J’accuse – Je n’accuse pas

Nous avons vu le film J’accuse de Roman Polanski le dimanche 16 novembre au cinéma Arlequin, rue de Rennes, Paris VI. Salle pleine. Je partage l’avis de Philippe Lançon. C’est un bon film. https://www.youtube.com/watch?v=cZ6q-c4Bues

J’ai écouté deux émissions de France Culture :

1) Le cours de l’Histoire par Xavier Mauduit. France Culture, 18/11/2019. L’histoire sur grand écran (1/4) “J’accuse !” de Roman Polanski, qu’en pensent les historiennes et les historiens ?

  • Marie Aynié, professeure agrégée, enseignante à Sciences Po, elle est l’auteure de l’ouvrage Les amis inconnus: se mobiliser pour Dreyfus, 1897-1899, Privat, 2011.
    • Marie-Neige Coche, professeure d’histoire-géographie et d’enseignement moral et civique en lycée à Versailles, elle a co-édité avec Vincent Duclert les correspondances d’Alfred Dreyfus, Lucie Dreyfus Écrire, c’est résister. Correspondance (1894-1899) aux éditions Folio Histoire, 2019.
    • Pauline Peretz, maître de conférences en histoire contemporaine à Paris 8, chercheuse à l’Institut d’histoire du temps présent, et entre autres, l’auteure, avec Pierre Gervais et Pierre Stutin, du Dossier secret de l’Affaire Dreyfus, Alma, 2012.
    • Pierre Gervais, historien, spécialiste d’histoire économique et sociale américaine du 18e et 19e siècle et qui a également travaillé sur les questions archivistiques entourant l’Affaire Dreyfus, il est le co-auteur du Dossier secret de l’Affaire Dreyfus, Alma, 2012. https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/jaccuse-de-roman-polanski-quen-pensent-les-historiennes-et-les-historiens

2) Répliques par Alain Finkielkraut France Culture Samedi 23/11/2019. Qui est le colonel Picquart ? Débat sur le rôle du Colonel Marie-Georges Piquart dans la révision du procès du Colonel Alfred Dreyfus.

Philippe Oriol. Le faux ami du capitaine Dreyfus : Picquart, l’affaire et ses mythes. Grasset, 2019.

Christian Vigouroux. Georges Picquart : la biographie. Dalloz, 2019.

https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/qui-est-le-colonel-picquart

Le lieutenant-colonel Picquart au moment de l’affaire Dreyfus et des procès Zola.

Charlie Hebdo, 22/11/2019

Je n’accuse pas (Philippe Lançon)

En 1983, j’avais 20 ans, je faisais des études de droit, et un livre, entre autres, m’avait impressionné : L’Affaire, de Jean-Denis Bredin. Je connaissais en gros le déroulé de l’affaire Dreyfus. Ce livre me l’exposa dans la plupart de ses dimensions, avec éloquence, suspense et précision. Je n’exagère pas si j’affirme qu’il m’a fait pour la première fois vivre de l’intérieur une injustice liée à la raison d’État, le courage de ceux qui l’avaient révélée, mais aussi le vieil antisémitisme de la société française. Après l’avoir fini, j’ai lu et relu « J’accuse…! », l’article de Zola publié dans L’Aurore, puis les textes de Charles Péguy et de bien d’autres : un fil culturel était tiré. J’ai pris ce temps de lecture sur des études de droit qui, pour l’essentiel, m’ennuyaient. À cette époque, Edgar Degas commençait à me passionner. Son antidreyfusisme et son antisémitisme m’ont attristé. J’ai cherché à les comprendre en lisant, en les plaçant dans leur contexte, sans excès de vertu anachronique. Il ne me serait pas venu à l’idée de renoncer à voir ses œuvres à cause de ses opinions. Ce n’était pas l’idée que je me faisais de la faculté – de la liberté – de juger. J’ai vite compris qu’il fallait me démerder, tout seul, avec ça. J’ai du mal à juger les vivants, soit parce que je les connais, soit parce que je ne les connais pas  ; j’en ai plus encore à juger les morts.

Trente-six ans plus tard, voici J’accuse, le film de Roman Polanski, 86 ans, des Érinyes féministes autour du crâne et des procédures au cul. Ce n’est pas un grand film, mais c’est un bon film : sobre, bien fait, presque austère, un peu haché au montage. Inspiré par un livre de l’Américain Robert Harris, qui en a écrit le scénario, il raconte l’affaire Dreyfus du point de vue de celui qui la fit exploser : le lieutenant-colonel Picquart. C’est un bon choix historique et dramaturgique. Comme dans toute bonne tragédie, Picquart est le héros sur qui reposent les tensions et les contradictions  ; celui qui, étant d’abord antisémite et viscéralement lié à l’armée, va peu à peu, douloureusement, fermement enquêter, comprendre, changer. Il est l’homme clé de l’affaire Dreyfus, celui qui a pris les plus grands risques  ; qui a affronté, seul, son destin face à une institution militaire, la sienne, muette et mensongère. Jean Dujardin l’incarne à merveille : sans fioritures, sans effet comique, sans second degré  ; frontal et digne, presque muet. La marque d’un grand acteur est de faire oublier, en quelques plans, les rôles qui l’ont fait connaître. Il y a aussi, dans ce film, de nombreux comédiens de la Comédie-Française. Pourquoi  ? Je n’en sais rien. J’y vois de leur part, peut-être à tort, un soutien discret, implicite, à la liberté de créer.

