No habrá una sola cosa que no sea
una nube. Lo son las catedrales
de vasta piedra y bíblicos cristales
que el tiempo allanará. Lo es la Odisea,
que cambia como el mar. Algo hay distinto
cada vez que la abrimos. El reflejo
de tu cara ya es otro en el espejo
y el día es un dudoso laberinto.
Somos los que se van. La numerosa
nube que se deshace en el poniente
es nuestra imagen. Incesantemente
la rosa se convierte en otra rosa.
Eres nube, eres mar, eres olvido.
Eres también aquello que has perdido.
Los conjurados, 1985.
Nuages I
Pas une chose au monde qui ne soit
nuage. Nuages, les cathédrales,
pierre imposante et bibliques verrières,
qu’aplanira le temps. Nuage l’Odyssée,
mouvante, comme la mer, neuve
toujours quand nous l’ouvrons. Le reflet
de ta face est un autre, déjà, dans le miroir
et le jour, un labyrinthe impalpable.
Nous sommes ceux qui partent. Le nuage
nombreux qui s’efface au couchant
est notre nuage. Telle rose
en devient une autre, indéfiniment.
Tu es nuage, tu es mer, tu es oubli.
Tu es aussi ce que tu as perdu.
Les Conjurés, Traduction par Claude Esteban. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Tome II.
■
Nubes II
Por el aire andan plácidas montañas
o cordilleras trágicas de sombra
que oscurecen el día. Se las nombra
nubes. Las formas suelen ser extrañas.
Shakespeare observó una. Parecía
un dragón. Esa nube de una tarde
en su palabra resplandece y arde
y la seguimos viendo todavía.
¿Qué son las nubes? ¿Una arquitectura
del azar? Quizá Dios las necesita
para la ejecución de Su infinita
obra y son hilos de la trama oscura.
Quizá la nube sea no menos vana
que el hombre que la mira en la mañana.
Los conjurados, 1985.
Nuages II
Passent dans l’air de placides montagnes
ou de tragiques massifs d’ombres,
offusquant le jour. On les nomme nuages.
Leurs formes sont étranges,
Shakespeare en observa une, qui ressemblait
à un dragon. Ce nuage d’une soirée
étincelle dans sa parole et flambe encore
et nous ne cessons plus de le voir.
Que sont-ils ces nuages? Architecture
du hasard? Dieu, peut-être, les veut ainsi
pour que Son œuvre infinie s’accomplisse.
Ils sont le fil de quelque trame obscure.
Le nuage, peut-être, est aussi vain
que l’homme qui le voit dans le matin.
Les Conjurés, Traduction par Claude Esteban. Oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. Tome II.
Muerte, vieja fisgona, solapada alcahueta, descarada inquilina de cuerpos aún calientes, militante secreta de la nada, boca oscura que a todos nos devoras y a todos nos trituras y a todos nos escupes convertidos en polvo: ya te estoy esperando, ya vi tu ojo de sangre sonreírme y me escupió tu rancio aliento el rostro. Por ti este sol que hace nacer las sombras duele tanto y el día se hace breve como un gesto; hace ya muchos días que por dentro te llevo, que por mí te derramas como un cáncer espeso. Aquí estoy, dócil presa a tu avidez rendida: arráncame los ojos con tu mano enlodada, prívame de la herida de la tarde, del oso embravecido que pinta aquella nube, de la mancha escarlata del envés de esta hoja. Devórame la piel, niégame el humo que al borde de la noche huele a infancia. Rompe todas las cuerdas, destruye los violines, gangrena las gargantas de los pájaros. Destroza mi estructura hueso a hueso, conviérteme en arena, en polvo, en nada, pero déjame, virgen asesina, la inocente ilusión de la palabra.
Première publication des huit premières strophes de La nuit de Moscou dans Les Lettres françaises n° 551, 13 janvier 1955 sous le titre “La nuit de Moscou/ Introduction à un petit essai sur le deuxième congrès des écrivains soviétiques” avec la précision “Fragment d’un poème en cours d’écriture”; elles étaient accompagnées d’un texte d’Aragon intitulé “Commentaire”, qui explique la déambulation nocturne et les liens unissant le poète à la capitale moscovite, croisant ainsi errance et notations politiques.
