Pedro Salinas (1891-1951)

 

Pedro Salinas.

Pedro Salinas fut un des principaux poètes de la Génération de 1927.

Professeur d’université, poète, traducteur de Marcel Proust, critique, créateur de l’Université Internationale d’été de Santander, il fut contraint comme beaucoup d’intellectuels espagnols à l’exil à cause de la guerre civile (1936-1939). Il partit s’installer aux États-Unis, où il enseigna au Wellesley College, à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore et à l’Université de Porto Rico.

Il mourut à Boston le 4 décembre 1951, mais repose dans le cimetière de San Juan de Puerto Rico.

Il rencontra au cours de l’été 1932 une étudiante américaine, Katherine R. Whitmore (1897-1982) dont il tomba amoureux. Il écrivit pour elle sa trilogie poétique  La voz a ti debida (1933), Razón de amor (1936) et Largo lamento (1936-1939).

[14]
Para vivir no quiero
islas, palacios, torres.
¡Qué alegría más alta:
vivir en los pronombres!
Quítate ya los trajes,
las señas, los retratos;
yo no te quiero así,
disfrazada de otra,
hija siempre de algo.
Te quiero pura, libre,
irreductible: tú.
Sé que cuando te llame
entre todas las gentes
del mundo,
sólo tú serás tú.
Y cuando me preguntes
quién es el que te llama,
el que te quiere suya,
enterraré los nombres,
los rótulos, la historia.
Iré rompiendo todo
lo que encima me echaron
desde antes de nacer.
Y vuelto ya al anónimo
eterno del desnudo,
de la piedra, del mundo,
te diré:
«Yo te quiero, soy yo».

La voz a ti debida (1933)

Katherine Whitmore.

Robert Desnos

Robert Desnos.

Aujourd’hui je me suis promené…

Aujourd’hui je me suis promené avec mon camarade,
Même s’il est mort,
Je me suis promené avec mon camarade.

Qu’ils étaient beaux les arbres en fleurs,
Les marronniers qui neigeaient le jour de sa mort.
Avec mon camarade je me suis promené.

Jadis mes parents
Allaient seuls aux enterrements
Et je me sentais petit enfant.

Maintenant je connais pas mal de morts,
J’ai vu beaucoup de croque-morts
Mais je n’approche pas de leur bord.

C’est pourquoi tout aujourd’hui
Je me suis promené avec mon ami.
Il m’a trouvé un peu vieilli,

Un peu vieilli, mais il m’a dit :
Toi aussi tu viendras où je suis,
Un Dimanche ou un Samedi,

Moi, je regardais les arbres en fleurs,
La rivière passer sous le pont
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.

Alors je suis rentré parmi les hommes.

État de veille, 1936.

Robert Desnos, arrêté par la Gestapo le 22 février 1944 au 19 rue Mazarine. Paris VI.

Ida Vitale

Ida Vitale.

La poétesse uruguayenne Ida Vitale, 95 ans, a remporté jeudi 15 novembre le prix Cervantès, la plus haute distinction de la littérature hispanique.

Les jurés ont voulu récompenser “une trajectoire poétique, intellectuelle, de critique littéraire et de traduction de premier ordre”.

Le choix de la poétesse sud-américaine a surpris, brisant une règle non écrite en vertu de laquelle le prix récompensait jusqu’à présent alternativement des auteurs d’Amérique latine et d’Espagne. En 2017, le Nicaraguayen Sergio Ramirez avait été récompensé.

Ida Vitale est la cinquième femme à recevoir la prestigieuse distinction. La dernière à l’avoir reçue était la Mexicaine Elena Poniatowska en 2013.

Jusqu’à présent, un seul Uruguayen avait remporté ce prix, Juan Carlos Onetti (1909-1994), lauréat en 1980.

Agradecimiento

Agradezco a mi patria sus errores,
los cometidos, los que se ven venir,
ciegos, activos a su blanco de luto.
Agradezco el vendaval contrario,
el semiolvido, la espinosa frontera de argucias,
la falaz negación de gesto oculto.
Sí, gracias, muchas gracias
por haberme llevado a caminar
para que la cicuta haga su efecto
y ya no duela cuando muerde
el metafísico animal de la ausencia. (1)

(1) Peter Sloterdijk.