Pendant l’essentiel du film, Picquart est seul avec sa conscience, sans rien pouvoir partager : ses supérieurs et ses collègues sont devenus ses ennemis. C’est cela, visiblement, qui a le plus intéressé Polanski. Il filme, comme toujours, avec ce mélange dérangeant de simplicité et de brutalité, naturaliste et enfantin. Il y a quelque chose de Daumier, mais, comme dans les autres registres où il a excellé, on ne sait jamais tout à fait ce qui relève de la caricature ou de la réalité. Les monstres l’intéressent, peut-être parce qu’il les a subis, peut-être parce qu’il en est un. Le film s’achève par une entrevue, onze ans plus tard, entre Dreyfus, réintégré dans l’armée sans ce qui lui est dû, et Picquart, devenu ministre de la Guerre. Le second est impuissant à satisfaire la juste demande du premier. Le pessimisme de Polanski conclut l’histoire d’une manière sourde : si le combat pour la justice et la vérité a été gagné, c’est sans joie, avec trop d’efforts, laissant chacun plus raide, plus lourd, plus seul, plus fatigué. Il y a eu épreuve, connaissance, apprentissage, et, s’il y a bien victoire, elle est amère.

La croisade contre le mal tourne au procès expéditif
On remarque dans une scène, juste un plan, Roman Polanski, tel Hitchcock apparaissant furtivement dans ses films. Il est en habit, dans une soirée de type Verdurin, où Picquart, qui était un homme cultivé, est invité par sa maîtresse. Polanski est un invité parmi d’autres. Il est filmé de loin, une seconde, tout petit, au milieu d’un groupe. On ne sait pas qui c’est: une silhouette. C’est le moment de dire que la polémique qui a cherché à étouffer le film sous le refrain « Polanski le violeur » est d’une confondante ineptie. À aucun moment on ne peut croire que le metteur en scène se compare à Dreyfus, quand bien même il l’aurait dit dans un moment de paranoïa ou d’agacement. Ce qu’il raconte, c’est simplement, nettement, l’affaire Dreyfus. Mais, comme dans d’autres polémiques contemporaines, la croisade contre le Mal tourne au procès expéditif. Elle paraît s’appuyer sur les certitudes de l’ignorance plus que sur les prospérités de la vertu. S’il est en effet toujours question, chez celles et ceux qui poursuivent Polanski, des crimes que l’homme a ou aurait commis, il n’est jamais question de ce qu’il a vécu, l’enfance au ghetto de Cracovie, la famille exterminée par les nazis, l’assassinat de sa femme enceinte, Sharon Tate, la campagne de presse infâme qui suivit. Il n’est pas davantage question de ses grands films, Rosemary’s Baby, Répulsion, Le Locataire, Chinatown, Tess, Le Pianiste. C’est comme s’ils ne devaient pas exister – comme s’ils n’existaient plus. On efface de la photo tout ce qui pourrait nuancer le refrain de « Polanski le violeur ». L’affaire Dreyfus et l’affaire Esterhazy, dit Picquart à ses supérieurs, c’est la même affaire. Il a raison. Les films de Polanski et « Polanski le violeur », pour certains, c’est aussi la même affaire. Pourquoi  ? Pourquoi tant de rage, quand on n’est ni flic ni juge, à vouloir être flic et juge exclusivement à charge, de surcroît dans le sens du vent?

Marguerite Duras parlait de la vie matérielle. Il existe une vie idéologique. Elle est, à mon avis, beaucoup plus liée aux caractères qu’aux convictions. Il y a des gens pour qui tout est politique, jusqu’à la manière de poser son derrière sur la lunette des WC  ; et il y en a, dont je suis, qui n’envisagent pas leur existence de cette façon-là. Les premiers ne cessent de rabâcher aux seconds que ceux-ci font de la politique, même et surtout en croyant ne pas en faire. Par exemple, aller voir un film de Polanski et le regarder pour ce qu’il est, un film qui raconte une histoire, est pour ceux-là nécessairement un acte politique. Cette vision du monde, des hommes, m’a toujours agacé : ceux qui prétendent m’imposer leur vision politique me prennent soit pour un imbécile en suggérant que, contrairement à eux, je suis inconscient de mes actes, soit pour un hypocrite, en suggérant que je suis complaisant au mal qu’ils dénoncent. En résumé, ils veulent m’imposer une grille de lecture qui installe leur pouvoir. Je comprends alors que je sais pourquoi je travaille, depuis trente ans, dans certains journaux : parce qu’il y reste possible d’ignorer ce type d’injonctions  ; de prendre ses distances avec l’atmosphère sous pression de l’air du temps. Ceux qui voudraient interdire de voir des films de Polanski, ou d’en parler librement pour ce qu’ils sont, veulent fixer un cadre idéologique dans lequel il est impossible de prononcer ce nom, Polanski, sans l’associer au viol ou à l’abus de pouvoir. Voir ses films est une bonne manière de les envoyer paître et de rappeler le spectateur – mais cela vaudrait aussi bien pour un lecteur – à ce qui nourrit son autonomie : son enthousiasme, sa résistance, sa solitude.

