René Char – Nicolas de Staël

Je relis L’éclair au front. La vie de René Char, la biographie de Laurent Greilsamer publiée cher Fayard en 2004.

Je m’intéresse particulièrement aux rapports entre le poète et Nicolas de Staël. En février 1951, René Char rencontre le peintre au domicile de celui-ci, 7 rue Gauguet (Paris, XIV), par l’intermédiaire de Georges Duthuit (1891-1973), historien d’art et critique, gendre d’Henri Matisse.
Une profonde amitié entre les deux hommes commence alors. En novembre 1951, paraît Poèmes, recueil illustré de quatorze bois et d’une lithographie du peintre. René Char a choisi pour répondre aux gravures du peintre treize poèmes en prose, issus du Poème pulvérisé, paru en 1947. Le livre est exposé avec succès à la galerie Jacques Dubourg. C’est le début d’une large reconnaissance de l’ œuvre du peintre.

Son besoin de lumière pousse Nicolas de Staël vers le sud. Il passe l’été 1953 avec sa famille, à Lagnes (Vaucluse). Il se lie d’amitié avec les Mathieu, grands amis de René Char, qui exploitent la propriété agricole des Grands Camphoux. Il rencontre leur fille, Jeanne Polge-Mathieu. Elle est mariée, a deux enfants. Il en tombe amoureux fou (« Jeanne est venue vers nous avec des qualités d’harmonie d’une telle vigueur que nous en sommes encore tout éblouis. Quelle fille, la terre en tremble d’émoi, quelle cadence unique dans l’ordre souverain.», écrit-il à René Char.) Elle devient sa muse et son modèle. Il reste seul à Lagnes après avoir renvoyé sa famille à Paris. Fin novembre 1953, Staël achète une ancienne maison fortifiée à Ménerbes, Le Castelet.

En septembre 1954, il s’installe à Antibes. L’amant tourmenté aime plus qu’il n’est aimé : avec Jeanne, l’histoire se révèle impossible. Elle finit par rompre.

Les années 1950-1955 sont marquées pour René Char par de dures épreuves. Il perd sa mère (Marie-Thérèse Rouget) le 27 juin 1951. Après cette disparition, le poète et sa sœur Julia souhaitent préserver la demeure familiale, les Névons, mais son frère Albert et sœur Émilienne exigent une vente aux enchères. Elle se déroule le 26 octobre 1955. La propriété est vendue et détruite.

La rupture avec Jeanne désespère Nicolas de Staël. Le 15 mars 1955, il absorbe un flacon de véronal, mais vomit et le barbiturique ne peut agir. Le lendemain, il brûle dans la cheminée des papiers. La nuit tombée, il sort de son atelier et monte l’escalier qui mène à la terrasse de l’immeuble. De là, on voit la mer et le Fort carré au bout de la rade. Nicolas de Staël se jette dans le vide et s’écrase en contrebas, rue du Revely, une ruelle sombre et déserte. Il a 41 ans.

René Char ne comprend pas cet acte. « La folie est bien la plus atroce des maladies. J’en étouffe. »
« Je suis dynamité…Partagé entre une colère immense et une pitié infinie. Je me suis attendu à bien des folies, mais pas tout fait à celle-là qui détruit d’un coup tant de personnes ! […] Dieu de Dieu, comment l’enfer peut-il venir nous raser là où nous sommes et ensuite s’en aller, se retirer avec la prise qui lui convient ? Et moi qui plaisantais ce loup des steppes, moi qui avais cru à un ruisseau avec cette petite pluie de Saint-Rémy, et voilà un torrent qui emporte tout ! Énigme du coeur humain ! Là où j’avais vu un « pavillon de chasse » avec rendez-vous clandestin pour quelque libertinage, lui voyait un château fort, et une dame à demeure installée, la propriété exclusive, les divorces et les remariages…» «…Ce qui importe, c’est son œuvre en fin de compte. Elle est très belle souvent, frappée du marteau des lueurs. Une royauté fracassée s’y laisse apercevoir. » (Lettre à Ciska Grillet, peintre et amie des deux artistes)

Le Fort Carré d’Antibes. 1955. Antibes, Musée Picasso.

Trois textes de René Char sur Nicolas de Staël:

Bois de Staël

Je lisais récemment dans un journal du matin que des explorateurs anglais avaient photographié sur l’un des versants extrêmes de l’Himalaya, puis suivi, pendant plusieurs kilomètres, les empreintes de pieds, de pas plutôt, dans la croûte neigeuse, d’un couple d’êtres dont la présence, en ce lieu déshérité, était invraisemblable et incompréhensible. Empreintes dont le dessin figurait un pied nu d’homme, énorme, muni d’orteils et d’un talon. Ces deux passants des cimes, qui avaient ce jour-là, marqué pour d’autres leur passage, n’avaient pu toutefois être aperçus des explorateurs. Un guide himalayen assura qu’il s’agissait de l’Homme des Neiges, du Yéti. Sa conviction et son expérience en admettaient l’existence fabuleuse.
Même si j’écoute l’opinion raisonnable d’un savant du Muséum qui, consulté, répond que les empreintes pourraient être celles d’un plantigrade ou quadrumane d’une rare espèce, grand parcoureur de solitudes, les bois que Nicolas de Staël a gravés pour mes poèmes (pourtant rompus aux escalades et aux sarcasmes) apparaissent pour la première fois sur un champ de neige vierge que le rayon de soleil de votre regard tentera de faire fondre.
Staël et moi, nous ne sommes pas, hélas, des Yétis ! Mais nous approchons quelquefois plus près qu’il n’est permis de l’inconnu et de l’empire des étoiles.

