Cuando no sabía aún que yo vivía en unas manos, ellas pasaban sobre mi rostro y mi corazón.
Yo sentía que la noche era dulce como una leche silenciosa. Y grande. Mucho más grande que mi vida. Madre: era tus manos y la noche juntas. Por eso aquella oscuridad me amaba.
No lo recuerdo pero está conmigo. Donde yo existo más, en lo olvidado, están las manos y la noche. A veces, cuando mi cabeza cuelga sobre la tierra y ya no puedo más y está vacío el mundo, alguna vez, sube el olvido aún al corazón. Y me arrodillo a respirar sobre tus manos. Bajo y tú escondes mi rostro; y soy pequeño; y tus manos son grandes; y la noche viene otra vez, viene otra vez. Descanso de ser hombre, descanso de ser hombre.
Blues castellano, 1982
Je tombe sur des mains
Quand je ne savais pas encore que j’habitais dans des mains, elles passaient sur mon visage et sur mon cœur.
Je sentais que la nuit était douce comme un lait silencieux. Et grande. Bien plus grande que ma vie. Mère : C’était tes mains et la nuit ensemble. Voila pourquoi cette obscurité m’aimait.
Je ne me souviens pas mais ça reste avec moi. Là où j’existe le plus, dans l’oublié, se trouvent les mains et la nuit. Parfois, quand ma tête est penchée vers la terre et je n’en peux plus et il est vide le monde, quelque fois, l’oubli remonte encore vers le cœur.
Et je m’agenouille pour respirer sur tes mains. Je descends et tu caches mon visage ; et je suis tout petit ; et tes mains sont grandes ; et la nuit vient encore une fois, vient encore une fois. Je me repose d’être un homme, je me repose d’être un homme.
Blues castillan. Traduction de Jacques Ancet, Éditions José Corti, 2004.
Antonio Gamoneda est né dans les Asturies à Oviedo en 1931. Il vit à León depuis 1934. Son père meurt en 1932. Sa mère l’élève dans une banlieue ouvrière, en proie à toutes sortes de difficultés matérielles. Il doit abandonner ses études en 1943 et travailler comme coursier dès 1945. Il a une formation d’autodidacte et a connu l’extrême pauvreté de l’après-guerre et la répression franquiste. Il a obtenu de nombreux prix dont le Prix Cervantès en 2006. Il a publié deux tomes de mémoires: Un armario lleno de sombra (2009) et Lapobreza (2020). Galaxia Gutemberg. Círculo de Lectores.
Principales traductions en français : Poèmes, traduction Roberto San Geroteo, Noire et blanche, numéro spécial, 1995. Livre du froid, traduction et présentation Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, 1996, Antoine Soriano Editeur. 2e éd. 2005. Pierres gravées, Jacques Ancet, Lettres Vives, 1996. Substances, limites, in Nymphea, traduction Jacques Ancet, La Grande Os, 1997. Cahier de mars, traduit par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 1997. Blues castillan, traduction Roberto San Geroteo, Noire et Blanche, 1998. Froid des limites, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2000. Description du mensonge (extraits), traduction Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Myrrdin, 2002. Pétale blessé, traduction Claude Houy, Trames, 2002. Blues castillan, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004. Description du mensonge, traduction et présentation Jacques Ancet, José Corti, 2004. Passion du regard, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2004. De l’impossibilité, traduction Amelia Gamoneda, préface Salah Stétié, Fata Morgana, 2004. Clarté sans repos, traduction et présentation Jacques Ancet, Arfuyen, 2006. Cecilia, traduction et présentation Jacques Ancet, Lettres Vives, 2006. Le livre des poisons, traduction Jean-Yves Bériou. Actes Sud, 2009.
Jeudi 14 mars visite de l’exposition Vera Molnár Parler à l’oeil au Centre Pompidou. Elle est visible du 28 février au 26 août 2024.
Vera Molnár, artiste française d’origine hongroise, est née Veronica Gács à Budapest le 5 janvier 1924. En 1947, elle s’installe à Paris avec son mari François Molnár (1922-1993). Elle est morte il y a peu à Paris, le 7 décembre 2023, dans la chambre de sa maison de retraite du 14e arrondissement.