Philippe Lançon, Chroniques de l’homme d’avant. Les Échappés. Parution le : 07/11/2019. Ce recueil réunit une soixantaine de textes journalistiques et littéraires parus dans Charlie Hebdo entre 2004 et 2015.

Bolivia -Simón Bolívar 1783 – 1830

Lago Titicaca. Caballitos de totora.

Coup d’état militaire en Bolivie le 12 novembre 2019. La droite bourgeoise et raciste revient au pouvoir avec l’aide de l’armée et de la police. Trump, Bolsonaro sont derrière tout cela. Envie de vomir.

Je me souviens de notre voyage dans ce pays magnifique en octobre 2016.

Copacabana – Lac Titicaca – Huatajata – Tiahuanaco – La Paz – Vallée de la Lune – Tarabuco – Potosí – Sucre – Oruro – Desaguadero.

L’indépendance du pays a été obtenue en 1825, grâce aux armées de Bolívar, en hommage duquel la Bolivie prit son nom.

La Paz. Chola.

Samedi 16 octobre (10h-11h). France Culture. Simon Bolivar, encore et toujours. Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney.

https://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/simon-bolivar-encore-et-toujours

Paris VIII. Cours La Reine. Statue de Simón Bolívar (Emmanuel Frémiet 1824-1910)

Un extrait du poème de Pablo Neruda, Un chant pour Bolivar, est lu par Pierre Constant (Émission “Poèmes du monde” France Culture, 10 juillet 1971).

UN CANTO PARA BOLÍVAR

Padre nuestro que estás en la tierra, en el agua, en el aire
de toda nuestra extensa latitud silenciosa,
todo lleva tu nombre, padre, en nuestra morada:
tu apellido la caña levanta a la dulzura,
el estaño bolívar tiene un fulgor bolívar,
el pájaro bolívar sobre el volcán bolívar,
la patata, el salitre, las sombras especiales,
las corrientes, las vetas de fosfórica piedra,
todo lo nuestro viene de tu vida apagada,
tu herencia fueron ríos, llanuras, campanarios,
tu herencia es el pan nuestro de cada día, padre.

Tu pequeño cadáver de capitán valiente
ha extendido en lo inmenso su metálica forma,
de pronto salen dedos tuyos entre la nieve
y el austral pescador saca a la luz de pronto
tu sonrisa, tu voz palpitando en las redes.
De qué color la rosa que junto a tu alma alcemos?
Roja será la rosa que recuerde tu paso.
Cómo serán las manos que toquen tu ceniza?
Rojas serán las manos que en tu ceniza nacen.
Y cómo es la semilla de tu corazón muerto?
Es roja la semilla de tu corazón vivo.

Por eso es hoy la ronda de manos junto a ti.
Junto a mi mano hay otra y hay otra junto a ella,
y otra más, hasta el fondo del continente oscuro.
Y otra mano que tú no conociste entonces
viene también, Bolívar, a estrechar a la tuya:
de Teruel, de Madrid, del Jarama, del Ebro,
de la cárcel, del aire, de los muertos de España
llega esta mano roja que es hija de la tuya.

Capitán, combatiente, donde una boca
grita libertad, donde un oído escucha,
donde un soldado rojo rompe una frente parda,
donde un laurel de libres brota, donde una nueva
bandera se adorna con la sangre de nuestra insigne aurora,
Bolívar, capitán, se divisa tu rostro.
Otra vez entre pólvora y humo tu espada está naciendo.
Otra vez tu bandera con sangre se ha bordado.
Los malvados atacan tu semilla de nuevo,
clavado en otra cruz está el hijo del hombre.

Pero hacia la esperanza nos conduce tu sombra,
el laurel y la luz de tu ejército rojo
a través de la noche de América con tu mirada mira.
Tus ojos que vigilan más allá de los mares,
más allá de los pueblos oprimidos y heridos,
más allá de las negras ciudades incendiadas,
tu voz nace de nuevo, tu mano otra vez nace:
tu ejército defiende las banderas sagradas:
la Libertad sacude las campanas sangrientas,
y un sonido terrible de dolores precede
la aurora enrojecida por la sangre del hombre.
Libertador, un mundo de paz nació en tus brazos.
La paz, el pan, el trigo de tu sangre nacieron,
de nuestra joven sangre venida de tu sangre
saldrán paz, pan y trigo para el mundo que haremos.

