Yves Tanguy I I 1900 – 1955

Yves Tanguy avec des traits de cadrage du photographe (Man Ray). 1928.

” Qu’est-ce que le Surréalisme ?
-C’est l’apparition d’Yves Tanguy, coiffé du paradisier grand émeraude. “

” Il est remarquable que sur les peintres apparus le plus récemment, l’influence moderne qui s’exerce d’une manière prépondérante soit celle de Tanguy. “
André Breton.

En 1939, Yves Tanguy fait la connaissance de Kay Sage (1898-1963), alors mariée avec un gentilhomme italien, le Prince Rainier de Faustino, à Chemillieu dans un grand manoir loué par le peintre anglais Gordon Onslow-Ford (1912-2003). Il y retrouve Roberto Matta, Esteban Francés et André Breton.
Celui-ci n’écrira durant son séjour qu’un seul texte : La maison d’Yves tandis que Tanguy peint le tableau Mes arrières pensées. Ce poème aurait dû paraître dans un numéro de Minotaure, jamais réalisé à cause de la déclaration de guerre, avec des reproductions d’oeuvres de Matta, Onslow Ford, Francés et Tanguy. Onslow Ford emmena le tout à Londres et le publia en juin 1940 dans le London Bulletin n°18-20.

La maison d’Yves (André Breton)
La maison d’Yves Tanguy
Où l’on n’entre que la nuit

Avec la lampe-tempête

Dehors le pays transparent
Un devin dans son élément

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus

Et la toile de Jouy du ciel
– Vous, chassez le surnaturel

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu

Elle est de lassos, de jambages
Couleur d’écrevisse à la nage

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes

L’espace lié, le temps réduit
Ariane dans sa chambre-étui

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute

Le service est fait par des sphinges
Qui se couvrent les yeux de linges

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute
Avec le mobilier fulgurant du désert

On y meurtrit on y guérit
On y complote sans abri

Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute
Avec le mobilier fulgurant du désert
Avec les signes qu’échangent de loin les amoureux

C’est la maison d’Yves Tanguy

Signe ascendant, 1947. Éditions Gallimard.

Yves Tanguy I 1900 – 1955

En Première de couverture. Le palais aux rochers de fenêtres, 1942. Paris, Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle, Centre Georges Pompidou.

Je lis Yves Tanguy L’univers surréaliste ( Somogy. Éditions d’Art. 2007 ) que j’ai emprunté à la Médiathèque de la ferme du Buisson à Noisiel. C’est un beau catalogue d’une exposition qui fut présentée au Musée des Beaux-Arts de Quimper du 29 juin au 30 septembre 2007, puis au Museu Nacional d’Art de Catalunya de Barcelone du 25 octobre 2007 au 13 janvier 2008 . Je ne l’ai pas vue à l’époque. J’ai toujours beaucoup aimé ce peintre à qui Salvador Dalí a emprunté allègrement ces espaces flottants, incertains. Le peintre catalan connut rapidement le succès, Tanguy beaucoup moins.
Werner Spies, historien d’art allemand, qui fut directeur du musée national d’Art moderne de Paris de 1997 à 2000, rappelle dans son article Au fond de l’inconnu que Tanguy passait régulièrement ses vacances d’été dans la famille de sa mère à Locronan ( Finistère ). Elle y acheta même en 1912 une maison du XVI ème siècle, l’ancien Prieuré. Les alignements de pierres de Carnac l’ont aussi marqué, de même que le thème de la ville engloutie qui apparaît si fréquemment dans les légendes celtes et bretonnes.
Marcel Duhamel dirigeait un hôtel qui appartenait à son oncle. Il loua en 1923 une maison, aujourd’hui disparue, au 54 rue du Château ( Paris, XIV ). Tanguy s’y installa avec ses amis Jacques et Pierre Prévert et la maison devint un véritable phalanstère d’artistes.
Yves Tanguy s’occupa de la décoration. Il acheta des meubles simples en bois qu’il peignit en vert. Les murs étaient recouverts de collages et de tissus colorés. Des affiches de films côtoyaient des miroirs dans l’esprit du film expressionniste allemand Le Cabinet Docteur Caligari ( Robert Wiene-1920 ). En décembre 1925, Duhamel et Tanguy rencontrèrent André Breton. La maison devint alors un des lieux favoris du groupe surréaliste. Alberto Giacometti, Robert Desnos, Raymond Queneau y passaient, Benjamin Péret puis Aragon y vécurent une période. Beaucoup de réunions surréalistes s’y sont tenues. C’est là que Jacques Prévert aurait donné au jeu des petits papiers le nom de « cadavre exquis ».
Yves Tanguy choisit parmi les textes de ses amis surréalistes le poème d’Aragon, Les Frères Lacôte, pour le recopier sur un des murs de la maison… Ces vers évoquent un raz-de-marée qui submerge toutes choses.
Il mourut d’une hémorragie cérébrale à Woodbury (Connecticut). Il vivait aux États-Unis depuis novembre 1939.
Yves Tanguy voulut que ses cendres soient dispersées en baie de Douarnenez, non loin de Locronan. Son ami d’enfance Pierre Matisse fut son exécuteur testamentaire et respecta ce souhait. Il se rendit à Locronan en 1964 et emmena les urnes d’Yves Tanguy et de Kay Sage ( elle s’était suicidée le 8 janvier 1963 ). Il dispersa leurs cendres dans une flaque, à l’extrémité de la plage du Ris, au pied d’une falaise. Elle sera recouverte peu après, à la marée montante.