Elle s’inscrit dans le courant de l’abstraction géométrique. Informaticienne avant l’heure, elle met en place dès 1959 un mode de production qu’elle nomme “Machine imaginaire”, protocole d’élaboration des formes à partir de contraintes mathématiques simples, mais riche d’infinis possibles . En 1961, elle cofonde le Groupe de recherche d’art visuel avec notamment son mari et le plasticien François Morellet (1926-2016). Elle devient en 1968 la première artiste en France à produire des dessins par ordinateur. Elle travaillait à la fin de sa vie à des vitraux pour l’abbaye de Lérins, sur l’île Saint-Honorat, en face de Cannes (Alpes-Maritimes)
Elle a été reconnue tardivement. Elle rappelait avec humour la phrase du peintre français, d’origine russe, Serge Poliakoff (1900-1969) : “La vie d’un peintre, c’est très simple, il n’y a que les soixante premières années qui sont dures.” Malevitch et Mondrian l’ont toujours fascinée. Elle admirait Le Corbusier et Fernand Léger.
Une de ses oeuvres exposées s’appelle OTTWW 1984-2010 (fil noir, clous. Paris, centre Pompidou). Elle a attiré mon attention. Le carton dit ceci : ” Conçue pour un Festival du vent à Caen, cette installation s’inspire d’un poème fameux du poète romantique anglais Percy Bysshe Shelly, Ode to the West Wind (1820), auquel Vera Molnár est attachée. Résultant d’un algorithme créé par l’artiste, les formes angulaires sont issues d’une figure mathématique reprenant la lettre W. Elles se déploient sur le mur à l’aide d’un fil de coton continu passant de clous en clous, comme les feuilles emportées par le souffle du vent évoquées par le poète. “
J’ai relu ce poème qui se trouve dans l‘Anthologie bilingue de la poésie anglaise (Bibliothèque de la Pléiade, NRF, 2005). La plupart des poèmes de Shelley qui y figurent ont été publiées dans une très belle édition en 2006 : Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions, collection La Salamandre. Les traductions sont de Robert Ellrodt.
Ode au vent d’ouest (Percy Bysshe Shelley)
I
Ô Vent d’ouest sauvage, âme et souffle de l’automne, Toi qui, par ton invisible présence, chasses Les feuilles mortes, fantômes fuyant un enchanteur,
Jaunes et noires et pâles, et rouges de fièvre, Multitudes frappées de pestilence ! Ô toi Qui transportes jusqu’à leur sombre lit d’hiver
Les semences aillées qui, froides, y reposent, Chacune comme un mort en sa tombe, attendant Que ta Sœur azurée de Printemps sonne enfin
Son clairon sur la terre qui rêve, et menant Les troupeaux des bourgeons délicats paître l’air, Remplisse plaine et monts de couleurs et d’odeurs
Vivantes, sauvage Esprit, qui te meus en tous lieux, Qui détruis et préserves, entends ! Ô entends-moi !
II
Toi dont le flux dans les hauteurs du ciel arrache Les nuages, comme les feuilles sèches de la Terre, Aux branches mêlées du Ciel et de l’Océan,
Messagers de la pluie et l’éclair, tu déploies Á la surface bleue de ta houle aérienne, Tels les cheveux brillants soulevés sur la tête
De quelque Ménade farouche, du bord obscur De l’horizon jusqu’à la hauteur du zénith, Les tresses de la tempête proche. Toi, chant funèbre
De l’an qui meurt, et sur lequel la nuit qui tombe Se referme comme le vaste dôme d’un sépulcre, Surplombé par toute la puissance assemblée
De tes vapeurs, dense atmosphère d’où jailliront La pluie noire et le feu et la grêle, entends-moi !
