaves. 2 600 personnes se réfugièrent à Agrigente. La cité avait compté jusqu’à 30 000 habitants à son apogée.

La cité ne retrouva plus jamais sa grandeur. Elle se maintint encore vaille que vaille un siècle et demi, puis le site fut abandonné. Plus tard, les Byzantins puis les Arabes s’installèrent dans ses ruines. Les nombreux tremblements de terre achevèrent sa quasi-destruction. Elle fut redécouverte par un moine dominicain au XVI siècle. Des archéologues anglais, Samuel Angell et William Harris, firent des recherches en 1823 et mirent à jour les premières métopes. Les fouilles sont systématiques depuis 1950. Elles se poursuivent aujourd’hui.

Le site se compose de trois zones: la première, sur la colline orientale, regroupe trois temples (E,F,G); la deuxième, l’ancienne acropole en regroupe cinq (Temples A,B,C,D et O); la troisième était une enceinte sacrée où s’élevait le Santuario della Malophoros (575 av.J.C.).

Les temples E et F sont les mieux conservés. Le temple E (480-460 av.J.C.), consacré à Héra et relevé en 1958, est un temple périptère, comportant six colonnes sur sa largeur et quinze sur sa longueur. Il est allongé par la présence d’un opisthodome. Le temple F (560-540 av.J.C.) était probablement dédié à Athéna. C’est le plus petit et le plus ancien des trois temples de la colline orientale. Il est entièrement en ruine. Ses colonnes cannelées gisent au sol. Le temple G, un des plus vastes du monde grec (113 m sur 30 m de haut), était inachevé au moment de l’attaque carthaginoise comme le montrent ses colonnes non cannelées. Ses fûts atteignent un diamètre de 3,40 m. Chaque tambour pèse au moins 100 tonnes. Il n’a plus aujourd’hui qu’une colonne encore debout. Aujourd’hui, c’est un impressionnant amas de fragments et de colonnes colossales renversées. Il était peut-être dédié à Apollon ou plus vraisemblablement à Zeus Olympien.

Un sentier mène à l’acropole où s’élevaient les bâtiments publics et religieux et quelques résidences appartenant aux classes aisées. De grands remparts, de 4,50 m d’épaisseur, furent construits après l’affrontement avec les Carthaginois en 306 av.J.C. sur une centaine d’hectares. Ils devaient protéger la ville. Le temple C, avec ses douze hautes colonnes, est le plus ancien (début du VI siècle av.J.C.) et le mieux conservé. De là, proviennent les superbes métopes qui ornaient ses frises et se trouvent maintenant au Musée archéologique de Palerme.

Temple F.

René Char

René Char.

Baudelaire mécontente Nietzsche

C’est Baudelaire qui postdate et voit juste de sa barque de souffrance, lorsqu’il nous désigne tels que nous sommes. Nietzsche, perpétuellement séismal, cadastre tout notre territoire agonistique. Mes deux porteurs d’eau.

Obligation, sans reprendre souffle, de raréfier, de hiérarchiser êtres et choses empiétant sur nous.
Comprenne qui pourra. Le pollen n’échauffant plus un avenir multiple s’écrase contre la paroi rocheuse.

Que nous défiions l’ordre ou le chaos, nous obéissons à des lois que nous n’avons pas intellectuellement instituées. Nous nous en approchons à pas de géant mutilé.

De quoi souffrons-nous le plus? De souci. Nous naissons dans le même torrent, mais nous y roulons différemment, parmi les pierres affolées. Souci? Instinct garder.

Fils de rien et promis à rien, nous n’aurions que quelques gestes à faire et quelques mots à donner.
Refus. Interdisons notre hargneuse porte aux mygales jactantes, aux usuriers du désert. L’œuvre non vulgarisable, en volet brisé, n’inspire pas d’application, seulement le sentiment de son renouveau.

Ce que nous entendons durant le sommeil, ce sont bien les battements de notre coeur, non les éclairs de notre âme sans emploi.