Remerciement

Je remercie ma patrie pour ses erreurs,
celles déjà commises, celles que l’on voit venir,
aveugles, actives dans leur deuil blanc.
Je remercie la tornade contraire,
le demi-oubli, la frontière épineuse d’arguties,
la fourbe négation du geste occulte.
Oui, merci, merci beaucoup
de m’avoir incitée à marcher
afin que la ciguë soit efficace
et ne blesse plus lorsqu’elle mord
l’animal métaphysique de l’absence. (1)

(1) Peter Sloterdijk.

Après avoir traduit la poésie d’Alvaro Mutis puis celle de César Vallejo, François Maspero avait entrepris de traduire Ida Vitale. La mort l’a surpris au cœur de ce travail en 2015.

Silvia Baron Supervielle a pris le relais. Elle a choisi et traduit la plupart des poèmes qui composent cette anthologie.

Francisca Aguirre (1930 – 2019)

Francisca Aguirre.

Le 13 novembre 2018, Francisca Aguirre a reçu Le Prix National des Lettres Espagnoles ( Premio Nacional de las Letras Españolas), attribué depuis 1984 par le ministère espagnol de la Culture à un auteur espagnol pour l’ensemble de son œuvre écrite dans l’une des langues parlées en Espagne. Le prix est doté de 40 000 euros.  La maison d’édition Calambur a publié en janvier dernier son oeuvre complète sous le titre de Ensayo general. Son mari, Félix Grande, décédé en 2014, était aussi poète et spécialiste du flamenco. Sa fille, Guadalupe Grande, née en 1965, est aussi poétesse. Son père, républicain, fut exécuté au garrot par les franquistes le 6 octobre 1942 à la prison de Porlier de Madrid.

(Elle est décédée à Madrid le 13 avril 2019)

El último mohicano 

        A mi madre

No tuve nada, y, sin embargo, de algún modo,
comprendo que lo tuve todo.
No teníamos nada, nada, salvo el miedo, el dolor,
el estupor que produce la muerte.

Cuando mataron a mi padre,
nos quedamos en esa zona de vacío
que va de la vida a la muerte
dentro de esa burbuja última que lanzan los ahogados,
como si todo el aire del mundo se hubiese agotado de pronto.
Ahí nos quedamos,
como peces en una pecera sin agua,
como los atónitos visitantes de un planeta vacío.

Nada teníamos,
aunque también es cierto que ya nada queríamos.
Recuerdo bien que a mi hermana Susi y a mí
nos dieron la noticia en el cuarto de aseo
de aquel colegio para hijas de presos políticos.
Había un espejo enorme
y yo vi la palabra muerte crecer dentro de aquel espejo
hasta salir de él
y alojarse en los ojos de mi hermana
como un vapor letal y pestilente.
Nada ha logrado hacerme olvidar aquellos ojos,
salvo algunas horas de amor
en que Félix y yo éramos dos huérfanos,
y el rostro milagroso de mi hija.
Y nada más tuvimos
durante mucho tiempo.
Pero Mamá tuvo menos que nadie.
Mamá quedó como un espejo sin azogue.
Lo perdió todo,
salvo un hilo delgado que la unía a nosotras,
y por aquel inconcebible puente,
como tres hormiguitas,
íbamos y veníamos a su estatua de vidrio
restituyéndole el azogue.
Volvió a nosotras desde el país del hielo.
Y volvió tan absolutamente,
que gracias a ella, nosotras, que nada teníamos,
lo tuvimos todo.
Mamá fue nuestro Espasa,
nuestro Guerrero del Antifaz,
el País de las Hadas,
la abundancia dentro de la miseria,
nuestro mejor amigo,
nuestro escudo contra los moros,
la enamorada de las bellas artes
la que hizo posible que papá no muriera,
la que lo fue resucitando en cada uno de sus cuadros.
Mamá fue quien nos dijo que mi padre admiraba a los griegos,
que adoraba los libros,
que no podía vivir sin la música,
y que fue amigo de Unamuno.

