Wilhelm Uhde ( 1874- 1947) – Séraphine Louis (Séraphine de Senlis) (1864 – 1942)

Portrait de Wilhelm Uhde (Pablo Picasso). 1910 . Joseph Pulitzer Collection.

J’ai lu ces jours derniers deux livres achetés au Musée d’Art et d’archéologie de Senlis le 2 mai 2019: – Wilhelm Uhde, Henry Rousseau – Séraphine de Senlis, Éditions du Linteau, Paris. 2008.- Françoise Cloarec, Séraphine, Editions Phébus, Libretto. 2008.

J’aime la ville de Senlis, découverte il y a un certain temps déjà. Au printemps dernier, j’ai pu visiter avec C. et J. pour la première fois son musée. Il est installé dans le palais épiscopal. Il a été restauré et modernisé. Sa réouverture date de juin 2012.

Je me souviens aussi du film Séraphine de Martin Provost, sorti en 2008, avec Yolande Moreau et Ulrich Tukur. Il raconte l’histoire de Séraphine de 1912, année de sa rencontre avec le collectionneur Wilhelm Uhde, à son internement à l’asile psychiatrique, en 1932.

De plus, on annonce au Musée Maillol du 11 septembre 2019 au 19 janvier 2020 une exposition Du Douanier Rousseau à Séraphine Les grands maîtres naïfs. Plus d’une centaine d’oeuvres seront exposées.

Wilhelm Uhde, critique d’art, marchand et collectionneur, a travaillé surtout à Paris et a joué un rôle important dans le développement du cubisme et de l’art naïf. Il est né le 28 octobre 1874 au nord de l’Allemagne, à Friedeberg (Brandebourg). Cette ville s’appelle aujourd’hui Strzelce Krajeńskie et se trouve en Pologne. Il fait partie d’une famille d’aristocrates, de propriétaires fonciers. Son père est procureur général du Roi.

Il fait des études de droit en Suisse et en Allemagne sans grande conviction et est licencié en droit du royaume de Prusse. Mais il se rend en 1899 à Florence. Il se consacre dès lors à l’histoire de l’art. Il écrit ses premiers romans et essais esthétiques.

En 1904, il s’installe à Paris après avoir publié un pamphlet contre l’Allemagne impériale. Il est accueilli par un ami de collège, Erich Klossowski (1875 – 1949), père de Pierre Klossowski et de Balthus. Il rencontre entre autres Ambroise Vollard, Daniel-Henry Kahnweiler, Gertrude et Leo Stein. Un des premiers, il achète des œuvres de Pablo Picasso et de Georges Braque, encore inconnus. Il les revend parfois. Il ouvre une petite galerie au 73 de la rue Notre-Dame des Champs, à Montparnasse et contribue aussi à faire connaître la peinture naïve, en particulier les œuvres d’ Henri Rousseau que Berthe de Rose, la mère de Robert Delaunay, lui a fait connaître. Il participera au banquet organisé par Picasso dans son atelier en l’honneur du Douanier en novembre 1908. Il organise la première exposition personnelle de ce peintre en 1909 et publie en 1911 une première monographie sur lui. Il épouse le 5 décembre 1908 à Londres Sarah Stern (nommée Sonia Terk, puisqu’un de ses oncles l’a adoptée). Ce sera un mariage blanc. Elle le quitte quelques mois plus tard pour Robert Delaunay qu’elle épouse en décembre 1910 et sera connue comme Sonia Delaunay.

En 1911, il organise sa seconde exposition pour Marie Laurencin. Il réussit à vendre une aquarelle, Les Jeunes filles, à Rolf de Maré pour la somme importante de quatre mille francs. En 1913, Marie Laurencin quittera Uhde et prendra à la place comme marchand Paul Rosenberg. En 1912, il s’installe à Senlis pour se reposer et écrire tranquillement. Il loue trois pièces place Lavarande pour quinze francs pour mois. Il apprend à faire du vélo, fait des excursions dans les forêts alentour. Il découvre par hasard les toiles de sa femme de ménage, Séraphine Louis, qu’il encourage et fait connaître à Paris.

Le 31 juillet 1914, la déclaration de guerre l’oblige à quitter la France. Les biens qu’il avait à Senlis, dont des tableaux de Séraphine, sont dispersés. Par ailleurs, sa collection de 73 oeuvres est confisquée par l’État français, puis vendue aux enchères à l’hôtel Drouot le 31 mai 1921. Wilhelm Uhde perd dix-sept toiles de Georges Braque, cinq de Raoul Dufy, une de Juan Gris, deux de Marie Laurencin, une de Fernand Léger, treize de Pablo Picasso, cinq du Douanier Rousseau etc.

