Geneviève Halévy (Mme Bizet-Mme Straus) est née à Paris le 26 février 1849.
Elle est la fille de Flomental Halévy (1799-1862), auteur de plusieurs opéras aujourd’hui oubliés (La Juive-1835). Par son père, elle est la nièce de Léon Halévy (1802-1883) et la cousine germaine du librettiste Ludovic Halévy (1834-1906), auteur avec Henri Meilhac (1830-1897) de nombreux opéras bouffes, mis en musique par Offenbach. Au cours du Second Empire, Meilhac et Halévy ont écrit le livret de Carmen, d’après la nouvelle de Mérimée.
Elle épouse en juin le compositeur Georges Bizet (1838-1875), élève de son père. Celui-ci avec L’Arlésienne ( 1872) Carmen (1875) n’a pas eu un grand succès Il n’est reconnu qu’après sa mort. Geneviève se fera peindre en habits de deuil par Jules-Élie Delaunay (1828-1891). Le tableau de 1876 est au Musée d’Orsay.
En 1881, elle fait la connaissance de l’avocat des Rothschild, Émile Straus (1844-1929). La rumeur le présente comme le fils illégitime de James de Rothschild. Elle se remarie avec lui en 1886.
Son fils, Jacques Bizet (1872-1922) est un ami d’enfance de Marcel Proust et son condisciple au lycée Condorcet. Marcel Proust est d’abord amoureux de ce « beau et vigoureux garçon ». Celui-ci ne répond pas à une lettre enflammée du futur écrivain, mais reste bon ami avec son camarade.
Geneviève Straus est jeune, belle, pleine d’esprit. C’est une femme à la mode. Elle tient un salon très fréquenté, reçoit tous les dimanches de nombreux artistes (des écrivains, des compositeurs, des peintres, des acteurs : Guy de Maupassant, Paul Bourget, Robert de Montesquiou, Alexandre Dumas fils, José-Maria de Heredia, Léon Blum, Edgar Degas, Jean-Louis Forain, Jacques -Emile Blanche, Charles Gounod, Jules Massenet, Gabriel Fauré, Lucien Guitry, Réjane ) et ses relations aristocratiques du faubourg Saint-Germain. Dans les premières années, elle encourage ses hôtes à réciter un poème ou à jouer au piano. Par la suite, la conversation devient beaucoup plus légère et exclut les conversations sérieuses.
Grâce à son amitié avec Jacques Bizet, Marcel Proust est introduit dès 1889 dans le salon de Mme Straus. Il n’a que 18 ans. Ce sera pour lui une véritable école. Il y vient régulièrement et voue à cette femme une grande admiration. Une véritable amitié amoureuse se noue. On conserve une importante correspondance de l’écrivain avec madame Straus. Elle va de 1888 à 1919. Il avoue lui-même avoir emprunté certains de ses traits d’esprit et ses “souliers rouges” pour composer la duchesse de Guermantes. Il observe ainsi des personnages qui deviendront ceux d’ À la recherche du temps perdu.
Ce salon est ardemment dreyfusard, comme Mme Straus, d’origine juive par son père et sa mère. Sous l’autorité de Joseph Reinach, il devient le point de ralliement des partisans de Dreyfus. C’est là que s’organise la première pétition de L’Aurore, à l’instigation d’Émile Straus, de Porto-Riche, d’Hervieu et de Halévy. Jacques Bizet et Marcel Proust signent la pétition du journal L’Aurore. Mais le déclin du salon de Mme Straus s’amorce alors. Les anti-dreyfusards et de nombreux aristocrates désertent la maison
Dès le début des années 1890, elle a développé une dépendance au Véronal et à la morphine. À partir de 1910, elle tombe dans la neurasthénie et s’isole.
Jacques Bizet se suicide le 3 novembre 1922. Marcel Proust meurt le 18 novembre 1922 et Madame Straus le 22 décembre 1926.
Le poème Art poétique d’Aragon fut publié à Neuchâtel (Suisse) le 16 août 1942 dans l’hebdomadaire Curieux que l’on pouvait recevoir légalement en zone libre. Le poète rend hommage à ses amis résistants, Georges Politzer, Jacques Decour, Jacques Solomon et Georges Dudach, fusillés par les nazis en mai 1942.
Georges Dudach, mari de Charlotte Delbo, était l’adjoint de Jacques Decour, professeur agrégé d’allemand, critique et romancier. Après la création du Front national, ce dernier fut chargé du regroupement de tous les écrivains résistants de zone occupée dans le Comité national des Écrivains. Après L’Université libre et La Pensée libre, il projetait la publication d’une nouvelle revue, Les Lettres françaises, qu’il ne verra pas paraître.
Mandaté par le Parti Communiste, Georges Dudach assura la liaison de Paris avec divers intellectuels, et en particulier avec Louis Aragon et Elsa Triolet. Georges Dudach fut fusillé comme otage au Mont-Valérien le 23 mai 1942 en même temps que Georges Politzer, Jacques Solomon, André Pican et Jean-Claude Bauer. Jacques Decour le fut à son tour au même endroit avec Arthur Dallidet et Félix Cadras le 30 mai 1942. Il avait subi 3 mois d’interrogatoires et de tortures.
Notice DECOUR Jacques [DECOURDEMANCHE Daniel, dit] par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 11 juillet 2022.
