Juan Luis Arsuaga Ferreras est né à Madrid en 1954. C’est un paléoanthropologue espagnol. Il est l’un des découvreurs de l’espèce Homo antecessor, le plus ancien représentant du genre Homo en Europe occidentale. Il date d’environ 850 000 ans. Les fossiles ont été mis au jour à Atapuerca (Burgos) en Espagne.
Ce site fut révélé lors de la construction d’une tranchée pour la construction d’une voie de chemin de fer, reliant Burgos à des mines de charbon. Les découvertes se limitèrent alors à du matériel de l’Âge du bronze et à des peintures rupestres.
L’ingénieur des mines, Trino Torres, et l’anthropologue, Emiliano Aguirre, trouvent en 1976 dans la montagne des fossiles d’ours préhistoriques, ainsi que plusieurs fossiles humains. Les fouilles commencent véritablement en 1978 dans deux des trois gisements principaux, Gran Dolina et Sima de los Huesos. A partir de 1982, Juan Luis Arsuaga est membre de l’équipe de recherche de ces gisements du Pléistocène. L’équipe de recherche reçoit le Prix Prince des Asturies (Recherche scientifique et technique) en 1997. Le site est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2000.
On peut aussi visiter à Burgos Le Musée de l’Évolution Humaine (MEH) Ce bâtiment, conçu par l’architecte Juan Navarro Baldeweg (1939-), est construit de 2006 à 2010. Il est inauguré le 13 juillet 2010. Il présente notamment les trouvailles de la Sierra d’Atapuerca et les restes fossiles de l’Homo antecessor.
«Quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n’a guère de chance de se tromper en répondant: ils tendent au bonheur; les hommes veulent être heureux et le rester. Cette aspiration a deux faces, un but négatif et un but positif: d’un côté éviter douleur et privation de joie, de l’autre rechercher de fortes jouissances. En un sens plus étroit, le terme «bonheur» signifie seulement que ce second but a été atteint. En corrélation avec cette dualité de buts, l’activité des hommes peut prendre deux directions, selon qu’ils cherchent – de manière prépondérante ou même exclusive – à réaliser l’un ou l’autre. On le voit, c’est simplement le principe du plaisir que détermine le but de la vie, qui gouverne dès l’origine les opérations de l’appareil psychique; aucun doute ne peut subsister quant à son utilité, et pourtant l’univers entier – le macrocosme aussi bien que le microcosme – cherche querelle à son programme. Celui-ci est absolument irréalisable ; tout l’ordre de l’univers s’y oppose; on serait tenté de dire qu’il n’est point entré dans le plan de la « Création » que l’homme soit ” heureux ” .
Ce qu’on nomme bonheur, au sens le plus strict, résulte d’une satisfaction plutôt soudaine de besoins ayant atteint une haute tension, et n’est possible de par sa nature que sous forme de phénomène épisodique. Toute persistance d’une situation qu’a fait désirer le principe du plaisir n’engendre qu’un bien-être assez tiède ; nous sommes ainsi faits que seul le contraste est capable de nous dispenser une jouissance intense, alors que l’état lui-même ne nous en procure que très peu. Ainsi nos facultés de bonheur sont déjà limitées par notre constitution. Or, il nous est beaucoup moins difficile de faire l’expérience du malheur.
La souffrance nous menace de trois côtés : dans notre corps qui, destiné à la déchéance et à la dissolution, ne peut même se passer de ces signaux d’alarme que constituent la douleur et l’angoisse ; du côté du monde extérieur, lequel dispose de forces invincibles et inexorables pour s’acharner contre nous et nous anéantir ; la troisième menace enfin provient de nos rapports avec les autres êtres humains. La souffrance issue de cette source nous est plus dure peut-être que toute autre ; nous sommes enclins à la considérer comme un accessoire en quelque sorte superflu, bien qu’elle n’appartienne pas moins à notre sort et soit aussi inévitable que celles dont l’origine est autre.
Ne nous étonnons point si sous la pression de ces possibilités de souffrance, l’homme s’applique d’ordinaire à réduire ses prétentions au bonheur (un peu comme le fit le principe du plaisir en se transformant sous la pression du monde extérieur en ce principe plus modeste qu’est celui de la réalité), et s’il s’estime heureux déjà d’avoir échappé au malheur et surmonté la souffrance ; si d’une façon très générale la tâche d’éviter la souffrance relègue à l’arrière-plan celle d’obtenir la jouissance. La réflexion nous apprend que l’on peut chercher à résoudre ce problème par des voies très diverses ; toutes ont été recommandées par les différentes écoles où l’on enseignait la sagesse ; et toutes ont été suivies par les hommes.»