Mourir, c’est passer à travers le chas de l’aiguille après de multiples feuillaisons. Il faut aller à travers la mort pour émerger devant la vie, dans l’état de modestie souveraine.

Qui appelle encore? Mais la réponse n’est point donnée.
Qui appelle encore pour un gaspillage sans frein? Le trésor entrouvert des nuages qui escortèrent notre vie.

La nuit talismanique qui brillait dans son cercle, 1972.

Charles Baudelaire 1844 (Emile Deroy (1820–1846).
Friedrich Nietzsche, 1875.

Madrid 11-M

Dessin de Forges (1942-2018).

Il y a 15 ans. Hace 15 años.
Les attentats qui ont touché Madrid le jeudi 11 mars 2004 ont été l’acte terroriste le plus meurtrier en Europe depuis 1988. Plusieurs explosions de bombes, posées par des islamistes radicaux, se sont produites dans des trains de banlieue à Madrid ce matin-là, exactement deux années et demie après les attentats du 11 septembre 2001 Aux Etats-Unis.
191 personnes sont mortes, 1900 ont été blessées. Sur treize bombes utilisées, dix ont explosé.
Les Espagnols désignent cet événement par l’expression 11-M.
Les explosions ont eu lieu pendant l’heure de pointe entre 7h32 et 7h 39, aux gares d’Atocha (trois bombes), El Pozo del Tío Raimundo (deux bombes), Santa Eugenia (une bombe), ainsi que dans un train juste en dehors d’Atocha à la Calle Téllez (quatre bombes).

Monumento 11-M, Estación de Atocha, Madrid.

Victor Serge (1890-1947)

Victor Serge et Laurette Séjourné, Écris-moi à Mexico. Correspondance inédite 1941-1942, Éditions Signes et Balises (224 p., 17€). Texte établi, transcrit et édité par Françoise Bienfait et Tessa Brissac. Précédé de «Victor Serge au Mexique: le dernier exil», d’Adolfo Gilly.

«Je crois que l’une des pires de nos erreurs et de nos fautes est d’abord l’intolérance envers les nôtres. Elle provient de ce sentiment de détenir la vérité qui est au fond de toutes les convictions fortes, sentiment juste et nécessaire – nous détenons de grandes vérités – , mais qui produit aussi les inquisiteurs et les sectaires. Notre salut est dans une intransigeance tolérante, qui consiste à nous reconnaître mutuellement le droit à l’erreur, le plus humain des droits, et le droit de penser autrement, le seul qui donne un sens au mot liberté.» (Pleine attente (notes sur un voyage de Paris à Mexico)

Victor Serge (Viktor Lvovitch Kibaltchitch 1890-1947) a embarqué avec son fils Vlady à Marseille sur le navire Capitaine Paul-Lemerle le 24 mars 1941. Son voyage durera six mois. Il n’arriva au Mexique qu’en septembre 1941. L’exilé avait fait halte à Port-au-Prince, à la Havane; à l’époque, des lieux qui lui paraissaient paradisiaques et hors de l’histoire. Il attendait avec angoisse l’arrivée de Laurette Séjourné (née Laura Valentini 1911-2003), sa nouvelle compagne rencontrée en 1937. Mais le visa a traîné et Laurette Séjourné n’arrivera que six mois plus tard. Elle passera le reste de sa vie à Mexico et sera une anthropologue et ethnologue très renommée. Dans les années 1950, elle travailla à l’INAH (Institut National d’Anthropologie et d’Histoire du Mexique) et fit des fouilles à Teotihuacán. Son principal travail concernera la figure de Quetzalcóatl. De plus, elle affirma que Teotihuacán était la légendaire Tula (aussi connue sous le nom de Tolan et de Tollan).