III
Toi qui sus éveiller de ses rêves d’été La Méditerranée lisse et bleue, assoupie Dans les calmes remous de ses flots cristallins,
Près d’une île de ponce dans la baie de Baïes, Et vis dans leur sommeil palais et tours antiques Trembler dans la lumière plus vive de la vague,
Tout tapissés de mousse et de fleurs azurées, Si douces que les sens à les peindre défaillent ! Toi pour qui l’Atlantique aux flots étales s’ouvre,
Découvrant des abîmes, au plus profond desquels Les floraisons des mers et les bois ruisselants, Feuillage sans sève de l’Océan, reconnaissent
Ta voix, et deviennent soudain gris de frayeur, Et frémissent et se dépouillent, oh, entends-moi !
IV
Si j’étais feuille morte que tu puisses porter, Nuage assez rapide pour voler avec toi, Ou vague palpitant sous ta puissance, soumis
Par ta force à la même impulsion et à peine Moins libre que toi, l’Irréductible ; si j’étais Au moins ce que jeune je fus, et pouvais être
Ton compagnon en tes errances dans le Ciel Comme au temps où dépasser ton vol éthéré Semblait à peine un rêve, je n’aurais avec toi,
Ainsi lutté en t’invoquant dans ma détresse. Oh ! ainsi qu’une vague, une feuille, un nuage, Emporte-moi ! Sur les épines de la vie
Je tombe et saigne ! Le lourd fardeau du temps m’enchaîne, Trop pareil à toi-même : indompté, prompt et fier.
V
Fais donc de moi ta lyre comme l’est la forêt. Qu’importe si mes feuilles tombent comme les siennes ! Le tumulte harmonieux de tes puissants accords
Tirera de nous deux un son grave, automnal, Doux même en sa tristesse. Deviens, âme farouche, Mon âme ! Deviens moi-même, ô toi l’impétueux !
Disperse à travers l’univers mes pensées mortes, Ces feuilles flétries, pour que renaisse la vie, Et par la seule incantation de ce poème
Propage comme à partir d’un âtre inextinguible, Cendres et étincelles, mes mots parmi les hommes Par ma bouche, pour la Terre non encore éveillée,
Sois la trompette d’une prophétie. Ô vent ! Si vient l’Hiver, le Printemps peut-il être loin ?
Poèmes. Imprimerie Nationale Éditions. Collection La Salamandre. 2006. Traduction Robert Ellrodt.
Ode to the West Wind
I
O wild West Wind, thou breath of Autumn’s being, Thou, from whose unseen presence the leaves dead Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,
Yellow, and black, and pale, and hectic red, Pestilence-stricken multitudes: O thou, Who chariotest to their dark wintry bed
The winged seeds, where they lie cold and low, Each like a corpse within its grave, until Thine azure sister of the Spring shall blow
Her clarion o’er the dreaming earth, and fill (Driving sweet buds like flocks to feed in air) With living hues and odours plain and hill:
Wild Spirit, which art moving everywhere; Destroyer and preserver; hear, O hear!
II
Thou on whose stream, ‘mid the steep sky’s commotion, Loose clouds like Earth’s decaying leaves are shed, Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,
Angels of rain and lightning: there are spread On the blue surface of thine aery surge, Like the bright hair uplifted from the head
Of some fierce Maenad, even from the dim verge Of the horizon to the zenith’s height, The locks of the approaching storm. Thou Dirge
Of the dying year, to which this closing night Will be the dome of a vast sepulchre, Vaulted with all thy congregated might
Of vapours, from whose solid atmosphere Black rain, and fire, and hail will burst: O hear!
III
Thou who didst waken from his summer dreams The blue Mediterranean, where he lay, Lulled by the coil of his crystalline streams,
Beside a pumice isle in Baiae’s bay, And saw in sleep old palaces and towers Quivering within the wave’s intenser day,
All overgrown with azure moss and flowers So sweet, the sense faints picturing them! Thou For whose path the Atlantic’s level powers
Cleave themselves into chasms, while far below The sea-blooms and the oozy woods which wear The sapless foliage of the ocean, know
Thy voice, and suddenly grow grey with fear, And tremble and despoil themselves: O hear!