Sur le concept d’histoire, 1940. Ce texte publié par l’Institut de recherches sociales (En mémoire de Walter Benjamin. Los Angeles, 1942) après la mort de l’écrivain a été rédigé dans les premiers mois de 1940. Il reprend et développe des idées autour desquels la réflexion de l’auteur tournait depuis plusieurs années.
Oeuvres III. Folio Essais n° 374. 2000. Page 431 (Traduction de Maurice de Gandillac).
VI
«Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir «comment les choses se sont réellement passées». Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger. Il s’agit pour le matérialisme historique de retenir l’image du passé qui s’offre inopinément au sujet historique à l’instant du danger. Ce danger menace aussi bien les contenus de la tradition que ses destinataires. Il est le même pour les uns et pour les autres, et consiste pour eux à se faire l’instrument de la classe dominante. À chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer. Car le messie ne vient pas seulement comme rédempteur; il vient comme vainqueur de l’antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher.»
Traduction de Michael Löwy.
«Articuler historiquement le passé ne signifie pas le connaître «tel qu’il a été effectivement», mais bien plutôt devenir maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un danger. Au matérialisme historique il appartient de retenir fermement une image du passé telle qu’elle s’impose, à l’improviste, au sujet historique à l’instant du danger. Le danger menace tout aussi bien l’existence de la tradition que ceux qui la reçoivent. Pour elle comme pour eux, il consiste à les livrer, comme instruments, à la classe dominante. A chaque époque il faut tenter d’arracher derechef la tradition au conformisme qui veut s’emparer d’elle. Le Messie ne vient pas seulement comme rédempteur ; il vient aussi comme vainqueur de l’Antéchrist. Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’échoit qu’à l’historiographe parfaitement convaincu que, devant l’ennemi, s’il vainc, mêmes les morts ne seront point en sécurité. Et cet ennemi n’a pas cessé de vaincre.»
Une version française, due à Walter Benjamin figure dans le volume, Ecrits français, Gallimard. 1991. Folio Essais n°418. 2003.
«Décrire le passé tel qu’il a été» voilà, d’après Ranke, la tâche de l’historien. C’est une définition toute chimérique. La connaissance du passé ressemblerait plutôt à l’acte par lequel à l’homme au moment d’un danger soudain se présentera un souvenir qui le sauve. Le matérialisme historique est tout attaché à capter une image du passé comme elle se présente au sujet à l’improviste et à l’instant même d’un danger suprême. Danger qui menace aussi bien les données de la tradition que les hommes auxquels elles sont destinées. Il se présente aux deux comme un seul et même: c’est-à-dire comme danger de les embaucher au service de l’oppression. Chaque époque devra, de nouveau, s’attaquer à cette rude tâche: libérer du conformisme une tradition en passe d’être violée par lui. Rappelons-nous que le messie ne vient pas seulement comme rédempteur mais comme le vainqueur de l’antéchrist. Seul un historien, pénétré qu’un ennemi victorieux ne va même pas s’arrêter devant les morts – seul cet historien-là saura attirer au cœur même des événements révolus l’étincelle d’un espoir. En attendant, et à l’heure qu’il est, l’ennemi n’a pas encore fini de triompher.
(Je remercie vivement Nathalie Raoux qui a publié aujourd’hui sur Twitter la fin de la citation de Walter Benjamin dans la traduction de Maurice de Gandillac.)
«Nous vivons dans un monde plutôt désagréable, où non seulement les gens, mais les pouvoirs établis ont intérêt à nous communiquer des affects tristes. La tristesse, les affects tristes sont tous ceux qui diminuent notre puissance d’agir. Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves. Le tyran, le prêtre, les preneurs d’âmes, ont besoin de nous persuader que la vie est dure et lourde. Les pouvoirs ont moins besoin de nous réprimer que de nous angoisser, ou, comme dit Virilio, d’administrer et d’organiser nos petites terreurs intimes. La longue plainte universelle qu’est la vie …On a beau dire « dansons », on est pas bien gai. On a beau dire « quel malheur la mort », il aurait fallu vivre pour avoir quelque chose à perdre. Les malades, de l’âme autant que du corps, ne nous lâcheront pas, vampires, tant qu’ils ne nous auront pas communiqué leur névrose et leur angoisse, leur castration bien-aimée, le ressentiment contre la vie, l’immonde contagion. Tout est affaire de sang. Ce n’est pas facile d’être un homme libre : fuir la peste, organiser les rencontres, augmenter la puissance d’agir, s’affecter de joie, multiplier les affects qui expriment un maximum d’affirmation. Faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à l’organisme, faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la conscience.(…)
L’Âme et le corps, l’âme n’est ni au dessus ni au-dedans elle est «avec», elle est sur la route, exposée a tous les contacts, les rencontres, en compagnie de ceux qui suivent le même chemin, “sentir avec eux, saisir la vibration de leur âme et de leur chair au passage”, le contraire d’une morale de salut, enseigner à l’âme à vivre sa vie, non pas à la sauver.»