Sur le navire Capitaine Paul-Lemerle, se trouvaient entre autres André Breton et Jacqueline Lamba, la romancière allemande Anna Seghers, la photographe Germaine Krull, les peintres André Masson et Wifredo Lam ainsi que Claude Lévi-Strauss qui racontera cette traversée dans Tristes tropiques (1955).

Victor Serge mourut dans un taxi d’une crise cardiaque le 17 novembre 1947 alors qu’il se rendait chez son fils Vlady pour lui remettre son dernier poème, Mains.

L’écrivain et éditeur Adrien Bosc a décrit cet exode maritime dans son deuxième roman, publié à la rentrée 2018 chez Stock Capitaine.

Victor Serge à sa table de travail (Vladimir Viktorovitch Kibaltchitch Roussakov dit Vlady 1920-2005) à Ciudad Trujillo, nom donné à Santo Domingo de 1936 à 1961.

Jean Cassou (1897-1986)

La mémoire courte. Éditions de Minuit, 1954 ; réédition, Mille et une Nuits, 2001 ; réédition, Éditions Sillage, 2017.

«Ce traître (Pétain) avait raison : les Français d’aujourd’hui ont la mémoire courte. Encore, au lieu de les vitupérer eut-il dû les féliciter et s’en féliciter, puisque faute de mémoire, ils ont pu admettre que trahir sa patrie est un acte vertueux et méritoire. Mais la position plus ou moins favorable d’un Pétain par rapport à la défaillance d’une faculté mentale de la nation française est de peu d’intérêt. Ce qui nous frappe ici, c’est que, pour en tirer quelque conclusion que ce soit, il ait mis le doigt sur une chose aussi capitale que la mémoire. Qu’il ait senti que tout se passe là. L’HOMME est avant tout mémoire…. L’écourtement de la mémoire, c’est la mort.»

Jean Cassou est en 1934 membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et directeur de la revue Europe de 1936 à 1939. En 1936, il participe au cabinet de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire. Grand résistant. Automne 1940 Il participe au réseau de résistance créé par Boris Vildé et Alexandre Lewitsky au sein du musée de l’Homme. Emprisonné à Toulouse de décembre 1941 à février 1942, puis de juillet 1942 à juin 1943, il écrit dans sa prison les trente-trois sonnets composés au secret, publiés dans la clandestinité, sous le pseudonyme de Jean Noir, par les éditions de Minuit.   Passé dans la clandestinité, il est chargé de coordonner l’actions des forces résistantes dans le Sud-Ouest. Rédacteur des Cahiers de la Libération et Président du Comité régional de Libération de Toulouse. Juin 1944 Commissaire de la République de la région de Toulouse.Très grièvement blessé par les Allemands à la veille de la libération de la ville, il reçoit, sur son lit d’hôpital, la croix de Compagnon de la Libération des mains du général de Gaulle.
Octobre 1945 Conservateur en chef du Musée national d’art moderne, poste qu’il occupe jusqu’en 1965. Février 1946 Président du Comité national des écrivains. 1953 Les éditions de Minuit publient La mémoire courte, réponse de Jean Cassou à la Lettre aux directeurs de la Résistance de Jean Paulhan, éditée par ces mêmes éditions en 1951. De 1965 à 1970, il est directeur d’études à l’École pratique des hautes études.
C’est le beau-frère du philosophe Vladimir Jankélévitch (1903-1985), dont il a épousé la sœur, pianiste, Ida Jankélévitch (1898-1982).

 

Jean Cassou.

 

Gilles Deleuze (1925-1995)

Gilles Deleuze.