En 1918, il rencontre le peintre Helmut Kolle (Helmut vom Hügel 1899-1931) et vit avec lui à Weimar. Il défend des idéees pacifistes et s’engage auprès des mouvements de jeunesse. Son pays lui devenant invivable, il revient en France en mars 1924. Cette fois, il se met à collectionner ceux qu’il appelle les Primitifs modernes (André Bauchant, Camille Bombois, Jean Eve, Séraphine Louis, Henri Rousseau, Louis Vivin). En 1927, il s’installe à Chantilly avec Helmut Kolle et sa plus jeune soeur, Anne-Marie. A Senlis, il reprend contact avec Séraphine Louis qu’il prend en charge matériellement. Il lui donne de mille cinq cents à deux mille francs par tableau et la fournit en matériel. Son aide permet à Séraphine de peindre de grandes toiles de deux mètres de hauteur. En 1929, il organise une exposition sous le titre Les Peintres du Cœur sacré, puis une autre en 1932 sous le titre Les Primitifs modernes.

En 1928, il publie Picasso et la tradition française. Son ami Helmut Kolle meurt le 17 novembre 1931 à Chantilly à 32 ans. En 1934, Uhde obtient de Pierre Loeb, propriétaire de la galerie Pierre, sur la Rive gauche à Paris, la première exposition de Balthus, jeune peintre de 26 ans et deuxième fils de Erich Klossowski et de Baladine Klossowska.

Le 25 février 1932, Séraphine de Senlis est internée à l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise et cesse de peindre. Elle meurt le 11 décembre 1942 à Villers-sous-Erquery (Oise) dans l’annexe de cet hôpital à soixante-dix huit ans. On estime entre 44 144 et 50 518 victimes pendant cette période dans ces établissements. Séraphine est enterrée dans une fosse commune. Son dossier porte la mention « cueille de l’herbe pour manger la nuit ; mange des détritus ».

Wilhelm Uhde et sa soeur quittent Chantilly en septembre 1934 et reviennent à Paris. À cause de son pacifisme et de ses ouvrages consacrés à des peintres qualifiés de «dégénérés» par le IIIe Reich, il est déchu de sa nationalité allemande en 1939 peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Son appartement, rue de l’Université, est pillé par la Gestapo en 1940. Lui et sa soeur, recherchés par les nazis pendant la guerre, doivent fuir. Uhde a confié la plus grande partie de sa collection à une amie balte de sa soeur, Madame Protopopov. Jean Cassou va les accueillir et les protéger chez lui pendant plusieurs mois. Ils se cachent ensuite à Saint-Lary dans le Gers, puis au château de Grisolles, près de Toulouse.

Il meurt le 17 août 1947 à Paris à 72 ans, n’ayant jamais pu obtenir la nationalité française. Il est enterré au cimetière du Montparnasse.

Une partie de ses archives ont été déposées par sa soeur à l’Institut national d’histoire de l’art.

Ouvrages de Wilhelm Uhde:

  • Picasso et la tradition française: Notes sur la peinture actuelle. Paris, Les Quatre Chemins, 1928.
  • Cinq Maîtres primitifs— Rousseau, Vivin, Bombois, Bauchant, Séraphine, préface de Henri Bing-Bodmer, Philippe Daudy Éditeur, Paris, 1949.
  • De Bismarck à Picasso (traduit de l’allemand par Barbara Fontaine, Éditions du Linteau, Paris, 2002. (Autobiographie). Première édition: Zurich, 1939.
  • Henry Rousseau – Séraphine de Senlis, Éditions du Linteau, Paris. 2008.
L’Arbre de Paradis. 1928-30. Senlis, Musée d’Art et d’Archéologie. Dépôt du Centre Georges Pompidou

Daniel Cordier

Daniel Cordier.

Daniel Cordier est né le 10 août 1920 à Bordeaux. Il a 99 ans aujourd’hui. Cet homme a été résistant et marchand d’art.


Ancien militant d’Action française, ultranationaliste et antisémite, il s’engage dans la France libre dès juin 1940. Il devient le secrétaire de Jean Moulin, premier président Conseil national de la Résistance (CNR) en 1942-1943. Au contact de celui-ci, ses opinions évoluent vers la gauche. Il lui a consacré une biographie en plusieurs volumes (Jean Moulin: l’inconnu du Panthéon, Jean-Claude Lattès. 1989). Compagnon de la Libération en 1944, il est après-guerre marchand d’art, critique, collectionneur et organisateur d’expositions, avant de se consacrer à des travaux d’historien.


Avec Edgard Tupët-Thomé, Hubert Germain, Pierre Simonet, il est un des quatre compagnons de la libération encore vivants sur un total de 1038. Le dernier sera enterré dans la crypte du Mont Valérien où se trouve le mémorial de la France combattante

« Jean Moulin fut mon initiateur à l’art moderne. Avant de le rencontrer, en 1942, j’étais ignorant de cet appendice vivant de l’histoire de l’art. Il m’en révéla la vitalité, l’originalité et le plaisir. Surtout il m’en communiqua le goût et la curiosité », écrit Daniel Cordier, en 1989, dans la préface du catalogue présentant sa donation au Centre Pompidou.