Jacques Prévert, Simone Prévert, André Breton, Pierre Prévert. 1925.

Les Frères Lacôte ( Louis Aragon )

à Malcolm Cowley

Le raz de marée entra dans la pièce
Où toute la petite famille était réunie
Il dit Salut la compagnie
Et emporta la maman dans le placard
Le plus jeune fils se mit à pousser de grands cris
Il lui chanta une romance de son pays
Qui parlait de bouts de bois
Comme ça
Le père lui dit Veuillez considérer
Mais le raz refusa de se laisser emmerder
Il mit un peu d’eau salée dans la bouche du malheureux géniteur
Et le digne homme expira
Dieu ait son âme
Alors vint le tour des filles
Par rang de taille
L’une à genoux
L’autre sur les deux joues
La troisième la troisième
Comme les animaux croyez-moi
La quatrième de même
La cinquième je frémis d’horreur
Ma plume s’arrête
Et se refuse à décrire de telles abominations
Seigneur Seigneur serez-vous moins clément qu’elle
Ah j’oubliais
Le poulet
Fut à son tour dévoré
Par le raz l’ignoble raz de marée

Le Mouvement perpétuel, Éditions Gallimard, 1925.

Ce poème fut publié d’abord dans La révolution surréaliste, n°4, 15 juillet 1925.

Le texte est dédié à Malcolm Cowley, poète et écrivain américain ( 1898-1989 ), ami de Matthew (1899-1978) et Hannah Josephson, Américains proches des dadaïstes. Il avait rencontré Aragon au début de 1922 à Berlin. C’est en sa compagnie que celui-ci a résidé en mai et juin 1923 à Giverny, chez M. Toulgouat, dans un moulin transformé en pension. Aragon s’y était retiré pour fuir l’hostilité du groupe surréaliste, suscitée par son activité journalistique à Paris-Journal. Cowley lui présenta le poète E.E.Cummings. Aragon s’inspirera de ce séjour dans son roman Aurélien ( 1944 ).

Louis Aragon.

Wols 1913 – 1951

Autoportrait (Wols grimaçant). 1940-41.

J’ai vu hier l’exposition Wols Histoires naturelles au Centre Pompidou avec P. On peut la visiter du 4 mars au 25 mai 2020 au 4 ème étage (Galerie d’art graphique).

Je connaissais peu ce peintre. Je savais qu’il avait été proche des surréalistes, qu’il s’agissait d’ «un peintre maudit», mort jeune.

Alfred Otto Wolfgang Schulze est né le 27 mai 1913 à Berlin dans une famille aisée. Il reçoit pendant son enfance à Dresde une éducation où la culture (musique, art, sciences humaines) occupe une grande place. Dilettante, autodidacte, touche-à-tout, il s’initie à la photographie auprès de Genja Jonas (1895-1938) et cotoie les avant-gardes à Berlin, puis à Paris à partir de 1932. Il approche des personnalités proches des surréalistes comme Jean Arp, Alberto Giacometti, Tristan Tzara et Alexander Calder, grâce à sa compagne, couturière de mode d’origine roumaine Gréty Dabija, épouse alors du poète surréaliste Jacques Baron (1905-1986). De 1933 à 1935, ils vivent en Espagne (Barcelone, Majorque, Ibiza).

Il est expulsé d’Espagne. Il revient en France en 1936 et commence à gagner sa vie comme photographe. En 1937, il reçoit une commande pour le Pavillon de l’Elégance et de la Parure à l’exposition universelle de Paris. Il choisit comme nom d’artiste Wols, formé à partir de ses initiales Wolfgang Schulze.

Pendant la «Drôle de guerre», en tant que «ressortissant ennemi» il est enfermé au Stade de Colombes, au camp de Verzon, à Montargis, à Neuvy-sur-Barangeon, aux Milles près d’Aix-en-Provence et à Saint-Nicolas près de Nîmes. Il est libéré après 14 mois d’internement. Il épouse Gréty en octobre 1940. Tous deux se réfugient à Cassis, puis à Dieulefit (Drôme), commune qui hébergea pendant la guerre de nombreux juifs, intellectuels, écrivains et réfractaires au STO. Wols s’y lie d’amitié avec l’écrivain Henri-Pierre Roché, qui deviendra un des premiers collectionneurs de ses aquarelles.