Écrit pour l’exposition de l’ouvrage Poèmes de René Char à la galerie Jacques Dubourg, 126, boulevard Haussmann à Paris. 12 décembre 1951.

Recherche de la base et du sommet, 1971.

Nicolas De Staël

Le champ de tous est celui de chacun, trop pauvre, momentanément abandonné.
Nicolas de Staël nous met en chemise et au vent la pierre fracassée.
Dans l’aven des couleurs, il la trempe, il la baigne, il l’agite, il la fronce.
Les toiliers de l’espace lui offrent un orchestre.

Ô toile de rocher, qui frémis, montrée nue sur la corde d’amour !
En secret un grand peintre va te vêtir, pour tous les yeux, du désir le plus entier et le moins exigeant.

Recherche de la base et du sommet, 1971.

Il nous a dotés…

Le “printemps” de Nicolas de Staël n’est pas de ceux qu’on aborde et qu’on quitte, après quelques éloges, parce qu’on en connaît le rapide passage, l’averse tôt chassée. Les années 1950-1954 apparaîtront plus tard, grâce à cette œuvre, comme des années de “ressaisissement” et d’accomplissement par un seul à qui il échut d’exécuter sans respirer, en quatre mouvements, une recherche longtemps voulue . Staël a peint. Et s’il a gagné de son plein gré le dur repos, il nous a dotés, nous, de l’inespéré, qui ne doit rien à l’espoir.

Publié le 9 mars 1965 dans le Nouvel Observateur sous le titre Témoignage.

Recherche de la base et du sommet, 1971.

275 ème anniversaire de la naissance de Francisco de Goya (30 mars 1746- 16 avril 1828)

Aún aprendo. Álbum de Burdeos I o Álbum G, n.º 54. 1825-1828. Madrid, Museo del Prado.

Autoportrait symbolique du peintre qui devait se faire aider par son compatriote, le peintre Antonio de Brugada (1804-1863) pour marcher dans les rues de Bordeaux.

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/04/15/aun-aprendo-francisco-de-goya/

Naissance et mort de Francisco de Goya y Lucientes.

Il est né à Fuendetodos (Zaragoza), le village de sa famille maternelle. Son père Braulio José Goya, maître doreur d’origine basque, et sa mère Gracia Lucientes, de famille paysanne aisée, résident à Saragosse, où ils se sont mariés en 1736. Francisco est la quatrième enfant d’une famille de six.


La lechera de Burdeos (Francisco de Goya) 1827. Madrid, Museo del Prado.

L’arrivée en Espagne des Cent Mille Fils de Saint Louis en avril-mai 1823, dirigés par le duc d’Angoulême, fils du futur roi de France Charles X) signifie le rétablissement de la monarchie absolue de Ferdinand VII et la fin du triennat libéral. Beaucoup de ses amis libéraux doivent s’exiler. Goya se réfugie d’abord chez son ami le chanoine José Duaso y Latre. Le 2 mai 1824, il demande l’autorisation au Roi d’aller en France pour prendre les eaux à Plombières-les-Bains (Vosges). Il arrive à Bordeaux au cours de l’été 1824 et continue vers Paris. Il revient en septembre à Bordeaux, où il réside jusqu’à sa mort. Son séjour en France n’a été interrompu qu’en 1826. Il voyage alors à Madrid pour finaliser les papiers administratifs de sa retraite et obtient une rente de 50 000 réaux.

Son ami Leandro Fernández de Moratín (1760-1828) raconte ainsi à un ami l’arrivée du peintre: “sordo, viejo, torpe y débil, y sin saber una palabra de francés […] y tan contento y deseoso de ver mundo”.

Goya arrive à Bordeaux à 78 ans. Cette période de création est pourtant encore bien riche: dessins au crayon noir rassemblés dans l’Album G et l’Album H, La Laitière de Bordeaux (entre 1825 et 1827), des portraits de ses amis, la série de quatre estampes des Taureaux de Bordeaux (1824-1825).

Le 28 mars 1828, sa belle-fille et son petit-fils Mariano lui rendent visite à Bordeaux. Son fils Javier, lui, n’arrive pas à temps. L’état de santé du peintre est très délicat. Il souffre d’une tumeur. De plus, une chute dans les escaliers l’oblige à garder le lit. Il ne se relèvera pas. Il meurt à deux heures du matin le 16 avril 1828, accompagné de sa famille et de ses amis Antonio de Brugada et José Pío de Molina.

Le lendemain, il est enterré au cimetière bordelais de la Chartreuse. En 1888 (soixante ans plus tard), une première exhumation des corps de Goya et de son ami et beau-frère Martin Goicoechea a lieu. Le crâne du peintre ne figure pas parmi les ossements. Le 6 juin 1899, ils sont de nouveau exhumés et transférés à Madrid, sans qu’il ait été possible de retrouver la tête de l’artiste. Ils sont déposés provisoirement dans la crypte de l’église collégiale Saint-Isidore de Madrid. Ils sont enterrés ensemble définitivement le 29 septembre 1919 à l’église San Antonio de la Florida de Madrid, au pied de la coupole que Goya a peinte en 1798.