Dans l’accrochage actuel du Centre Pompidou, l’accent est mis sur les Galeries d’art du XX ème siècle. Les salles 25 à 27 sont consacrées à ce grand résistant. De 1956 à 1959, sa première galerie se trouve 8 rue de Duras (75008-Paris). Il présente Dubuffet, Michaux et Réquichot. Il met aussi à l’honneur des figures singulières comme Dado, Fahlström ou Schulze. Il s’installe ensuite, de 1959 à 1964, au 8 rue de Miromesnil (75008-Paris). Il donne alors carte blanche à André Breton pour ce qui sera sa dernière grande exposition surréaliste. Il expose Louise Navelson, puis Robert Rauschenberg. Il ouvre ensuite une galerie à Francfort (1958-1962), une autre à New York (1960-1965). Il intitule sa dernière exposition “8 ans d’agitation“. C’est une des plus importants donateurs du musée national d’art moderne.

“Il n’y a rien à comprendre, il y a tout à voir” (Daniel Cordier)

Le Cycliste (Dado 1933-2010). 1955. Paris, Centre Georges Pompidou.
Episode de la guerre des nerfs (Bernard Réquichot 1929-1961). 1957. Paris, Centre Georges Pompidou.
Cuadro 120 (Manolo Millares). 1960. Paris, Centre Georges Pompidou.

Arthur Rimbaud

Un coin de table. (Détail: Arthur Rimbaud) 1872. Paris, Musée d’ Orsay.

Beauté. Mélancolie. L’un des plus beaux poèmes de la langue française.

Sensation

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

Mars 1870.

Poésies.

Le portrait que réalise Henri Fantin-Latour du jeune poète de Charleville est, avec la célèbre photo faite par Étienne Carjat, la représentation de Rimbaud la plus connue et reproduite. Peint en février ou mars 1872. Il n’avait pas encore 18 ans.

Antonio Seguí

Antonio Segui. 2019. (Béatrice Lucchese)

14 Mai 2019 – 25 août 2019. BNF François Mitterrand. Quai François Mauriac 75013-Paris. Galerie des donateurs. Entrée libre.

Antonio Seguí est né le 11 janvier 1934 à Córdoba (Argentine). En 1963, il représente l’Argentine à la Biennale de Paris. Il s’installe alors en France, à Paris d’abord, puis à Arcueil dans l’ancienne propriété de l’industriel et homme politique Émile Raspail (1831-1887). C’est un artiste prolifique: peintre, sculpteur, graveur, illustrateur. Il a été influencé au début par des artistes comme Honoré Daumier, George Grosz ou Otto Dix.

Son œuvre figurative fait vivre un monde coloré et graphique sur fond d’agitation urbaine. A partir des années 70, on retrouve dans ses œuvres un personnage récurrent: un homme portant un chapeau, inspiré par les hommes argentins de son enfance. C’est l’archétype de l’homme anonyme qu’il met régulièrement dans des situations tragiques ou absurdes, seul ou perdu dans la ville. La dictature militaire argentine avait interdit Antonio Seguí de séjour: «Je n’ai pas cherché à les attaquer directement — je ne suis pas un militant, je ne crois pas à l’art engagé —, mais des gens pas très intelligents pensent que quand vous n’êtes pas avec eux, vous êtes contre eux.»

La corbata. 1992. Paris, BNF.

Il réalise à partir de 2002 des gravures au carborundum, dont il aime le«noir dense, avec un langage d’une grande sobriété, très graphique».

L’artiste argentin a fait don à la BnF de plus de 500 de ses œuvres : estampes, portfolios et ouvrages illustrés. Cela a permis d’enrichir les collections du département des Estampes et de la photographie ainsi que la Réserve des livres rares. La commissaire de l’exposition, Céline Chicha, a choisi une cinquantaine d’estampes, la plupart inédites. Elles permettent de découvrir l’univers de l’artiste. Plusieurs manières ou périodes se distinguent. Les années soixante avec des estampes très dessinées et composées de très nombreux détails. Les années quatre-vingt-dix avec des linogravures bicolores de grand format, emblématiques où transparaissent les tailles directes de la gouge. Elles donnent une vibration aux déambulations urbaines de l’homme au chapeau. Dans d’autres dominent la taille douce, la lithographie, ou la sérigraphie. Il fait alors davantage appel aux couleurs. Les œuvres les plus contemporaines présentent des estampes plus dépouillées, à gros trait noir, où la ligne claire du pinceau de carborundum campe un personnage sur la feuille blanche.

Une rétrospective de ses œuvres sur papier lui avait été déjà consacrée en 2005 au Centre Georges Pompidou à Paris.

Sans titre. 1976. Paris, BNF.

Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (Gaspard Félix Tournachon, dit Nadar)

Deux textes très connus de Baudelaire:

XLVII. Harmonie du soir

Voici venir les temps ou vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!


Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.


Le violon frémit comme un coeur qu’on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.


Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!


Les Fleurs du Mal, 1861.