En 1945, il revient à Paris et croise Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir. Le 23 mai 1947, une exposition de ses oeuvres est organisée à la galerie René Drouin. Il exposera de 1948 à 1950 à Paris, Milan, New York, puis à la galerie de Pierre Loeb.

Alcoolique, sa santé s’altère. Il décède des suites d’un empoisonnement alimentaire, le 1er septembre 1951, à l’hôtel de Montalembert.

L’exposition du Centre Pompidou est divisée en cinq parties (piéger, transmuer, concentrer, décomposer, éclabousser) qui relient le dessin à ses autres pratiques: l’ecriture, la photographie et la peinture.

Wols est considéré aujourd’hui comme un pionnier de l’abstraction lyrique européenne.

Trois souches dans le vent, 1944. Collection particulière.

«En regardant, il ne faut pas s’obstiner à ce que l’on pourrait faire de ce que l’on voit. Il faut voir ce qui est.»

«[…] Ne pas expliquer les rêves, l’insaisissable pénètre tout, il faut savoir que tout rime…»

«Ne pas faire mais être et croire.»

Il faut «serrer encore l’espace, les mouvements des doigts de la main suffisent pour exprimer le tout.»

«L’image peut avoir une relation avec la nature comme la fugue de Bach au Christ. Alors, ce n’est pas une imitation, mais une création analogue.»

La Grenade bleue, 1948-49. Paris, Centre Pompidou.

Unica Zürn 1916 – 1970

Visite hier de l’exposition Unica Zürn avec J. On peut la voir jusqu’au 31 mai 2020 au Musée d’art et d’histoire de l’hôpital Sainte-Anne, 1 rue Cabanis, 75014-Paris. Du mercredi au dimanche de 14h à 19 h.

Cette exposition permet de mieux connaître cette artiste dont l’oeuvre est dispersée à travers le monde. Elle met en valeur surtout sa période de création lorsqu’elle se trouvait à l’hôpital Sainte-Anne. On peut voir 107 dessins, gouaches et aquarelles, plus une trentaine de documents, catalogues, lettres. On remarque la finesse de l’exécution du dessin et le caractère fantastique de l’ imagination d’Unica Zürn.

Unica Zürn

Cette artiste est née le 6 juillet à Berlin-Grunewald dans une famille bourgeoise. Son père et son beau-père furent membres du parti nazi. Elle travaille d’abord comme sténotypiste, puis comme scénariste et auteur de films publicitaires entre 1933 et 1942 pour l’Universum Film AG (UFA), instrument cinématographique du III ème Reich sous le contrôle de Goebbels à Berlin. Elle se marie en 1942 et a deux enfants (Katrin, née le 23 mai 1943, et Christian, né le 11 février 1945). Son frère Horst meurt en août 1944, près de Vitebsk. Elle divorce en 1949 et confie ses enfants à la garde du père. Elle vit d’abord avec le peintre et danseur Alexander Camaro, puis rencontre le peintre Hans Bellmer (1902-1975) en 1953. Elle vit dix ans avec lui dans un petit studio au premier étage du 88 rue Mouffetard àParis. Elle participe au mouvement surréaliste et est proche de Max Ernst, Man Ray, Jean Arp, Roberto Matta, Victor Brauner et Henri Michaux.

Unica Zurn a été internée à sept reprises entre 1960 et 1970 (soit 35 mois en dix ans): d’abord en 1960 à Berlin, puis à Sainte-Anne dans le service du Docteur Jean Delay du 26 septembre 1961 au 23 mars 1963. Elle fait d’autres séjours psychiatriques à La Rochelle, puis à Maison Blanche (Neuilly-sur-Marne) et enfin à la clinique psychiatrique du château de la Chesnaie de Chailles. Elle est aussi soignée par le Docteur Gaston Ferdière comme Antonin Artaud. Le 19 octobre 1970, lors d’une permission de sortie pour quelques jours, elle saute du sixième étage du domicile de Hans Bellmer, 4 rue de la Plaine à Paris.

Il ne faut pas oublier qu’elle a publié aussi deux œuvres de fiction:

  • L’Homme-Jasmin. Traduction Ruth Henry et Robert Valençay, avec une préface d’André Pieyre de Mandiargues, Paris, Gallimard, 1971; réédition Paris, Gallimard, collection «L’Imaginaire», 1999.
  • Sombre printemps. Traduction Ruth Henry et Robert Valençay, Paris, Belfond, 1971. Réédition Paris et Montréal, éditions Écriture, 1997. Collection de poche Motifs, 2003.

«Mon enfance est le bonheur de ma vie.

Ma jeunesse est le malheur de ma vie.»

René Char – Georges de La Tour

Nicolas de Staël.
Composition sans titre pour René Char, 1952.

