Le 30 octobre 1910, il y a aujourd’hui 109 ans, naissait à Orihuela (Alicante) Miguel Hernández Gilabert ,”el pastor poeta”.
Le 18 janvier 1940, un Conseil de Guerre le condamna à mort l’accusant du délit d’adhésion à la rebellion. Le 9 juillet 1940, il vit sa peine commuée en trente années d’emprisonnement. Miguel Hernández connut les prisons de Madrid, Palencia, Ocaña, Alicante. Les conditions déplorables de détention eurent raison de sa santé. Le poète mourut de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942 à 31 ans. On l’enterra le lendemain au cimetière Nuestra Señora del Remedio d’Alicante. Sa condamnation n’a toujours pas été annulée par le Tribunal Suprême.
Le poème qui suit semble lui avoir été inspiré comme la plupart de ceux qui constituent El rayo que no cesa (1936) par sa relation avec la peintre Maruja Mallo (1902-1995). Ils se rencontrèrent chez Pablo Neruda à Madrid (La Casa de las Flores – Arguëlles) en 1935. Ils vécurent une relation très forte en 1935 et 1936, parcoururent ensemble l’Espagne, puis se séparèrent tout en maintenant une profonde amitié.
Maruja Malló évoque ainsi leurs rapports:
«Yo hice una evolución hacia la vida, hacia el campo, y fue entonces cuando brotó el trigo como un todo, el trigo por los caminos de Castilla. Miguel Hernández era el que tenía conocimiento de la astrología de la tierra, porque, a fin de cuentas, la tierra está dentro de los astros. Miguel decía que cuando había luna menguante, tal producto brotaba; cuando había creciente, estalla ese otro.»
«Fuimos los primeros iniciadores del autostop, sin proponerlo. Al llegar al camión, los campesinos nos entregaron un ramo de flores, pidiéndonos disculpas por el alojamiento que nos brindaban…Yo recordé la frase del conde Keyserling, cuando manifestó que la aristocracia de España estaba en el pueble.» (Tània Balló, Las sinsombrero, 2016)
¿No cesará este rayo que me habita
el corazón de exasperadas fieras
y de fraguas coléricas y herreras
donde el metal más fresco se marchita?
¿No cesará esta terca estalactita
de cultivar sus duras cabelleras
como espadas y rígidas hogueras
hacia mi corazón que muge y grita?
Este rayo ni cesa ni se agota:
de mí mismo tomó su procedencia
y ejercita en mí mismo sus furores.
Esta obstinada piedra de mí brota
y sobre mí dirige la insistencia
de sus lluviosos rayos destructores.
El rayo que no cesa, 1936.
Cessera-t-elle un jour cette foudre qui peuple
Mon coeur de féroces fauves exaspérés
Et d’enclumes colériques et forgeronnes
Où même le métal le plus frais se flétrit?
Cessera-t-elle un jour l’entêtée stalactite
De cultiver enfin ses dures chevelures
Pareilles aux épées et aux bûchers rigides,
Tournées contre mon coeur qui mugit et qui crie?
Cette foudre n’a de cesse ni ne s’épuise:
C’est en moi-même qu’elle a pris son origine,
Contre moi-même qu’elle exerce ses fureurs.
Cette pierre obstinée, de moi elle jaillit
Et c’est sur moi qu’elle dirige l’insistance
De ses foudres dévastatrices et pluvieuses.
Cet éclair qui ne cesse pas.
(Traduction Yves Aguila)
“Sorpresa del trigo (mayo de 1936) es como el prólogo de mi labor sobre los trabajadores de mar y tierra, compenetración de elementos materiales. El trigo, vegetal universal, símbolo de la lucha, mito terrenal.
Manifestación de creencia que surge de la severidad y la gracia de las dos Castillas, de mi fe materialista en el triunfo de los peces, en el reinado de la espiga.” Maruja Mallo. Buenos Aires, 31 de julio de 1937.
A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.