Gilles Deleuze. Dialogues avec Claire Parnet. Paris, éditions Flammarion, 1977.
“Baruch de Spinoza naît en 1632 dans le quartier juif d’Amsterdam, d’une famille de commerçants aisés, d’origine espagnole ou portugaise. A l’école juive il fait des études, théologiques et commerciales. Dès treize ans, il travaille dans la maison de commerce de son père tout en poursuivant ses études (à la mort de son père, en 1654, il la dirigera avec son frère, jusqu’en 1656). Comment opéra la lente conversion philosophique qui le fit rompre avec la communauté juive, avec les affaires, et le conduisit à l’excommunication de 1656? Nous ne devons pas imaginer homogène la communauté d’Amsterdam; elle a autant de diversité, d’intérêts et d’idéologies que les milieux chrétiens. Elle est en majorité composée d’ex-marranes, c’est-à-dire de juifs ayant pratiqué extérieurement le catholicisme en Espagne et au Portugal, et qui durent émigrer à la fin du XVIe siècle. Même sincèrement attachés à leur foi, ils sont imprégnés d’une culture philosophique, scientifique et médicale qui ne se concilie pas sans peine avec le judaïsme rabbinique traditionnel. Le père de Spinoza semble lui-même un sceptique, qui n’en tient pas moins un rôle important dans la synagogue et la communauté juive. A Amsterdam, certains ne se contentent pas de mettre en question le rôle des rabbins et de la tradition, mais le sens de l’Ecriture elle-même: Uriel da Costa sera condamné en 1647 pour avoir nié l’immortalité de l’âme et la loi révélée, ne reconnaissant que la loi naturelle; et surtout Juan de Prado sera mis en pénitence en 1656, puis excommunié, accusé d’avoir soutenu que les âmes meurent avec les corps, que Dieu n’existe que philosophiquement parlant, et que la foi est inutile. Des documents récemment publiés attestent les liens étroits de Spinoza avec Prado; on peut penser que les deux cas furent joints. Si Spinoza fut condamné plus sévèrement, excommunié dès 1656, c’est parce qu’il refusait pénitence et cherchait lui-même la rupture. Les rabbins, comme dans beaucoup d’autres cas, semblent avoir souhaité un accommodement. Mais, au lieu de pénitence, Spinoza rédigea une Apologie pour justifier sa sortie de la Synagogue, ou du moins une ébauche du futur Traité théologico-politique. Que Spinoza fût né à Amsterdam même, enfant de la communauté, devait aggraver son cas. La vie lui devenait difficile à Amsterdam. Peut-être à la suite d’une tentative d’assassinat par un fanatique, il se rend à Leyde pour continuer des études de philosophie, et s’installe dans la banlieue à Rijnsburg. On raconte que Spinoza gardait son manteau percé d’un coup de couteau, pour mieux se rappeler que la pensée n’était pas toujours aimée des hommes; s’il arrive qu’un philosophe finisse dans un procès, il est plus rare qu’il commence par une excommunication et une tentative d’assassinat.”
Spinoza Philosophie pratique. Éditions de Minuit, 2003. Collection de poche Reprise n°4. La première édition de ce livre a paru aux Presses universitaires de France en 1970. Elle a été rééditée aux Éditions de Minuit en 1981, modifiée et augmentée de plusieurs chapitres (III, V et VI).
René, 67 ans, raconte à sa fille Nina ses années 52-62, ses années algériennes, celles de l’enfance et de la guerre. En cinq épisodes, il fait appel à ses sens pour se souvenir de ce que ses yeux d’enfant ont vu, de ce que son nez sentait, de ce qu’il mangeait et ne mange plus, de ce que ses mains saisissaient pour jouer, de ce que son corps ressentait sous le soleil oranais, les langues mêlées qu’il entendait au marché, les bruits sourds des armes et, parfois, des larmes.