Cierto que no tuvimos nada.
Que muchas veces nos faltaba todo
Pero aunque algunos días no comimos,
tuvimos una radio para oír a Beethoven.
Y un día de Reyes de 1944
Mamá y los tíos fueron al Rastro.
Nos compraron tres libros:
La Cuesta encantada, Nómadas del Norte
y El último mohicano.
Dios sabe cuántas veces habré leído esos libros.
Mamá nos trajo El último mohicano.
Y de la mano de ese indio solitario
entramos en el mundo de lo maravilloso.
Y lo tuvimos todo para siempre.

Y ya nadie podrá quitárnoslo.

Los trescientos escalones (1977)

Madrid. Calle Alenza, 8. Chamberí.

Louis Aragon

La guerre et ce qui s’ensuivit

Les ombres se mêlaient et battaient la semelle
Un convoi se formait en gare à Verberie
Les plates-formes se chargeaient d’artillerie
On hissait les chevaux les sacs et les gamelles

Il y avait un lieutenant roux et frisé
Qui criait sans arrêt dans la nuit des ordures
On s’énerve toujours quand la manoeuvre dure
et qu’au-dessus de vous éclatent les fusées

On part Dieu sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève

Le train va s’en aller noir en direction
Du sud en traversant les campagnes désertes
Avec ses wagons de dormeurs la bouche ouverte
Et les songes épais des respirations

Il tournera pour éviter la capitale
Au matin pâle On le mettra sur une voie
De garage Un convoi qui donne de la voix
Passe avec ses toits peints et ses croix d’hôpital

Et nous vers l’est à nouveau qui roulons Voyez
La cargaison de chair que notre marche entraîne
Vers le fade parfum qu’exhalent les gangrènes
Au long pourrissement des entonnoirs noyés

Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille

Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

Roule au loin roule le train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur

Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

Vous étirez vos bras vous retrouvez le jour
Arrêt brusque et quelqu’un crie Au jus là-dedans
Vous bâillez Vous avez une bouche et des dents
Et le caporal chante Au pont de Minaucourt

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Le roman inachevé, 1956.

https://goo.gl/cGmEyr

Enregistré a la radio en 1959, avec Léo Ferré au piano, deux ans avant la sortie du disque 25cm “Les chansons d’Aragon”.

Léo Ferré. Studio Harcourt. v 1947.

Guillaume Apollinaire – Aragon

Portrait de Guillaume Apollinaire, [La-Rue-des-Bois], août 1908. (Pablo Picasso).
Moitié supérieure. Fusain sur papier. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso 1979.
Moitié inférieure. Fusain sur papier. Musée national Picasso-Paris. Don Maya Widmaier-Picasso 2014.

Louis Aragon.

Miguel Hernández (1910-1942)

Busto de Miguel Hernández. Paseo de los Poetas, El Rosedal, Buenos Aires.

El tren de los heridos 

Silencio que naufraga en el silencio
de las bocas cerradas de la noche.
No cesa de callar ni atravesado.
Habla el lenguaje ahogado de los muertos.

Silencio.

Abre caminos de algodón profundo,
amordaza las ruedas, los relojes,
detén la voz del mar, de la paloma:
emociona la noche de los sueños.

Silencio.

El tren lluvioso de la sangre suelta,
el frágil tren de los que se desangran,
el silencioso, el doloroso, el pálido,
el tren callado de los sufrimientos.

Silencio.

Tren de la palidez mortal que asciende:
la palidez reviste las cabezas,
el ¡ay! la voz, el corazón, la tierra,
el corazón de los que malhirieron.

Silencio.

Van derramando piernas, brazos, ojos,
van arrojando por el tren pedazos.
Pasan dejando rastros de amargura,
otra vía láctea de estelares miembros.

Silencio.

Ronco tren desmayado, envejecido:
agoniza el carbón, suspira el humo
y, maternal, la máquina suspira,
avanza como un largo desaliento.