I – L’Etranger
“Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère? Je n’ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. –

  • Tes amis?
  • Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
  • Ta patrie?
  • J’ignore sous quelle latitude elle est située.
  • La beauté?
  • Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
  • L’or?
  • Je le hais comme vous haïssez Dieu.
  • Eh! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
  • J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages!”
    Petits poèmes en prose Le Spleen de Paris. 1869.
    Eugène Boudin, Le roi des ciels.
Baigneurs sur la plage de Trouville (Eugène Boudin). 1869. Paris, Musée d’ Orsay.

Charles Filiger 1863 – 1928

André Cariou, ancien conservateur du Musée des beaux-arts de Quimper, a passé dix années à faire des recherches sur Charles Filiger, peintre maudit de L’Ecole de Pont-Aven. Grâce à ce travail de longue haleine, il a publié en mars 2019: Filiger – Correspondances et sources anciennes aux Éditions Locus Solus. 35 €.

Le Musée des beaux-arts de Quimper ne possédait à l’origine aucune œuvre de Filiger. André Cariou en devint le conservateur en 1984: «Ses tableaux étaient la propriété de sept collectionneurs et grands marchands, à New York et Lausanne. C’était quasiment impossible de rentrer dans le jeu»

Charles Filiger est né à Thann (Haut-Rhin) le 28 novembre 1863. Son père, dessinateur et coloriste, l’inscrit à l’École des arts décoratifs à Paris. Il y arrive vers 1886. Il fréquente l’Académie Colarossi au 10 rue de la Grande-Chaumière. Il expose au Salon des indépendants en 1889 et 1890. Il arrive à Pont-Aven à la Pension Gloanec en 1888. Il s’installe ensuite à l’auberge de Marie Henry au Pouldu. Il y cotoie Paul Gauguin, Meyer de Haan et Paul Sérusier. Grâce à Gauguin, il se fait vite une place dans le milieu symboliste. Mais en 1893, il se retire et vit dans la misère dans une ferme au hameau de Kersulé, à proximité du Pouldu. Le comte Antoine de la Rochefoucault (1862-1959) est un temps son mécène. Il lui verse une rente mensuelle de 150 francs en échange de l’essentiel de sa production. Les critiques d’Alfred Jarry et de Rémy de Gourmont sont élogieuses. Filiger vit en retrait du monde. Il erre misérablement en Bretagne: Rochefort-en-Terre, le Pouldu à nouveau, Malestroit, Gouarec, Guémené-sur-Scorf, Arzano, Trégunc, Plougastel-Daoulas. Il est devenu taciturne et a des crises de mysticisme. Il est alcoolique et se drogue de plus en plus à l’éther. Il peint peu mais des œuvres d’une grande sophistication, empreintes d’une grande religiosité. Il meurt, tout à fait oublié, à Plougastel-Daoulas, le 11 janvier 1928, à 65 ans.

Le conservateur Alain Cariou a commençé à acheter ses œuvres peu à peu. Le musée en posséde dix-sept, dont un magnifique tableau du Pouldu. En 2003, lors la grande vente de la collection d’André Breton, il en achète deux. Il poursuit ses recherches et entre en contact avec la fille d’André Breton, Aube Breton-Elléouët, qui vit à Tréguier. Elle lui remet un gros classeur, le dossier personnel qu’avait constitué André Breton sur Filiger. Il envisageait de lui consacrer un livre. La fille d’André Breton lui donne ensuite une dizaine d’œuvres de Filiger. André Cariou prend sa retraite en 2012 mais ne cesse pas ses recherches.

Paysage du Pouldu. vers 1892. Musée des beaux-arts de Quimper.

L’éditeur Locus Solus (Châteaulin, Finistère) publie aujourd’hui cette somme, fruit de dix ans de travail. La parution de ce beau livre est complétée par une exposition à Paris-VIII, organisée du 27 mars au 22 juin, à la galerie Malingue, au 26 avenue Matignon. André Cariou en est le commissaire. La galerie Malingue présente là près de 80 œuvres de Filiger provenant de collections privées et de musées (Albi, Quimper, Brest, Saint-Germain-en-Laye).

Nous avons visité hier avec grand intérêt cette très belle exposition de ce peintre méconnu dont les œuvres avaient déjà attiré notre attention au Musée de Pont-Aven d’abord, puis lors de l’exposition Le Talisman de Sérusier, une prophétie de la couleur au Musée d’Orsay cet hiver.

Luis Buñuel – Salvador Dalí – Juan Ramón Jiménez

Luis Buñuel et Salvador Dalí, 1929.

Luis Buñuel et Salvador Dalí ont écrit cette lettre à Juan Ramón Jiménez en janvier 1929 un jour après lui avoir rendu visite. (Luis Buñuel, Correspondencia escogida, Cátedra Madrid 2018. Edition de Jo Evans et Breixo Viejo, Cátedra. Pages 73-74) Meurtre du père?

La correspondance de Luis Buñuel a été publiée en espagnol et en anglais l’année dernière. Pourquoi pas en français?