René Char a découvert en 1934 le peintre Georges de La Tour (1593-1652) lors d’une exposition à l’Orangerie (Les peintres de la réalité en France au XVII ème siècle). Ce peintre, méconnu alors, surgit dans son imaginaire. Un tableau, intitulé Le Prisonnier (ou Job raillé par sa femme. 1650? Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal), le marque particulièrement. Il en achète plusieurs reproductions. Il va l’accompagner pendant de nombreuses années.

Pendant la seconde guerre mondiale, le résistant Char avait fixé au mur de son P.C. à Céreste (Alpes-de-Haute-Provence) la reproduction de ce tableau.

Il consacre plusieurs écrits au peintre.

Dans les Feuillets d’Hypnos 178, il dialogue avec le tableau en l’impliquant dans le contexte de Seconde Guerre mondiale. Il y évoque les «ténèbres hitlériennes».

Le Prisonnier (ou Job raillé par sa femme).1620-50. Epinal, Musée départemental d’art ancien et contemporain.

178

La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore.
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains.

Feuillets d’Hypnos (1946), in Fureur et Mystère Poésie/Gallimard, 1967, p. 133.

Un autre texte de René Char, extrait aussi de Fureur et mystère, rend hommage à la Madeleine à la veilleuse.

Madeleine à la veilleuse (ou Madeleine Terff). vers 1642-44. Paris, Louvre.

MADELEINE A LA VEILLEUSE

par Georges de La Tour

Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour fouler l’évidence de vous voir souffrir; je ne regarderais pas sous votre main si jeune, la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins avides que moi, retireront votre chemise de toile, occuperont votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d’huile se répandra par le poignard de la flamme sur l’impossible solution.

La Fontaine narrative, 1947, in Fureur et Mystère. Poésie/Gallimard, 1967, p. 215.

Dans Le Nu perdu , Char écrit un texte intitulé Justesse de Georges de La Tour. Il y fait allusion à des tableaux du peintre tels que Le tricheur ou Le vielleur.

Le tricheur à l’as de carreau (ou Le Tricheur Landry). 1635. Paris, Louvre.
Le Vielleur. 1631-36. Nantes, Musée des beaux-arts.

I

Justesse de Georges de La Tour

26 janvier 1966

L’unique condition pour ne pas battre en interminable retraite était d’entrer dans le cercle de la bougie, de s’y tenir, en ne cédant pas à la tentation de remplacer les ténèbres par le jour et leur éclair nourri par un terme inconstant.
٭

Il ouvre les yeux. C’est le jour, dit-on. Georges de La Tour sait que la brouette des maudits est partout en chemin avec son rusé contenu. Le véhicule s’est renversé. Le peintre en établit l’inventaire. Rien de ce qui infiniment appartient à la nuit et au suif brillant qui en exalte le lignage ne s’y trouve mélangé. Le tricheur, entre l’astuce et la candeur, la main au dos, tire un as de carreau de sa ceinture; des mendiants musiciens luttent, l’enjeu ne vaut guère plus que le couteau qui va frapper; la bonne aventure n’est pas le premier larcin d’une jeune bohémienne détournée; le joueur de vielle, syphilitique, aveugle, le cou flaqué d’écrouelles, chante un purgatoire inaudible. C’est le jour, l’exemplaire fontainier de nos maux. Georges de La Tour ne s’y est pas trompé.

Dans la pluie giboyeuse, in Le nu perdu 1964-1970 Poésie/Gallimard, 1978, p. 70.

Extrait d’un entretien de René Char avec Raymond Jean (Le Monde, 11 janvier 1969):

  • Pourquoi dans le texte central de Dans la pluie giboyeuse, avez-vous placé, côte à côte le peintre Georges de La Tour et le poème sur Albion?
  • Pour être celui, non qui édifie, mais qui inspire, il faut se placer dans une vérité que le temps ne cesse de fortifier et de confirmer. Georges de La Tour est cet homme-là. Baudelaire et lui ont des faiblesses mais pas des manques. Voilà qui les rend admirables. Georges de La Tour – ne souriez pas – est souvent mon Intercesseur auprès du mystère poétique, donc du mystère humain. Il n’y a pas d’auréole d’élu derrière la tête de ses sujets ni sur la sienne. Le peintre sait. Le peintre et l’homme. Je dis : sait, et non savait. Baudelaire également sait. Dieu et Satan sont chez lui tel le jour et la nuit chez de La Tour. Immense et juste allégorie ! C’est mortel, périssable, oui, mais c’est Imputrescible ! Capture de poète…
    Albion ? Permettez-moi d’affirmer que ce site, ce territoire superbe, étripé, empoisonné bientôt, couvert de crachats, démentiellement, pour des motifs sordides et sinistres, entre dans le contexte du Mal universel ; et si paradoxal que cela paraisse, il y a un exorcisme à lui opposer, point éloigné de celui que Georges de La Tour manie révolutionnairement, lorsqu’il peint Le Tricheur, ensuite Madeleine à la veilleuse, ou inversement.
  • Qu’entendez-vous par le dernier poème du livre et son titre Ni éternel, ni temporel?
  • J’aimerais disposer encore un peu de terre arable sur le rocher stimulant et obscur, avant de mourir. Ici mes intercesseurs sont des plus modestes : le corbeau et l’alouette. “