Estos poetas infernales, Dante, Blake, Rimbaud … Que hablen más bajo… Que toquen más bajo… ¡Que se callen! Hoy Cualquier habitante de la tierra Sabe mucho más del infierno Que esos tres poetas juntos. Ya sé que Dante toca muy bien el violín… ¡Oh, el gran virtuoso! Pero que no pretenda ahora Con sus tercetos maravillosos Y sus endecasílabos perfectos Asustar a ese niño judío Que está ahí, desgajado de sus padres… Y solo. ¡Solo! Aguardando su turno En los hornos crematorios de Auschwitz. Dante… tú bajaste a los infiernos Con Virgilio de la mano (Virgilio, «gran cicerone») Y aquello vuestro de la Divina Comedia Fue una aventura divertida De música y turismo. Esto es otra cosa… otra cosa… ¿Cómo te explicaré? ¡Si no tienes imaginación! Tú… no tienes imaginación, Acuérdate que en tu «Infierno» No hay un niño siquiera… Y ese que ves ahí… Está solo ¡Solo! Sin cicerone… Esperando que se abran las puertas de un infierno Que tú, ¡pobre florentino!, No pudiste siquiera imaginar. Esto es otra cosa… ¿cómo te diré? ¡Mira! Éste es un lugar donde no se puede tocar el violín. Aquí se rompen las cuerdas de todos Los violines del mundo. ¿Me habéis entendido poetas infernales? Virgilio, Dante, Blake, Rimbaud… ¡Hablad más bajo! ¡Tocad más bajo!… ¡Chist!… ¡¡Callaos!! Yo también soy un gran violinista… Y he tocado en el infierno muchas veces… Pero ahora, aquí… Rompo mi violín… y me callo.
¡Oh, este viejo y roto violín! México, Fondo de Cultura Económica, 1965.
Auschwitz
A todos los judíos del mundo, mis amigos, mis hermanos.
Ces poètes de l’enfer, Dante, Blake, Rimbaud… Qu’ils parlent moins haut… Qu’ils jouent moins haut… Qu’ils se taisent! Aujourd’hui N’importe quel habitant de la terre En sait beaucoup plus sur l’enfer Que ces trois poètes ensemble. Oui, je sais que Dante joue très bien du violon. Ah, quel grand virtuose! Mais qu’il n’ait pas la prétention Avec ses merveilleux tercets, Ses hendécasyllabes parfaits, D’effrayer cet enfant juif, Là, arraché à son père et à sa mère… Et qui est seul. Tout seul! À attendre son tour Devant les fours crématoires d’Auschwitz. Dante…tu es descendu aux Enfers, Ta main dans la main de Virgile («Grand cicérone», ce Virgile), Et votre truc, la Divine Comédie, Ça a été une aventure amusante, Du tourisme en musique. Ça, c’est autre chose…autre chose… Comment t’expliquer? C’est que tu manques d’imagination! Toi…tu manques d’imagination, Souviens-toi que dans ton «Enfer» Il n’y a pas un seul enfant… Et celui que tu vois, là, Il est seul. Tout seul! Sans cicérone… À attendre que s’ouvrent les portes d’un enfer Que toi, mon pauvre Florentin! Tu n’as même pas pu imaginer. Ça, c’est autre chose…Comment te dire? C’est un lieu où se brisent les cordes de tous Les violons du monde. Vous m’avez bien compris, poètes de l’enfer? Virgile, Dante, Blake, Rimbaud… Parlez moins haut! Jouez moins haut!… Chut!… Taisez-vous! Moi aussi je suis un grand violoniste… Et j’ai joué en enfer, bien souvent… Mais ici et maintenant, Je brise mon violon…et je me tais.
Oh, ce vieux violon cassé! 1965. (Traduction Yves Aguila) Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF. 1995.
León Felipe (pseudonyme de Felipe Camino Galicia) est né à Tábara, près de Zamora. Son père est notaire. Après des études de pharmacie, il gère plusieurs officines en Espagne, puis s’engage dans une troupe de comédiens ambulants et parcourt toute l’Espagne. De 1920 à 1922, il vit en Afrique dans l’île de Fernando Poo, en tant qu’administrateur des hôpitaux, puis au Mexique et aux Etats-Unis. Il revient dans son pays natal en 1934 et fait la connaissance du poète chilien Pablo Neruda. C’est un républicain espagnol exilé au Mexique de 1938 à sa mort en 1968. Il y jouera un rôle intellectuel considérable. Son œuvre est souvent associée à celle de Walt Whitman, qu’il traduit.
L’antico Caffè Greco (86, via Condotti), situé dans le centre historique de Rome, est menacé de mort. L’actuel décor remonte à 1869. Il s’agit une enfilade de petites salles aux murs pourpres, couverts de tableaux complétées par de petites tables en marbre et de fauteuils de velours.