A Juan Ramón Jiménez

Figueres, enero de 1929

Nuestro distinguido amigo:
Nos creemos en el deber de decirle -sí, desinteresadamente- que su obra nos repugna profundamente, por inmoral, por histérica, por cadavérica, por arbitraria.
Especialmente:
¡¡Merde!!
Para su “Platero y yo”, para su fácil y malintencionado “Platero y yo”, el burro menos burro, el burro más odioso con que hemos tropezado.
Y para Vd., para su funesta actuación también:
¡¡¡¡Mierda!!!!
Sinceramente,
Luis Buñuel – Salvador Dalí

De Juan Ramón Jiménez

Madrid, febrero de 1929

Mis muy “surrealistas” y muy conocidos,
Estoy completamente de acuerdo con ustedes y con el tercero que se oculta con ustedes: cuanto yo he publicado hasta el día no tiene valor alguno, y me avergüenzo, lo he dicho muchas veces, de la mayor pare de mi obra escrita; y cuanto puedan ustedes decirme de ella me lo he dicho yo con mi propio léxico, aun cuando, por desdicha mía, y según dicen constantemente los críticos de ambos sexos y del otro sexo de ustedes, haya salido de ella la mejor parte de la escritura actual española e hispanoamericana en verso y prosa, lírica y crítica. Pero ustedes son, además de unos surréalistes, unos majaderos y unos cobardes. Porque al escribir en esa jerga francocatalana, ni siquiera saben ustedes ponerse a hacer en español sus más imperiosas necesidades; porque para mí merde no es nada; y, además, porque ustedes saben de antemano que yo no puedo contestarles en esa lengua trasera que es la palabra propia de ustedes. No iba yo a cometer la ridiculez tampoco de enviarles mis padrinos masculinos, femeninos ni “manfloritas” como les dicen a ustedes en mi Moguer. También sabrán ustedes que mis amigos se alegran mucho de su carta y juzgan que ustedes han hecho bien en espeler en ella el vivo retrato de los dos.
Gracias de este admirador de sus técnicas.
J. R. J.

Étude pour « Le Miel est plus douce que la sang » [sic] (Salvador Dalí) 1926 Figueres Fundació Gala-Salvador Dalí

René Char – Alberto Giacometti I

Complément du texte publié sur ce blog le 14 avril 2018.

Préface au Visage nupcial , Poésie/Gallimard. 2018. (Marie-Claude Char)

“En 1954, Char rend visite à Giacometti à la campagne où il loge chez des amis. Tôt levé, Char admire la beauté de l’aube et l’apparition de la vie naissante au travers de la silhouette d’un couple dans le lointain. cette apparition lui rappelle les sculptures de Giacometti et lui inspire son premier texte sur le travail de l’artiste, qui sera publié dans Recherche de la base et du sommet et qu’il lui envoie fin août de l’Isle-sur-Sorgue. Giacometti reçoit le texte à Paris, et s’installe pour lui répondre au café-tabac de la place d’Alésia, lieu où il vient chaque jour lire les journaux et voir ses amis. Il lui exprime son émotion: “C’était une merveilleuse surprise de recevoir ta lettre et de lire ton texte merveilleux avec son étrange résonance. Je ne le mérite d’aucune manière…ton texte est comme une voix lointaine et très proche qui trouble le temps et qui me parle, comme un visage que je regarde et qui me regarde…Il y a longtemps que je me suis arrêté d’écrire, je suis resté assis seul à la terrasse place d’Alésia et pendant ce temps je sentais que je voudrais te lire…on ferme, on enlève les chaises autour de moi…J’espère te voir quand tu seras à Paris et je voudrais te dessiner.”

Alberto Giacometti

Du linge étendu, linge de corps et linge de maison, retenu par des pinces, pendait à une corde. Son insouciant propriétaire lui laissait volontiers passer la nuit dehors. Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres et sur les herbes. Malgré la promesse de chaleur la campagne n’osait pas encore babiller. La beauté du matin, parmi les cultures désertes, était totale, car les paysans n’avaient pas ouvert leur porte, à large serrure et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La basse-cour réclamait. Un couple de Giacometti, abandonnant le sentier proche, parut sur l’aire. Nus ou non. Effilés et transparents, comme les vitraux des églises brulées, gracieux, tels des décombres ayant beaucoup souffert en perdant leur poids et leur sang anciens. Cependant hautains de décision, à la manière de ceux qui se sont engagés sans trembler sous la lumière irréductible des sous-bois et des désastres. Ces passionnés de laurier-rose s’arrêtèrent devant l’arbuste du fermier et humèrent longuement son parfum. Le linge sur la corde s’effraya. Un chien stupide s’enfuit sans aboyer. L’homme toucha le ventre de la femme qui remercia d’un regard, tendrement. Mais seule l’eau du puits profond, sous son petit toit de granit, se réjouit de ce geste, parce qu’elle en percevait la lointaine signification. A l’intérieur de la maison, dans la chambre rustique des amis, le grand Giacometti dormait.

1954

Recherche de la base et du sommet, II Alliés substantiels, 1971.

Deux figures dans un paysage II,1955.

Lorenzo Aguirre (1884-1942)

Lorenzo Aguirre.