Yo conocí a Bolívar una mañana larga,
en Madrid, en la boca del Quinto Regimiento,
Padre, le dije, eres o no eres o quién eres?
Y mirando el Cuartel de la Montaña, dijo:
“Despierto cada cien años cuando despierta el pueblo”.

Tercera Residencia. (1935-1945). Buenos Aires, Edición Losada, 1947.

Un chant pour Bolivar

Notre Père qui est sur la terre, sur l’eau, sur l’air
de toute notre vaste étendue silencieuse,
tout porte ton nom, père, dans notre demeure:
ton nom incite la canne à sucre à la douceur,
l’étain bolivar a un éclat bolivar,
l’oiseau bolivar sur le volcan bolivar,
la pomme de terre, le salpêtre, les ombres singulières,
les courants, les couches de pierre phosphorique,
tout ce qui est à nous vient de ta vie éteinte,
les fleuves, les plaines, les clochers furent ton héritage,
ton héritage notre pain de chaque jour, père.

Ton petit cadavre de capitaine courageux
a déployé dans l’infini sa forme métallique,
tes doigts surgissent soudain entre la neige
et le pêcheur austral tire tout à coup ton sourire à la lumière,
ta voix palpitante entre ses filets.

De quelle couleur sera la rose qu’auprès de ton âme nous élèverons?
Rouge sera la rose qui rappellera ton passage.
Comment seront les mains qui recueilleront ta cendre?
Rouges seront les mains qui naissent de ta cendre.
Et comment est la graine de ton cœur mort?
Rouge est la graine de ton cœur vivant.

Voilà pourquoi il y a aujourd’hui autour de toi une ronde de mains.
Près de ma main il y en a une autre et il y en a une autre
auprès d’elle,
et une autre encore, jusqu’au fond du continent obscur.
Et une autre main que tu ne connus pas alors
arrive aussi, Bolivar, pour étreindre la tienne:
de Teruel, de Madrid, du Jarama, de l’Èbre,
de la prison, de l’air, des morts de l’Espagne
arrive cette main rouge qui est la fille de la tienne.

Capitaine, combattant, là où une bouche
crie liberté, là où une oreille écoute,
là où un soldat rouge brise un front brun,
là où un laurier d’homme libre surgit, là où un nouveau
drapeau se pare du sang de notre insigne aurore,
Bolivar, capitaine, apparaît ton visage.
Encore une fois entre poudre et fumée ton épée est en train de naître.
Encore une fois ton drapeau s’est brodé de sang.
La perversion attaque à nouveau ta semence,
le fils de l’homme est cloué sur une autre croix.

Mais ton ombre nous conduit vers l’espérance,
le laurier et la lumière de ton armée rouge
regardent par ton regard à travers la nuit d’Amérique.
Tes yeux qui veillent au-delà des mers,
au-delà des peuples opprimés et blessés,
au-delà des noires villes incendiées,
ta voix naît à nouveau, ta main naît une fois encore:
ton armée défend les drapeaux sacrés:
la Liberté agite les cloches sanglantes,
et un son terrible de souffrances précède
l’aurore rougie par le sang de l’homme.
Libérateur, un monde de paix est né dans tes bras.
La paix, le pain, le blé naquirent de ton sang,
de notre jeune sang qui est né de ton sang
surgiront paix, pain, blé pour le monde que nous ferons.

J’ai connu Bolivar par un long matin,
à Madrid, au sein du Cinquième Régiment.
Père, lui dis-je, es-tu ou n’es-tu pas ou qui es-tu?
Et regardant le Cuartel de la Montaña, il dit:
«Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.»

Résidence sur la Terre, Traduit de l’espagnol par Guy Suarès. Collection Poésie/Gallimard N° 83 (1972)

Idea Vilariño – Alfredo Zitarrosa

Je relis les poèmes d’Idea Vilariño publiés dans Vuelo ciego (Colección Visor de Poesía) 2004.

Cette poétesse triste, désespérée a bien vécu 88 ans. Elle a été professeure, traductrice, poétesse, une intellectuelle du XX ème siècle en somme. Militante de gauche, ses textes ont été chantés par Los Olimareños (Los orientales et Ya me voy pa’ la guerrillas), Alfredo Zitarrosa (1936-1989) (La canción y el poema), Daniel Viglietti (1939-2017) (A una paloma).

Je me souviens de la fin des années 70, de l’arrivée de jeunes chiliens, argentins, uruguayens fuyant les dictatures sanglantes du Cône sud et trouvant refuge en Europe. Idea Vilariño, elle, ne pouvait plus enseigner dans son pays.