«52-62, mon enfance en Algérie», un podcast Slate.fr par Nina Pareja.
En octobre, j’ai vu avec intérêt à Madrid le film d’Alejandro Amenábar Mientrasdure la guerra dont la sortie est prévue en France le 19 février 2020. Ensuite, j’ai lu la très complète biographie de Colette et Jean-Claude Rabaté.
Son exil en France de 1924 à 1930 a particulièrement attiré mon attention.
Miguel de Unamuno est vice-recteur de l’université de Salamanque et Doyen de la Faculté de Lettres en 1921. La guerre du Rif s’est aggravée après le désastre espagnol d’Annual (22 juillet 1921) et est devenue l’affaire du roi et de l’Armée. Unamuno, profondément antimilitariste, supporte de plus en plus mal cette situation. Le 13 septembre 1923, le général Miguel Primo de Rivera, avec l’accord d’Alphonse XIII, proclame la dissolution des Cortes et du gouvernement. Il déclare l’état de guerre et instaure un Directoire militaire. Les critiques d’Unamuno contre le roi et le dictateur entraînent sa destitution et son exil à Fuerteventura, aux îles Canaries , en février 1924. Il est amnistié le 9 juillet 1924, mais quitte clandestinement l’île sur un voilier frété par le directeur du journal français Le Quotidien, Henri Dumay. Il est reçu triomphalement à Cherbourg le 26 juillet 1924. Il vit à Paris pendant treize mois dans un petit hôtel (le Novelty Family Hôtel), situé 2 rue la Pérouse dans le XVI ème arrondissement. Ensuite, comme il ne supporte plus l’éloignement physique de son pays, il s’installe à Hendaye, près de la gare, dans la pension-hôtel Broca. Il peut regarder les montagnes de son Pays basque espagnol. Á Hendaye, il collabore de 1927 à 1929 à la revue Hojas Libres, dirigée par Eduardo Ortega y Gasset (1882-1964), frère aîné du philosophe. Cette publication jouera un rôle important dans la rejet par les Espagnols de la dictature de Primo de Rivera. Il rentre en Espagne le 9 février 1930. Il est reçu avec enthousiasme par les habitants de Salamanque le 13 février. Il lance son mot d’ordre: «Dios Patria y Ley. Dieu. Patrie et Loi». Il retrouve sa famille et sa chaire à Salamanque après six années d’exil en France.
Manual de quijotismo.
« Cabe militarizar a un civil pero es casi imposible civilizar a un militar.»
Carta a Pedro de Múgica. 1901.
«Tengo un odio profundo al militarismo y en lo único que me interpondré en la carrera de mis hijos es en prohibirles que se hagan militares si lo intentasen. Lo estimaría como las más de las familias de cierta posición estiman aquí el que un hijo se les meta torero.
Es a mis ojos une posición indigna. Y un jefe de Estado que es ante todo y sobre todo soldado y jefe de la milicia es para mí algo que debe desaparecer. El industrialismo es el que ha de acabar con el militarismo y una vez que dé muerte a éste se depurará de sus defectos, debidos al contacto con el militarismo. Me repugnan las glorias militares.»
Colette y Jean-Claude Rabaté, Miguel de Unamuno (1864-1936) Convencer hasta la muerte. Galaxia Gutenberg . 2019.
«Entretanto sigue conociendo momentos de abatimiento particularmente perceptibles cuando acompaña el 5 de diciembre (1924) al escritor y médico Georges Duhamel a la École Normale supérieure, cuna de la intelectualidad francesa. Se propone hablar a los estudiantes de sus vivencias íntimas y religiosas durante su destierro, sobre todo en la isla de Fuerteventura, y también del «deber de la acción pública». Según el francés, charla durante una hora y, de repente, se turba, mira a su amigo angustiado y se pone a sollozar convulsivamente. Duhamel no sabe qué decirle y todos los normaliens salen en silencio. En la calle, Unamuno le dice: «Es la primera vez desde hace diez meses que me encuentro delante de mis alumnos.»
cf. Lidia Anoll, «Correspondance Georges Duhamel-Miguel de Unamuno, 1924-1929», Les cahiers de l’Abbaye de Créteil, 14 de diciembre de 1992, p.56.
Nous avons vu le film J’accuse de Roman Polanski le dimanche 16 novembre au cinéma Arlequin, rue de Rennes, Paris VI. Salle pleine. Je partage l’avis de Philippe Lançon. C’est un bon film. https://www.youtube.com/watch?v=cZ6q-c4Bues
J’ai écouté deux émissions de France Culture :
1) Le cours de l’Histoire par Xavier Mauduit. France Culture, 18/11/2019. L’histoire sur grand écran (1/4) “J’accuse !” de Roman Polanski, qu’en pensent les historiennes et les historiens ?