Art poétique (Louis Aragon)
Pour mes amis morts en Mai Et pour eux seuls désormais
Que mes rimes aient le charme Qu’ont les larmes sur les armes
Et pour que tous les vivants Qui changent avec le vent
S’y aiguise au nom des morts L’arme blanche du remords
Mots mariés mots meurtris Rimes où le crime crie
Elles font au fond du drame Le double bruit d’eau des rames
Banales comme la pluie Comme une vitre qui luit
Comme un miroir au passage La fleur qui meurt au corsage
L’enfant qui joue au cerceau La lune dans le ruisseau
Le vétiver dans l’armoire Un parfum dans la mémoire
Rimes rimes où je sens La rouge chaleur du sang
Rappelez-vous que nous sommes Féroces comme des hommes
Et quand notre cœur faiblit Réveillez-vous de l’oubli
Rallumez la lampe éteinte Que les verres vides tintent
Je chante toujours parmi Les morts en Mai mes amis
16 août 1942 (Hebdomadaire Curieux, Neuchâtel)
En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945. (En Français dans le texte, 15 septembre 1943)
Après avoir lu les poèmes de Primo Levi, je suis revenu à ceux de Charlotte Delbo. Les Éditions de Minuit ont rassemblé en mars 2024 pour la première fois ses poèmes complets, suivis de dix inédits et d’un entretien avec Claude Prévost (La Nouvelle Critique, juin 1965, numéro 167)
Dans Mesure de nos jours (1971) Charlotte Delbo écrit : « Les poètes voient au-delà des choses. » Elle est née le 10 août 1913 à Vigneux-sur-Seine (Essonne). Elle est morte le 1er mars 1985 à Paris.
Issue d’une famille d’ouvriers italiens, elle adhère en 1932 aux Jeunesses communistes, puis en 1936 à l’Union des jeunes filles de France, fondée par Danielle Casanova. A l’Université ouvrière, elle rencontre en 1934 son futur mari, le militant communiste Georges Dudach, formé à Moscou. Elle l’épouse en 1936. En 1937, elle devient la secrétaire de Louis Jouvet qui l’engage après la lecture d’un article sur le théâtre qu’elle avait écrit pour Les Cahiers de la Jeunesse, dont Georges Dudach était le rédacteur en chef.
Après avoir hésité, elle part avec la troupe de l’Athénée en Amérique du Sud en mai 1941. Elle revient à Paris le 15 novembre 1941.
Elle s’engage alors dans la Résistance avec son mari. Ils vivent dans la clandestinité. Ils font partie du « groupe Politzer », chargé de la publication des Lettres françaises dont Jacques Decour est le rédacteur en chef. Charlotte Delbo est chargée de l’écoute de Radio Londres et de Radio Moscou qu’elle prend en sténo ainsi que de la dactylographie des tracts et des revues.
En février 1942, de nombreux membres de leur réseau de résistants communistes sont pris en filature. Les arrestations se multiplient à la mi-février : Georges et Maï Politzer, Danielle Casanova, Lucien Dorland, Lucienne Langlois, puis André et Germaine Pican, Jacques Decour…
Charlotte Delbo et son mari sont arrêtés le 2 mars 1942 au 93 rue de la Faisanderie (16e arrondissement de Paris) par les Brigades spéciales de la Police française. Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942, à l’âge de 28 ans. Charlotte Delbo est déportée à Auschwitz par le convoi du 24 janvier 1943 dit « convoi des 31000 » (230 femmes – 1446 hommes). Elle est transférée à Ravensbrück au début de l’année 1944 et libérée en avril 1945 après vingt-sept mois de déportation. Elle sera l’une des 49 rescapées du convoi des 31000.
Elle écrira des années plus tard son indispensable trilogie Auschwitz et après.
Aucun de nous ne reviendra (Éditions Gonthier 1965. Éditions de Minuit, 1970) Une connaissance inutile ( Éditions de Minuit, 1970) Mesure de nos jours ( Éditions de Minuit, 1971)
En 1965, elle a publié aussi Le Convoi du 24 janvier (Éditions de Minuit), une compilation de courtes biographies des 230 femmes déportées avec elle.
Il convient de consulter le Maitron, Dictionnaire biographique Mouvement ouvrier Mouvement social. Notice DUDACH Georges, Paul par Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 24 janvier 2022.
J’ai choisi 5 poèmes publiés dans Une connaissance inutile.
Je lui disais mon jeune arbre Il était beau comme un pin La première fois que je le vis Sa peau était si douce la première fois que je l’étreignis et toutes les autres fois si douce que d’y penser aujourd’hui me fait comme lorsqu’on ne sent plus sa bouche Je lui disais mon jeune arbre lisse et droit quand je le serrais contre moi je pensais au vent à un bouleau ou à un frêne Quand il me serrait dans ses bras je ne pensais plus à rien.
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Je l’appelais mon amoureux du mois de mai des jours qu’il était enfant heureux tellement je le laissais quand personne ne voyait être mon amoureux du mois de mai même en décembre enfant et tendre quand nous marchions enlacés la forêt était toujours la forêt de notre enfance nous n’avions plus de souvenirs séparés il embrassait mes doigts ils avaient froid il disait les mots que disent les amoureux du mois de mai j’étais seul à entendre On n’écoute pas ces mots-là Pourquoi On écoute le coeur qui bat On croit pouvoir toute la vie les entendre ces mots-là tendres Il y a tant de mois de mai toute la vie à deux qui s’aiment.
Alors ils l’ont fusillé un mois de mai
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Je l’aimais parce qu’il était beau c’est une raison futile
Je l’aimais parce qu’il m’aimait c’est une raison égoïste
Mais c’est pour vous que je cherche des raisons pour moi, je n’en avais pas Je l’aimais comme une femme aime un homme sans mots pour le dire
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Ce point sur la carte Cette tache noire au centre de l’Europe cette tache rouge cette tache de feu cette tache de suie cette tache de sang cette tache de cendres pour des millions un lieu sans nom. De tous les pays d’Europe de tous les points de l’horizon les trains convergeaient vers l’in-nommé chargés de millions d’êtres qui étaient versés là sans savoir où c’était versés avec leur vie avec leurs souvenirs avec leurs petits maux et leur grand étonnement avec leur regard qui interrogeait et qui n’y a vu que du feu, qui ont brûlé là sans savoir où ils étaient. Aujourd’hui on sait Depuis quelques années on sait On sait que ce point sur la carte c’est Auschwitz On sait cela Et pour le reste on croit savoir
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Yvonne Picard est morte qui avait de si jolis seins . Yvonne Blech est morte qui avait les yeux en amande et des mains qui disaient si bien . Mounette est morte qui avait un si joli teint une bouche toujours gourmande et un rire si argentin. Aurore est morte qui avait des yeux couleur de mauve.