(Le plateau d’Albion a accueilli, de 1971 à 1996, les missiles qui constituaient une composante essentielle de la force de dissuasion nucléaire française. Les dix-huit silos à missiles et les deux postes de conduite de tir ont depuis été démantelés. Il y eut une vague de protestations lorsque l’installation des silos avait été soulevée en 1965-1966. L’Association pour la sauvegarde de la Haute-Provence avait organisé alors plusieurs manifestations, dont une à Fontaine-de-Vaucluse avec René Char, qui était l’auteur d’une affiche-poème emblématique, La Provence point Oméga.)


Rainer Maria Rilke – Paul Cézanne – Charles Baudelaire

Rainer Maria Rilke et Clara Westhoff-Rilke. 1906.

Rainer Maria Rilke (1875-1926) séjourne à Paris d’août 1902 à juin 1903. Il veut pouvoir être seul et créer. Il a besoin de s’éloigner un temps de sa femme Clara, artiste qui a été l’ élève de Rodin et qu’il a épousée en 1901. Ils ont une fille, Ruth. Le poète a reçu commande d’une monographie sur le sculpteur. Son essai, Sur Rodin, paraît en avril 1903. Il repart de Paris en juin, mais revient en septembre 1905. Il s’installe alors à Meudon avec Rodin et devient son secrétaire. Ils se brouillent en mai 1906, puis se réconcilient en 1908.
A Paris, Rainer Maria Rilke regarde Cézanne et travaille pour Rodin…
L’exemple du travail du sculpteur, la découverte des toiles de Cézanne ont transformé son attitude poétique. La deuxième série de ses poèmes, (Le Livre des images, 1906, et surtout les Nouveaux Poèmes, 1907-1908) représente le concept de «Dinggedicht». Il se concentre sur le monde des choses. Il rompt avec la subjectivité et l’omniprésence du je. Il choisit des sujets plus objectifs: statues, fleurs, animaux (dont la Panthère) et cathédrales.
Rainer Maria Rilke se situe entre deux artistes qu’il n’a jamais rencontrés : Baudelaire et Cézanne (décédé le 22 octobre 1906 à Aix-en-Provence). Il apprend combien ce dernier admirait, comme lui, Baudelaire : « Tu jugeras de mon émotion en apprenant que Cézanne, dans ses dernières années, savait encore par cœur et pouvait réciter sans oublier un seul mot ce poème, La Charogne… (Lettre à Clara du 19 octobre 1907). Rilke rappelle que lui-même y avait fait référence dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, livre commencé en 1904 et achevé en 1910.
Cézanne, comme Baudelaire, ne fait pas de différence entre le beau et le laid, le noble et l’ignoble. Tout trouve place dans son œuvre.

Portrait de l’artiste au fond rose (Paul Cézanne) v 1875. Paris, Musée d’Orsay.

XXIX

Une charogne (Charles Baudelaire)

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses.
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Les Fleurs du mal, Edition de 1861.

Vitrine de la boutique du poète-fleuriste, Stanislas Draber. 19 rue Racine. Paris VI.
                              

Francisco de Goya – Antonio Machado

Il y a longtemps, j’enseignais l’Espagnol en collège (Quatrième et Troisième). Dans le manuel de l’époque (Lengua y Vida 2, Pierre Darmangeat, Cécile Puveland, Jeanne Fernández Santos), il y avait une belle page qui mettait en parallèle Goya et Antonio Machado. J’utilisais avec plaisir ces documents et les élèves réagissaient bien.

La Nevada o el Invierno (Francisco de Goya) 1786. Madrid, Museo del Prado.

Cette peinture fait partie de la cinquième série des cartons pour tapisserie destinée à la salle à manger du Prince des Asturies (futur Carlos IV 1748-1819) et de sa femme Marie Louise de Bourbon-Parme au Palais du Pardo. C’est l’une des quatre représentations de chaque saison avec Las Floreras (le printemps), La Era (l’été) et La Vendimia (l’automne). Magnifique utilisation des blancs et des gris.

Soria. Mirador de los Cuatro Vientos. Escultura homenaje a Antonio Machado y Leonor Izquierdo. 2007.