Ce café a été fondé en 1760 par un grec appelé Nicola della Maddalena. Dans les années 1780, l’âge d’or du Grand Tour, les touristes s’installaient là l’après-midi. La rareté du café sous le régime napoléonien et le blocus continental a permis ici l’invention de son absorption par petites tasses. Ce fut ensuite un lieu de rencontre pour les écrivains et les artistes, très actif au début du XXe siècle. Considéré comme une véritable institution, le Greco a vu défiler des artistes comme Giacomo Casanova, Giacomo Leopardi, Chateaubriand, Stendhal, Goethe, Byron, Franz Liszt, Brahms, John Keats, Charles Dickens, Friedrich Nietzsche, Henry James, Hector Berlioz, Felix Mendelssohn, Georges Bizet, Gogol, Herman Melville, Mark Twain, Arthur Schopenhauer, Ibsen, Guillaume Apollinaire, Giorgio de Chirico, Gabriele D’Annunzio, James Joyce, Thomas Mann, Orson Welles, Pier Paolo Pasolini. Dans les années 1950, il a aussi compté parmi ses clients María Zambrano et Ramón Gaya, exilés à Rome. Il a été classé monument historique en 1953 et a fêté dignement ses 250 ans en 2010 dans son décor en forme de corridor surchargé de peintures.
En novembre 2017, un conflit met son existence en péril. L’Ospedale Israelitico, propriétaire des murs depuis 138 ans, a profité de la fin du bail pour augmenter le loyer de manière exorbitante. Il se trouve en effet dans la rue la plus chère de Rome. Le Greco est situé en face de Bulgari. Une tasse de café, même à 7 euros, ne suffit pas à remplir les caisses comme les rivières de diamants ou les sacs à 5000 euros. Carlo Pellegrini, l’actuel patron du Greco, ne peut pas suivre. Il a lancé une campagne de presse pour la défense de cet établissement.
Je me souviens du poème déchirant écrit par María Zambrano le 21 juin 1958. Elle vit à Rome de 1953 à 1959 avec sa sœur Araceli qui depuis son arrestation par la Gestapo pendant la Seconde Guerre Mondiale souffre de graves problèmes physiques et mentaux.
Café Greco (situación de Araceli lux perpetua) (María Zambrano)
Pensar y no preocuparse.
Actuar sin decidir.
Seguir y no perseguir.
Reposar sin detenerse.
Ofrecer sin calcular.
No aferrarse a la esperanza.
No detenerse en la espera.
Escuchar sin casi hablar.
Respirar en el silencio.
Dejarse quieto flotar.
Perderse yendo hacia el centro.
Hundirse sin respirar.
Cruzar sin mirar fronteras. Dejar límites atrás. Recogerse. Abandonarse. Solo dejarse guiar. Ser criatura tan solo, no haber de sacrificar. Más allá del sacrificio, cumplida la voluntad, sin designio ni proyecto, sin sombra, espejo ni imagen. Alga en la corriente lenta. Alga de vida no más. Hijo. Criatura. Amante. Alga de amor. Ya no más. Lejos de toda ribera. Por el corazón del agua; ya.
Je n’ai pas vu Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016), le film de Wim Wenders, tiré d’une pièce de Peter Handke. L’auteur autrichien y fait une brève apparition en jardinier. Les critiques l’avaient très mal reçu.
Reda Kateb qui joue le rôle principal lit un des poèmes d’Antonio Machado que le récent Prix Nobel préfère:
Desnuda está la tierra.
Desnuda está la tierra, y el alma aúlla al horizonte pálido como loba famélica. ¿Qué buscas, poeta, en el ocaso?
¡Amargo caminar, porque el camino pesa en el corazón! ¡El viento helado, y la noche que llega, y la amargura de la distancia!… En el camino blanco
algunos yertos árboles negrean; en los montes lejanos hay oro y sangre… El sol murió… ¿Qué buscas, poeta, en el ocaso?
Soledades, galerías y otros poemas, 1903.
La terre est nue
La terre est nue, et l’âme hurle à l’horizon pâle comme une louve famélique. Que cherches-tu, poète, dans le couchant?
Amère marche, car le chemin est lourd à mon coeur! Le vent glacé, et la nuit qui survient, et l’amertume de la distance!… Sur le chemin blanc
quelques arbres transis font une tache noire; sur les monts lointains il y a de l’or et du sang… Le soleil est mort… Que cherches-tu, poète, dans le couchant?