Tant de beauté tant de jeunesse tant d’ardeur tant de promesses… Toutes un courage des temps romains.
Et Yvette aussi est morte qui n’était ni jolie ni rien et courageuse comme aucune autre . Et toi Viva et moi Charlotte dans pas longtemps nous serons mortes nous qui n’avons plus rien de bien.
Je viens de terminer le livre de l’historien italien, CarloGreppi : Un homme sans mots. L’histoire enfin révélée du sauveur de Primo Levi. Éditions Jean-Claude Lattès, 2024.
J’avais lu l’article du Monde Magazine du 31 mars 2024 : Carlo Greppi, l’écrivain turinois qui redonne vie au sauveur de Primo Levi. Dans Un homme sans mots , en librairie le 3 avril, l’historien italien Carlo Greppi raconte le parcours de Lorenzo Perrone, un maçon qui aida l’auteur de Si c’est un homme à survivre au camp d’Auschwitz.
Le 7 juin 1998, Le mémorial de Yad Vashem (Institut international pour la mémoire de la Shoah) a reconnu Lorenzo Perrone comme Juste para les nations. On comptait en tout, au 1er janvier 2022, 28 217 justes dont 766 Italiens.
Primo Levi, Si c’est un homme. Julliard, 1987. Pocket, 1990. Traduction Martine Schruoffeneger.
« …Tous les jours, pendant six mois, un ouvrier civil italien m’apportait un morceau de pain et le reste de sa ration quotidienne ; il me donna un de ses chandails rapiécés ; il écrivit pour moi une carte postale qu’il envoya en Italie et dont il me fit parvenir la réponse. Il ne demanda rien et n’accepta rien en échange, parce qu’il était bon et simple, et ne pensait pas que faire le bien dût rapporter quelque chose.
Á supposer qu’il y ait une sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut justement moi, parmi des milliers d’autres êtres équivalents, qui pus résister à l’épreuve, je crois que c’est justement à Lorenzo que je dois d’être encore vivant aujourd’hui ; non pas tant pour son aide matérielle que pour m’avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et facile d’être bon, qu’il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n’avaient contaminés, qui étaient demeurés étrangers à la haine et à la peur ; quelque chose d’indéfinissable, comme une lointaine possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant.
… Mais Lorenzo était un homme ; son humanité était pure et intacte, ce monde de négation lui était étranger. C’est à Lorenzo que je dois de ne pas avoir oublié que j’étais un homme moi aussi. »
Lorenzo Perrone est né le 11 septembre 1904 à Fossano (province de Coni). Primo Levi vivait à Turin et travaillait comme chimiste. En septembre 1943, dès les premiers temps de l’occupation de l’Italie par les Allemands, il rejoignit un groupe de partisans dans son Piémont natal. Arrêté au cours d’une rafle de la milice fasciste républicaine le 13 décembre 1943, il fut emprisonné à Aoste jusqu’au 20 janvier 1944, puis transféré au camp de Fossoli et déporté le 22 février 1944 (matricule 174 517). Après son arrivée à Auschwitz, il fut envoyé dans le camp de Buna-Monowitz dans l’usine d’I.G. Farben.
En tant que chimiste, il se vit attribuer un poste dans l’usine de caoutchouc synthétique. Affecté à un groupe chargé de la construction d’un mur, Levi fit la connaissance de celui qui deviendra son sauveur, Lorenzo Perrone. Ce dernier, originaire aussi du Piémont, appartenait à un groupe de maçons qualifiés, employés là comme ouvriers civils depuis avril 1942, par la société italienne Beotti . La rencontre entre les deux Italiens eut lieu entre le 16 et le 21 juin 1944. Levi entendit Perrone s’adresser en piémontais à un autre ouvrier. Á compter de ce jour et jusqu’à la fin du mois de décembre 1944, Perrone apporta de la nourriture à Levi chaque jour, pendant six mois. Le front se rapprochant, les ouvriers étrangers s’enfuirent ou furent renvoyés chez eux. Ce supplément de nourriture, prélevé sur la ration alimentaire de Perrone, sauva la vie de Levi. Perrone offrit aussi à Levi un chandail rapiécé qu’il porta sous son uniforme de détenu et lui permit de supporter le terrible hiver 1944-1945. Il accepta également d’envoyer des cartes postales à une amie non juive de Levi, Bianca Guidetti Serra, par l’intermédiaire duquel la mère de Levi, Esther, et sa sœur Anna Maria apprirent qu’il était encore en vie. Les deux femmes vivaient cachées en Italie et réussirent, par le biais d’une chaîne d’amis dont Perrone était le dernier maillon, à lui faire parvenir un colis alimentaire comprenant du chocolat, des biscuits, du lait en poudre ainsi que des vêtements. Perrone risqua sa vie pour sauver celle de Levi, sans rien attendre en retour, acceptant seulement que Levi fasse réparer ses chaussures abîmées dans l’atelier de cordonnerie du camp.
La dernière rencontre à Auschwitz entre les deux hommes eut lieu de nuit après un violent bombardement allié, probablement le 26 décembre 1944. La déflagration avait perforé un des tympans de Perrone et, sous le coup de l’explosion, du sable et de la terre avaient été projetés dans la soupe qu’il apportait à Levi. Perrone s’excusa que la soupe soit souillée, mais ne dit pas à Levi ce qui lui était arrivé. Il ne voulait pas que son ami se sente redevable envers lui. La conduite de Perrone rappelait à Levi qu’il existait encore, hors d’Auschwitz, un monde juste et des êtres humains généreux et intègres.