Campos de Soria (Antonio Machado)

V

La nieve. En el mesón al campo abierto
se ve el hogar donde la leña humea
y la olla al hervir borbollonea.
El cierzo corre por el campo yerto,
alborotando en blancos torbellinos
la nieve silenciosa.
La nieve sobre el campo y los caminos
cayendo está como sobre una fosa.
Un viejo acurrucado tiembla y tose
cerca del fuego; su mechón de lana
la vieja hila, y una niña cose
verde ribete a su estameña grana.
Padres los viejos son de un arriero
que caminó sobre la blanca tierra
y una noche perdió ruta y sendero,
y se enterró en las nieves de la sierra.
En torno al fuego hay un lugar vacío,
y en la frente del viejo, de hosco ceño,
como un tachón sombrío
-tal el golpe de un hacha sobre un leño-.
La vieja mira al campo, cual si oyera
pasos sobre la nieve. Nadie pasa.
Desierta la vecina carretera,
desierto el campo en torno de la casa.
La niña piensa que en los verdes prados
ha de correr con otras doncellitas
en los días azules y dorados,
cuando crecen las blancas margaritas.

Campos de Castilla. 1912.

Champs de Soria

V

La neige. Dans l’auberge ouverte sur les champs
on voit le foyer où le bois fume
et la marmite chaude qui bouillonne.
La bise court sur la terre glacée,
soulevant de blancs tourbillons
de neige silencieuse.
La neige tombe sur les champs et les chemins
comme dans une fosse.
Un vieillard accroupi tremble et tousse
près du feu ; la vieille femme file
un écheveau de laine, et une petite fille coud
un feston vert à la robe d’étamine écarlate.
Les vieillards sont les parents d’un muletier
qui, cheminant sur cette terre blanche,
perdit une nuit son chemin
et s’enterra dans la neige de la montagne.
Au coin du feu il y a une place vide,
et sur le front du vieillard, au plissement farouche,
comme une tache sombre,
-Un coup de hache sur une bûche-.
La vieille femme regarde la campagne, comme si elle entendait
des pas sur la neige. Personne ne passe.
La route voisine est déserte,
déserts les champs autour de la maison.
La petite fille songe qu’elle ira courir
dans les prés verts, avec d’autres fillettes,
par les journées bleues et dorées,
lorsque poussent les blanches pâquerettes.

Champs de Castille, Solitudes, Galeries et autres poèmes et Poésies de la guerre, traduits par Sylvie Léger et Bernard Sesé, préface de Claude Esteban, Paris, Gallimard, 1973; Paris, Gallimard, coll. Poésie, 1981.

Soria. Río Duero.

Félix Fénéon 1861 – 1944

Sur l’émail d’un fond rythmique de mesures et d’angles, de tons et de teintes, portrait de M. Félix Fénéon en 1890, Opus 2171, (Paul Signac) Museum of Modern Art, New York.

Paris, Musée de l’Orangerie. Exposition Félix Fénéon. Les temps nouveaux, de Seurat à Matisse du 16 octobre 2019 au 27 janvier 2020.

Félix Fénéon fut un des acteurs majeurs de la scène artistique à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Le musée de l’Orangerie célèbre cette personnalité hors du commun et assez méconnue. L’exposition réunit un ensemble de peintures et de dessins de Seurat, Signac, Degas, Bonnard, Modigliani, Matisse, Derain, Severini, Balla, des pièces africaines et océaniennes ainsi que des documents et des archives.

Une autre exposition au musée du Quai Branly-Jacques Chirac avait évoqué, du 28 mai au 29 septembre 2019, l’enquête de Félix Fénéon sur les “arts lointains“, publiée en 1920 interrogeant le statut des sculptures et objets d’art primitif.

Félix Fénéon sut concilier sa carrière de fonctionnaire – de 1881 à 1894, il fut employé au ministère de la Guerre – , son engagement artistique et ses convictions anarchistes.

Il fut chroniqueur, rédacteur à La Revue Blanche (de janvier 1894 à 1903), critique d’art, galeriste (à la galerie Bernheim-Jeune), éditeur – il publia Les Illuminations de Rimbaud -. C’était aussi un collectionneur exceptionnel qui réunit un nombre important de chefs d’œuvre comprenant un ensemble unique de sculptures africaines et océaniennes. Il fit connaître le néo-impressionnisme (Seurat, Signac et Maximilien Luce), défendit le fauvisme, le futurisme, Matisse. Sa collection fut mise en vente publique en 1941 et en 1947.

Entre février et novembre 1906, Félix Fénéon anima une rubrique dans le quotidien Le Matin intitulée Nouvelles en trois lignes. Il s’agissait de dépêches sous forme de brèves qui n’excèdaient pas trois lignes. Cette contrainte conférait à ces faits-divers, ou plutôt à ces «histoires», poésie et humour noir. En 1948, après la mort de l’auteur, elles furent réunies en volume par Jean Paulhan chez Gallimard et célébrées par les surréalistes. Elles ont été rééditées en poche par Libretto en 2019.