Marie Aynié, professeure agrégée, enseignante à Sciences Po, elle est l’auteure de l’ouvrage Les amis inconnus: se mobiliser pour Dreyfus, 1897-1899, Privat, 2011.
Marie-Neige Coche, professeure d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique en lycée à Versailles, elle a co-édité avec Vincent Duclert les correspondances d’Alfred Dreyfus, Lucie Dreyfus Écrire, c’est résister. Correspondance (1894-1899) aux éditions Folio Histoire, 2019.
Pauline Peretz, maître de conférences en histoire contemporaine à Paris 8, chercheuse à l’Institut d’histoire du temps présent, et entre autres, l’auteure, avec Pierre Gervais et Pierre Stutin, du Dossier secret de l’Affaire Dreyfus, Alma, 2012.
2) Répliques par Alain Finkielkraut France Culture Samedi 23/11/2019. Qui est le colonel Picquart ? Débat sur le rôle du Colonel Marie-Georges Piquart dans la révision du procès du Colonel Alfred Dreyfus.
Philippe Oriol. Le faux ami du capitaine Dreyfus : Picquart, l’affaire et ses mythes. Grasset, 2019.
Christian Vigouroux. Georges Picquart : la biographie. Dalloz, 2019.
En 1983, j’avais 20 ans, je faisais des études de droit, et un livre, entre autres, m’avait impressionné : L’Affaire, de Jean-Denis Bredin. Je connaissais en gros le déroulé de l’affaire Dreyfus. Ce livre me l’exposa dans la plupart de ses dimensions, avec éloquence, suspense et précision. Je n’exagère pas si j’affirme qu’il m’a fait pour la première fois vivre de l’intérieur une injustice liée à la raison d’État, le courage de ceux qui l’avaient révélée, mais aussi le vieil antisémitisme de la société française. Après l’avoir fini, j’ai lu et relu « J’accuse…! », l’article de Zola publié dans L’Aurore, puis les textes de Charles Péguy et de bien d’autres : un fil culturel était tiré. J’ai pris ce temps de lecture sur des études de droit qui, pour l’essentiel, m’ennuyaient. À cette époque, Edgar Degas commençait à me passionner. Son antidreyfusisme et son antisémitisme m’ont attristé. J’ai cherché à les comprendre en lisant, en les plaçant dans leur contexte, sans excès de vertu anachronique. Il ne me serait pas venu à l’idée de renoncer à voir ses œuvres à cause de ses opinions. Ce n’était pas l’idée que je me faisais de la faculté – de la liberté – de juger. J’ai vite compris qu’il fallait me démerder, tout seul, avec ça. J’ai du mal à juger les vivants, soit parce que je les connais, soit parce que je ne les connais pas ; j’en ai plus encore à juger les morts.
Trente-six ans plus tard, voici J’accuse, le film de Roman Polanski, 86 ans, des Érinyes féministes autour du crâne et des procédures au cul. Ce n’est pas un grand film, mais c’est un bon film : sobre, bien fait, presque austère, un peu haché au montage. Inspiré par un livre de l’Américain Robert Harris, qui en a écrit le scénario, il raconte l’affaire Dreyfus du point de vue de celui qui la fit exploser : le lieutenant-colonel Picquart. C’est un bon choix historique et dramaturgique. Comme dans toute bonne tragédie, Picquart est le héros sur qui reposent les tensions et les contradictions ; celui qui, étant d’abord antisémite et viscéralement lié à l’armée, va peu à peu, douloureusement, fermement enquêter, comprendre, changer. Il est l’homme clé de l’affaire Dreyfus, celui qui a pris les plus grands risques ; qui a affronté, seul, son destin face à une institution militaire, la sienne, muette et mensongère. Jean Dujardin l’incarne à merveille : sans fioritures, sans effet comique, sans second degré ; frontal et digne, presque muet. La marque d’un grand acteur est de faire oublier, en quelques plans, les rôles qui l’ont fait connaître. Il y a aussi, dans ce film, de nombreux comédiens de la Comédie-Française. Pourquoi ? Je n’en sais rien. J’y vois de leur part, peut-être à tort, un soutien discret, implicite, à la liberté de créer.