Madrid, Église San Antonio de la Florida. Tombe de Goya.

Christian Boltanski

Après. 2010.

Je n’avais que moyennement aimé l’exposition Christian Boltanski: Faire son temps (13/11/2019-16/03/2020) au Centre Georges Pompidou. Je trouvais qu’il y avait trop d’oeuvres de périodes différentes. L’ensemble me paraissait un peu anarchique et assez étouffant.

Amsterdam, Oude Kerk. Christian Boltanski – na . 2018

Lors de notre dernier voyage à Amsterdam, nous avions visité Christian Boltanski – na (24 novembre 2017 – 28 avril 2018) dans la plus vieille église d’Amsterdam, l’Oude Kerk (La vieille église, 1306). Na veut dire Après en néerlandais. L’artiste convoquait la mémoire des disparus. L’édifice compte 12 000 tombes et 2500 dalles funéraires. La plus célèbre est celle de Saskia van Uylenburgh (1612-1642), l’épouse de Rembrandt. Manteaux noirs de laine sombre face contre terre, volumes parallélépipédiques de dimensions variables, ampoules, carillons agités par le vent, murmures, mannequins anthropomorphes faits de planches, d’une lampe et d’un voile noir qui posaient des questions. Les lustres étaient descendus jusqu’au sol. Il fallait errer dans l’obscurité. C’était magnifique et émouvant. Boltanski réussissait à rendre visibles et sensibles la présence et le nombre de ces disparus invisibles sur lesquels nous marchions. L’Oude Kerk est un lieu de culte, mais aussi un lieu d’exposition. Depuis 2013, des artistes contemporains sont invités à y intervenir grâce à une structure au financement mi-public mi-privé.

Animitas son installation en plein air dans le désert d’Atacama au Chili (2014) m’avait aussi beaucoup impressionné:

http://www.lesvraisvoyageurs.com/2018/04/20/christian-boltanski/

La galerie Marian Goodman (79 rue du Temple. 75003-Paris) présente du 20 janvier au 13 mars 2021 une exposition intitulée aussi Après. Nous l’avons visitée hier après-midi, un trop peu rapidement malheureusement. J’aimerais y retourner assez vite si un nouveau confinement ne m’en empêche pas.

«Nous sommes entourés de disparus qui restent gravés dans notre mémoire et dont la présence me hante.» (Christian Boltanski)

«L’expérience que je souhaite pour le public qui vient visiter chacune de mes expositions n’est pas forcément de comprendre mais de ressentir que quelque chose a eu lieu. » (Faire son temps, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2019. Entretien entre Christian Boltanski et Bernard Blistène, p. 63.)

Cette exposition est installée sur deux niveaux dans cette galerie qui se trouve dans le magnifique hôtel de Montmort de 1623. Au rez-de-chaussée, des masses de tissus blancs sur des chariots occupent le centre de la salle: Les Linges (2020). Elles évoquent assez bien la période particulière que nous vivons. Je n’ai pas bien vu les projections sur les murs (Les Esprits, 2020) ni la vidéo Le Passage (2020) dans l’escalier.

Au niveau inférieur, on peut admirer l’installation vidéo Les Disparus (2020). Ces très belles images recèlent des images subliminales des horreurs qui ont eu lieu au cours du XX ème siècle. Le mot Après (2010) invite à entrer dans la dernière salle sombre et tranquille. Là se trouvent Les Vitrines (1995).
C’est une belle exposition qui restera longtemps dans notre esprit.

Les Linges. 2020.

Pablo Picasso – Éva Gouel

Éva Gouel (Pablo Picasso). 1912.

J’ai lu ces dernières semaines deux livres de Philippe Sollers: Portraits de femmes (Flammarion, 2013. Folio n°5842, 2014) et L’éclaircie (Gallimard, 2012. Folio n°5605, 2013). Le personnage est brillant, mais son égocentrisme m’est insupportable. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un de ses livres. L’évocation d’Edouard Manet et de Pablo Picasso dans le premier est assez stimulante. Le second, plus centré sur la personne de l’auteur, m’est tombé des mains.

Cette lecture m’a poussé à faire quelques recherches sur Éva Gouel, la seconde compagne et le modèle de Pablo Picasso pendant sa période cubiste, de 1911 à 1915.

Éva Gouel est née en 1885 à Vincennes. Elle se fait appeler Marcelle Humbert. Elle vit depuis 1907 avec le peintre et graveur polonais Louis Marcoussis (Ludvik Markus 1878-1941) au 33 rue Delambre à Paris. Ils fréquentent le café L’Ermitage, boulevard de Rochechouart, rendez-vous des peintres et des amis de Picasso et de Fernande Olivier, sa compagne d’alors. Les deux couples se lient et se voient régulièrement. Ils se rendent ensemble chez Gertrude Stein, rue de Fleurus. Éva Gouel devient l’amante du peintre espagnol en octobre-novembre 1911. Pablo Picasso se sépare de Fernande Olivier début mai 1912 et se réfugie à Céret (Pyrénees Orientales) d’abord, à Sorgues (Vaucluse) ensuite.