On peut lire aujourd’hui dans El País un bel article de Pablo de Llano ( El año que el Nobel Peter Handke recorrió los caminos de Soria) qui décrit le séjour de Peter Handke à Soria et son attachement à la Castille, à la Meseta.
Es por naturaleza el indeseable
Como persiste en el error
de su viscosidad palpitante
queremos aplastarlo
Trágico impulso humano : destruir lo mismo al semejante que al distinto
El sapo hermoso a su manera lo ve todo con la serenidad de quien se sabe destinado al martirio
Le crapaud
Il est par nature l’indésirable
Comme il persiste dans l’erreur
de sa viscosité palpitante
nous préférons l’écraser
Tragique impulsion humaine : détruire de la même façon le semblable et le différent
Le crapaud beau à sa façon voit tout avec la sérénité de celui qui se sait destiné au martyre
Le Passé est un aquarium [Irás y no volverás,1980], Éditions de la Différence, Collection Le Fleuve et l’écho, 1991, pp. 94-95. Traduit de l’espagnol (Mexique) par Gérard de Cortanze.
Une belle maison d’édition qui a disparu, malheureusement.
9 poèmes d’Idea Vilariño, traduits en français par Eric Sarner. Ultime anthologie. La Barque, 2017.
Adiós
Adiós. Salgo como de un traje estrecho y delicado difícilmente un pie después despacio el otro, Salgo como de bajo un derrumbe arrastrándome sorda al dolor deshecha la piel y sin ayuda. Salgo penosamente al fin de ese pasado de ese arduo aprendizaje de esa agónica vida.
Adieu
Adieu. Je sors comme d’un costume étroit et délicat difficilement un pied puis doucement l’autre. Je sors comme du dessous d’un éboulement en rampant sourde à la douleur la peau défaite et sans personne. Je sors avec peine finalement de ce passé de ce pénible apprentissage de cette vie déchirée.
Comparación
Como en la playa virgen
dobla el viento
el leve junco verde
que dibuja
un delicado círculo en la arena
así en mí
tu recuerdo.
Comparaison
Comme sur la plage vierge
le vent plie
le mince roseau vert
qui dessine
dans le sable un cercle délicat
ainsi en moi
le souvenir de toi.
Eso
Mi cansancio
mi angustia
mi alegría
mi pavor
mi humildad
mis noches todas
mi nostalgia del año
mil novecientos treinta
mi sentido común
mi rebeldía.
Mi desdén
mi crueldad y mi congoja
mi abandono
mi llanto
mi agonía
mi herencia irrenunciable y dolorosa
mi sufrimiento
en fin
mi pobre vida.
Voilà
Ma fatigue
mon angoisse
ma joie
ma frayeur
mon humilité
mes nuits toutes
ma nostalgie de l’année
mille neuf cent trente
mon bon sens
ma révolte.
Mon mépris
ma cruauté et ma peine
mon abandon
mes larmes
mon tourment
mon héritage inaliénable et douloureux
ma souffrance
enfin
ma pauvre vie.
La metamorfosis
Entonces soy los pinos
soy la arena caliente
soy una brisa suave
un pájaro liviano delirando en el aire
o soy la mar golpeando de noche
soy la noche.
Entonces no soy nadie.
La métamorphose
Donc je suis les pins
je suis le sable chaud
je suis une brise douce
un oiseau léger délirant dans l’air
ou bien je suis la mer qui cogne la nuit
je suis la nuit.
Donc je ne suis personne.
La noche
La noche no era el sueño
Era su boca
Era su hermoso cuerpo despojado
De sus gestos inútiles
Era su cara pálida mirándome en la sombra
La noche era su boca
Su fuerza y su pasión
Era sus ojos serios
Esas piedras de sombras cayéndose en mis ojos
Y era su amor en mí
Invadiendo tan lenta
Tan misteriosamente.
La nuit
La nuit ce n’était pas le rêve
c’était sa bouche
c’était son beau corps dépouillé
de ses gestes inutiles
c’était son visage pâle me regardant dans l’ombre.
La nuit c’était sa bouche
sa force et sa passion
c’était ses yeux graves
ces pierres d’ombre
qui roulaient dans mes yeux
c’était son amour en moi
une invasion si lente
si mystérieuse
La piel
Tu contacto
Tu piel
Suave fuerte tendida
Dando dicha
Apegada
Al amor a lo tibio
Pálida por la frente
Sobre los huesos fina
Triste en las sienes
Fuerte en las piernas
Blanda en las mejillas
Y vibrante
Caliente
Llena de fuegos
Viva
Con una vida ávida de traspasarse
Tierna
Rendidamente íntima
Así era tu piel
Lo que tomé
Que diste.