(Aragon. Oeuvres poétiques complètes. Tome II. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 2007. Edition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant.)
La nuit de Moscou
Ah dans ses propres pas que marcher est étrange
Comme tout a changé et comme rien ne change
Cette ville n’est plus la même après vingt ans
Et c’est toujours la même et c’est la même neige
Les étoiles des tours les longs murs le Manège
Mais la nuit n’est plus noire et j’ai les cheveux blancs
Je ne reconnais plus les endroits où je passe
Pouchkine a traversé depuis longtemps la place
Et maladroitement comme des mots écrits
Les grilles des jardins sur la candeur d’hiver
Semblent recopier pour les couples ses vers
Le long des boulevards faits pour la flânerie
Devant Tchaïkovski la rue est jaune et blanche
Décembre a souligné sa carrure et sa manche
À peine les frimas ont-ils poudré son front
Et le geste d’airain vient à jamais suspendre
Un air que la sculpture est seule pour entendre
Qu’un glissement de Zim pas même n’interrompt
Des sautoirs de clarté tracent les perspectives
L’ombre fuit sur les toits à cette heure tardive
Et multiple Babel a 1’assaut du néant
Au-dessus du lacis familier des venelles
Des édifices blonds postés en sentinelle
Étoilent la ténèbre à leur front de géant
Ô maisons de rondins Auvents verts Palissades
Le voyageur ici reconnaît les façades
La cour où le dvornik alors fendait du bois
Le décor a gardé la même architecture
Mais tout y a changé d’échelle et de mesures
Jusqu’à l’homme de chair et le son de sa voix
Ici tout a grandi tout a changé de rôle
Les ponts mêmes ont pris de la largeur d’épaule
Pour passer par-dessus la nouvelle Moskva
Les quais majestueux dans la pierre l’escortent
La rivière est profonde aux vapeurs qu’elle porte
Et naturellement à la Volga s’en va
Moscou ne cesse pas de croître et de bâtir
Et comme sur son lit se retourne et s’étire
Une femme en rêvant qui trahit ses pensées
Et cherche en son sommeil de nouvelles amours
Moscou de tous côtés étend ses membres lourds
Par les chantiers échelonnés de ses chaussées
Elle tient dans ses bras qu’en tous sens elle allonge
L’avenir son amant l’avenir dans ses songes
Et d’où Napoléon Bonaparte l’a vue
Sur la Butte-aux-Moineaux aujourd’hui Monts Lénine
L’avenir son enfant lui rit et s’illumine
Dans l’Université porteuse de statues
Ici j’ai tant rêvé marchant de l’avenir
Qu’il me semblait parfois de lui me souvenir
Et ma fièvre prenait dans mes mains sa main nue
Il chantait avec moi les mêmes chansons folles
Je sentais son haleine et déjà nos paroles
Traduisaient sans effort les choses inconnues
Ici j’ai tant aimé la nuit et le silence
Tant de fois égaré mes pas comme une enfance
Tant de fois à plaisir j’ai perdu mon chemin
Tant de fois retrouvé mes fantômes en loques
Ombres de mon passé dans un pereoulok
Dont le nom m’échappait comme l’eau de la main
Que j’ai finalement au fond de ma rétine
Confondu ce qui vient et ce que j’imagine
Sans savoir que tout songe est le deuil d’aujourd’hui
Que l’homme voit la flamme et ne peut pas la dire
Et s’il ne se perd plus où nos yeux se perdirent
Plus tard par d’autres feux ses yeux seront séduits
L’histoire entre nos doigts file à telle vitesse
Que devant ce qui fut demain dira Qu’était-ce
Oublieux des refrains ou notre cœur s est plu
Comment s’habituer à ce qui nous dépasse
Nous avons appelé notre cage l’espace