La canción y el poema (o La canción) (Idea Vilariño-Alfredo Zitarrosa)

Hoy que el tiempo ya pasó,
hoy que ya pasó la vida,
hoy que me río si pienso,
hoy que olvidé aquellos días,
no sé por qué me despierto
algunas noches vacías
oyendo una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería,
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

Algunas noches de paz,
–si es que las hay todavía–
pasando como sin mí
por esas calles vacías,
entre la sombra acechante
y un triste olor de glicinas,
escucho una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.

Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería;
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…

1972.

https://www.youtube.com/watch?v=zGDpyWovAmA

Alfredo Zitarrosa, 1994.

Salvador Allende Gossens 1908 – 1973

Salvador Allende.

Últimas palabras de Salvador Allende, difundidas por Radio Magallanes el 11 de septiembre de 1973.

«Seguramente, ésta será la última oportunidad en que pueda dirigirme a ustedes. La Fuerza Aérea ha bombardeado las antenas de Radio Magallanes. Mis palabras no tienen amargura sino decepción. Que sean ellas un castigo moral para quienes han traicionado su juramento: soldados de Chile…

Colocado en un tránsito histórico, pagaré con mi vida la lealtad al pueblo. Y les digo que tengo la certeza de que la semilla que hemos entregado a la conciencia digna de miles y miles de chilenos, no podrá ser segada definitivamente. Tienen la fuerza, podrán avasallarnos, pero no se detienen los procesos sociales ni con el crimen ni con la fuerza. La historia es nuestra y la hacen los pueblos.

Me dirijo a la juventud, a aquellos que cantaron y entregaron su alegría y su espíritu de lucha. Me dirijo al hombre de Chile, al obrero, al campesino, al intelectual, a aquellos que serán perseguidos, porque en nuestro país el fascismo ya estuvo hace muchas horas presente; en los atentados terroristas, volando los puentes, cortando las vías férreas, destruyendo lo oleoductos y los gaseoductos, frente al silencio de quienes tenían la obligación de proceder.

Estaban comprometidos. La historia los juzgará.

Seguramente Radio Magallanes será acallada y el metal tranquilo de mi voz ya no llegará a ustedes. No importa. La seguirán oyendo. Siempre estaré junto a ustedes. Por lo menos mi recuerdo será el de un hombre digno que fue leal con la Patria.

El pueblo debe defenderse, pero no sacrificarse. El pueblo no debe dejarse arrasar ni acribillar, pero tampoco puede humillarse.

Trabajadores de mi Patria, tengo fe en Chile y su destino. Superarán otros hombres este momento gris y amargo en el que la traición pretende imponerse. Sigan ustedes sabiendo que, mucho más temprano que tarde, de nuevo se abrirán las grandes alamedas por donde pase el hombre libre, para construir una sociedad mejor.

¡Viva Chile! ¡Viva el pueblo! ¡Vivan los trabajadores!

Estas son mis últimas palabras y tengo la certeza de que mi sacrificio no será en vano, tengo la certeza de que, por lo menos, será una lección moral que castigará la felonía, la cobardía y la traición.

Santiago de Chile, 11 de septiembre de 1973.

Salvador Allende»

https://www.youtube.com/watch?v=xZeEfXjTNu4

11 de septiembre de 1973.

Pablo Neruda et le Winnipeg II

Niños pasajeros del Winnipeg 1939.

“Que la crítica borre toda mi poesía, si le parece. Pero este poema, que hoy recuerdo, no podrá borrarlo nadie.” Confieso que he vivido. Memorias. 1974.

Misión de amor (Pablo Neruda)

Yo los puse en mi barco.

Era de día y Francia
su vestido de lujo
de cada día tuvo aquella vez,
fue
la misma claridad de vino y aire
su ropaje de diosa forestal.
Mi navío esperaba
con su remoto nombre “Winnipeg”
Pero mis españoles no venían
de Versalles,
del baile plateado,
de las viejas alfombras de amaranto,
de las copas que trinan
con el vino,
no, de allí no venían,
no, de allí no venían.
De más lejos,
de campos de prisiones,
de las arenas negras
del Sahara,
de ásperos escondrijos
donde yacieron
hambrientos y desnudos,
allí a mi barco claro,
al navío en el mar, a la esperanza
acudieron llamados uno a uno
por mí, desde sus cárceles,
desde las fortalezas
de Francia tambaleante
por mi boca llamados
acudieron,
Saavedra, dije, y vino el albañil,
Zúñiga, dije, y allí estaba,
Roces, llamé, y llegó con severa sonrisa,
grité, Alberti! y con manos de cuarzo
acudió la poesía.

Labriegos, carpinteros,
pescadores,
torneros, maquinistas,
alfareros, curtidores:
se iba poblando el barco
que partía a mi patria.
Yo sentía en los dedos
las semillas
de España
que rescaté yo mismo y esparcí
sobre el mar, dirigidas
a la paz
de las praderas.