Pendant l’essentiel du film, Picquart est seul avec sa conscience, sans rien pouvoir partager : ses supérieurs et ses collègues sont devenus ses ennemis. C’est cela, visiblement, qui a le plus intéressé Polanski. Il filme, comme toujours, avec ce mélange dérangeant de simplicité et de brutalité, naturaliste et enfantin. Il y a quelque chose de Daumier, mais, comme dans les autres registres où il a excellé, on ne sait jamais tout à fait ce qui relève de la caricature ou de la réalité. Les monstres l’intéressent, peut-être parce qu’il les a subis, peut-être parce qu’il en est un. Le film s’achève par une entrevue, onze ans plus tard, entre Dreyfus, réintégré dans l’armée sans ce qui lui est dû, et Picquart, devenu ministre de la Guerre. Le second est impuissant à satisfaire la juste demande du premier. Le pessimisme de Polanski conclut l’histoire d’une manière sourde : si le combat pour la justice et la vérité a été gagné, c’est sans joie, avec trop d’efforts, laissant chacun plus raide, plus lourd, plus seul, plus fatigué. Il y a eu épreuve, connaissance, apprentissage, et, s’il y a bien victoire, elle est amère.
La croisade contre le mal tourne au procès expéditif On remarque dans une scène, juste un plan, Roman Polanski, tel Hitchcock apparaissant furtivement dans ses films. Il est en habit, dans une soirée de type Verdurin, où Picquart, qui était un homme cultivé, est invité par sa maîtresse. Polanski est un invité parmi d’autres. Il est filmé de loin, une seconde, tout petit, au milieu d’un groupe. On ne sait pas qui c’est: une silhouette. C’est le moment de dire que la polémique qui a cherché à étouffer le film sous le refrain « Polanski le violeur » est d’une confondante ineptie. À aucun moment on ne peut croire que le metteur en scène se compare à Dreyfus, quand bien même il l’aurait dit dans un moment de paranoïa ou d’agacement. Ce qu’il raconte, c’est simplement, nettement, l’affaire Dreyfus. Mais, comme dans d’autres polémiques contemporaines, la croisade contre le Mal tourne au procès expéditif. Elle paraît s’appuyer sur les certitudes de l’ignorance plus que sur les prospérités de la vertu. S’il est en effet toujours question, chez celles et ceux qui poursuivent Polanski, des crimes que l’homme a ou aurait commis, il n’est jamais question de ce qu’il a vécu, l’enfance au ghetto de Cracovie, la famille exterminée par les nazis, l’assassinat de sa femme enceinte, Sharon Tate, la campagne de presse infâme qui suivit. Il n’est pas davantage question de ses grands films, Rosemary’s Baby, Répulsion, Le Locataire, Chinatown, Tess, Le Pianiste. C’est comme s’ils ne devaient pas exister – comme s’ils n’existaient plus. On efface de la photo tout ce qui pourrait nuancer le refrain de « Polanski le violeur ». L’affaire Dreyfus et l’affaire Esterhazy, dit Picquart à ses supérieurs, c’est la même affaire. Il a raison. Les films de Polanski et « Polanski le violeur », pour certains, c’est aussi la même affaire. Pourquoi ? Pourquoi tant de rage, quand on n’est ni flic ni juge, à vouloir être flic et juge exclusivement à charge, de surcroît dans le sens du vent?
Marguerite Duras parlait de la vie matérielle. Il existe une vie idéologique. Elle est, à mon avis, beaucoup plus liée aux caractères qu’aux convictions. Il y a des gens pour qui tout est politique, jusqu’à la manière de poser son derrière sur la lunette des WC ; et il y en a, dont je suis, qui n’envisagent pas leur existence de cette façon-là. Les premiers ne cessent de rabâcher aux seconds que ceux-ci font de la politique, même et surtout en croyant ne pas en faire. Par exemple, aller voir un film de Polanski et le regarder pour ce qu’il est, un film qui raconte une histoire, est pour ceux-là nécessairement un acte politique. Cette vision du monde, des hommes, m’a toujours agacé : ceux qui prétendent m’imposer leur vision politique me prennent soit pour un imbécile en suggérant que, contrairement à eux, je suis inconscient de mes actes, soit pour un hypocrite, en suggérant que je suis complaisant au mal qu’ils dénoncent. En résumé, ils veulent m’imposer une grille de lecture qui installe leur pouvoir. Je comprends alors que je sais pourquoi je travaille, depuis trente ans, dans certains journaux : parce qu’il y reste possible d’ignorer ce type d’injonctions ; de prendre ses distances avec l’atmosphère sous pression de l’air du temps. Ceux qui voudraient interdire de voir des films de Polanski, ou d’en parler librement pour ce qu’ils sont, veulent fixer un cadre idéologique dans lequel il est impossible de prononcer ce nom, Polanski, sans l’associer au viol ou à l’abus de pouvoir. Voir ses films est une bonne manière de les envoyer paître et de rappeler le spectateur – mais cela vaudrait aussi bien pour un lecteur – à ce qui nourrit son autonomie : son enthousiasme, sa résistance, sa solitude.