Silencio.

Detenerse quisiera bajo un túnel
la larga madre, sollozar tendida.
No hay estaciones donde detenerse,
si no es el hospital, si no es el pecho.

Silencio.

Para vivir, con un pedazo basta:
en un rincón de carne cabe un hombre.
Un dedo solo, un solo trozo de ala
alza el vuelo total de todo un cuerpo.

Silencio.

Detened ese tren agonizante
que nunca acaba de cruzar la noche.
Y se queda descalzo hasta el caballo,
y enarena los cascos y el aliento.

El hombre acecha, 1939.

Cementerio de Alicante. Placa que se encuentra encima de la que en honor a los fusilados republicanos de 1939 se erige.

Miguel Hernández (1910-1942)

Miguel Hernández.

Le 30 octobre 1910, il y a aujourd’hui 108 ans,  naissait à Orihuela (Alicante) Miguel Hernández Gilabert ,”el pastor poeta”.  Sa famille vivait de l’élevage de chèvres. Il dut abandonner ses études en 1925, à 15 ans, pour garder le troupeau familial. La lecture des livres de poésie qu’il trouvait dans la bibliothèque municipale ou dans celle d’un prêtre d’Orihuela, le Père Almarcha, fut sa principale source de formation. Dans sa ville natale, il fréquentait un groupe littéraire  autour de son ami, l’avocat José Ramón Marín Gutiérrez (1913-1935) qui adopta le pseudonyme de Ramón Sijé. A 22 ans, il  séjourna  une première fois à Madrid entre le 31 décembre  1931 et 15 mai 1932. Il publia en 1933 son premier recueil, Perito en lunas, influencé par Góngora et les poètes de la Génération de 1927. En 1934, il rencontra les poètes Vicente Aleixandre et Pablo Neruda qui seront ses amis intimes et deux futurs Prix Nobel de Littérature. Pendant la Guerre Civile, il devint membre du Parti Communiste d’Espagne et s’engagea dans le Quinto Regimiento. Il vécut avec les soldats sur le front. Il se maria avec Josefina Manresa le 9 mars 1937 et eut deux fils: Manuel Ramón, mort avant un an, et Manuel Miguel .

A la fin de la guerre, il essaya de passer au Portugal, mais fut arrêté par la police de ce pays et remis à la garde civile espagnole. Libéré à la suite de plusieurs interventions, il se rendit à Orihuela pour rejoindre sa famille, mais fut de nouveau arrêté et transféré à Madrid. Le 18 janvier 1940,  un Conseil de Guerre le condamna à mort  l’accusant du délit d’adhésion à la rebellion. Le 9 juillet 1940, il vit sa peine commuée en trente années d’emprisonnement. Miguel Hernández connut les prisons de Madrid, Palencia,  Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention eurent raison de sa santé. Le poète mourut de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942 à 31 ans. On l’enterra le lendemain au cimetière Nuestra Señora del Remedio d’Alicante. Sa condamnation n’a toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.

Cementerio municipal de Alicante. Tumba de Miguel Hernández, Manuel Miguel Hernández y Josefina Manresa.

Canción última 

Pintada, no vacía:
pintada está mi casa
del color de las grandes
pasiones y desgracias.

Regresará del llanto
adonde fue llevada
con su desierta mesa
con su ruinosa cama.

Florecerán los besos
sobre las almohadas.
Y en torno de los cuerpos
elevará la sábana
su intensa enredadera
nocturna, perfumada.

El odio se amortigua
detrás de la ventana.

Será la garra suave.

Dejadme la esperanza.

El hombre acecha (1938-39)

https://www.youtube.com/watch?v=yQJYnfHVfCs

 

 

Jacques Réda (24 janvier 1929-89 ans)

Jacques Réda 2015.

Dans ce lieu caverneux qu’est l’âme du grand âge
On revoit sans arrêt sur la paroi du fond
Les mêmes souvenirs danser – ainsi font font
Marionnettes et pantins, pauvre héritage

D’une vie où l’on hoche, à la fin, du siphon.
Néanmoins ce malheur offre quelque avantage:
Ce qui revient paraît nouveau dans le potage
Insipide des jours. Et s’il nous étouffe, on

Reprend au même endroit la bande dévidée :
Même bonheur, même remords ou même idée
Représentés à neuf comme sur un plateau.