Yo reúno (Pablo Neruda)

Qué orgullo el mío cuando
palpitaba
el navío
y tragaba
más y más hombres, cuando
llegaban las mujeres
separadas
del hermano, del hijo, del
amor,
hasta el minuto mismo
en que
yo
los reunía,
… y el sol caía sobre el mar
y sobre
aquellos
seres desamparados
que entre lágrimas locas,
entrecortados nombres,
besos con gusto a sal,
sollozos que se ahogaban,
ojos que desde el fuego sólo
aquí se
encontraron;
de nuevo aquí nacieron
resurrectos,
vivientes,
y era mi poesía la bandera
sobre tantas congojas,
la que desde el navío los llamaba
latiendo y acogiendo
los legados
de la descubridora
desdicha,
de la madre remota
que me otorgó la sangre y la palabra.

Memorial de Isla Negra, Primera edición, Buenos Aires, Editorial Losada, 1964

El exilio español en Chile a bordo del Winnipeg cumple 80 años. (El Diario, 02/09/2019)

https://www.eldiario.es/internacional/exilio-espanol-Chile-Winnipeg-aceitunas_0_937906749.html

Isla Negra. Casa de Pablo Neruda. Los Españoles del Winnipeg.

Pablo Neruda et le Winnipeg I

Le Winnipeg en 1939.

Le 4 août 1939, environ 2 200 républicains espagnols embarquaient sur le bateau Winnipeg, un cargo de 9000 tonnes, battant pavillon canadien. Il partit du port français de Trompeloup, commune de Pauillac en Gironde. Le bateau fut affrété par le ministre des affaires étrangères chilien Abraham Ortega Aguayo, le poète Pablo Neruda qui avait été nommé consul spécial pour l’immigration républicaine espagnole et sa compagne argentine Delia del Carril. Il avait obtenu l’accord du président Pedro Aguirre Cerda malgré les pressions et critiques de la droite. Pablo Neruda devait embarquer en priorité des familles et des professions précises (artisans, ouvriers, techniciens), en tenant compte des besoins de l’économie chilienne. Le bateau avait été adapté pour le voyage dans les chantiers navals du Havre en juin et juillet 1939. Le voyage dura 30 jours. Le 2 septembre 1939, à la tombée de la nuit, il arriva à Valparaiso au Chili. Les réfugiés purent débarquer le 3 septembre. Ils furent reçus par les autorités civiles et militaires, les dirigeants politiques et syndicaux. Ces migrants s’intégrèrent parfaitement dans la société chilienne.

Confieso que he vivido. Memorias. 1974 (Pablo Neruda)

«Me gustó desde un comienzo la palabra Winnipeg. Las palabras tienen alas o no las tienen. Las ásperas se quedan pegadas al papel, a la mesa, a la tierra. La palabra Winnipeg es alada. La vi volar por primera vez en un atracadero de vapores, cerca de Burdeos. Era un hermoso barco viejo, con esa dignidad que dan los siete mares a lo largo del tiempo. Lo cierto es que nunca llevó aquel barco más de setenta u ochenta personas a bordo. Lo demás fue cacao, copra, sacos de café y de arroz, minerales. Ahora le estaba destinado un cargamento más importante: la esperanza. Ante mi vista, bajo mi dirección, el navío debía llenarse con dos mil hombres y mujeres. Venían de campos de concentración, de inhóspitas regiones, del desierto, del África. Venían de la angustia, de la derrota, y este barco debía llenarse con ellos para traerlos a las costas de Chile, a mi propio mundo que los acogía. Eran los combatientes españoles que cruzaron la frontera de Francia hacia un exilio que dura más de 30 años. La guerra civil -e incivil- de España agonizaba en esta forma: con gentes semiprisioneras, acumuladas por aquí y allá, metidas en fortalezas, hacinadas durmiendo en el suelo sobre la arena. El éxodo rompió el corazón del máximo poeta don Antonio Machado. Apenas cruzó la frontera se terminó su vida. Todavía con restos de sus uniformes, soldados de la República llevaron su ataúd al cementerio de Collioure. Allí sigue enterrado aquel andaluz que cantó como nadie los campos de Castilla.

Yo no pensé, cuando viajé de Chile a Francia, en los azares, dificultades y adversidades que encontraría en mi misión. Mi país necesitaba capacidades calificadas, hombres de voluntad creadora. Necesitábamos especialistas. El mar chileno me había pedido pescadores. Las minas me pedían ingenieros. Los campos, tractoristas. Los primeros motores Diesel me habían encargado mecánicos de precisión. Recoger a estos seres desperdigados, escogerlos en los más remotos campamentos y llevarlos hasta aquel día azul, frente al mar de Francia, donde suavemente se mecía el barco Winnipeg, fue cosa grave, fue asunto enredado, fue trabajo de devoción y desesperación. Se organizó el SERE, organismo de ayuda solidaria. La ayuda venía, por una parte, de los últimos dineros del gobierno republicano y, por otra, de aquella que para mí sigue siendo una institución misteriosa: la de los cuáqueros. Me declaro abominablemente ignorante en lo que a religiones se refiere. Esa lucha contra el pecado en que éstas se especializan me alejó en mi juventud de todos los credos y esta actitud superficial, de indiferencia, ha persistido toda mi vida. La verdad es que en el puerto de embarque aparecieron estos magníficos sectarios que pagaban la mitad de cada pasaje español hacia la libertad sin discriminar entre ateos o creyentes, entre pecadores o pescadores. Desde entonces cuando en alguna parte leo la palabra cuáquero le hago una reverencia mental.