Dans un entretien posthume publié dans The Paris Review en 1995, Primo Levi disait : ” Nous ne parlions quasiment jamais. C’était un homme silencieux. Il refusait mes remerciements. Il me répondait à peine. Il haussait seulement les épaules : Prends le pain, prends le sucre. Garde le silence, tu n’as pas besoin de parler. ” Il ajoutait que Perrone avait été marqué par ce qu’il avait vu à Auschwitz et qu’après la guerre, il s’était mis à boire, avait cessé de travailler et n’avait plus envie de vivre.
Entre 1945 et 1952, Perrone était manifestement détruit. Après la Libération, Primo Levi resta en contact avec lui. Il lui rendait visite à Fossano. C’était désormais Levi qui essayait de sauver Perrone. L’écrivain rappellait : « Instinctivement, il avait tenté de sauver des gens, non par orgueil, ni pour la gloire, mais parce qu’il avait bon cœur et de l’empathie. Il me demanda un jour, laconiquement : Pourquoi sommes-nous en ce bas monde si ce n’est pour nous aider les uns les autres ? » Perrone lui dit aussi un jour : « On est au monde pour faire le bien, pas pour s’en vanter. »
Perrone, tuberculeux et alcoolique, mourut le 30 avril 1952 à l’hôpital de Savigliano. Il avait 47 ans. En hommage à son sauveur, Levi donna à sa fille, née le 31 octobre 1948, le nom de Lisa Lorenza et à son fils, né en juillet 1957, celui de Renzo. Lorenzo Perrone apparaît dans les récits autobiographiques de Primo Levi : Si c’est un homme et Lilith, ainsi que dans les nouvelles Les Evénements de l’été et Le Retour de Lorenzo.
Si c’est un homme fut publié le 11 octobre 1947 chez Francesco De Silva, tiré à 2500 exemplaires. Il avait été refusé par Einaudi. Cette maison d’édition reprit pourtant le titre en 1958. Le premier tirage fut de 2000 exemplaires. Dans les années 70 et 80, Si c’est un homme fut réimprimé sans interruption et devint un des livres les plus lus de l’après-guerre. Les traductions en anglais, allemand et français en ont fait dans le monde entier un témoignage essentiel de l’horreur des camps d’extermination nazis.
Le 11 avril 1987, Primo Levi se suicida en se jetant dans la cage d’escalier de l’immeuble de Turin où il avait toujours vécu et où il était né soixante-huit ans plus tôt (corso Re Umberto n° 75) . Lorenzo Perrone et Primo Levi ne sont jamais vraiment sortis d’Auschwitz.
Une plaque a été inaugurée le 25 avril 2004 à Fassone, viale delle Alpi :
Á Lorenzo Perone (1904-1952) Le long de cette avenue, tu as souvent marché Lorenzo Perone de Fassano Tu étais l’enfant du Borgo Vecchio, un muradur de peu de mots. En 1944, dans l’usine de Buna-Werke, aux abords du camp d’extermination d’Auschwitz, tu as sauvé l’âme et le corps de Primo Levi en risquant ta vie pour lui donner ton pain et avec lui l’espoir. Pour cela tu as été distingué en Israël par le titre de « Juste parmi les nations ». Tu as été un humble et généreux enfant de Fossano.
Sources : Carlo Greppi : Un homme sans mots. L’histoire enfin révélée du sauveur de Primo Levi. Éditions Jean-Claude Lattès, 2024.
Site Yad Vashem. Institut international pour la mémoire de la Shoah.
Né le 2 mars 1909 à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), exécuté sommairement le 25 juillet 1944 à La Chapelle-en-Vercors (Drôme) ; instituteur ; résistant.
Philippe Saint-André était le fils de François (né en 1878) scieur et de Marguerite Saint-André (née en 1883). Il devint instituteur, nommé en 1932 à l’école primaire de la Chapelle-en-Vercors où il exerça jusqu’en 1944. Au recensement de 1936, il résidait au bourg avec ses parents ; sa mère était originaire de La Chapelle-en-Vercors.
Il s’engagea dans la Résistance, vraisemblablement dans les maquis du Vercors. Ces maquis se mirent en place à partir des premiers mois de 1943 dans tout le massif du Vercors. Le commandement allemand lança le 21 juillet 1944 une opération aéroportée contre le village de Vassieux-en-Vercors. A partir du 23 juillet, les unités allemandes commencèrent le ratissage du massif. Le 25 juillet 1944, elles occupèrent La Chapelle-en-Vercors. Dans la soirée, les Allemands rassemblèrent la population qu’ils divisèrent en trois groupes, dont l’un, celui des hommes de 17 à 40 ans (Philippe Saint-André en fit partie), servait d’otage, les autres étant enfermés dans l’école. Dans la nuit, vers 2 h du matin , les 16 hommes furent massacrés dans la cour de la ferme Albert.
Il obtint la mention mort pour la France et le statut Interné – Résistant (DIR). Il reçut à titre posthume la Médaille de la Résistance par décret du 3 juin 1960. Son nom figure sur le monument aux morts et sur les plaques commémoratives de La Chapelle-en-Vercors. L’école primaire porte aujourd’hui son nom et une plaque commémorative est apposée dans l’actuelle cantine de l’école.
Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social.
France TV. Diffusé le 16/04/2024 à 13h56 Disponible jusqu’au 03/01/2026.
A l’occasion du début des commémorations marquant le 80 ème anniversaire des débarquements, la rédaction nationale de France Télévisions a rendu hommage le 16 avril aux résistants du maquis du Vercors. France 2 a proposé une édition spéciale présentée par Jean-Baptiste Marteau avec Nathalie Saint-Cricq. Ils ont reçu Jean-Yves Le Naour, historien, Francis Ginsbourger, écrivain dont la famille a été cachée pendant la guerre, Philippe Saint-André, ancien sélectionneur du XV de France dont le grand-père était maquisard, et Gil Emprin, historien au musée de la Résistance de Grenoble.