Les intercesseurs

Le complot des imitateurs
Comment définir une crise de la littérature aujourd’hui? Le régime des best-sellers, c’est la rotation rapide. Beaucoup de libraires tendent déjà à s’aligner sur les disquaires qui ne prennent que des produits répertoriés par un top-club ou un hit-parade. C’est le sens d’«Apostrophes». La rotation rapide constitue nécessairement un marché de l’attendu: même l’«audacieux», le «scandaleux», l’étrange, etc., se coulent dans les formes prévues du marché. Les conditions de la création littéraire, qui ne peuvent se dégager que dans l’inattendu, la rotation lente et la diffusion progressive sont fragiles. Les Beckett ou les Kafka de l’avenir, qui ne ressemblent justement ni à Beckett ni à Kafka, risquent de ne pas trouver d’éditeur, sans que personne s’en aperçoive par définition. Comme dit Lindon, «on ne remarque pas l’absence d’un inconnu». L’U.R.S.S. a bien perdu sa littérature sans que personne s’en aperçoive. On pourra se féliciter de la progression quantitative du livre et de l’augmentation des tirages: les jeunes écrivains se trouveront moulés dans un espace littéraire qui ne leur laissera pas la possibilité de créer. Se dégage un roman standard monstrueux, fait d’imitation de Balzac, de Stendhal, de Céline, de Beckett ou de Duras, peu importe. Ou plutôt Balzac lui-même est inimitable, Céline est inimitable: ce sont de nouvelles syntaxes, des «inattendus». Ce qu’on imite, c’est déjà et toujours une copie. Les imitateurs s’imitent entre eux, d’où leur force de propagation, et l’impression qu’ils font mieux que le modèle, puisqu’ils connaissent la manière ou la solution.

C’est terrible, ce qui se passe à «Apostrophes». C’est une émission de grande force technique, l’organisation, les cadrages. Mais c’est aussi l’état zéro de la critique littéraire, la littérature devenue spectacle de variétés. Pivot n’a jamais caché que ce qu’il aimait vraiment, c’était le football et la gastronomie. La littérature devient un jeu télévisé. Le vrai problème des programmes à la télévision, c’est l’envahissement des jeux. C’est quand même inquiétant qu’il y ait un public enthousiaste, persuadé qu’il participe à une entreprise culturelle, quand il voit deux hommes rivaliser pour faire un mot avec neuf lettres. Il se passe des choses bizarres, sur lesquelles Rossellini, le cinéaste, a tout dit. Ecoutez bien: «Le monde aujourd’hui est un monde trop vainement cruel. La cruauté, c’est aller violer la personnalité de quelqu’un, c’est mettre quelqu’un en condition pour arriver à une confession totale et gratuite. Si c’était une confession en vue d’un but déterminé je l’accepterais, mais c’est l’exercice d’un voyeur, d’un vicieux, disons-le, c’est cruel. je crois fermement que la cruauté est toujours une manifestation d’infantilisme. Tout l’art d’aujourd’hui devient chaque jour plus infantile. Chacun a le désir fou d’être le plus enfantin possible. je ne dis pas ingénu: enfantin… Aujourd’hui, l’art, c’est ou la plainte ou la cruauté. Il n’y a pas d’autre mesure: ou l’on se plaint, ou l’on fait un exercice absolument gratuit de petite cruauté. Prenez par exemple cette spéculation (il faut l’appeler par son nom) qu’on fait sur l’incommunicabilité, sur l’aliénation, je ne trouve en cela aucune tendresse, mais une complaisance énorme… Et cela, je vous l’ai dit, m’a déterminé à ne plus faire de cinéma.» Et cela devrait d’abord déterminer à ne plus faire d’interview. La cruauté et l’infantilisme sont une épreuve de force même pour ceux qui s’y complaisent, et s’imposent même à ceux qui voudraient y échapper.(…)