El País, 29/12/1999

Noticia del pintor Lorenzo Aguirre (Felix Grande)

El día 16 de julio del año 1942, festividad de la Virgen del Carmen, tres niñas de siete, nueve y once años felicitaron a la hija del general Francisco Franco por su onomástica, le entregaron un ramo de flores y se hincaron de rodillas para pedir clemencia por el pintor Lorenzo Aguirre, que estaba condenado a muerte. La respuesta del franquismo se produjo 82 días más tarde: el 6 de octubre, Margarita, Susy y Francisca Aguirre supieron que su padre acababa de ser ejecutado. Cincuenta y siete años después han sabido que otros presos políticos de la cárcel de Porlier fueron obligados a contemplar la ejecución de aquel hombre bueno, alegre, comprometido con su tiempo y artista versátil, fulgurante y profundo.Lorenzo Aguirre nació en Pamplona en 1884 y vivió parte de su infancia y toda su adolescencia en Alicante. Su pintura ofrecería siempre la mística gravedad navarra y la euforia luminosa del Mediterráneo. Su mirada distribuye en los lienzos la penumbra ancestral de la meditación y la eternidad súbita de la luz. Rubén Darío escribió sobre Antonio Machado: “Era luminoso y profundo, como era hombre de buena fe”; Aguirre fue un artista y un hombre machadiano. De su buena fe hay muchas pruebas. Una de ellas: su predilección por el retrato, su respeto por los rostros humanos. Un respeto que se desplaza también a los paisajes: en su obra los paisajes no son acotaciones del territorio del planeta, sino palpitaciones de la misteriosa casa colectiva en donde los seres humanos “viven, laboran, pasan y sueñan, y en un día como tantos, descansan bajo la tierra”. A los retratos de Aguirre los ilumina la fraternidad; a sus paisajes los iluminan la lentitud y la compasión. Y siempre, en los rostros de sus criaturas y en los rostros de sus paisajes, comparece la alegría de los colores besándose los unos a los otros; la alegría que exhalan la presencia y las grietas de la vida. Porque pintar de verdad, con verdad, es un acto de gracias.

En el año 1904, Aguirre obtuvo el título de profesor de dibujo en la Escuela Especial de Pintura, Escultura y Grabado de Madrid, y participó, junto con Daniel Vázquez Díaz y José Gutiérrez Solana, en la Exposición Nacional de Bellas Artes. En el año siguiente pintó y rifó una Inmaculada Concepción y con el dinero obtenido en la rifa viajó a Francia, en donde formó parte del equipo de escenógrafos de la Ópera de París. Recorrió varias ciudades europeas para saciar su sed en los museos y regresó a Madrid con 23 años de edad y los ojos y el entusiasmo transformados en almacenes de pintura. A partir de entonces obtuvo medallas como pintor, como cartelista y como caricaturista. En 1917 expuso sus dibujos en el Salón de los Humoristas, junto a Sancha, Bartolozzi, Penagos…, experiencia que repitió dos años después junto con Vázquez Díaz y Benjamín Palencia. En 1925 obtuvo una medalla de oro en la Exposición Internacional de Artes Decorativas, en París, y en el año siguiente obtuvo otra medalla en Madrid, en la Exposición Nacional de Bellas Artes. Poco después, la Asociación de Pintores y Escultores de Madrid le otorgó por unanimidad la medalla de honor. En enero de 1930 se casó en segundas nupcias con Francisca Benito Rivas, con quien tuvo tres hijas. La paternidad y la República le ayudaron a vivir los años más dichosos y más fértiles de su vida. Sus hijas lo recuerdan llevándolas a ellas y a su esposa a los cines de sesión doble casi todos los días, entusiasmándose con las historias prodigiosas que discurrían en las pantallas cinematográficas, jugando encarnizadamente al ajedrez con la abuela Jenara, pintando horas y horas con una concentración tan fulminante que le llevaba a mojar los pinceles en su tacita de café mientras sonreía contemplando una pincelada. En uno de aquellos instantes de ensimismamiento en que Aguirre bebía café embadurnado de materias pictóricas y reflexionaba sobre la luz de un rostro estalló la guerra civil.

En 1936 se trasladó a Valencia con el Gobierno de la República. En 1937 pidió el carnet del partido comunista. En 1938 se trasladó a Barcelona con las autoridades republicanas. En 1939 cayó por el barranco del exilio con su mujer, sus hijas y la abuela Jenara. Vivió unas semanas en París intentando, como Modigliani, vender dibujos y acuarelas por las calles y las placitas. Su hija Francisca Aguirre escribiría mucho más tarde: “Y como a Modigliani, tampoco a él le compraban”. Se trasladó con su familia a Le Havre, con el propósito de embarcar hacia Latinoamérica, y pintaba retratos y paisajes marítimos, como aferrándose a la solidaridad de los rostros humanos y a la esperanza de una salvación oceánica, que nunca se produjo. Vivían en un hotelito llamado La Rotonde de la Gare, junto al puerto y junto a la estación del ferrocarril, dos objetivos codiciados por los bombarderos alemanes, de manera que a veces se desplazaban a gatas por la habitación para que no les alcanzase la metralla que irrumpía por la ventana con su silbido criminal. Una mañana de 1940 su familia regresó a España mirando para atrás y viendo cómo el pintor, al otro lado de la frontera, los despedía con las manos, cada vez más lejanas. No consiguió embarcar hacia ninguna parte. Fue detenido en la frontera y arrojado a la cárcel guipuzcoana de Ondarreta. El 8 de febrero de 1941 lo trasladaron a la cárcel madrileña de Porlier. En 1947 fue investigado por el Tribunal Especial para la Represión de la Masonería y el Comunismo. Al no conseguir establecer su “condición de masón” archivaron el expediente de un hombre que llevaba cinco años muerto.