Leer, leer, leer, vivir la vida que otros soñaron. Leer, leer, leer, el alma olvida las cosas que pasaron.
Se quedan las que quedan, las ficciones, las flores de la pluma, las olas, las humanas creaciones, el poso de la espuma.
Leer, leer, leer; ¿seré lectura mañana también yo? ¿Seré mi creador, mi criatura, seré lo que pasó?
Cancionero. Diario poético (1928-1936) Poemas y canciones de Hendaya (1929)
Lire, lire, lire
Lire, lire, lire, vivre la vie que d’autres ont rêvée. Lire, lire, lire, l’âme oublie ce qui est arrivé.
Reste ce qui reste, les fictions, les fleurs de la plume, les vagues, les créations humaines, les festons de l’écume.
Lire, lire, lire ; est-ce que je serai lecture moi aussi demain ? Est-ce que je serai mon créateur, ma créature, est-ce que je serai ce qui est arrivé ?
Traduction : CF.
Miguel de Unamuno est né le 29 septembre 1864 à Bilbao. Il est mort le 31 décembre 1936 à Salamanque. Poète, romancier, dramaturge, critique littéraire, philosophe, c’est une figure marquante de la littérature espagnole du XX ème siècle. il assiste au siège de sa ville (28 décembre 1873 – 2 mai 1874) pendant la troisième guerre carliste (1872-1876). Il évoque cet épisode dans son premier roman : Paz en la guerra (1897). Entre 1891 et 1901, il devient professeur de grec à l’université de Salamanque. Il est marxiste et militant du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol d’octobre 1894 à 1897. Il traverse ensuite une crise religieuse, s’éloigne du marxisme, mais continue longtemps encore à publier dans la presse socialiste. La perte de Cuba lui apparaît comme le symbole du déclin de l’Espagne. Cette défaite devient le point de départ de la Génération de 98. Ce mouvement de régénérescence culturelle regroupe des écrivains tels qu’Antonio Machado, Azorín, Pío Baroja, Ramón del Valle-Inclán etc. Unamuno occupe les fonctions de recteur de l’Université de Salamanque à partir de 1901, mais il est destitué de sa charge en 1914 en raison de son opposition à la monarchie. Sous la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930), il est exilé aux Îles Canaries (Fuerteventura) en 1924. Rapidement gracié, il refuse de rentrer dans son pays. Il vit à Paris, puis à Hendaye. Il ne revient en Espagne qu’à la chute de la dictature en 1930. Il récupère son poste de recteur lors de la proclamation de la République (14 avril 1931). Il est élu député indépendant de Salamanque sur les listes républicaines et socialistes. Déçu par l’action des gouvernements républicains, il ne se représente pas en 1933. Dans un premier temps, il appuie le coup d’état franquiste du 18 juillet 1936. Il change rapidement d’avis en constatant la répression qui s’abat sur sa ville. Certains de ses proches amis sont fusillés : Casto Prieto Carrasco (1886-1936), maire de Salamanque ; Atilano Coco Martín (1902-1936), pasteur protestant ; Salvador Vila Hernández (1904-1936), son ancien élève, recteur de l’Université de Grenade. Miguel de Unamuno essaie d’intervenir auprès des nouvelles autorités, mais ne peut rien faire. Il livre un dernier combat contre le nouveau pouvoir lors d’une grande cérémonie franquiste (le 12 octobre, jour anniversaire de la découverte de l’Amérique, (“el día de la raza“) dans le grand amphithéâtre (“Paraninfo“) de l’Université de Salamanque. Il prononce un discours resté célèbre. Il répond au professeur Francisco Maldonado, qui attaque les nationalismes basque et catalan. Il s’en prend à l’évêque de Salamanque et au général Millán-Astray (fondateur de la légion étrangère espagnole). Il manque d’ être lynché. Il est destitué de son poste de recteur 10 jours plus tard et assigné à résidence. Il meurt peu après, à la fin de l’année 1936. C’était un homme passionné, complexe, contradictoire.
Le passé est toujours là. Le 6 mars 2024, l’Université de Salamanque a concédé à titre posthume à son ancien recteur, en présence de trois de ses trois petits-enfants, le titre de Docteur Honoris Causa cent ans après son exil forcé. Il n’a eu que deux prédécesseurs : les deux grands mystiques espagnols, Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix. Peu avant, le leader du parti d’extrême-droite Vox, Santiago Abascal, avait accusé aux États-Unis lors d’une réunion de politiciens trumpistes cet établissement d’enseignement supérieur d’être une “machine à censure, de coercition, d’endoctrinement et d’antisémitisme”. L’Université de Salamanque est une des plus anciennes du monde. Elle a été créée en 1218 (Studium Generale) et en 1252 (comme Université)
Essais En torno al casticismo (1895). L’Essence de l’Espagne, cinq essais traduit par Marcel Bataillon, Paris, Plon, 1923. Réédition, Paris, Gallimard, Nrf Essais, 1999. Vida de Don Quijote y Sancho (1905). La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança, traduit par Jean Babelon, Paris, Albin Michel, 1959. Del sentimiento trágico de la vida (1913) Le Sentiment tragique de la vie chez les hommes et chez les peuples, traduit par Marcel Faure-Beaulieu, Paris, Éditions de la NRF, 1917 ; réédition, Paris, Gallimard, 1937 ; réédition, Paris, Gallimard, « Folio. Essais » n° 306, 1997. La agonía del cristianismo,(1925). L’Agonie du christianisme, traduit par Jean Cassou, Paris, F. Rieder,1925 ; réédition, Paris, Berg international, 1996 ; nouvelle traduction par Antonio Werli, Paris, RN, 2016. Abel Sánchez : Una historia de pasión (1917). Abel Sánchez. Une histoire de passion, traduit par Emma H. Clouard, Paris, Mercure de France, 1964 ; nouvelle traduction de Maurice Gabail, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995. Cómo se hace una novela (1927). Comment se fait un roman, (l’auteur justifie le recours à la forme romanesque comme mode d’exposition philosophique), traduit par Bénédicte Vauthier et Michel Garcia, Paris, Éditions Allia, 2010.