Si la littérature meurt, ce sera par assassinat
Ceux qui n’ont pas bien lu ni compris McLuhan peuvent penser qu’il est dans la nature des choses que l’audiovisuel remplace le livre, puisqu’il comporte lui-même autant de potentialités créatrices que la littérature défunte ou d’autres modes d’expression. Ce n’est pas vrai. Car, si l’audiovisuel en vient à remplacer le livre, ce ne sera pas en tant que moyen d’expression concurrent, mais en tant que monopole exercé par des formations qui étouffent aussi les potentialités créatrices dans l’audiovisuel lui-même. Si la littérature meurt, ce sera nécessairement par mort violente et assassinat politique (comme en U.R.S.S., même si personne ne s’en aperçoit). La question n’est pas celle d’une comparaison des genres. L’alternative n’est pas entre la littérature écrite et l’audiovisuel. Elle est entre les puissances créatrices (dans l’audiovisuel aussi bien que dans la littérature) et les pouvoirs de domestication. Il est très douteux que l’audiovisuel puisse se donner des conditions de création si la littérature ne sauve pas les siennes. Les possibilités de création peuvent être très différentes suivant le mode d’expression considéré, elles n’en communiquent pas moins dans la mesure où c’est toutes ensemble qu’elles doivent d’opposer à l’instauration d’un espace culturel de marché et de conformité, c’est-à-dire de «production pour le marché».

Vladimir Jankélévitch (1903-1985) III

Fausse carte d’identité de Vladimir Jankélévitch, 1942.

J’ai vu avec J. mercredi 6 février l’exposition Vladimir Jankélévitch, figures du philosophe à la BNF. Le quartier est en construction depuis des années. La Bibliothèque nationale de France «site François-Mitterrand», créée en 1996-98 par Dominique Perrault, a reçu en 1996 le Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe. Ses quatre grandes tours angulaires de 79 mètres et vingt-deux étages ne m’ont jamais semblé bien agréables à voir. Pourquoi avoir construit un jardin de 9 000 m²(50 m x 180 m), entouré d’une allée de 3,75 m de large, soit 10 780 m² au total) et l’avoir fermé au public? Ce géant semble néanmoins fonctionner et attirer les jeunes étudiants. Tant mieux!

L’exposition rétrospective Vladimir Jankélévitch rassemble 120 pièces conservées au département des Manuscrits et données par sa famille à la BnF. Manuscrits, tapuscrits, ouvrages, correspondances, photographies ou documents audiovisuels éclairent la pensée et l’itinéraire de cette grande figure de la philosophie française du XX ème siècle. L’exposition montre bien ses combats dans la Résistance, ses engagements humanistes jusqu’à sa mort en 1985 et l’importance de la musique dans sa vie. Réfugié à Toulouse pendant la seconde Guerre mondiale, il y a mené des actions de résistance tout en faisant paraître des textes comme Du mensonge, Le Nocturne en 1942 ou l’article De la simplicité, en hommage à Henri Bergson, en 1943. Fidèle à cet esprit, il reviendra sans cesse sur l’impossibilité d’oublier ou de banaliser la Shoah, sur les diverses formes de résurgence de l’antisémitisme. Toute sa vie, il combattra aux côtés des persécutés politiques, des victimes du racisme et des réfugiés.

Citations glanées ici et là dans cette exposition:

Vladimir Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, Paris, Seuil, 1981, pp. 32-33.

«Seul compte l’exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes»

Vladimir Jankélévitch, L’irréversible et la nostalgie , Éditions Flammarion, 1983.

«Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été: désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité.»

Vladimir Jankélévitch, L’imprescriptible.Pardonner? Dans l’honneur et la dignité. Le Seuil 1986 p.59-60

«Les innombrables morts, ces massacrés, ces torturés, ces piétinés, ces offensés sont notre affaire à tous. Qui en parlerait si nous n’en parlions pas? Qui même y penserait? Dans l’universelle amnistie morale depuis longtemps accordée aux assassins, les déportés, les fusillés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer et ils seraient anéantis définitivement. Les morts dépendent entièrement de notre fidélité.»

Vladimir Jankélévitch, L’Arc n° 75. 1979

«Je joue du piano…pour rien. Parce que j’en ai envie. C’est une grande partie de ma vie. Ce soir, vous allez m’empêcher d’en faire…Je me demande même si je n’aime pas le piano davantage que la musique. Le piano, c’est un plaisir complet, qui va jusqu’au bout des doigts: il y a un plaisir particulier à enfoncer les touches.»