La peau
Ton toucher
Ta peau
douce forte tendue
donnant du bonheur
collée
à l’amour au tiède
pâle sur le front
fine sur les eaux
triste sur les tempes
forte dans les jambes
molle dans les joues
et vibrante
chaude
pleine de feux
vive
avec une vie avide de se transpercer
tendre
en soumission intime.
Ainsi était ta peau
ce que j’ai pris
c’est ce que tu as donné.
Puede ser
Puede ser que si vieras Hiroshima digo Hiroshima mon amour si vieras si sufrieras dos horas como un perro si vieras cómo puede doler doler quemar y retorcer como ese hierro el alma desprender para siempre la alegría como piel calcinada y vieras que no obstante es posible seguir vivir estar sin que se noten llagas quiero decir entonces puede ser que creyeras puede ser que sufrieras comprendieras.
Peut-être
Peut-être que si tu avais vu Hiroshima
je veux dire Hiroshima mon amour
si tu avais vu
si tu avais souffert deux heures comme un chien
si tu avais vu
comment peut souffrir souffrir brûler
et se tordre comme ce bout de fer l’âme
arracher pour toujours le bonheur
comme peau calcinée
et tu aurais vu que pourtant
on peut continuer à vivre à être
sans que les plaies se voient
je veux dire
voilà
peut-être tu aurais cru
peut-être tu aurais souffert
compris.
Sabés
Sabés
dijiste
nunca
nunca fui tan feliz como esta noche.
Nunca. Y me lo dijiste
en el mismo momento
en que yo decidía no decirte
sabés
seguramente me engaño
pero creo
pero ésta me parece
la noche más hermosa de mi vida.
Tu sais
Tu sais
tu as dit
jamais
jamais je n’ai été heureux comme cette nuit.
Jamais. Et tu me l’as dit
à l’instant même
où je décidais moi de ne pas te dire
tu sais
je me trompe sûrement
mais je crois
mais il me semble que c’est
la plus belle nuit de ma vie.
Uno siempre está solo
Uno siempre está solo pero a veces está más solo.
On est toujours seul
On est toujours seul mais parfois encore plus seul.
Antonio Muñoz Molina habla de Idea Vilariño (El País, 8 de marzo de 2008)
Le 9 octobre 1937, César Vallejo écrit “Alfonso: estás mirándome, lo veo”, poème dédié à son ami Alfonso de Silva Santisteban, compositeur et pianiste de talent qui est mort à Lima le 7 mai 1937 à 34 ans. De 1925 à 1929, ce musicien vit à Paris et fréquente la bohème parisienne des années 20, mais aussi des écrivains péruviens comme César Moro (1903-1956), César Miró (1907-1999), César Vallejo (1892-1938) ou des musiciens comme Theodoro Valcarcel (1902-1942).
Alfonso de Silva dédie à César Miró son dernier poème en 1937: “Me perdono a mí mismo el haber sido solo un intento de Eternidad… Tú eres casi tan bueno como el intento mío de haber sido” (Revue Caretas, 19 décembre 2002).
Alfonso: estás mirándome, lo veo
Alfonso: estás mirándome, lo veo,
desde el plano implacable donde moran
lineales los siempres, lineales los jamases
(Esa noche, dormiste, entre tu sueño
y mi sueño, en la rue de Ribouté)
Palpablemente,
tu inolvidable cholo te oye andar
en París, te siente en el teléfono callar
y toca en el alambre a tu último acto
tomar peso, brindar
por la profundidad, por mí, por ti.
Yo todavía
compro «du vin, du lait, comptant les sous»
bajo mi abrigo, para que no me vea mi alma,
bajo mi abrigo, aquel, querido Alfonso,
y bajo el rayo simple de la sien compuesta;
yo todavía sufro, y tú, ya no, jamás, hermano!
(Me han dicho que en tus siglos de dolor,
amado sér,
amado estar,
hacías ceros de madera. ¿Es cierto?)
En la «boîte de nuit», donde tocabas tangos,
tocando tu indignada criatura su corazón,
escoltado de ti mismo, llorando
por ti mismo y por tu enorme parecido con tu sombra,
monsieur Fourgat, el patrón, ha envejecido.