Romans
Amor y pedagogía (1902). Amour et Pédagogie, traduit par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1996. Niebla (1914). Brouillard, traduit par Noémi Larthe, Paris, Éditions du Sagittaire, 1926 ; nouvelle traduction par Catherine Ballestero, Paris, Librairie Séguier, 1990 ; réédition de la traduction de Noémi Larthe revue par Albert Bensoussan, Rennes, Terre de Brume, 2003.
La Tía Tula (1907) version augmentée en 1921 La Tante Tula, traduit par Jeacques Bellon, Paris, Stock, 1937 ; nouvelle traduction de Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2002.
Poésie El Cristo de Velázquez (1920). Le Christ de Velazquez, traduit par Mathilde Pomès, Éditions A. Magné, 1938 ; nouvelle traduction par Jacques Munier, Paris, Éditions La Différence, « Collection Orphée » n° 63, 1990.
Contes et nouvelles Tres novelas ejemplares y un prólogo(1920). Trois nouvelles exemplaires et un prologue, traduits par Jean Cassou et Mathilde Pomès, Paris,Éditions du Sagittaire, 1925 ; nouvelle traduction par Dominique Hauser, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1995. Cuentos (1886-1923). Contes, traduit par Raymond Lantier, Paris, Gallimard, « Du monde entier », 1965.
Ouvrages autobiographiques Diario intimo (1897, publié en 1970) Journal intime, traduit par Paul Drochon, Paris, Éditions du Cerf, 1989.
On peut voir le film Lettre à Franco (Mientras dure la guerra) d’Alejandro Amenábar, sorti en 2019.
Colette Rabaté et Jean-Claude Rabaté ont publié une biographie qui fait référence : Miguel de Unamuno (1864-1936) Convencer hasta la muerte. Galaxia Gutenberg, 2019. Ils travaillent actuellement à une édition de sa correspondance en 8 volumes. Deux sont déjà parus. Epistolario I (1880-1899). 303 lettres. Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2017 Epistolario II (1900-1904). 391 lettres. Salamanca, Ediciones de la Universidad de Salamanca, 2023.
José Roig Armengote est né le 26 décembre 1880 à Castellón de la Plana (Espagne).
Il résidait en France depuis 1900 et avait créé, avant la première guerre mondiale, une fabrique de tricot sur machine qui employait une vingtaine d’ouvrières au 13 rue de l’Abreuvoir à Dourdan (Essonne).
Il était franc-maçon (membre de la Grande Loge de France, loge 137, domiciliée 8 rue de Puteaux, Paris XVIIe arrondissement ) et partisan de la Seconde République espagnole, proclamée le 14 avril 1931.
En septembre 1940, il demeurait à Paris au 86 rue Montorgueil (IIe arrondissement). Il participait aux actions de la Croix-Rouge depuis 1939 et faisait partie du groupe de résistance de Noël Riou. En septembre 1940, il recueillit chez lui quatre aviateurs anglais et parvint à les faire passer en zone libre. Il poursuivit son activité clandestine. Dénoncé, il fut arrêté par les autorités allemandes pour « activité au profit d’une puissance étrangère et espionnage ».
Le 4 juillet 1941, le tribunal du Gross Paris, qui siégeait 11bis rue Boissy-d’Anglas (VIIIe arrondissement), le condamna à mort. La Délégation générale pour les territoires occupés (DGTO), informée tardivement de sa condamnation, refusa d’intervenir en sa faveur puisqu’il n’était pas de nationalité française. Elle confia son sort au consulat d’Espagne. Son recours en grâce lui fut refusé.
José Roig a été fusillé le 1 août 1941 à Paris, ou plus vraisemblablement au fort d’Ivry, par les autorités allemandes. Son corps fut transféré le soir même au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine dans le carré des fusillés, division 47, ligne 2, n° 15. Il était le deuxième fusillé enterré à Ivry après Eugène Andrieux. Il fut réinhumé à Bagneux le 19 septembre 1945.
Extrait de l’affiche placardée sur les murs de Paris : «Le nommé ROIG JOSÉ DE PARIS a été condamné à mort pour AIDE A L’ENNEMI par recrutement en faveur de l’armée de l’ex-GÉNÉRAL DE GAULLE. Il A ÉTÉ FUSILLÉ AUJOURD’HUI. Paris, le 1 août 1941. LE TRIBUNAL MILITAIRE».
Il figure parmi les premiers résistants exécutés à Paris. Pourtant, cet Espagnol de naissance ne figure pas sur la liste des martyrs d’Île-de-France auxquels tous les ans la France rend hommage au mont Valérien.