Il fait apparaître sa nouvelle compagne Éva Gouel dans ses toiles cubistes, créées en communion avec Georges Braque, souvent sous forme d’une guitare ou d’un violon et en inscrivant “Ma jolie” ou “J’aime Éva”. Éva Gouel est le «grand amour» de Picasso, comme il en a encore jamais connu. Cette femme est l’antithèse de Fernande. Elle est menue, fine, discrète. «Marcelle est très gentille et je l’aime beaucoup et je l’écrirai sur mes tableaux.» (Lettre à Daniel-Henry Kahnweiler, 12 juin 1912). Ils s’installent ensemble en septembre 1912 au 242 boulevard Raspail, dans le quartier de Montparnasse, puis un an plus tard au 5 bis rue Schoelcher.

La Guerre brise cette période heureuse et très créative de Picasso. Ses amis peintres, André Derain et Georges Braque, sont au front. Celui-ci sera même gravement blessé le 11 mai 1915, puis trépané. Picasso est toujours heureux, mais Éva est malade. Son état empire rapidement. D’ordinaire, Picasso ne supporte pas que ses compagnes tombent malades. Son état s’aggrave au cours de l’été 1915. Éva entre dans une maison de santé, est opérée. («Pablo me gronde quand je lui dis que je ne crois pas voir l’année 1916.» (Lettre à son amie Joséphine de Haviland, 25 octobre 1915). La nature de la maladie d’Éva lui rappelle la mort de sa petite sœur, Conchita (née en 1887, morte à La Corogne le 10 janvier 1895. En 1935, il appellera sa fille Maya, María de la Concepción comme elle). Une part de sa répulsion totale de la maladie et de la mort vient sûrement de là.
Le 14 décembre 1915, Éva Gouel meurt de tuberculose, maladie à laquelle Picasso fait référence dans ses toiles sous le nom de L’Enfer. Son enterrement réunit autour de Pablo ses amis alors à Paris. Á la fin de sa vie, les larmes lui montaient encore aux yeux quand il parlait d’elle.

Pierre Daix, Le Nouveau Dictionnaire Picasso. Bouquins, Robert Laffont. 2012.

Ma jolie (Pipe, verre, as de trèfle, bouteille de Bass, guitare, dé) (Pablo Picasso), 1914. Berlin, Collection Berggruen.

Luis de Góngora y Argote – El Greco

Retrato del poeta y escritor español Luis de Góngora y Argote (1561-1627). 1622. Museo de Bellas Artes de Boston.

Luis de Góngora y Argote, poète baroque et figure emblématique du cultisme, naît le 11 juillet 1641 à Cordoue de Francisco de Argote, juge des biens confisqués par l’Inquisition, et de Leonor de Góngora. Il fait son éducation au collège des Jésuites de la ville, puis étudie le droit à l’Université de Salamanque (1576-1581). Il commence à écrire et compose des letrillas. Son premier poème est publié en 1580.

Il reçoit les ordres mineurs (1575), puis les ordres majeurs (1580) pour profiter des bénéfices et des rentes ecclésiastiques que lui a légués son oncle maternel, Francisco de Góngora, prébendier de la Cathédrale de Cordoue. Il devient un membre influent du Chapitre de la Cathédrale de Cordoue (1587).

Il séjourne à la Cour, installée à Valladolid (1603-1604), puis à Madrid (1609-1610). Il se retire ensuite à la campagne, dans une propriété appartenant au chapitre de la Cathédrale de Cordoue, la Huerta de San Marcos (1612-1614). C’est là qu’il compose la fable de Polyphème et Galatée (Fábula de Polifemo y Galatea: 63 octaves) et les Solitudes (Soledades: deux mille vers environ), recueil à l’origine divisé en quatre longs poèmes. Il n’en écrira que deux qui constituent le sommet de son œuvre. Il est célèbre en son temps bien qu’il ne se donne guère la peine de publier ses poèmes. Il les envoie à ses amis. Miguel de Cervantes fait son éloge dès 1580 dans La Galatea, Diego Velázquez fait son portrait en 1622 cinq ans avant sa mort.

Partisans du cultisme (ou cultéranisme) et partisans du conceptisme s’opposent violemment. Ses ennemis les plus virulents sont Lope de Vega, et surtout Francisco de Quevedo qui raille et parodie le «jargóngora».

En avril 1617, de nouveau à la Cour à Madrid, il obtient, grâce au duc de Lerma, une charge de chapelain du Roi. Il reçoit alors l’ordination sacerdotale (1618), mais sa situation financière reste précaire. En 1625, il est poursuivi pour dettes. Quevedo, dont l’inimitié ne cesse pas, aurait acheté la maison de Góngora et l’aurait fait expulser. Quevedo publie son célèbre pamphlet: La aguja de navegar cultos con la receta para hacer Soledades en un día.

En 1626, il souffre d’une attaque d’apoplexie et reste partiellement paralysé. Il décède le 23 mai 1627 dans la maison de sa sœur. Il est enterré dans la chapelle Saint-Barthélémy de la Mosquée-Cathédrale de Cordoue.