Su pintura está viva. Gracias a dos recientes y magníficas exposiciones subvencionadas por las autoridades de las Cajas de Ahorro de Navarra y celebradas en Pamplona y Madrid, e impulsadas por el talento y la bondad de Gregorio Díaz y Camino Paredes, mucha gente ha podido ver que la obra de Lorenzo Aguirre está viva y crece hacia la vida. Aguirre fue clandestino durante medio siglo, pero su pintura está viva. Respiraba en sigilo durante la inacabable posguerra, pero permanecía viva y crecía hacia la vida. Durante décadas no pudo vivir en las salas de exposiciones, pero permanecía viva y se agrandaba hacia el interior de la vida. En el año 1986, y gracias a la gestión de Concepción Badiola y Pedro Manterola, el Banco de Bilbao expuso las obras de Aguirre en Pamplona y Bilbao. En el catálogo que con aquel motivo fue editado, Francisca Aguirre redactó un texto del que reproduzco unas líneas: “No puedo calcular la cantidad de gente maravillosa que ha mirado estos cuadros y que los ha querido. No puedo recordar las palabras de cada uno de ellos. Han sido muchos. Pero recuerdo que esos cuadros estaban el día en que llegó Antonio López con Mari, su mujer. Antonio miró los cuadros y me dijo: “¿Por qué no los limpiamos?”. Fue una resurrección. Antonio había estado en casa de mi hermana Susy y había visto los cuadros de mi padre que ella tiene. Empezó a limpiar una marina y mientras iban apareciendo los colores reales del cuadro me decía: “Lo mejor de tu padre es que tiene un gran poder evocador de lo vital. Cuando pinta la figura humana tiene algo de místico, hay algo religioso en su manera de tratar la carne. Esa obsesión por la figura, que es una constante en su obra, y sus paisajes luminosos, su tratamiento del paisaje, es para mí lo mejor de su pintura, lo más conmovedor”. Lo más conmovedor era también ver a Antonio limpiando con sumo cuidado los cuadros de mi padre”. Lo más conmovedor es también el consuelo que nos agarra la garganta desde unos versos sabios de nuestro maestro don Antonio Machado: “Vivid, la vida sigue, los muertos mueren y las sombras pasan; lleva quien deja y vive el que ha vivido”. Necesitamos creer que Lorenzo Aguirre murió sabiendo que le haríamos “un duelo de labores y esperanzas”.

Alicante. Hogueras de 1928.

Alicante. Hogueras de 1929.

Alicante. Hogueras de 1930.

Camille Claudel (8 décembre 1864- 19 octobre 1943)

L’Homme penché v 1886. Roubaix La Piscine Musée d’Art et d’industrie André Diligent

Camille Claudel est morte à l’asile de Montfavet le 19 Octobre 1943 à 78 ans d’un ictus apoplectique, vraisemblablement par suite de la malnutrition sévissant à l’hôpital. 30 ans d’enfermement forcé. Elle avait été internée le 10 mars 1913 après une demande de placement volontaire de sa mère.

Buste de Paul Claudel à 37 ans, étude.1905.Poitiers Musée Sainte-Croix.

Lettre à son frère Paul Claudel
3 mars 1927
Mon cher Paul.
J’ai eu de tes nouvelles dernièrement indirectement, j’ai appris que tu avais envoyé une certaine somme d’argent à Monsieur le Directeur pour améliorer mon sort dans la mesure du possible. Tu as bien fait d’avoir confiance en mr. le Directeur car c’est un homme qui a une grande réputation d’honnêteté et en même temps il a une grande bienveillance à mon égard. Tu peux être sûr que dans tous les cas il fera tout ce qu’il pourra pour moi et toi-même je suis sûre que ton intention est de me soulager, tu fais de bien gros sacrifices pour moi ce qui est d’autant plus méritoire de ta part que tu as des charges extraordinaires de tous les côtés. Cinq enfants et que de frais, que de voyages, que d’hôtels à payer.

Je me suis demandé souvent comment tu peux en venir à bout. Il faut que tu aies la tête solide pour gouverner les choses avec tant d’intelligence et d’en venir à bout, de triompher de toutes les difficultés! Ce n’est pas moi qui serais capable d’une chose pareille!