En voici quelques exemples:

« À Méréville, un chasseur d’Étampes a, croyant à du gibier, tué un mioche et, du même coup de fusil, blessé le père.»

« C’est au cochonnet que l’apoplexie terrassa, à 70 ans, M. André, de Levallois: sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus.»

« Mme Fournier, M. Voisin, M. Septeuil, de Sucy, Tripleval, Septeuil, se sont pendus: neurasthénie, cancer, chômage.»

« Le feu, 126, boulevard Voltaire. Un caporal fut blessé. Deux lieutenants reçurent sur la tête, l’un une poutre, l’autre un pompier.»

«Rattrapé par un tramway qui venait de le lancer à dix mètres, l’herboriste Jean Désille, de Vannes, a été coupé en deux.»

«Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s’est mis à l’eau lui-même: il s’est noyé.»

« – La fourche en l’air, les Masson rentraient à Marainvillier (Meurthe-et-Moselle) ; le tonnerre tua l’homme et presque la femme. »

« – Explosion de gaz chez le Bordelais Larrieu; Iui fut blessé; les cheveux de sa belle-mère flambèrent. Le plafond creva. »

« – A peine humée sa prise, A. Chevrel éternua, et tombant du char de foin qu’il ramenait de Perven-chères (Orne), expira.»

« – Onofrias Scarcello tua-t-il quelqu’un à Charmes (Haute-Marne) le 5 juin? Quoi qu’il en soit, on l’a arrêté en gare de Dijon.»

« Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé: Jules Mesnard, ramasseur d’escargots. »

« Avec un couteau à fromage, le banlieusard marseillais Coste a tué sa sœur qui, comme lui épicière, lui faisait de la concurrence.»

«Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère: le coup porta.»

«Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste onze autres enfants.»

«Avec une fourche à quatre dents, le laboureur David, de Courtemaux (Loiret), a tué sa femme qu’il croyait, bien à tort, infidèle.»

«Le mendiant septuagénaire Verniot, de Clichy, est mort de faim. Sa paillasse recelait 2000F. Mais il ne faut pas généraliser.»

«Emilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s’était jetée à l’eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.»

«À Marseille, le Napolitain Sosio Merello a tué sa femme : elle ne voulait pas faire commerce de ses agréments. (Havas.)»

«La couturière Adolphine Julien, 35 ans, a vitriolé son amant fugitif, l’étudiant Barthuel. Deux passants furent éclaboussés.»

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article155192

Félix Fénéon.

Miguel Hernández

Orihuela. Monumento a Miguel Hernández.

Le 30 octobre 1910, il y a aujourd’hui 109 ans, naissait à Orihuela (Alicante) Miguel Hernández Gilabert ,”el pastor poeta”.

Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamna à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rebellion. Le 9 juillet 1940, il vit sa peine commuée en trente années d’emprisonnement. Miguel Hernández connut les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention eurent raison de sa santé. Le poète mourut de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942 à 31 ans. On l’enterra le lendemain au cimetière Nuestra Señora del Remedio d’Alicante. Sa condamnation n’a toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.

Le poème qui suit semble lui avoir été inspiré comme la plupart de ceux qui constituent El rayo que no cesa (1936) par sa relation avec la peintre Maruja Mallo (1902-1995). Ils se rencontrèrent chez Pablo Neruda à Madrid (La Casa de las Flores – Arguëlles) en 1935. Ils vécurent une relation très forte en 1935 et 1936, parcoururent ensemble l’Espagne, puis se séparèrent tout en maintenant une profonde amitié.

Maruja Malló évoque ainsi leurs rapports:

«Yo hice una evolución hacia la vida, hacia el campo, y fue entonces cuando brotó el trigo como un todo, el trigo por los caminos de Castilla. Miguel Hernández era el que tenía conocimiento de la astrología de la tierra, porque, a fin de cuentas, la tierra está dentro de los astros. Miguel decía que cuando había luna menguante, tal producto brotaba; cuando había creciente, estalla ese otro.»

«Fuimos los primeros iniciadores del autostop, sin proponerlo. Al llegar al camión, los campesinos nos entregaron un ramo de flores, pidiéndonos disculpas por el alojamiento que nos brindaban…Yo recordé la frase del conde Keyserling, cuando manifestó que la aristocracia de España estaba en el pueble.» (Tània Balló, Las sinsombrero, 2016)

¿No cesará este rayo que me habita
el corazón de exasperadas fieras
y de fraguas coléricas y herreras
donde el metal más fresco se marchita?

¿No cesará esta terca estalactita
de cultivar sus duras cabelleras
como espadas y rígidas hogueras
hacia mi corazón que muge y grita?

Este rayo ni cesa ni se agota:
de mí mismo tomó su procedencia
y ejercita en mí mismo sus furores.