Les XVIII ème et XIX ème siècles le frappent d’ostracisme. Son importance commence à être reconnue par les poètes symbolistes. Verlaine, par exemple, le place, sans bien le connaître, dans sa galerie des «poètes maudits» et le cite en épigraphe de Lassitude (Poèmes saturniens): «A batallas de amor campo de pluma.» «Á batailles d’amour, champ de plume.»

La réhabilitation du Greco offre plus d’une analogie avec celle de Góngora.

Il faudra l’enthousiasme et l’attention critique de l’extraordinaire génération de poètes du XX ème siècle (Federico García Lorca (Soledad insegura), Jorge Guillén, Dámaso Alonso, Pedro Salinas, Gerardo Diego, Rafael Alberti (Soledad tercera, dans le recueil Cal y canto, 1927), Luis Cernuda) pour exhumer de l’oubli les vers du poète cordouan, et lui rendre sa place dans les lettres espagnoles. L’Ateneo de Séville organise les 16 et 17 décembre 1927 une commémoration du troisième centenaire de la mort du poète dans les locaux de la Sociedad Económica de Amigos del País en présence de la plupart des écrivains que l’on regroupe depuis sous le terme de Génération de 1927.

Góngora est si moderne que García Lorca en fait l’argument de sa conférence La imagen poética de Don Luis de Góngora: «C’est un problème de compréhension: Góngora, il ne faut pas le lire, mais l’étudier». («Es un problema de comprensión. A Góngora no hay que leerlo, sino estudiarlo. Góngora no viene a buscamos como otros poetas para ponemos melancólicos, sino que hay que perseguirlo razonablemente. A Góngora no se puede entender de ninguna manera en la primera lectura.») .

https://federicogarcialorca.net/obras_lorca/la_imagen_poetica_gongora.html

En 1947, Picasso recopie à la plume des sonnets de Góngora et se met à dessiner dans leurs marges. Pablo Picasso, Vingt poèmes de Góngora, Les Grands Peintres Modernes et le Livre, Paris, 1948. Textes en espagnol suivis de la traduction française par Zdzislaw Milner.

Miguel de Cervantes, La Galatea:

«En don Luis de Góngora os ofrezco
un vivo raro ingenio sin segundo;
con sus obras me alegro y me enriquezco
no sólo yo, más todo el ancho mundo.»

Inscripción para el sepulcro de Domínico Greco (Luis de Góngora y Argote)

Esta en forma elegante, oh peregrino,
de pórfido luciente dura llave,
el pincel niega al mundo más süave,
que dio espíritu a leño, vida a lino.

Su nombre, aun de mayor aliento digno
que en los clarines de la Fama cabe,
el campo ilustra de ese mármol grave:
venéralo y prosigue tu camino.

Yace el Griego. Heredó Naturaleza
Arte, y el Arte, estudio; Iris, colores;
Febo, luces – si no sombras, Morfeo. –

Tanta urna, a pesar de su dureza,
lágrimas beba, y cuantos suda olores
corteza funeral de árbol sabeo.

Inscription pour le sépulcre de Domínico Greco

Cette en forme élégante, ô voyageur,
de porphyre brillant dure clé
le pinceau refuse au monde le plus suave,
qui donna esprit au bois, vie au lin.

Son nom, de plus grand souffle digne même
que n’en contiennent les clairons de la Renommée,
le champ illustre de ce marbre grave.
Vénère-le, et poursuis ton chemin.

Gît le Grec, Hérita nature
d’art, et l’Art, d’étude; Iris, de couleurs;
Phébus, de lumières – sinon d’ombres, Morphée.-

Qu’une telle urne, malgré sa dureté,
les larmes boive et autant de senteurs qu’exsude
l’écorce funéraire de l’arbre de Saba.

Sonnets. La Délirante 1991. Traduction Frédéric Magne.

Vista de Toledo(El Greco). v 1596–1600. Nueva York, Metropolitan Museum of Art.

Henri Matisse

Fenêtre à Tahiti. 1935. Nice, Musée Matisse.

Nous attendons de voir l’exposition Matisse Comme un roman (21 octobre 2020 – 22 février 2021) au Centre Pompidou. Nous avions réservé pour le 4 novembre : confinement et fermeture des musées. Deuxième tentative pour le 16 décembre. Est-ce que cela sera possible? Pas sûr…

Henri Matisse (1869 – 1954) fait un voyage à Tahiti en 1930. Il a plus de 60 ans.
Le 19 mars, il quitte Paris pour New York, traverse en train les États-Unis et embarque à San Francisco le 21 mars. Il arrive à Tahiti le 29 mars. Il s’installe à Papeete dans une chambre de l’hôtel Stuart, face au front de mer.

Le peintre voyage peu. Lorsqu’il part en voyage c’est pour ressentir le monde et les êtres. Le voyage lui rend une forme de liberté et de nouveauté. Lorsque Matisse arrive à Tahiti, il se met en retrait et ne peint pas. Il se contente de dessiner et de prendre des photos. Il s’imprègne des lumières et observe une nature et des couleurs inédites jusque là.