Los trenes llegaban de continuo hasta el embarcadero. Las mujeres reconocían a sus maridos por las ventanillas de los vagones. Habían estado separados desde el fin de la guerra. Y allí se veían por primera vez frente al barco que los esperaba. Nunca me tocó presenciar abrazos, sollozos, besos, apretones, carcajadas de dramatismo tan delirantes. Luego venían los mesones para la documentación, identificación, sanidad. Mis colaboradores, secretarios, cónsules, amigos, a lo largo de las mesas, eran una especie de tribunal del purgatorio. Y yo, por primera y última vez, debo haber parecido Júpiter a los emigrados. Yo decretaba el último sí o el último No. Pero yo soy más sí que No, de modo que siempre dije sí. ‘ Pero, véase bien, estuve a punto de estampar una negativa. Por suerte comprendí a tiempo y me libré de aquel NO. Sucede que se presentó ante mí un castellano, paletó de blusa negra, abuchonada en las mangas. Ese blusón era uniforme en los campesinos manchegos. Allí estaba aquel hombre maduro, de arrugas profundísimas en el rostro quemado, con su mujer y sus siete hijos. Al examinar la tarjeta con sus datos, le pregunté sorprendido: -Usted es trabajador del corcho? -Sí, señor -me contestó severamente. -Hay aquí una equivocación -le repliqué-. En Chile no hay alcornoques. Qué haría usted por allá? -Pues, los habrá -me respondió el campesino. -Suba al barco -le dije-. Usted es de los hombres que necesitamos. Y él, con el mismo orgullo de su respuesta y seguido de sus siete hijos, comenzó a subir las escalas del barco Winnipeg. Mucho después quedó probada la razón de aquel español inquebrantable: hubo alcornoques y, por lo tanto, ahora hay corcho en Chile.

Estaban ya a bordo casi todos mis buenos sobrinos, peregrinos hacia tierras desconocidas, y me preparaba yo a descansar de la dura tarea, pero mis emociones parecían no terminar nunca. El gobierno de Chile, presionado y combatido, me dirigía un mensaje: «INFORMACIONES DE PRENSA SOSTIENEN USTED EFECTÚA INMIGRACIÓN MASIVA ESPAÑOLES. RUÉGOLE DESMENTIR NOTICIA O CANCELAR VIAJE EMIGRADOS.» Qué hacer? Una solución: Llamar a la prensa, mostrarle el barco repleto con dos mil españoles, leer el telegrama con voz solemne y acto seguido dispararme un tiro en la cabeza. Otra solución: Partir yo mismo en el barco con mis emigrados y desembarcar en Chile por la razón o la poesía. Antes de adoptar determinación alguna me fui al teléfono y hablé al Ministerio de Relaciones Exteriores de mi país. Era difícil hablar a larga distancia en 1939. Pero mi indignación y mi angustia se oyeron a través de océanos y cordilleras y el Ministro solidarizó conmigo. Después de una incruenta crisis de Gabinete, el Winnípeg, cargado con dos mil republicanos que cantaban y lloraban, levó anclas y enderezó rumbo a Valparaíso. Que la crítica borre toda mi poesía, si le parece. Pero este poema, que hoy recuerdo, no podrá borrarlo nadie.»

Pablo Neruda. Août 1950.

Federico García Lorca

Fragmentos de poemas de García Lorca en el Parque Federico García Lorca en Alfacar (GR), construido en 1986 en memoria del poeta y de las víctimas de la Guerra Civil española.

La madrugada del 18 de agosto de 1936, los falangistas asesinaron al poeta Federico García Lorca, junto al maestro republicano Dióscoro Galindo y los banderilleros Francisco Galadí y Joaquín Arcollas, en el camino que va de Víznar a Alfacar (Granada).

Despedida

Si muero,
dejad el balcón abierto.

El niño come naranjas.
(Desde mi balcón lo veo).

El segador siega el trigo.
(Desde mi balcón lo siento).

¡Si muero,
dejad el balcón abierto!

Canciones 1921-1924

La matanza de Badajoz

Badajoz. Agosto de 1936.

El 14 de agosto de 1936, la legión al mando del General Yagüe ocupó Badajoz y fusiló a unas 4.000 personas. Yagüe respondió al periodista John T. Whitaker, del New York Herald Tribune, cuando éste le interrogó sobre lo sucedido.​
«Por supuesto que los matamos. ¿Qué esperaba usted? ¿Que iba a llevarme a 4000 prisioneros rojos conmigo, teniendo mi columna tenía que avanzar a marchas forzadas? ¿O iba a soltarlos en la retaguardia y dejar que Badajoz fuera roja otra vez?»