IV
If I were a dead leaf thou mightest bear; If I were a swift cloud to fly with thee; A wave to pant beneath thy power, and share
The impulse of thy strength, only less free Than thou, O uncontrollable! If even I were as in my boyhood, and could be
The comrade of thy wanderings over Heaven, As then, when to outstrip thy skiey speed Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven
As thus with thee in prayer in my sore need. Oh! lift me as a wave, a leaf, a cloud! I fall upon the thorns of life! I bleed!
A heavy weight of hours has chained and bowed One too like thee: tameless, and swift, and proud.
V
Make me thy lyre, even as the forest is: What if my leaves are falling like its own! The tumult of thy mighty harmonies
Will take from both a deep, autumnal tone, Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce, My spirit! Be thou me, impetuous one!
Drive my dead thoughts over the universe Like withered leaves to quicken a new birth! And, by the incantation of this verse,
Scatter, as from an unextinguished hearth Ashes and sparks, my words among mankind! Be through my lips to unawakened Earth
The trumpet of a prophecy! O Wind, If Winter comes, can Spring be far behind?
Ode écrite à Florence fin 1819. Publiée avec The Sensitive, The Cloud, To a Skylark dans Prometheus Unbound, with Other Poems. Août 1820.
Je relis le poète argentin Roberto Juarroz (1925-1995)…
« Habría que dejar libros en todas partes. Seguramente en uno u otro momento, alguien los abrirá. Y hacer lo mismo con la poesía: dejar poemas en todas partes, ya que sin duda alguien los reconocerá en algún momento. »
« La poesía es la sinceridad con que habla en nosotros lo que no conocemos. Única vía veraz de aquello que cimienta nuestra ignorancia. »
Roberto Juarroz, Fragments verticaux, José Corti, 1993.
« Il faudrait laisser des livres partout. A un moment ou un autre quelqu’un les ouvrira sans doute. Et faire de même avec la poésie : laisser des poèmes partout, puisque quelqu’un les reconnaîtra sûrement un jour. »
« La poésie, c’est la sincérité avec laquelle parle en nous ce que l’on ne connaît pas. Unique voie véridique de ce qui cimente notre ignorance. »
21
A veces parece que estamos en el centro de la fiesta. Sin embargo, en el centro de la fiesta no hay nadie. En el centro de la fiesta está el vacío.
Pero en el centro del vacío hay otra fiesta.
Duodécima poesía vertical, 1991.
On dirait parfois que nous sommes au centre de la fête. Cependant au centre de la fête il n’y a personne. Au centre de la fête c’est le vide.
El hormigón amenaza el Cerro de los Moros, el paraje de Soria que inspiró a Machado y a Bécquer. Varias asociaciones vecinales critican el plan de construir 1.300 viviendas en unas lomas de gran valor cultural y paisajístico (El País, 26 février 2024).
Antonio Machado, Gustavo Alfonso Bécquer, Gerardo Diego ont été inspirés par ce magnifique paysage de Castille. La spéculation immobiliaire prévoit la construction de 1304 logements (4000 habitants). Soria est une ville de moins de 40 000 habitants. La Asociación Soriana de Defensa de la Naturaleza (Asden), los Amigos del Museo Numantino, Hacendera y Soria por el Futuro (Ricardo Mínguez, Carmen Heras, José Francisco Yusta y Luis Giménez) luttent depuis des années pour protéger cet environnement extraordinaire. Merci à eux !
VIII He vuelto a ver los álamos dorados, álamos del camino en la ribera del Duero, entre San Polo y San Saturio, tras las murallas viejas de Soria – barbacana hacia Aragón, en castellana tierra -.
Estos chopos del río, que acompañan con el sonido de sus hojas secas el son del agua cuando el viento sopla, tienen en sus cortezas grabadas iniciales que son nombres de enamorados, cifras que son fechas.
¡ Álamos del amor que ayer tuvisteis de ruiseñores vuestras ramas llenas; álamos que seréis mañana liras del viento perfumado en primavera; álamos del amor cerca del agua que corre y pasa y sueña, álamos de las márgenes del Duero, conmigo váis, mi corazón os lleva !