Mais déjà ses barreaux ne nous contiennent plus
Pour borner l’existence à notre témoignage
En vain de nos tombeaux nous marquons les gagnages
La luzerne franchit la pierre et se déploie
Et nos miroirs polis auront à reconnaître
Non les flambeaux défunts mais ceux-là qui vont naître
Et non pas notre songe et non pas notre loi
Dans ce siècle où la guerre atteignait au solstice
Les hommes plus profonde et noire l’injustice
Vers l’étoile tournaient leurs yeux d’étonnement
Et j’étais parmi eux partageant leur colère
Croyant l’aube prochaine à toute ombre plus claire
A tout pas dans la nuit croyant au dénouement
Étoile on oubliait les douleurs et la crainte
Le minotaure à ce détour du labyrinthe
Étoile comme une eau dans notre aridité
Toi qu’on pouvait toucher en montant la colline
Étoile si lointaine étoile si voisine
Étoile sur la terre étoile à ma portée
Je mettais son contraire au lieu de toute chose
J’imaginais la vie et ses métamorphoses
Comme une féerie énorme et machinée
C’était un jardin bleu tintant comme un cristal
Où les pieds fabuleux marchaient sur des pétales
Et cependant les fleurs jamais n’étaient fanées
J’attendais un bonheur aussi grand que la mer
Et de l’aube au couchant couleur de la chimère
Un amour arraché de ses chaînes impies
Mais la réalité l’entend d’une autre oreille
Et c’est à sa façon qu’elle fait ses merveilles
Tant pis pour les rêveurs tant pis pour l’utopie
Le printemps s’il fleurit et l’homme enfin s’il change
Est-ce opération des elfes ou des anges
Ou lignes de la main pour les chiromancies
On sourira de nous comme de faux prophètes
Qui prirent l’horizon pour une immense fête
Sans voir les clous perçant les paumes du Messie
On sourira de nous pour le meilleur de l’âme
On sourira de nous d’avoir aimé la flamme
Au point d’en devenir nous-mêmes l’aliment
Et comme il est facile après coup de conclure
Contre la main brûlée en voyant sa brûlure
On sourira de nous pour notre dévouement
Quoi je me suis trompé cent mille fois de route
Vous chantez les vertus négatives du doute
Vous vantez les chemins que la prudence suit
Eh bien j’ai donc perdu ma vie et mes chaussures
Je suis dans le fossé je compte mes blessures
Je n’arriverai pas jusqu’au bout de la nuit
Qu’importe si la nuit à la fin se déchire
Et si l’aube en surgit qui la verra blanchir
Au plus noir du malheur j’entends le coq chanter
Je porte la victoire au cœur de mon désastre
Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres
Je porte le soleil dans mon obscurité
Le 5 juin 1898, naissance de Federico García Lorca.
El 5 de junio de 1898 nacía Federico García Lorca.
LA AURORA
La aurora de Nueva York tiene
cuatro columnas de cieno
y un huracán de negras palomas
que chapotean las aguas podridas.
La aurora de Nueva York gime
por las inmensas escaleras
buscando entre las aristas
nardos de angustia dibujada.
La aurora llega y nadie la recibe en su boca
porque allí no hay mañana ni esperanza posible:
A veces las monedas en enjambres furiosos
taladran y devoran abandonados niños.
Los primeros que salen comprenden con sus huesos
que no habrá paraíso ni amores deshojados:
saben que van al cieno de números y leyes,
a los juegos sin arte, a sudores sin fruto.
La luz es sepultada por cadenas y ruidos
en impúdico reto de ciencia sin raíces.
Por los barrios hay gentes que vacilan insomnes
como recién salidas de un naufragio de sangre.
Poeta en Nueva York, 1940.