83 años después, el conocido “carnicero de Badajoz” tiene una fundación con su nombre, su pueblo natal sigue llamándose San Lorenzo de Yagüe y su hijo es marqués de San Leonardo de Yagüe.

Antonio Gamoneda:

“No cesará la alondra
ensangrentada en su furioso canto.
Hoy es el día del jamás y el nunca,
ah país del dolor, Extremadura”.

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Le 14 août 1936, la Légion commandée par le général Yagüe a occupé la ville de Badajoz en Estrémadure. Yagüe répondit au journaliste du New York Herald Tribune, John T. Whitaker, quand celui-ci l’interrogea sur ces faits:
«Bien sûr que nous les avons tués. Á quoi vous vous attendiez? Á ce que j’emmène avec moi 4000 prisonniers rouges, alors que ma colonne devait continuer à avancer à marche forcée? Ou que je les relâche à l’arrière-garde et que je les laisse afin que Badajoz redevienne une ville rouge?»

4000 personnes environ furent fusillées. 83 ans après, le général Yagüe, connu comme le «boucher de Badajoz» a une fondation à son nom, son village natal s’appelle encore San Lorenzo de Yagüe et son fils est marquis de San Lorenzo de Yagüe.

El General Juan Yagüe Blanco (“El carnicero de Badajoz” 1891-1952) en 1939.


Daniel Cordier

Daniel Cordier.

Daniel Cordier est né le 10 août 1920 à Bordeaux. Il a 99 ans aujourd’hui. Cet homme a été résistant et marchand d’art.


Ancien militant d’Action française, ultranationaliste et antisémite, il s’engage dans la France libre dès juin 1940. Il devient le secrétaire de Jean Moulin, premier président Conseil national de la Résistance (CNR) en 1942-1943. Au contact de celui-ci, ses opinions évoluent vers la gauche. Il lui a consacré une biographie en plusieurs volumes (Jean Moulin: l’inconnu du Panthéon, Jean-Claude Lattès. 1989). Compagnon de la Libération en 1944, il est après-guerre marchand d’art, critique, collectionneur et organisateur d’expositions, avant de se consacrer à des travaux d’historien.


Avec Edgard Tupët-Thomé, Hubert Germain, Pierre Simonet, il est un des quatre compagnons de la libération encore vivants sur un total de 1038. Le dernier sera enterré dans la crypte du Mont Valérien où se trouve le mémorial de la France combattante

« Jean Moulin fut mon initiateur à l’art moderne. Avant de le rencontrer, en 1942, j’étais ignorant de cet appendice vivant de l’histoire de l’art. Il m’en révéla la vitalité, l’originalité et le plaisir. Surtout il m’en communiqua le goût et la curiosité », écrit Daniel Cordier, en 1989, dans la préface du catalogue présentant sa donation au Centre Pompidou.

Dans l’accrochage actuel du Centre Pompidou, l’accent est mis sur les Galeries d’art du XX ème siècle. Les salles 25 à 27 sont consacrées à ce grand résistant. De 1956 à 1959, sa première galerie se trouve 8 rue de Duras (75008-Paris). Il présente Dubuffet, Michaux et Réquichot. Il met aussi à l’honneur des figures singulières comme Dado, Fahlström ou Schulze. Il s’installe ensuite, de 1959 à 1964, au 8 rue de Miromesnil (75008-Paris). Il donne alors carte blanche à André Breton pour ce qui sera sa dernière grande exposition surréaliste. Il expose Louise Navelson, puis Robert Rauschenberg. Il ouvre ensuite une galerie à Francfort (1958-1962), une autre à New York (1960-1965). Il intitule sa dernière exposition “8 ans d’agitation“. C’est une des plus importants donateurs du musée national d’art moderne.

“Il n’y a rien à comprendre, il y a tout à voir” (Daniel Cordier)

Le Cycliste (Dado 1933-2010). 1955. Paris, Centre Georges Pompidou.
Episode de la guerre des nerfs (Bernard Réquichot 1929-1961). 1957. Paris, Centre Georges Pompidou.
Cuadro 120 (Manolo Millares). 1960. Paris, Centre Georges Pompidou.

Albert Camus

Albert Camus. New Yorl, 1946. (Cecil Beaton).

Albert Camus sera une des rares voix de protestation après l’explosion de la bombe atomique d’Hiroshima (6 mai 1945).

Combat, 8 août 1945. Éditorial.

Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique.

On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

En attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence, incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.

Déjà, on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de silence.

Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au désintéressement scientifique.

Qu’on nous entende bien. Si les Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de l’intimidation, nous nous en réjouirons. Mais nous nous refusons à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.

Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison.

Actuelles. Chroniques 1944-1948, Œuvres complètes, tome II, Éditions Gallimard.

Une de Combat. 8 mai 1945.