Pendant ce voyage, il rencontrera le metteur en scène Friedrich Wilhelm Murnau (1888 – 1931) en train de filmer Tabou. Matisse assistera à la projection du film l’année suivante. Durant ce séjour de trois mois, il visitera l’atoll d’Apataki et de Fakarava de l’archipel des Tuamotu. Il est de retour en France le 16 juillet 1930.

Il revient de ce voyage avec de nouvelles lumières et de nouvelles formes. Son trait s’épure. Il obtient une simplification progressive de la ligne. Aragon dira : « Sans Tahiti, Matisse ne serait pas Matisse ».

Raymond Escholier. Matisse, ce vivant. Paris, Librairie Arthème Fayard, 1956.

« Le séjour à Tahiti m’a apporté beaucoup. J’avais une grande envie de connaître la lumière de l’autre côté de l’Équateur, de prendre contact avec les arbres de là-bas, d’y pénétrer les choses. Chaque lumière offre son harmonie particulière. C’est une autre ambiance. La lumière du Pacifique, des îles, est un gobelet d’or profond dans lequel on regarde.
Je me souviens que, tout d’abord, à mon arrivée, ce fut décevant et puis, peu à peu, c’était beau…C’est beau ! Les feuilles des hauts cocotiers retroussées par les alizés faisaient un bruit soyeux. Ce bruit de feuilles était posé sur le grondement de fond d’orchestre des vagues de la mer, vagues qui venaient se briser sur les récifs qui entourent l’île.
Je me baignais dans le « lagon ». Je nageais autour des couleurs des coraux soutenues par les accents piquants et noirs des holothuries. Je plongeais la tête dans l’eau, transparente sur le fond absinthe du « lagon » , les yeux grands ouverts…et puis brusquement je relevais la tête au-dessus de l’eau et fixais l’ensemble lumineux des contrastes…
Tahiti…Les îles…Mais l’île déserte tranquille n’existe pas. Nos soucis d’Européens nous y accompagnent. Or, dans cette île, il n’y avait pas de soucis. Les Européens s’y ennuyaient. Ils y attendaient confortablement la retraite dans une étouffante torpeur et ils ne faisaient rien pour se sortir de cette torpeur, pour remplir, ignorer l’ennui ; ils ne réfléchissaient même plus. Au dessus d’eux, autour d’eux, il y avait cette merveilleuse lumière du premier jour, la magnificence, mais ils ne goûtaient même plus tout cela.
On avait fermé les usines et les indigènes croupissaient dans des jouissances animales. Un beau pays en sommeil dans l’éclatement du soleil.
Oui, l’île déserte et tranquille, le paradis solitaire n’existent pas. On s’y ennuierait vite parce qu’on n’aurait pas d’ennuis.»

Friedrich Wilhelm Murnau. Henri Matisse. Tahiti, 1930.

Paul Éluard – Pablo Picasso III

Pablo Picasso (Robert Capa).

Deux autres poèmes d’Éluard pour saluer son grand ami, Pablo Picasso:

À PABLO PICASSO (Paul Éluard)
I
Les uns ont inventé l’ennui d’autres le rire
Certains taillent à la vie un manteau d’orage
Ils assomment les papillons font tourner les oiseaux en eau
Et s’en vont mourir dans le noir
Toi tu as ouvert des yeux qui vont leur voie
Parmi les choses naturelles à tous les âges
Tu as fait la moisson des choses naturelles
Et tu sèmes pour tous les temps
On te prêchait l’âme et le corps
Tu as remis la tête sur le corps
Tu as percé la langue d l’homme rassasié
Tu as brûlé le pain bénit de la beauté
Un seul cœur anima l’idole et les esclaves
Et parmi tes victimes tu continues à travailler
Innocemment
C’en est fini des joies greffées sur le chagrin.

                         II

Un bol d’air bouclier de lumière
Derrière ton regard aux trois épées croisées
Tes cheveux nattent le vent rebelle
Sous ton teint renversé la coupole et la hache de ton front
Délivrent la bouche tendue à nu
Ton nez est rond et calme
Les sourcils sont légers l’oreille est transparente
À ta vue je sais que rien n’est perdu.

                         III

Fini d’errer tout est possible
Puisque la table est droite comme un chêne
Couleur de bure couleur d’espoir
Puisque dans notre champ petit comme un diamant
Tient le reflet de toutes les étoiles
Tout est possible on est ami avec l’homme et la bête
A la façon de l’arc-en-ciel
Tour à tour brûlante et glaciale
Notre volonté est de nacre
Elle change de bourgeons et de fleurs non selon l’heure mais selon
La main et l’œil que nous nous ignorions
Nous toucherons tout ce que nous voyons
Aussi bien le ciel que la femme
Nous joignons nos mains à nos yeux
La fête est nouvelle.

                                 IV

L’oreille du taureau à la fenêtre
De la maison sauvage où le soleil blessé
Un soleil d’intérieur se terre
Tentures du réveil les parois de la chambre
Ont vaincu le sommeil.