L’AURORE
L’aurore de New York a quatre colonnes de vase et un ouragan de noires colombes qui barbotent dans l’eau pourrie. L’aurore de New York gémit dans les immenses escaliers, cherchant parmi les angles vifs les nards de l’angoisse dessinée. L’aurore vient et nul ne la reçoit dans sa bouche parce qu’il n’y a là ni matin ni possible espérance. Parfois les pièces de monnaie en essaims furieux percent et dévorent des enfants abandonnés. Les premiers qui sortent comprennent dans leurs os qu’il n’y aura ni paradis ni amours effeuillés; ils savent qu’ils vont à la fange des nombres et des lois, aux jeux sans art, aux sueurs sans fruit. La lumière est ensevelie sous les chaînes et les bruits en un défi impudique de science sans racines. Il y a par les faubourgs des gens qui titubent d’insomnie comme s’ils venaient de sortir d’un naufrage de sang.
Pourquoi ne pas mettre sur ce blog des poèmes que presque tout le monde connaît?
Roman
I
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. – Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants! – On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin!
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière;
Le vent chargé de bruits, – la ville n’est pas loin, –
A des parfums de vigne et des parfums de bière…
II
-Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon D’azur sombre, encadré d’une petite branche, Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche…
Nuit de juin! Dix-sept ans! – On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…
III
Le coeur fou Robinsonne à travers les romans, – Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants, Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…
Et, comme elle vous trouve immensément naïf, Tout en faisant trotter ses petites bottines, Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif… – Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…
IV
Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août. Vous êtes amoureux. – Vos sonnets La font rire. Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût. – Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire…!
-Ce soir-là,… – vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade… – On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
Yvon le Men a lu le poème Solo sur Radio-Armorique, le jour de l’Ascension, en 1981, quelques mois avant la mort de Xavier Grall. Depuis, il déclame souvent les poèmes du poète breton.
Prologue de Besoin de poème, Editions du Seuil, 2006.
“Je fus le premier lecteur et diseur de ce poème. j’ai fait corps avec lui sans aucune distance, sans aucune protection. Vingt ans plus tard, je confirme ma chance de l’avoir lu, mon choix de l’avoir dit. Jamais prière ne fut plus juste, plus humble, plus incarnée par un corps aussi désincarné, par un homme aussi épuisé. A chaque phrase, Xavier lampait une gorgée d’air puis rejetait une gorgée de mots. jamais poème ne fut plus inspiré, jamais le mot respiration ne prit autant sa place entre inspiration et expiration. jamais souffle ne fut aussi essoufflé.”
Solo
Seigneur me voici c’est moi je viens de petite Bretagne mon havresac est lourd de rimes de chagrins et de larmes j’ai marché Jusqu’à votre grand pays ce fut ma foi un long voyage trouvère j’ai marché par les villes et les bourgades François Villon dormait dans une auberge à Montfaucon dans les Ardennes des corbeaux et des hêtres Rimbaud interpellait les écluses les canaux et les fleuves Verlaine pleurait comme une veuve dans un bistrot de Lorraine Seigneur me voici c’est moi de Bretagne suis ma maison est à Botzulan mes enfants mon épouse y résident mon chien mes deux cyprès y ont demeurance m’accorderez-vous leur recouvrance ? Seigneur mettez vos doigts dans mes poumons pourris j’ai froid je suis exténué O mon corps blanc tout ex-voté j’ai marché les grands chemins chantaient dans les chapelles les saints dansaient dans les prairies parmi les chênes erraient les calvaires O les pardons populaires O ma patrie j’ai marché j’ai marché sur les terres bleues et pèlerines j’ai croisé les albatros et les grives mais je ne saurais dire jusqu’aux cieux l’exaltation des oiseaux tant mes mots dérivent et tant je suis malheureux
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs
Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années?
Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine!