Mais comment ressaisir la chose transformée
Et reflet du reflet d’un image, fumée
Où s’égara peut-être aussi le vieux Platon.

La Course: nouvelles poésies itinérantes et familières (1993-1998), Gallimard, 1999.

Nathalie Piégay – Louis Aragon

Nathalie Piégay, Une femme invisible, Editions du Rocher, 2018.

Nathalie Piégay, professeure à l’Université de Genève, a présenté La Semaine sainte dans l’édition des Oeuvres romanesques complètes d’Aragon, dirigée par Daniel Bougnoux dans la bibliothèque de la Pléiade (cinq tomes).

Dans ce livre, à la fois récit à la première personne et biographie, elle s’intéresse à la vie de la mère du poète, Marguerite Toucas-Massillon (1873-1942). Celle-ci est issue d’une famille de la bonne bourgeoisie. Son père, Fernand Toucas, amateur de peinture et de jeu a été sous-préfet de Guelma en Algérie. Son frère Edmond (1881-1937) sera, lui, sous-préfet de Commercy (Meuse) après la Première Guerre Mondiale. Marguerite s’éprend de Louis Andrieux (1840-1931), ami de Fernand et protecteur d’Edmond. Ce personnage important de la Troisième République fut successivement Procureur de la République, préfet de police, ambassadeur et député. Il termina sa carrière comme doyen de l’Assemblée nationale. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle décide de garder l’enfant. Elle résiste à la pression de son amant  et de sa mère qui voulaient qu’elle avorte.

Entre-temps, Fernand Toucas a perdu son poste (pour corruption) et a quitté sa famille pour ouvrir des salles de jeu à Constantinople. Louis Andrieux, marié, ne reconnaît pas son fils illégitime et prive même Marguerite du statut légal de mère. Officiellement, Louis Aragon est né de parents “non dénommés”. Il sera élevé en croyant être le fils adoptif de sa grand-mère, Claire, et le petit frère de Marguerite. Celle-ci ne lui révélera la vérité qu’en juin1917, craignant qu’il ne meure à la guerre sans savoir qui étaient ses vrais parents.

Marguerite est le pilier de cette famille bourgeoise déclassée depuis la fuite du père. Elle vit dans les difficultés matérielles et supporte stoïquement le caractère insupportable de sa mère. Elle n’a pas les moyens de s’émanciper,  mais  soutiendra pourtant financièrement toute sa famille. De 1899 à 1904, elle tiendra au 20 Avenue Carnot à Paris (XVII) la pension Etoile-Famille. Louis Aragon a décrit cette avenue comme «l’avenue aux catalpas». En réalité, elle est bordée de paulownias dont les fleurs ressemblent à celles du catalpa.

Marguerite vécut pendant trente-quatre ans  une longue histoire d’amour clandestine avec Louis Andrieux et finit par devenir femme de lettres . D’abord traductrice de romans policiers anglais, elle écrira ensuite des romans à l’eau de rose pour plusieurs maisons d’édition et des magazines féminins. Elle réussira à vivre de sa plume et posèdera la carte de la Société des Gens de Lettres..

On sait peu de choses de la mère d’Aragon. Les sources sont maigres.  Le poète en a peu parlé. Roselyne Collinet-Waller a publié en 2001 aux Presses Universitaires de Strasbourg, l’étude Aragon et le père, romans. Mais, la vie de Marguerite semble une vie minuscule à une époque où les femmes bourgeoises se soumettaient à l’ordre familial. Nathalie Piégay a recréé sa vie, s’est rendue dans la plupart des lieux qu’elle a fréquenté. Elle parle avec empathie de cette femme que son fils a aimé, mais a un peu délaissé.

https://www.youtube.com/watch?v=vgJpnEclPLw

Grappe de fleurs de Paulownia.