Ton intention est bonne et aussi celle de mons. le Directeur mais dans une maison de fous les choses sont bien difficiles à obtenir, les changements sont bien difficiles à faire ; même si on le veut, il est bien difficile de créer un état de choses supportables. Il y a des règlements établis, il y a une manière de vivre adoptée, pour aller contre les usages, c’est extrêmement difficile ! Il s’agit de tenir en respect toutes sortes de créatures énervées, violentes, criardes, menaçantes, il faut pour cela un ordre très sévère, même dur à l’occasion autrement on n’en viendrait pas à bout. Tout cela crie, chante, gueule à tue-tête du matin au soir et du soir au matin. Ce sont des créatures que leurs parents ne peuvent pas supporter tellement elles sont désagréables et nuisibles. Et comment se fait-il que moi, je sois forcée de les supporter ? Sans compter les ennuis qui résultent d’une telle promiscuité. Ca rit, ça pleurniche, ça raconte des histoires à n’en plus finir avec des détails qui se perdent les uns dans les autres ! que c’est ennuyeux d’être au milieu de tout cela, je donnerai 100 000 si je les avais pour en sortir de suite. Ce n’est pas ma place au milieu de tout cela, il faut me retirer de ce milieu : après 14 ans aujourd’hui d’une vie pareille je réclame la liberté à grands cris. Mon rêve serait de regagner tout de suite Villeneuve et de ne plus en bouger, j’aimerais mieux une grange à Villeneuve qu’une place de 1ère pensionnaire ici. Les premières ne sont pas mieux que les 3èmes c’est exactement la même chose surtout pour moi qui ne vis que de mon régime ; il est donc inutile d’augmenter les frais à ce point. L’argent que tu as envoyé pourrait servir à payer la 3ème classe.
Ce n’est pas sans regret que je te vois dépenser ton argent dans une maison d’aliénés. De l’argent qui pourrait m’être si utile pour faire de belles œuvres et vivre agréablement ! quel malheur! J’en pleurerais. Arrange-toi avec mr. le Directeur pour me remettre de 3ème classe ou alors retires-moi tout de suite d’ici, ce qui serait beaucoup mieux ; quel bonheur si je pouvais me retrouver à Villeneuve ! Ce joli Villeneuve qui n’a rien de pareil sur la terre!

Il y aujourd’hui 14 ans que j’eus la désagréable surprise de voir entrer dans mon atelier deux sbires armés de toutes pièces, casqués, bottés, menaçants en tous points. Triste surprise pour un artiste : au lieu d’une récompense, voilà ce qui m’est arrivé ! c’est à moi qu’il arrive des choses pareilles car j’ai toujours été en but à la méchanceté. Dieu ! ce que j’ai supporté depuis ce jour-là ! Et pas d’espoir que cela finisse. Chaque fois que j’écris à maman de me reprendre à Villeneuve, elle me répond que sa maison est en train de fondre c’est curieux à tous les points de vue. Cependant j’ai hâte de quitter cet endroit ; Plus ça va, plus c’est dur ! Il arrive tout le temps de nouvelles pensionnaires, on est les unes sur les autres, foussi comme on dit à Villeneuve, c’est à croire que tout le monde devient fou. Je ne sais pas si tu as l’intention de me laisser là mais c’est bien cruel pour moi ! On me dit que tu vas revenir pour le mariage de ta fille le 20 Avril. Il est fort probable que tu n’auras pas le temps de t’occuper de moi ; on s’arrangera pour t’envoyer encore à l’étranger faire des conférences. On saura t’éloigner de Paris et de moi surtout, j’ai bien peu de chance de vous toucher. Le départ d’ici est la seule chose que je souhaite, aucune modification ne peut me rendre heureuse ici ; il n’y a rien de bien de possible. Nous avons eu un hiver terrible: du mistral sans arrêter pendant six mois, l’océan glacial arctique n’est rien à côté de ça!

Dire qu’on est si bien à Paris et qu’il faut y renoncer pour des lubies que vous avez dans la tête.

J’ai entendu dire que Reine avait été très malade et qu’elle avait subi une opération très douloureuse. Espérons qu’elle va mieux à présent. Il parait que Louise aussi a été bien malade, tout cela me fait trembler. Surtout s’il arrive quelque malheur, ne m’abandonne pas ici toute seule et ne fais rien sans me consulter. Etant donné que je connais les mœurs de l’établissement c’est moi qui sait ce qu’il me faut.

Heureusement que j’ai la protection du docteur Charpenel et celle de mons. le Directeur, je te remercie de t’adresser à eux.

Ne prends pas ma lettre en mauvaise part.

Si tu n’as pas l’intention de venir me voir, tu devrais décider maman à faire le voyage, je serais bien heureuse de la voir encore une fois. En prenant le rapide, ce n’est pas si fatigant qu’on le dit, elle pourrait bien faire cela pour moi malgré son grand âge.

Là-dessus je te quitte en t’embrassant ainsi que ta fille Gigette qui je crois est encore avec toi.
Ta femme n’a pas voulu me voir ni les autres. Je n’espère plus les revoir.
Ta sœur Camille.