Vladimir Jankélévitch, France Culture, entretiens rediffusés le 8 juin 1985.

«Mon père n’est pas dans le cimetière où il est enterré. Il est plutôt à sa table de travail et dans le livre qu’il m’a laissé, et dans la pensée qu’il m’a léguée; il est dans…il est dans ces choses-là, mais il n’est pas dans le cimetière. Dans le cimetière, il n’y a rien.»

Cartes de membre et d’adhérent 01.

Cartes de membre et d’adhérent 02.

Hannah Arendt – Bertolt Brecht – Walter Benjamin

Port Bou. Monument à Walter Benjamin. Passages (Dani Karavan) 1990-94.

Un jour avant l’entrée de l’armée allemande dans Paris, le 13 juin 1940, Walter Benjamin quitte la capitale et se rend à Lourdes où il arrive le 15 juin. Il y reste deux mois. De là, il part à Marseille à la mi-août et finalement arrive à Port-Vendres le 25 septembre 1940 avec l’intention de fuir en Espagne. Arrivé dans la petite commune des Pyrénées-Orientales, il se fait connaître auprès de Hans et Lisa Fittko (née Elizabeth Eckstein 1909-2005), deux Allemands passés dans la résistance au nazisme, qui peuvent lui faire franchir la frontière clandestinement. Walter Benjamin a quarante-huit ans, il souffre de multiples pathologies. Son dos (sciatique chronique), son cœur (myocardite) font qu’il prend de la morphine afin de soulager ses douleurs. Avec deux autres candidats à l’exil, Henny Gurland (1900-1952, femme photographe rencontrée à Marseille et future épouse du psychanalyste Erich Fromm) et son fils José, âgé de seize ans, conduits par Lisa, ils parviennent au bout d’une dizaine d’heures à Portbou. Il y écrit sa toute dernière lettre en français le 25 septembre 1940: «Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir. C’est dans un petit village dans les Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s’achever». Dans la soirée du 26 septembre 1940, après avoir franchi la frontière, Walter Benjamin se suicide à l’hôtel Fonda de Francia en absorbant une forte dose de morphine. Il meurt vers 22 heures.

D’après Lisa Fittko, les autorités espagnoles ont avisé les trois fuyards qu’une nouvelle directive du gouvernement espagnol préconisait la reconduite des apatrides en France, ce que Benjamin n’aurait pas supporté. La nouvelle réglementation ne fut toutefois jamais appliquée et était sans doute déjà annulée quand il se donna la mort.

Les papiers contenus dans la serviette en cuir de Benjamin qui incluait, disait-il, un manuscrit «plus important que sa vie», n’ont pas été retrouvés même s’ils ont été répertoriés comme liasse de manuscrit dans la main courante de la police de Portbou. Le philosophe a aussi écrit une lettre d’adieu à Theodor W. Adorno, dictée à sa compagne de fuite Henny Gurland.

Il est enterré dans le cimetière de Portbou (niche n°563) Son corps est jeté à la fosse commune le 24 décembre 1945, une fois le délai de location de l’emplacement de cinq ans dépassé.

Bien que sa dépouille n’ait jamais été retrouvée, un monument funéraire lui est dédié au cimetière de Portbou. Une œuvre commémorative du sculpteur israélien Dani Karavan intitulée Passages a été érigée en 1990-94 en hommage au philosophe dans le petit port catalan.

Son frère cadet qui exerça toujours la médecine à Berlin meurt dans le camp de concentration de Mauthausen le 26 août 1942.

Hannah Arendt.