Philippe Lançon, Chroniques de l’homme d’avant. Les Échappés. Parution le : 07/11/2019. Ce recueil réunit une soixantaine de textes journalistiques et littéraires parus dans Charlie Hebdo entre 2004 et 2015.
Coup d’état militaire en Bolivie le 12 novembre 2019. La droite bourgeoise et raciste revient au pouvoir avec l’aide de l’armée et de la police. Trump, Bolsonaro sont derrière tout cela. Envie de vomir.
Je me souviens de notre voyage dans ce pays magnifique en octobre 2016.
Copacabana – Lac Titicaca – Huatajata – Tiahuanaco – La Paz – Vallée de la Lune – Tarabuco – Potosí – Sucre – Oruro – Desaguadero.
L’indépendance du pays a été obtenue en 1825, grâce aux armées de Bolívar, en hommage duquel la Bolivie prit son nom.
Samedi 16 octobre (10h-11h). France Culture. Simon Bolivar, encore ettoujours. Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney.
Un extrait du poème de Pablo Neruda, Un chant pour Bolivar, est lu par Pierre Constant (Émission “Poèmes du monde” France Culture, 10 juillet 1971).
UN CANTO PARA BOLÍVAR
Padre nuestro que estás en la tierra, en el agua, en el aire de toda nuestra extensa latitud silenciosa, todo lleva tu nombre, padre, en nuestra morada: tu apellido la caña levanta a la dulzura, el estaño bolívar tiene un fulgor bolívar, el pájaro bolívar sobre el volcán bolívar, la patata, el salitre, las sombras especiales, las corrientes, las vetas de fosfórica piedra, todo lo nuestro viene de tu vida apagada, tu herencia fueron ríos, llanuras, campanarios, tu herencia es el pan nuestro de cada día, padre.
Tu pequeño cadáver de capitán valiente ha extendido en lo inmenso su metálica forma, de pronto salen dedos tuyos entre la nieve y el austral pescador saca a la luz de pronto tu sonrisa, tu voz palpitando en las redes. De qué color la rosa que junto a tu alma alcemos? Roja será la rosa que recuerde tu paso. Cómo serán las manos que toquen tu ceniza? Rojas serán las manos que en tu ceniza nacen. Y cómo es la semilla de tu corazón muerto? Es roja la semilla de tu corazón vivo.
Por eso es hoy la ronda de manos junto a ti. Junto a mi mano hay otra y hay otra junto a ella, y otra más, hasta el fondo del continente oscuro. Y otra mano que tú no conociste entonces viene también, Bolívar, a estrechar a la tuya: de Teruel, de Madrid, del Jarama, del Ebro, de la cárcel, del aire, de los muertos de España llega esta mano roja que es hija de la tuya.
Capitán, combatiente, donde una boca grita libertad, donde un oído escucha, donde un soldado rojo rompe una frente parda, donde un laurel de libres brota, donde una nueva bandera se adorna con la sangre de nuestra insigne aurora, Bolívar, capitán, se divisa tu rostro. Otra vez entre pólvora y humo tu espada está naciendo. Otra vez tu bandera con sangre se ha bordado. Los malvados atacan tu semilla de nuevo, clavado en otra cruz está el hijo del hombre.
Pero hacia la esperanza nos conduce tu sombra, el laurel y la luz de tu ejército rojo a través de la noche de América con tu mirada mira. Tus ojos que vigilan más allá de los mares, más allá de los pueblos oprimidos y heridos, más allá de las negras ciudades incendiadas, tu voz nace de nuevo, tu mano otra vez nace: tu ejército defiende las banderas sagradas: la Libertad sacude las campanas sangrientas, y un sonido terrible de dolores precede la aurora enrojecida por la sangre del hombre. Libertador, un mundo de paz nació en tus brazos. La paz, el pan, el trigo de tu sangre nacieron, de nuestra joven sangre venida de tu sangre saldrán paz, pan y trigo para el mundo que haremos.