Seigneur me voici c’est moi
j’arrive de lointaine Bretagne
O ma barque belle
parmi les bleuets et les dauphins
les brumes y sont plus roses
que les toits de l’Espagne
je viens d’un pays de marins
les rêves sur les vagues
sont de jeunes rameurs
qui vont aux îles bienheureuses
de la grande mer du Nord
Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports
je viens d’un pays chrétien
ma Galilée des lacs et des ajoncs
enchante les tourterelles
dans les vallons d’avril
me voici Seigneur devant votre face
sainte et adorable
mendiant un coin de paradis
parmi les poètes de votre extrace
si maigre si nu
je prendrai si peu de place
que cette grâce
je vous supplie de l’accorder
au pauvre hère que je suis
ayez pitié Seigneur
des bardes et des bohémiennes
qui ont perdu leur vie
sur le chemin des auberges
nulle orgue grégorienne
n’a salué leur trépas
pour ceux qui meurent
dans les fossés
une feuille d’herbe dans la bouche
le cœur troué d’une vielle peine
de lourdes larmes dans le paletot
et dans les veines des lais et des rimes
Seigneur ayez pitié!
La mort vient tôt frapper à notre porte les vents d’hiver emportent les poitrinaires et pour flétrir les pâles primevères il suffit que l’ondée se conforte d’un peu de givre et de Galerne la vie s’en va la vie s’en vient ma belle passante mon étrangère la vie s’en vient la vie s’en va lonla lonlaine et caetera S SOL L O ma rose des vents mon signe de croix S O ILE O Mon ex-voto dans la crypte marine chantez saxos S O L FOL stèle et fanal flamme amer du littoral signe vertical de la raison face aux fatales démences de la mer et des lames
J’aurais aimé chanter le triomphe des marées à la corne des caps et la douceur des plages dans les criques pélagiennes un orchestre de pianistes et de harpeurs eût repris le thème de l’antienne car je portais dans mon sang mystique des hymnes marins et des fureur liturgiques j’aurais aimé chanter les varechs verts les germons bleus les daurades d’or les couleurs et les chaos par la harpe et le saxo mon Dieu je vous adore Orgues de Benjamin Britten Cuivres de Ludwig Van Beethoven Les symphonies fusent dans les rocs d’Ouessant les tintamarres furieux fracassent les brisants qui dira les sonorités multicolores dans la gorge des rias les corps morts dansent les cormorans fustigent les amarres les coques des naufrages cognent dans les baies des oiseaux hurleurs descendent dans mes veines mon âme est cette porte battante ouverte sur la mer j’attends la fuite des vents à la renverse paix sur les noyés et les goémons paix sur les îles et les quais mon cœur tranquille caboulot à la bonne brise au-dessus des limons affiche son enseigne «Au repos du marin»
Solo
Solo de mes noyades solo de mes sanglots j’agite des violons brisé sur mes amours mortes mes barques chavirées accrochent des grelots aux chagrins sourds qui lentement m’emportent Solo Solo d’oraisons ferventes il m’arrive de prier dans les églises défuntes Notre-Dame des poètes mère des Atlantes pitié pour ce voilier perdu au large des pâles limbes Solo Solo de mes années passantes haleurs et musiciens désertent les bordées mon âme est cette Marie-Galante que défoncent les vins et les rhums boucanés
Solo
Solo de mes pensées dolentes
musiques enfuies motets anciens
tout périt dans les marées violentes
l’Océan tracasse des pianos
à la gueule des chiens
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous issu d’un pays de mer
les tempêtes ont réjoui mon amère jeunesse
la liesse des alizés roulait dans les collèges
les goélands croisaient dans mes classes latines
des Maris Stella à matines
éclataient dans les nefs
les noroîts jouaient de l’harmonium
délirium du graduel
cantique des grèves ivres
O les navires et les chapelles
Etoile de la mer
Qu’ai-je fait de ma chère jeunesse?
Seigneur me voici c’est moi
dans les bonnes auberges
j’ai traîné ma détresse
les bouteilles entonnaient des pavanes
dans les verres je buvais des rengaines
les bars roulaient comme des rivières
j’ai prié comme jamais dans les ivresses
faisant des femmes des suzeraines
qu’elles fussent allemandes
bretonnes françaises
leur beauté glorifiée par l’absinthe
dissolvait la bassesse
c’était ma tournée aux tables saintes
Seigneur
les bars chantent toujours dans les villes
ma santé trop vile les déserte
je ne vois plus les Belles
qu’au fond de ma mémoire
Brestoises Rhénanes ou Parisiennes
elles ont quitté mon domaine
fermons les persiennes
sur mes cinquante et une années
j’écrase les feuilles mortes
dans les allées
les temps ronge les vies et les grimoires
adieu les Reines les bars et camarades
je tiens comme un pourboire
votre souvenir
adieu mes fêtes et mes délires
adieu mes désirades
……………………………………………………….