Esta obstinada piedra de mí brota
y sobre mí dirige la insistencia
de sus lluviosos rayos destructores.

El rayo que no cesa, 1936.

Cessera-t-elle un jour cette foudre qui peuple
Mon coeur de féroces fauves exaspérés
Et d’enclumes colériques et forgeronnes
Où même le métal le plus frais se flétrit?

Cessera-t-elle un jour l’entêtée stalactite
De cultiver enfin ses dures chevelures
Pareilles aux épées et aux bûchers rigides,
Tournées contre mon coeur qui mugit et qui crie?

Cette foudre n’a de cesse ni ne s’épuise:
C’est en moi-même qu’elle a pris son origine,
Contre moi-même qu’elle exerce ses fureurs.

Cette pierre obstinée, de moi elle jaillit
Et c’est sur moi qu’elle dirige l’insistance
De ses foudres dévastatrices et pluvieuses.

Cet éclair qui ne cesse pas.

(Traduction Yves Aguila)

Sorpresa del trigo (Maruja Mallo). Mai 1936.

Sorpresa del trigo (mayo de 1936) es como el prólogo de mi labor sobre los trabajadores de mar y tierra, compenetración de elementos materiales. El trigo, vegetal universal, símbolo de la lucha, mito terrenal.

Manifestación de creencia que surge de la severidad y la gracia de las dos Castillas, de mi fe materialista en el triunfo de los peces, en el reinado de la espiga.”
Maruja Mallo. Buenos Aires, 31 de julio de 1937.

Helena Vieira da Silva 1908 – 1992

Maria Helena Vieira da Silva.

J’ai vu hier samedi avec J. l’exposition Maria Helena Vieira da Silva à la Galerie Jeanne Bucher Jaeger.

Cette exposition se tiendra jusqu’au 16 novembre. 10h-19h (sauf lundi et dimanche). Espace Marais, 5 rue Saintonge. Paris, 3ème. Entrée libre.

Elle sera présentée ensuite à Londres (Galerie Waddington-Custot) puis à New York (Galerie Di Donna) au printemps.

On retrouve là la peinture stimulante de l’artiste portugaise Helena Vieira da Silva (Lisbonne 13 juin 1908-Paris 6 mars 1992), nationalisée français en 1956. Certaines de ses œuvres sont exposées au MoMa (New York), à l’Art Insitute de Chicago, à la Tate Modern (Londres), au Centre Pompidou, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Dans cette belle galerie, on peut admirer son parcours depuis La Scala ou les yeux (1937) jusqu’aux dernières peintures blanches en passant pas ses tableaux caractéristiques de sa période abstraction lyrique.

La Scala ou les yeux, 1937.

«(…) L’œuvre de Vieira da Silva surgit et l’aiguillon d’une douce force obstinée, inspirée, replace ce qu’il faut bien nommer l’art, dans le monde solidaire de la terre qui coule et de l’homme qui s’en effraie. Vieira da Silva tient serré dans sa main, parmi tant de mains ballantes, sans lacis, sans besoin, sans fermeté, quelque chose qui est à la fois lumière d’un sol et promesse d’une graine. Son sens du labyrinthe, sa magie des arêtes, invitent aussi bien à un retour aux montagnes gardiennes qu’à un agrandissement en ordre de la ville, siège du pouvoir. Nous ne sommes plus, dans cette œuvre, pliés et passifs, nous sommes aux prises avec notre propre mystère, notre rougeur obscure, notre avidité, produisant pour le lendemain ce que demain attend de nous. » René Char, 1960. Recherche de la base et du sommet. II Alliés substantiels. Édition collective/ NRF. Poésie/Gallimard, 1971.

On peut aussi en profiter pour relire Maurice Merleau-Ponty.
«On sent peut-être mieux maintenant tout ce que porte ce petit mot: voir. La vision n’est pas un certain mode de la pensée ou présence à soi: c’est le moyen qui m’est donné d’être absent à moi-même, d’assister du dedans à la fission de l’Etre, au terme de laquelle seulement je me ferme sur moi. Les peintres l’ont toujours su. Vinci invoque une « science picturale » qui ne parle pas par mots (et encore bien moins par nombres), mais par des œuvres qui existent dans le visible à la manière des choses naturelles, et qui pourtant se communique par elles « à toutes les générations de l’univers ». Cette science silencieuse, qui, dira Rilke à propos de Rodin, fait passer dans l’œuvre les formes des choses « non décachetées », elle vient de l’œil et s’adresse à l’œil. Il faut comprendre l’œil comme la « fenêtre de l’âme ». (L’Oeil et l’Esprit, Gallimard, Paris 1964, pp. 81-82)

Á Paris, une rue porte le nom de Maria Helena Vieira da Silva depuis 2013.
Le 14ème arrondissement, foyer historique d’artistes européens, l’avait accueilli de 1930 à sa mort.

Cosí fan tutte; 1971.