Campos de Castilla, 1912.
Terres de Soria
VIII
Je suis revenu voir les peupliers dorés, Peupliers du chemin sur le rivage du Douro, entre San Polo et San Saturio, au-delà des vieilles murailles de Soria – barbacane tournée vers l’Aragon, en terre castillane.
Ces peupliers de la rivière, qui accompagnent du bruissement de leurs feuilles sèches le son de l’eau, quand le vent souffle, ont sur l’écorce, gravées, des initiales qui sont des noms d’amoureux, des chiffres qui sont des dates. Peupliers de l’amour dont les branches hier étaient remplies de rossignols; peupliers qui serez demain les lyres du vent parfumé au printemps; peupliers de l’amour près de l’eau qui coule, passe et songe, peupliers des berges du Douro, vous êtes en moi, mon coeur vous emporte !
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi des Poésies de la guerre. 2004. Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé. NRF Poésie/ Gallimard n°144.
Antonio Machado est mort il y a 85 ans, le 22 février 1939 à Collioure. C’était le mercredi des Cendres. Le 5 mai 1941, il est expulsé post-mortem de sa chaire de professeur de lycée par les autorités franquistes. Il ne sera réhabilité comme professeur qu’en 1981. Son corps sera transféré le 16 juillet 1958 dans une autre tombe, achetée grâce à des dons venant du monde entier. Parmi les donateurs : Pau Casals, Albert Camus, André Malraux, René Char. Sur la pierre tombale se trouve depuis des décennies une boîte aux lettres qui ne désemplit pas.
“Hoy es siempre todavía”
CXX
Dice la esperanza: un día la verás, si bien esperas. Dice la desesperanza: sólo tu amargura es ella. Late, corazón… No todo se lo ha tragado la tierra.
Campos de Castilla, 1907-17
CXX Un jour tu la verras, dit l’espérance, si tu sais espérer. Et la désespérance : elle n’est rien que ta souffrance. Et le cœur bat… La terre n’a pas tout emporté.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. NRF Poésie/Gallimard n°144. 2004. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé.
Raquel Lanseros est née à Jerez de la Frontera, España en 1973. Prix National de la Critique pour Matria (Madrid, Visor, 2018). Une anthologie récente : Sin ley de gravedad. Poesía reunida (2005-2022), Madrid, Visor, 2018.
22 de febrero (Raquel Lanseros)
Estos días azules y este sol de la infancia (Antonio Machado)
La poesía es azul aunque a veces la vistan de luto. Viento del sur escultor de cipreses ahoga la tierra honda de dolor y de rabia.
Abel Martín, conciencia en desbandada pájaro entre dos astros nombrador primigenio de las cosas. Juan de Mairena íntegro espejo limpio donde se refleja el rostro que tenemos de verdad.
Nos dejaste la vida la palabra fecunda la desnudez, la brisa. Nos dejaste las hojas y el rocío el mar las instrucciones para aprender a andar sobre las aguas.
Y después te marchaste. Mejor dicho: te echaron a empujones. Siempre molestan los ángeles perdidos.
Dicen que desde entonces en Collioure no ha dejado jamás de ser invierno.
Croniria. Hiperión, Madrid, 2009. El éxodo de las nubes.
SAZÓN
Ya está todo en sazón. Me siento hecha,
me conozco mujer y clavo al suelo
profunda la raíz, y tiendo en vuelo
la rama, cierta en ti, de su cosecha.
¡Cómo crece la rama y qué derecha!
Todo es hoy en mi tronco un solo anhelo
de vivir y vivir: tender al cielo,
erguida en vertical, como la flecha
que se lanza a la nube. Tan erguida
que tu voz se ha aprendido la destreza
de abrirla sonriente y florecida.
Me remueve tu voz. Por ella siento
que la rama combada se endereza
y el fruto de mi voz se crece al viento.
Arte y parte. Madrid,Colección Adonais.1961.
https://paulatinygriego.wordpress.com/2021/07/13/poesia-maria-victoria-atencia.sazon/
Lettre écrite par le poète à la vieille de sa mort à Nimet Eloui Bey.