                                 V

Est-il argile plus aride que tous ces journaux déchirés
Avec lesquels tu te lanças à la conquête de l’aurore
De l’aurore d’un simple objet
Tu dessines avec amour ce qui attendait d’exister
Tu dessines dans le vide
Comme on ne dessine pas
Généreusement tu découpas la forme d’un poulet
Tes mains jouèrent avec ton paquet de tabac
Avec un verre avec un litre qui gagnèrent
Le monde enfant sortit d’un songe
Bon vent pour la guitare et pour l’oiseau
Une seule passion pour le lit et la barque
Pour la verdure morte et pour le vin nouveau
Les jambes des baigneuses dénudent vague et plage
Matin tes volets bleus se ferment sur la nuit
Dans les sillons la caille a l’odeur de noisette
Des vieux mois d’Août et des jeudis
Récoltes bariolées paysannes sonores
Écailles des marais sécheresse des nids
Visage aux hirondelles amères au couchant rauque
Le matin allume un fruit vert
Dore les blés les joues les cœurs
Tu tiens la flamme entre tes doigts
Et tu peins comme un incendie
Enfin la flamme unit enfin la flamme sauve.

                           VI

Je reconnais l’image variable de la femme
Astre double miroir mouvant
La négatrice du désert et de l’oubli
Source aux seins de bruyère étincelle confiance
Donnant le jour au jour et son sang au sang
Je t’entends chanter sa chanson
Ses mille formes imaginaires
Ses couleurs qui préparent le lit de la campagne
Puis qui s’en vont teinter des mirages nocturnes
Et quand la caresse s’enfuit
Reste l’immense violence
Reste l’injure aux ailes lasses
Sombre métamorphose un peuple solitaire
Que le malheur dévore
Drame de voir où il n’y a rien à voir
Que soi et ce qui est semblable à soi
Tu ne peux pas t’anéantir
Tout renaît sous tes yeux justes
Et sur les fondations des souvenirs présents
Sans ordre ni désordre avec simplicité
S’élève le prestige de donner à voir.

Cahiers d’Art n°3-10, automne 1938.

Galerie Cahiers D’art, 14 rue du Dragon. Paris, VI.

Pablo Picasso (Paul Éluard)

Les armes du sommeil ont creusé dans la nuit
Les sillons merveilleux qui séparent nos têtes.
À travers le diamant, toute médaille est fausse,
Sous le ciel éclatant, la terre est invisible.

Le visage du cœur a perdu ses couleurs
Et le soleil nous cherche et la neige est aveugle.
Si nous l’abandonnons, l’horizon a des ailes
Et nos regards au loin dissipent les erreurs.

Nouveaux Poèmes.

Portrait de Paul Éluard (Salvador Dalí). 1929. Collection privée.

Paul Éluard – Pablo Picasso I

Paul Eluard . 1941. Saint-Denis, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard.

Pablo Picasso, Paul Éluard. Una amistad sublime (Pablo Picasso, Paul Eluard, une amitié sublime).

Cette exposition a été présentée au Musée Picasso de Barcelone du 8 novembre 2019 au 15 mars 2020. Elle le sera au musée d’Art et d’Histoire Paul-Éluard de Saint-Denis du 13 novembre 2020 au 15 février 2021.

Paul Éluard et Pablo Picasso font connaissance en 1916. Parmi les surréalistes, Éluard est un des plus attentifs à la peinture. Encore dadaïste, il achète des œuvres du peintre espagnol dès 1921 lors des ventes Kahnweiler.

Éluard et Picasso deviennent vraiment très proches à la fin de 1935. Fin 1935 – début 1936, Éluard présente au peintre espagnol à Saint-Germain-des-Prés la photographe Dora Maar (Henriette Theodora Markovitch) qui sera la compagne du peintre de 1936 à 1945.

Pablo Picasso fuit incognito (seul Jaume Sabartés était dans la confidence) le 23 mars 1936 à Juan-les-Pins avec Marie-Thérèse Walter et la petite Maya. Éluard n’est pas au courant de leur existence et est très étonné de cette disparition. Picasso réapparaît le 15 mai 1936 au vernissage de l’exposition Wolfgang Paalen. Éluard écrit alors le premier poème intitulé À Pablo Picasso.

Les deux artistes parcourent ensemble la période de la Guerre d’Espagne, de l’Occupation, de la Libération, mais aussi l’engagement dans le Parti Communiste Français (Éluard adhère au début de 1942 et Picasso le 4 octobre 1944) et le Mouvement pour la Paix.

Leurs créations se font écho: ainsi les poèmes Novembre 1936, publié dans L’Humanité, ou La Victoire de Guernica et les gravures de Picasso, Sueño y mentira de Franco (8 janvier 1937) ou l’extraordinaire Guernica.

Ils réalisent et publient ensemble des livres illustrés. Chacun inspire l’autre, et aux portraits du poète par Picasso répondent les poèmes d’Éluard consacrés au peintre.

Paul Éluard est le témoin de la rupture de Picasso et de Dora Maar, mais il continue de rendre visite à la photographe qu’il apprécie beaucoup.

Il écrit un texte pour le documentaire Guernica (1950) d’Alain Resnais. C’est un des films les plus justes sur Picasso.

Pablo Picasso et Françoise Gilot sont les témoins du mariage d’Éluard avec Odette, dite Dominique Lemort, le 15 juin 1951 à Saint-Tropez.