Seigneur Dieu
A mes frères et amis
Aux femmes que j’ai aimées
A tous ceux que mon cœur à croisés
Avant que d’entrer dans les ténèbres
Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire
Nul chant nul solo
Nulle symphonie nul concerto
Qui porte nostalgie d’amour
Et soif et faim de tendresse
Ne sera perdu dans la détresse de lamer
Voilà et puis encore ceci
Par la dernière larme
Par l’ultime halètement
Par le dernier frémissement
Par le moineau qui s’envole
Par le geai sur la branche
Par la dernière chanson
Par la joie dans la grange
Par le vent qui se lève
Par le matin qui vient
Tout simplement
Je vous rends grâce
D’avoir été dans le bondissement incroyable
De votre création
Et misérable
Oui
Tout simplement
Un être humain
Parmi les milliards et les milliards
De vos créatures
A présent que les feuilles et les mains
De douce Nature
Me closent les yeux !
Mais Seigneur Dieu
Comme la vie était jolie
En ma Bretagne bleue !”
Solo et autres poèmes, Editions Calligrammes, 29000 Quimper 1981.
Yvon Le Men (Tréguier, Côtes d’Armor, 1953), Prix Goncourt de la Poésie 2019, cite ce poème si célèbre de Victor Hugo ce matin à la radio…Il vit à Lannion.
Demain, dès l’aube…
XIV
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
3 septembre 1847.
Pauca meae (quelques vers pour ma fille), livre quatrième Les Contemplations. 1856.
Victor Hugo et Juan Ramón Jiménez. Peu de points communs entre les deux poètes à première vue. Pourtant, El viaje definitivo de J.R.J., relu aujourd’hui, me rappelle la thématique de Soleils couchants de Victor Hugo, posté hier.
Juan Ramón Jiménez est né le 23 décembre 1881 au numéro 2 de la calle de la Ribera à Moguer (Huelva). Il a notamment développé l’idée de la «poésie pure» avec un lyrisme très intellectuel. Son récit poétique le plus célèbre Platero y yo, sous-titré Elegía andaluza, a été publié en 1917.
Quand il arrive à Madrid en 1903, il contacte la Institución Libre de Enseñanza fondée par Francisco Giner de los Ríos (1839-1915). Cette institution a été créée pour défendre la liberté d’enseignement en dehors de tout dogme religieux. Elle se veut un complément éducatif à l’université et souhaite former les enfants des classes dirigeantes libérales. En 1913, Juan Ramón Jiménez loge à la Residencia de Estudiantes de Madrid, calle Fortuny n°14. Elle a été créée en 1910, puis déménage en 1915 sur la Colina los Chopos (Pinar, 21-23). Ce dernier nom fut donné par Juan Ramón Jiménez lui-même. Le poète andalou fera aménager el Jardín de Adelfas et sera aussi le responsable des publications de l’institution en 1914-1915.
Juan Ramón Jiménez, connu pour son mauvais caractère, eut pourtant une grande influence sur les poètes de la Génération de 1927. En 1936, il soutient la République en accueillant plusieurs orphelins dans une de ses maisons. Il ne se sent pas en sûreté à Madrid. Avec l’aide de Manuel Azaña, le Président de la République, lui et sa femme parviennent à partir de la capitale par la voie diplomatique. Il s’installe à Washington comme attaché aux affaires culturelles. Agé et malade, il reçoit le Prix Nobel de Littérature le 25 octobre 1956.
El viaje definitivo (Juan Ramón Jiménez)
Y yo me iré. Y se quedarán los pájaros cantando. Y se quedará mi huerto con su verde árbol, y con su pozo blanco.