” Madame, oui, misérablement, horriblement malade, et douloureusement jusqu’à un point que je n’ai jamais osé imaginer. C’est cette souffrance déjà anonyme, que les médecins baptisent, mais qui, elle, se contente à nous apprendre trois ou quatre cris où notre voix ne se reconnaît point. Elle qui avait l’éducation des nuances !
Point de fleurs, Madame, je vous en supplie, leur présence excite les démons dont la chambre est pleine. Mais ce qui m’est venu avec les fleurs, s’ajoutera la grâce de l’invisible. Oh merci !
(mercredi) 29 décembre 1926. “
La dernière amitié de Rainer Maria Rilke. Arguments, Les vies imaginaires. 2023.
Rainer Maria Rilke est décédé des suites d’une leucémie le 29 décembre 1926 dans un sanatorium de Val-Mont, au-dessus de Montreux (Suisse). Il est enterré au cimetière de Rarogne. Il avait rencontré Nimet Eloui Bey en 1926 à Lausanne. Celle-ci, de souche circassienne ou tcherkesse, était née vers 1903 au Caire. Elle avait épousé à 18 ans Aziz Eloui Bey, riche homme d’affaires égyptien que la photographe Lee Miller lui ravit. Elle est morte à Neuilly le 4 août 1943.
De niño, entre las pobres guaridas de la tierra, quieto en ángulo oscuro, buscaba en ti, encendida guirnalda, mis auroras futuras y furtivos nocturnos, y en ti los vislumbraba, naturales y exactos, también libres y fieles, a semejanza mía, a semejanza tuya, eterna soledad.
Me perdí luego por la tierra injusta como quien busca amigos o ignorados amantes; diverso con el mundo, fui luz serena y anhelo desbocado, y en la lluvia sombría o en el sol evidente quería una verdad que a ti te traicionase, olvidando en mi afán cómo las alas fugitivas su propia nube crean.
Y al velarse a mis ojos con nubes sobre nubes de otoño desbordado la luz de aquellos días en ti misma entrevistos, te negué por bien poco; por menudos amores ni ciertos ni fingidos, por quietas amistades de sillón y de gesto, por un nombre de reducida cola en un mundo fantasma, por los viejos placeres prohibidos como los permitidos nauseabundos, útiles solamente para el elegante salón susurrado, en bocas de mentira y palabras de hielo.
Por ti me encuentro ahora el eco de la antigua persona que yo fui, que yo mismo manché con aquellas juveniles traiciones; por ti me encuentro ahora, constelados hallazgos, limpios de otro deseo, el sol, mi dios, la noche rumorosa, la lluvia, intimidad de siempre, el bosque y su alentar pagano, el mar, el mar como su nombre hermoso; y sobre todo ellos, cuerpo oscuro y esbelto, te encuentro a ti, tú, soledad tan mía, y tú me das fuerza y debilidad como el ave cansada los brazos de la piedra.
Acodado al balcón miro insaciable el oleaje, oigo sus oscuras imprecaciones, contemplo sus blancas caricias; y ergido desde cuna vigilante soy en la noche un diamante que gira advirtiendo a los hombres, por quienes vivo, aun cuando no los vea; y así, lejos de ellos, ya olvidados sus nombres, los amo en muchedumbres, roncas y violentas como el mar, mi morada, puras ante la espera de una revolución ardiente o rendidas y dóciles, como el mar sabe serlo cuando toca la hora de reposo que su fuerza conquista.
Tú, verdad solitaria, transparente pasión, mi soledad de siempre, eres inmenso abrazo; el sol, el mar, la oscuridad, la estepa, el hombre y su deseo, la airada muchedumbre, ¿qué son sino tú misma?
Por ti, mi soledad, los busqué un día; en ti, mi soledad, los amo ahora.
Un poème d’Antonio Machado. Nostalgia de Andalucía. Nostalgia de Castilla.