(À l’automne 1942, Hannah Arendt écrit ce poême à la mémoire de Walter Benjamin )

Un jour le crépuscule reviendra,
La nuit tombera des étoiles,
Nous reposerons nos membres disloqués
Près d’ici, loin d’ici.
Dans les ténèbres on entend
Poindre de douces mélodies.
Écoutons bien, perdons nos habitudes,
Brisons enfin les rangs.
Voix lointaines, chagrin proche – :
La voix de chacun des morts,
Qui nous précède, messager envoyé
Pour nous conduire au sommeil.

Bertolt Brecht, Paris 1939. (Joseph Breitenbach)

Sur la libre mort de l’exilé W.B. (Bertolt Brecht)

J’apprends que tu as levé la main sur toi-même
Devançant ainsi le bourreau.

Après huit ans d’exil passés à observer le monde de l’ennemi
Rejeté à la fin vers une frontière infranchissable
Tu as franchi, me dit-on, une frontière infranchissable.

Des empires s’écroulent. Les chefs de bande
Paradent en jouant les hommes d’État. Les peuples
Disparaissent, invisibles sous les armements.

Ainsi l’avenir est dans la nuit et les forces des bons
Sont chétives. Tout cela tu le vis
Quand tu détruisis ton corps torturable.

1941. Poèmes VI. 1941-47.

A Walter Benjamin, qui se suicida alors qu’il fuyait devant Hitler (Bertolt Brecht)

Fatiguer l’adversaire était ta tactique préférée
Lors des parties d’échecs à l’ombre du poirier
L’ennemi qui t’a fait quitter tous tes papiers
Par des gens comme nous ne se laisse pas fatiguer.

Bertolt Brecht, Walter Benjamin 1934.

Walter Benjamin (1892-1940)

Walter Benjamin à Pontigny (Gisèle Freund), Mai 1939.

Dans la seconde quinzaine de mai  1939, Walter Benjamin se rend à Pontigny, hors décades. Ce qui l’amène là est prosaïque. Craignant d’être privé de tous subsides après que Max Horkheimer, directeur de l’Institut de Recherches Sociales, lui a annoncé que l’Institut exsangue ne peut plus le payer, il se met en quête de mécènes. Son espoir Pontigny, Paul Desjardins (1859-1940), la NRF. Mais, il est déçu. Paul Desjardins n’est plus que l’ombre de lui-même et Pontigny aussi. Walter Benjamin qualifie ce séjour de “naufrage”. A cette occasion, il donne une petite conférence sur Baudelaire dans la belle bibliothèque, conférence qui fut prise en sténo.

Walter Benjamin, Ecrits français. Folio essais, Gallimard 1991.

Notes sur les Tableaux parisiens de Baudelaire.

«Il paraît que par échappées, Baudelaire ait saisi certains traits de cette inhumanité à venir. On lit dans les Fusées; «Le monde va finir… Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie…Ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle…Ce sera par l’asservissement des coeurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie?…Ces temps sont peut-être bien proches; qui sait même s’ils ne sont pas venus, et si l’épaississement de notre nature n’est pas le seul obstacle qui nous empêche d’apprécier le milieu dans lequel nous respirons?»
Nous ne sommes déjà pas si mal placés pour convenir de la justesse de ces phrases. Il y a bien des chances qu’elles gagneront en sinistre. Peut-être la condition de la clairvoyance dont elles font preuve, était-elle beaucoup moins un don quelconque d’observateur que l’irrémédiable détresse du solitaire au sein des foules. Est-il trop audacieux de prétendre que ce sont ces mêmes foules qui, de nos jours, sont pétries par les mains des dictateurs? Quant à la faculté d’entrevoir dans ces foules asservies des noyaux de résistance – noyaux que formèrent les masses révolutionnaires de quarante- huit et les communards- elle n’était pas dévolue à Baudelaire. Le désespoir fut la rançon de cette sensibilité qui, la première abordant la grande ville, la première en fut saisie d’un frisson que nous, en face des menaces multiples, par trop précises, ne savons même plus sentir.»

Illustration de Georges Rochegrosse aux Fleurs du mal. Ferroud. 1917.