Déclaration de Denis Peschanski le 13 octobre 2023 (Université Paris I Panthéon Sorbonne) :
« Mais une grande découverte s’est faite en marge de ce travail : comme Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire du Président, me demandait de pouvoir retrouver des résistants étrangers afin de les décorer de la Légion d’Honneur, je me montrais circonspect, tant il en restait peu 80 ans après et convaincu qu’ils auraient déjà été honorés, sauf exception. Je pris donc mon bâton de pèlerin et j’ai interrogé les associations. Rien des deux premières. La troisième me dit : notre problème n’est pas là, c’est la reconnaissance par la mention « Mort pour la France ». Je tombe de l’armoire en constatant bientôt que des étrangers et des Français ayant fait exactement la même chose et ayant été fusillés soit comme otages, soit après jugement, n’avaient pas le même sort pour partie d’entre eux. Et je découvrais que, créée en 1915, la mention « Mort pour la France » imposait qu’on fût de nationalité française. Avec la Seconde Guerre mondiale, cela devenait compliqué, alors l’administration a jugé au cas par cas suivant les circonstances et les pressions. Toujours est-il qu’ayant fait remonter l’information, j’eus un accueil positif immédiat, aussi bien de la présidence de la République que du secrétariat d’État aux Anciens combattants. Une première étude portant sur le Mont Valérien, principal lieu d’exécution pendant la guerre, montrait qu’il y avait 185 étrangers sur les quelque 1000 fusillés par les Allemands. La proportion est déjà significative pour illustrer votre première question. Mais sur ces 185, 92 n’avaient pas la mention Mort pour la France. Ils ont obtenu la mention par décision du président le même 18 juin 2023. Et le travail continue bien entendu. »
En 2001, à l’occasion du soixantième anniversaire de sa mort, un square a été nommé en sa mémoire à Meudon (Hauts-de-Seine) où résidait son fils, José Roig, Meudonnais de longue date.
En juillet 2022, le Conseil de Paris vote pour l’apposition d’une plaque en sa mémoire située 86 rue Montorgueil.
Sources :
https://maitron.fr/spip.php?article165698 notice ROIG José par Julien Lucchini, Annie Pennetier, version mise en ligne le 2 octobre 2014, dernière modification le 12 mai 2021.
Madrid. 11 mars 2004. 20 ans. 193 morts, 1858 blessés. Ni oubli ni pardon. Madrid. 11 de marzo de 2004. Hace 20 años. 193 muertos, 1858 heridos. Ni olvido ni perdón.
Je lis ces jours-ci avec intérêt Viva de Patrick Deville (Éditions du Seuil, 2014. Points Seuil n°4146, 2015). Mon ami P. me l’a conseillé. Les personnages centraux sont Léon Trotsky et Malcolm Lowry, deux personnages qui ont à première vue peu de choses en commun. Le livre est construit en une trentaine de courts tableaux. Tout se passe dans le Mexique des années 30, si riche culturellement et historiquement…
On présente les livres de Patrick Deville comme des “romans d’aventures sans fiction”. En quatrième de couverture, une phrase du grand Pierre Michon : “Je relis Viva si savant, si écrit, si rapide. Chaque phrase est flèche.”
Pages 221-222 de l’édition en Points Seuil : ” Enfermé ce soir dans cette chambre, je reprends une dernière fois les carnets et les chronologies emmêlés de toutes ces pelotes. Nous sommes le 21 février 2014. C’est aujourd’hui le soixante-dixième anniversaire de l’Affiche rouge, des vingt-deux résistants étrangers fusillés par les nazis au Mont-Valérien le 21 février 1944. C’est aujourd’hui le quatre-vingtième anniversaire de l’assassinat de Sandino à Managua le 21 février 1934… On écrit toujours contre l’amnésie générale et la sienne propre…”
Du 13 février au 12 mai 2024, le Jeu de Paume rend hommage à Tina Modotti (1896-1942) à travers une grande exposition, la plus importante jamais consacrée à Paris à cette photographe et activiste politique d’origine italienne.
” Un español en el Panteón. Un republicano, un comunista, un combatiente en la Guerra Civil, un resistente contra los nazis. Celestino Alfonso se convertirá este miércoles en el primer ciudadano de esta nacionalidad en entrar en el templo laico de las glorias francesas. Se escribe entrar en cursiva, porque físicamente sus restos seguirán en el cementerio de Ivry, al sur de París.
Pero su nombre quedará inscrito, junto a otros 22 miembros de un grupo de la Resistencia contra la ocupación alemana de Francia, a la entrada de la cripta donde el líder del grupo, el armenio Missak Manouchian, y su mujer, Mélinée, reposarán eternamente en el mismo lugar que Voltaire, Rousseau o Victor Hugo.
Francia, por iniciativa del presidente Emmanuel Macron, saldará una deuda con los extranjeros que dieron su sangre por un país que no siempre les trató como debía. Manouchian, Alfonso y otros camaradas ―apátridas, judíos, armenios, polacos, húngaros, italianos, rumanos…— protagonizaron uno de los momentos trágicos y heroicos de la II Guerra Mundial…
En Ivry hay una calle dedicada a Celestino Alfonso. Ni la familia ni los expertos consultados tienen noticia de que en España haya una placa u otra forma de conmemoración. “En su pueblo no hay nada, ni una calle, nada”, lamenta el hispanista Rabaté. “En cambio, hay una calle dedicada al general franquista Moscardó.”
(Marc Bassets. El País, 18 février 2024)
“Alfonso. Español. Rojo. Siete atentados.”
POUR CITER CET ARTICLE : https://maitron.fr/spip.php?article9851, notice ALFONSO Celestino par Gautier Mergey, version mise en ligne le 10 octobre 2008, dernière modification le 22 novembre 2022.
CELESTINO ALFONSO
Né le 1er mai 1916 à Ituero de Azaba (Espagne), fusillé par condamnation le 21 février 1944 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; menuisier, manœuvre ; communiste, volontaire en Espagne républicaine ; résistant FTP-MOI.