CXXV
En estos campos de la tierra mía, y extranjero en los campos de mi tierra —yo tuve patria donde corre el Duero por entre grises peñas, y fantasmas de viejos encinares, allá en Castilla, mística y guerrera, Castilla la gentil, humilde y brava, Castilla del desdén y de la fuerza—, en estos campos de mi Andalucía, ¡oh tierra en que nací!, cantar quisiera. Tengo recuerdos de mi infancia, tengo imágenes de luz y de palmeras, y en una gloria de oro, de lueñes campanarios con cigüeñas, de ciudades con calles sin mujeres bajo un cielo de añil, plazas desiertas donde crecen naranjos encendidos con sus frutas redondas y bermejas; y en un huerto sombrío, el limonero de ramas polvorientas y pálidos limones amarillos, que el agua clara de la fuente espeja, un aroma de nardos y claveles y un fuerte olor de albahaca y hierbabuena, imágenes de grises olivares bajo un tórrido sol que aturde y ciega, y azules y dispersas serranías con arreboles de una tarde inmensa; mas falta el hilo que el recuerdo anuda al corazón, el ancla en su ribera, o estas memorias no son alma. Tienen, en sus abigarradas vestimentas, señal de ser despojos del recuerdo, la carga bruta que el recuerdo lleva. Un día tornarán, con luz del fondo ungidos, los cuerpos virginales a la orilla vieja.
Lora del Río. 4 de abril de 1913.
CXXV
Dans ces campagnes de mon pays, et étranger dans les campagnes de mon pays – moi j’avais ma patrie là où le Douro coule entre des rochers gris et des fantômes d’anciennes chênaies, là-bas en Castille, mystique et guerrière, noble Castille, humble et sauvage, Castille du mépris et de la force –, dans ces campagnes de mon Andalousie, oh ! terre où je naquis ! je voudrais chanter. J’ai des souvenirs de mon enfance, j’ai des images de lumière et de palmiers, et dans une gloire d’or, de clochers lointains avec des cigognes, de villes avec des rues sans femmes, sous un ciel indigo, de places désertes où poussent des orangers flamboyants avec leurs fruits ronds et vermeils ; et dans un jardin sombre, le citronnier aux branches poussiéreuses et aux pâles citrons jaunes que reflète l’eau claire du bassin, un arôme d’iris et d’œillets et une forte odeur de basilic et de menthe ; des images de grises oliveraies sous un soleil torride qui étourdit et aveugle, et de montagnes bleues et dispersées sous les rougeurs d’un soir immense ; mais il manque le fil qui noue le souvenir au cœur, l’ancre au rivage, ou ces souvenirs ne sont pas de l’âme. Ils ont sous leurs vêtements bigarrés, qui montrent qu’ils sont des dépouilles de la mémoire, la charge brute que le souvenir garde. Un jour imprégnés de la lumière des profondeurs, les corps virginaux s’en reviendront à l’ancien rivage.
Lora del Río. 4 avril 1913.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. NRF Poésie/Gallimard n°144. 2004. Traduction Sylvie Léger et Bernard Sesé.
Gustavo Adolfo Domínguez Bastida, connu sous le nom de Gustavo Adolfo Bécquer, vient d’une famille de peintres d’origine flamande installée à Séville au XVII ème siècle. Orphelin à onze ans, il eut une vie marquée par la maladie, les déceptions et la pauvreté. Il découvre dans sa jeunesse la poésie dans la bibliothèque de sa marraine. Il fréquente les ateliers de peinture de sa ville où son père José María Domínguez Bécquer (1805-1841) est connu. Son frère, Valeriano Domínguez Bécquer (1833-1870), dont il sera très proche, est aussi peintre. Il arrive à Madrid en 1854 et connaît la misère jusqu’en 1860. C’est à cette période qu’il écrit la plupart des poèmes qui composeront Rimas. En 1861, il se marie et devient journaliste. Il est censeur de romans de 1865 à 1868 et mène alors une vie plus confortable. Son frère Valeriano meurt le 23 septembre 1870. Gustavo Adolfo disparaît le 22 décembre 1870. Il est considéré comme le précurseur de la poésie espagnole contemporaine. Ses oeuvres sont publiées par ses amis en deux tomes après sa mort au cours de l’été 1871. Le recueil Rimas est constitué de 86 poèmes. Il est marqué par la poésie andalouse, les chants populaires, le romantisme (Heine, Hugo, Espronceda, Zorrilla). On retrouve des échos de sa poésie chez Rubén Darío, Antonio Machado, Juan Ramón Jiménez et chez les poètes de la génération de 1927, particulièrement chez Luis Cernuda.