Le poète meurt le 18 novembre 1952 à 56 ans. Le peintre en est très affecté. Il veille le corps d’Éluard et dessine une colombe avec l’inscription «pour mon cher Paul Éluard». Le poète est enterré le 22 novembre 1952 au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Picasso assiste à la cérémonie alors que le plus souvent lorsqu’il apprend la mort d’un proche, il s’enferme dans le silence. Pour lui, toute parole est alors vaine.

Enterrement de Paul Éluard (Irène Andréani). Paris, Cimetière du Père-Lachaise. 22 novembre 1952.

Paul Klee – Walter Benjamin

Angelus novus .1920 .Jérusalem, Musée d’Israel.

Angelus novus est une aquarelle de Paul Klee qu’il a peinte en 1920. Elle se trouve actuellement au musée d’Israël à Jérusalem.
Le tableau a appartenu au philosophe et critique d’art allemand Walter Benjamin (1892-1940) jusqu’à sa mort. Il en parle dans la neuvième thèse de son essai Sur le concept d’histoire:
«Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès».
Œuvres III. Traduction Maurice de Gandillac. Folio Essais page 434.

Ce texte est publié dès 1942 à Los Angeles par Max Horkheimer, l’un des dirigeants de l’Institut de Recherche sociale, dans un fascicule intitulé En mémoire de Walter Benjamin. En 1947, il est publié en français dans la revue Les Temps modernes.

Le tableau de Pauk Klee est exposé pour la première fois en mai-juin 1920 à la galerie Hans Goltz à Munich. Walter Benjamin l’achète en mai ou au début de 1921 pour 1 000 reichsmarks. Il le met d’abord en dépôt chez son ami Gershom Scholem. En novembre 1921, Scholem expédie l’aquarelle à Berlin, où Benjamin a trouvé un nouvel appartement. En septembre 1933, Benjamin émigre vers Paris et fuit l’Allemagne nazie. Il laisse derrière lui son tableau. Il le récupère en 1935 grâce à des amis. En juin 1940, Benjamin quitte Paris et demande à Georges Bataille de le cacher à la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu. Après la guerre, le tableau revient à Theodor W. Adorno qui, selon la volonté de Benjamin, le remet à Gershom Sholem qui vit à Jérusalem en 1945. Les héritiers de celui-ci le lèguent au musée d’Israël.
Walter Benjamin souhaitait, dans les années 1920, fonder une revue intitulée Angelus novus, mais son projet n’aboutit pas.

Cette petite aquarelle est devenue une sorte de symbole de Walter Benjamin lui-même. Je l’ai regardée longtemps à l’exposition Paul Klee l’ironie à l’oeuvre au Centre Pompidou (6 avril-1 aoùt 2016).

Joan Miró disait: « Klee m’a fait sentir qu’en toute expression plastique il y a quelque chose de plus que la peinture-peinture, précisément qu’il faut aller au-delà pour atteindre des zones de plus profonde émotion. »

Une citation de Paul Klee pour finir: «La peinture ne reproduit pas le visible, elle rend visible.»

Paul Klee. Berne, 1911.

Claude Monet

Claude Monet devant Les Nymphéas, dans son jardin à Giverny. 1905.

Le peintre Claude Monet est né la 14 novembre 1840 à Paris. Sa famille s’installe au Havre vers 1845.

Il abandonne ses études à la mort de sa mère en 1857. Sur les conseils d’Eugène Boudin, il s’installe à Paris en avril 1859. En 1862, il commence à étudier l’art dans l’atelier de l’École impériale des beaux-arts de Paris, dirigé par Charles Gleyre. Il y rencontre Bazille, Renoir et Sisley, mais y reste peu de temps.

En 1868, Claude Monet traverse une période très difficile. Il vit avec Camille Doncieux (1847-1879) qu’il a rencontré en 1866 et qu’il épousera le 28 juin 1870. Il a eu l’année précédente un garçon Jean (1867-1914). Sa peinture ne connaît aucun succès. Son père refuse de l’aider financièrement. Il décide d’en finir en se jetant dans la Seine à Bennecourt au printemps 1868. Quelqu’un dans une barque le voit quand il saute dans l’eau. Il est repêché. Peu après, il trouve de l’aide auprès de son ami Bazille, sort de la dépression et des difficultés financières.

On a du mal à imaginer aujourd’hui Claude Monet en suicidé, lui, le peintre des séries: Les Meules (1890-1891) Les Peupliers (1891) Les Cathédrales de Rouen (1892-1895) Les Parlements de Londres (1900-1904) Venise (1908-1912) Les Nymphéas (1914-1926).

Il est mort à Giverny le 5 décembre 1926, à 86 ans, quelques mois avant l’inauguration officielle du grand ensemble mural des Nymphéas au Musée de l’Orangerie de Paris dans les deux salles elliptiques conçus par l’architecte en chef du Louvre, Camille Lefèvre, sous la supervision de Georges Clemenceau. L’exposition ouvre ses portes le 16 mai 1927.

Le caractère de Monet n’était pas facile. Il était prompt à la colère et au découragement et a détruit de nombreuses toiles. Son ami Clemenceau l’appelait son «vieux hérisson sinistre».

«Qu’y a-t-il à dire de moi? Que peut-il y avoir à dire, je vous le demande, d’un homme que rien au monde n’intéresse que sa peinture – et aussi son jardin et ses fleurs?»

Giverny. Bassin aux nymphéas de Claude Monet.