Celestino Alfonso naquit à Ituero de Azaba, village espagnol de la région de Salamanque, près de la frontière portugaise. Ses parents, Ventura Alfonso et Faustina Matos, étaient tous deux natifs des environs. En 1927, munis d’une autorisation de séjour, Celestino Alfonso et ses parents immigrèrent en France. Ils devaient finalement s’établir à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne). Celestino Alfonso travailla comme menuisier et comme manœuvre jusqu’en août 1936, date de son départ pour l’Espagne en guerre. Il fut incorporé dans les Brigades internationales : il servit dans la IIIe Brigade jusqu’en avril 1937, puis dans la XIVe Brigade en qualité de commissaire politique de compagnie. En novembre de la même année, il revint en France pendant un mois en permission régulière puis retourna en Espagne où il continua à combattre jusqu’en 1939. À son retour en France, Celestino Alfonso fut interné au camp d’Argelès (Pyrénées-Orientales). Il en sortit le 7 décembre 1939 pour intégrer une compagnie de travailleurs étrangers (CTE). En juin 1940, revenu à Paris, il travailla jusqu’au 17 janvier 1941, date à laquelle il fut arrêté et interné à la caserne des Tourelles. En février, il fut libéré et partit travailler en Allemagne jusqu’au 18 juin 1941. Par la suite, il trouva de l’embauche au camp de Satory (Seine-et-Oise, Yvelines), au garage Chaillot rue de Chaillot à Paris, et à Villacoublay (Yvelines) aux Établissements ACO. Parallèlement, il militait à la section espagnole du Parti communiste clandestin. Son rôle consistait en la diffusion de tracts. En novembre 1942, suite à l’arrestation de plusieurs de ses camarades, craignant de l’être à son tour, il quitta Paris et se rendit à Orléans (Loiret). Il aurait, selon ses dires, travaillé dans cette ville pour le compte des autorités allemandes jusqu’en juillet 1943. De retour à Paris, Celestino Alfonso entra en contact avec Missak Manouchian, commissaire militaire des FTP-MOI : sous le pseudonyme de « Pierrot », Alfonso intégra une équipe spéciale constituée de Leo Kneller et de Marcel Rayman (« Michel »). Avec ces derniers, désigné comme tireur d’élite, il prit part à plusieurs opérations. Le 28 juillet 1943, avenue Paul-Doumer (XVIe arr.), l’équipe lança une grenade contre la voiture du général Von Schaumburg. Toutefois, cet officier nazi, commandant du Grand Paris, ne se trouvait pas, alors, dans son véhicule. Le 9 août 1943, Alfonso récupéra de l’argent et des documents chez une militante du XIIIe arrondissement. Le 19 août, au parc Monceau (XVIIe arr.), il fut désigné pour exécuter un officier allemand qui, chaque jour, venait lire son journal dans le parc. Mais l’action la plus retentissante de cette équipe spéciale demeura l’attentat du 28 septembre 1943, réalisé sous la direction de Missak Manouchian. Ce jour-là, Rayman, Kneller et Alfonso furent désignés pour exécuter un général allemand repéré et filé par les FTP depuis plusieurs mois. Rayman et Alfonso abattirent leur cible au moment où celle-ci montait dans sa voiture, rue Pétrarque (XVIe arr.). Dans les jours suivants, les résistants auraient appris, par la presse, l’identité de l’officier : il s’agissait de Julius Ritter, général SS supervisant le Service du travail obligatoire en France. Filés par les Brigades spéciales, les FTP-MOI furent démantelés par la vague d’arrestations de l’automne 1943 : Celestino Alfonso fut appréhendé entre son domicile du 16 rue de Tolbiac (XIIIe arr.) et Ivry-sur-Seine, où habitaient ses parents. Au moment de son arrestation, il vivait maritalement avec Adoracio Arrias, native d’Espagne, dont la famille était établie à Issy-les-Moulineaux (Seine, Hauts-de-Seine). Le jeune couple avait un fils prénommé Jean. Incarcéré à Fresnes (Seine, Val-de-Marne), Celestino Alfonso fut condamné à mort comme ses compagnons. Il écrivit une dernière lettre pour ses parents, ses frères et sœurs, sa femme et son fils (Cf. ci-dessous). L’abbé Franz Stock qui accompagna les victimes écrivit dans son journal : « Alfonso Célestino (Espagnol), qui avait commis beaucoup d’attentats, dit toutefois à la fin : « Priez pour moi ». Au poteau, il pria avec moi le « Notre Père » et le « Je vous salue Marie », cette dernière en espagnol. Il avait fait la guerre civile en Espagne. » Le jeune résistant espagnol a été fusillé le 21 février 1944 au fort du Mont-Valérien, avec vingt et un autres membres du groupe Manouchian. Sur la célèbre Affiche rouge publiée alors par la propagande officielle, le portrait de Celestino Alfonso apparaissait au-dessus de celui de Missak Manouchian, avec cette mention : « Alfonso – Espagnol rouge – 7 attentats ». Après la Libération, le 18 mars 1945, la municipalité d’Ivry-sur-Seine organisa des obsèques solennelles pour dix-huit fusillés originaires de la commune. À cette occasion, la dépouille d’Alfonso fut exhumée du cimetière parisien d’Ivry pour être inhumée dans le carré des fusillés, au cimetière communal nouveau d’Ivry. Par un avis en date du 14 mai 1945, le Secrétariat général aux Anciens Combattants décerna à Celestino Alfonso la mention « Mort pour la France ». Le 27 juillet suivant, une rue d’Ivry reçut son nom.
Dernière lettre
21 février 1944 Chers femme et fils, « Aujourd’hui à 3 heures je serai fusillé, je ne suis qu’un soldat qui meurt pour la France. Je vous demande beaucoup de courage comme j’en ai moi-même, ma main ne tremble pas, je sais pourquoi je meurs et j’en suis très fier. Ma vie a été un peu courte, mais j’espère que la vôtre sera plus longue. Je ne regrette pas mon passé, si je pouvais encore revivre, je serais le premier. Je voudrais que mon fils est [sic] une belle instruction, à vous tous vous pourrez réussir. Ma chère femme, tu vendras mes vêtements pour te faire un peu d’argent. Dans mon colis tu trouveras 450 francs que j’avais en dépôt à Fresnes. Mille baisers pour ma femme et mon fils. Mille baisers pour tous. Adieu à tous. Celestino Alfonso. » C.A.