I
Yo sé un himno gigante y extraño que anuncia en la noche del alma una aurora, y estas páginas son de este himno cadencias que el aire dilata en la sombras.
Yo quisiera escribirlo, del hombre domando el rebelde, mezquino idioma, con palabras que fuesen a un tiempo suspiros y risas, colores y notas.
Pero en vano es luchar; que no hay cifra capaz de encerrarle, y apenas ¡oh hermosa! si teniendo en mis manos las tuyas pudiera, al oído, cantártelo a solas.
Rimas.
I
Je sais un hymne géant et étrange Qui annonce dans la nuit de l’âme une aurore, Et ces pages sont de cet hymne Cadences que l’air dilate dans les ombres.
Je voudrais l’écrire, de l’homme Domptant le rebelle et mesquin langage, Avec des paroles qui fussent en un seul temps Soupirs et ris, couleurs et notes.
Mais c’est en vain lutter ; point de chiffre Capable de l’enserrer et c’est à peine – oh belle ! – Si, ayant dans mes mains les tiennes, Je pourrais, à l’oreille, te le chanter dans notre solitude.
Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1995. Traduction Robert Pingeard.
Volverán las oscuras golondrinas en tu balcón sus nidos a colgar, y, otra vez, con el ala a sus cristales jugando llamarán; pero aquéllas que el vuelo refrenaban tu hermosura y mi dicha al contemplar, aquéllas que aprendieron nuestros nombres… ésas… ¡no volverán!
Volverán las tupidas madreselvas de tu jardín las tapias a escalar, y otra vez a la tarde, aun más hermosas, sus flores se abrirán; pero aquéllas, cuajadas de rocío, cuyas gotas mirábamos temblar y caer, como lágrimas del día… ésas… ¡no volverán!
Volverán del amor en tus oídos las palabras ardientes a sonar; tu corazón, de su profundo sueño tal vez despertará; pero mudo y absorto y de rodillas, como se adora a Dios ante su altar, como yo te he querido…, desengáñate: ¡así no te querrán!
Rimas.
LIII
Les noires hirondelles reviendront Suspendre à ta fenêtre leurs doux nids Et de nouveau, de l’aile, dans leurs jeux, Frapperont à ta vitre. Mais celles qui volaient plus doucement Pour mieux voir ta beauté et mon bonheur, Celles qui surent ton nom et le mien, Non, ne reviendront plus.
Le chèvrefeuille en touffes reviendra Escalader les murs de ton jardin Et de nouveau, le soir, encor plus belles, Les fleurs en écloront. Mais celles dont nous regardions les gouttes De la rosée qui les comblait trembler Et s’écouler comme larmes du jour, Non, ne reviendront plus.
Les accents de l’amour, à tes oreilles, Reviendront faire leur ardent murmure ; De son profond sommeil ton cœur peut-être, Ton cœur s’éveillera. Mais, en suspens, muet, agenouillé, Comme on adore Dieu devant l’autel, Comme je t’ai aimée, détrompe-toi, On ne t’aimera plus.
Anthologie de la poésie espagnole, Stock, 1957. Traduction Mathilde Pomès.
LX
Mi vida es un erial, flor que toco se deshoja; que en mi camino fatal alguien va sembrando el mal para que yo lo recoja.
Rimas.
LX
Ma vie est un désert ; fleur que je touche est fleur qui meurt. Sur mon chemin fatal, quelqu’un sème le mal pour que je le recueille.
Merci à Gio Bonzon de m’avoir rappelé “Mi vida es un erial”,