Yo conocí a Bolívar una mañana larga, en Madrid, en la boca del Quinto Regimiento, Padre, le dije, eres o no eres o quién eres? Y mirando el Cuartel de la Montaña, dijo: “Despierto cada cien años cuando despierta el pueblo”.
Tercera Residencia. (1935-1945). Buenos Aires, Edición Losada, 1947.
Un chant pour Bolivar
Notre Père qui est sur la terre, sur l’eau, sur l’air
de toute notre vaste étendue silencieuse,
tout porte ton nom, père, dans notre demeure:
ton nom incite la canne à sucre à la douceur,
l’étain bolivar a un éclat bolivar,
l’oiseau bolivar sur le volcan bolivar,
la pomme de terre, le salpêtre, les ombres singulières,
les courants, les couches de pierre phosphorique,
tout ce qui est à nous vient de ta vie éteinte,
les fleuves, les plaines, les clochers furent ton héritage,
ton héritage notre pain de chaque jour, père.
Ton petit cadavre de capitaine courageux
a déployé dans l’infini sa forme métallique,
tes doigts surgissent soudain entre la neige
et le pêcheur austral tire tout à coup ton sourire à la lumière,
ta voix palpitante entre ses filets.
De quelle couleur sera la rose qu’auprès de ton âme nous élèverons?
Rouge sera la rose qui rappellera ton passage.
Comment seront les mains qui recueilleront ta cendre?
Rouges seront les mains qui naissent de ta cendre.
Et comment est la graine de ton cœur mort?
Rouge est la graine de ton cœur vivant.
Voilà pourquoi il y a aujourd’hui autour de toi une ronde de mains.
Près de ma main il y en a une autre et il y en a une autre
auprès d’elle,
et une autre encore, jusqu’au fond du continent obscur.
Et une autre main que tu ne connus pas alors
arrive aussi, Bolivar, pour étreindre la tienne:
de Teruel, de Madrid, du Jarama, de l’Èbre,
de la prison, de l’air, des morts de l’Espagne
arrive cette main rouge qui est la fille de la tienne.
Capitaine, combattant, là où une bouche
crie liberté, là où une oreille écoute,
là où un soldat rouge brise un front brun,
là où un laurier d’homme libre surgit, là où un nouveau
drapeau se pare du sang de notre insigne aurore,
Bolivar, capitaine, apparaît ton visage.
Encore une fois entre poudre et fumée ton épée est en train de naître.
Encore une fois ton drapeau s’est brodé de sang.
La perversion attaque à nouveau ta semence,
le fils de l’homme est cloué sur une autre croix.
Mais ton ombre nous conduit vers l’espérance,
le laurier et la lumière de ton armée rouge
regardent par ton regard à travers la nuit d’Amérique.
Tes yeux qui veillent au-delà des mers,
au-delà des peuples opprimés et blessés,
au-delà des noires villes incendiées,
ta voix naît à nouveau, ta main naît une fois encore:
ton armée défend les drapeaux sacrés:
la Liberté agite les cloches sanglantes,
et un son terrible de souffrances précède
l’aurore rougie par le sang de l’homme.
Libérateur, un monde de paix est né dans tes bras.
La paix, le pain, le blé naquirent de ton sang,
de notre jeune sang qui est né de ton sang
surgiront paix, pain, blé pour le monde que nous ferons.
J’ai connu Bolivar par un long matin,
à Madrid, au sein du Cinquième Régiment.
Père, lui dis-je, es-tu ou n’es-tu pas ou qui es-tu?
Et regardant le Cuartel de la Montaña, il dit:
«Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.»
Résidence sur la Terre, Traduit de l’espagnol par Guy Suarès. Collection Poésie/Gallimard N° 83 (1972)
«El nacionalismo: La tabla de salvación de cualquier pobre diablo que no tiene nada en el mundo de lo que sentirse orgulloso es enorgullecerse de la nación a la que pertenece; esto lo reconforta tanto que en agradecimiento está dispuesto a defender con manos y pies todos los defectos y disparates característicos de su nación.»
L’art de l’insulte, Textes réunis et présentés par Franco Volpi. Editions du Seuil pour la traduction française. 2004. Points Essais n° 749. 2015.
«Fierté nationale N’importe quel pauvre nigaud, qui n’a rien d’autre dont il pourrait être fier, s’empare de l’ultime moyen de l’être: la nation dont il se trouve faire partie: là il se rétablit et il est reconnaissant et prête à défendre pyx kai lax [bec et ongles] tous les défauts et sottises qui sont les siens.»