Todas las tardes el cielo será azul y plácido,
y tocarán, como esta tarde están tocando,
las esquilas del campanario.
Se morirán aquellos que me amaron
y el pueblo se hará nuevo cada año;
y lejos del bullicio distinto, sordo, raro
del domingo cerrado,
del coche de las cinco, de las barcas del baño,
en el rincón oculto de mi huerto encalado,
entre la flor, mi espíritu errará callando.
Y yo me iré, y seré otro, sin hogar, sin árbol verde, sin pozo blanco, sin cielo azul y plácido… Y se quedarán los pájaros cantando.
Corazón en el viento en Poemas agrestes, 1910-1911.
Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées ;
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit!
Tous ces jours passeront; ils passeront en foule
Sur la face des mers, sur la face des monts,
Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule
Comme un hymne confus des morts que nous aimons.
Et la face des eaux, et le front des montagnes,
Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts
S’iront rajeunissant; le fleuve des campagnes
Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers.
Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,
Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,
Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête,
Sans que rien manque au monde, immense et radieux !
Je reprends ici le poème de Cernuda qui doit beaucoup aux surréalistes français, mais cette fois avec la très bonne traduction de Jacques Ancet, publiée en 1972 dans sa monographie Luis Cernuda pour la mythique collection des éditions Pierre Seghers Poètes d’aujourd’hui (n°207).
Si el hombre pudiera decir
Si el hombre pudiera decir lo que ama,
Si el hombre pudiera levantar su amor por el cielo
Como una nube en la luz;
Si como muros que se derrumban,
Para saludar la verdad erguida en medio,
Pudiera derrumbar su cuerpo, dejando sólo la verdad de su amor,
La verdad de sí mismo,
Que no se llama gloria, fortuna o ambición,
Sino amor o deseo,
Yo sería aquel que imaginaba;
Aquel que con su lengua, sus ojos y sus manos
Proclama ante los hombres la verdad ignorada,
La verdad de su amor verdadero.
Libertad no conozco sino la libertad de estar preso en alguien
Cuyo nombre no puedo oír sin escalofrío;
Alguien por quien me olvido de esta existencia mezquina,
Por quien el día y la noche son para mí lo que quiera,
Y mi cuerpo y espíritu flotan en su cuerpo y espíritu
Como leños perdidos que el mar anega o levanta
Libremente, con la libertad del amor,
La única libertad que me exalta,
La única libertad por que muero.
Tú justificas mi existencia:
Si no te conozco, no he vivido;
Si muero sin conocerte, no muero, porque no he vivido.
13 de abril de 1931.
Los placeres prohibidos (1931)
Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime
Si l’homme pouvait dire ce qu’il aime,
Si l’homme pouvait élever son amour au ciel
Comme un nuage dans la lumière;
Si comme murs qui s’écroulent,
Pour saluer la vérité dressée au milieu,
Il pouvait détruire son corps, ne laissant que la vérité de son amour,
La vérité de lui-même,
Qui ne s’appelle ni gloire, ni fortune, ni ambition,
Mais amour ou désir,
Je serais celui que j’imaginais;
Celui qui de sa langue, de ses yeux et de ses mains
Proclame devant les hommes la vérité ignorée,
La vérité de son véritable amour.
Je ne connais d’autre liberté que celle d’être le captif d’un être
Dont je ne peux entendre le nom sans frisson;
Un être par qui j’oublie cette existence mesquine,
Par qui le jour et la nuit sont pour moi ce qu’il voudra,
Et mon corps et mon esprit flottent dans son corps et son esprit
Comme des planches perdues que la mer engloutit ou élève,
Librement, avec la liberté de l’amour,
L’unique liberté qui m’exalte,
L’unique liberté pour quoi je meurs.
Tu justifies mon existence:
Si je ne te connais pas, je n’ai pas vécu;
Si je meurs sans te connaître, je ne meurs pas, car je n’ai pas vécu.