¿Decírselo? ¿Contárselo? No más,
Alfonso; eso, ya nó!
El hôtel des Ecoles funciona siempre
y todavía compran mandarinas;
pero yo sufro, como te digo,
dulcemente, recordando
lo que hubimos sufrido ambos, a la muerte de ambos,
en la apertura de la doble tumba,
en esa otra tumba con tu sér,
y de ésta de caoba con tu estar,
sufro, bebiendo un vaso de ti, Silva,
un vaso para ponerse bien, como decíamos,
y después, ya veremos lo que pasa…
Es éste el otro brindis, entre tres,
taciturno, diverso
en vino, en mundo, en vidrio, al que brindábamos
más de una vez al cuerpo
y, menos de una vez, al pensamiento.
Hoy es más diferente todavía;
hoy sufro dulce, amargamente,
bebo tu sangre en cuanto a Cristo el duro,
como tu hueso en cuanto a Cristo el suave,
porque te quiero, dos a dos, Alfonso,
y casi lo podría decir, eternamente.
Poemas humanos, 1939.
Alfonso: tu me regardes, je le vois
Alfonso: tu me regardes, je le vois,
depuis le plan implacable où se tiennent
linéaires les toujours, linéaires les jamais.
(Cette nuit, tu as dormi, entre ton songe
et mon songe, rue Ribouté.)
Manifestement,
ton inoubliable métis t’écoute marcher
dans Paris, t’entend garder silence au téléphone
et touche sur le fil ton dernier acte,
devenir dense, porter un toast
à la profondeur, à toi, à moi.
Moi encore
j’achète «du vin, du lait, comptant les sous»
sous mon manteau, pour que mon âme ne me voie pas,
sous ce manteau, cher Alfonso,
et sous le rayon simple de la tempe parée;
moi je souffre encore, et toi, c’est fini, plus jamais, mon frère!
(On m’a dit qu’au cours de tes siècles de souffrance,
être aimé,
être là aimé,
tu faisais des zéros de bois. Est-ce vrai?)
Dans la «boîte de nuit», où tu jouais des tangos,
ta créature indignée faisant sonner son coeur,
escorté de toi-même, pleurant
à cause de toi et de ton énorme ressemblance avec ton ombre,
monsieur Fourgeat, le patron, a vieilli.
Le lui dire? Le lui conter? C’est tout,
Alfonso; cela, c’est fini!
L’hôtel des Écoles est toujours ouvert
et on achète encore des mandarines;
mais moi je souffre, comme je te dis,
doucement, à me rappeler
ce que nous avons souffert tous deux, à notre mort à tous deux,
à l’ouverture de la double tombe,
dans cet autre tombe avec ton être,
et dans celle d’acajou avec ton être-là;
je souffre, en buvant un verre de toi, Silva,
un verre histoire de se sentir bien, comme nous disions,
et après, on verra bien…
Des trois toasts, voici l’autre, taciturne, différent en vin, en monde, en verre, que nous portions plus d’une fois au corps et, moins d’une fois, à la pensée. Aujourd’hui, c’est encore plus différent; aujourd’hui je souffre doucement, amèrement, je bois ton sang en référence au Christ le dur, je mange ton os en référence au Christ le doux, Alfonso, parce que je t’aime deux par deux, Alfonso, et je pourrais presque le dire, éternellement.
Je relis les poèmes d’Idea Vilariño publiés dans Vuelo ciego (Colección Visor de Poesía) 2004.
Cette poétesse triste, désespérée a bien vécu 88 ans. Elle a été professeure, traductrice, poétesse, une intellectuelle du XX ème siècle en somme. Militante de gauche, ses textes ont été chantés par Los Olimareños (Los orientales et Ya me voy pa’ la guerrillas), Alfredo Zitarrosa (1936-1989) (La canción y el poema), Daniel Viglietti (1939-2017) (A una paloma).
Je me souviens de la fin des années 70, de l’arrivée de jeunes chiliens, argentins, uruguayens fuyant les dictatures sanglantes du Cône sud et trouvant refuge en Europe. Idea Vilariño, elle, ne pouvait plus enseigner dans son pays.
La canción y el poema (o La canción) (Idea Vilariño-Alfredo Zitarrosa)
Hoy que el tiempo ya pasó,
hoy que ya pasó la vida,
hoy que me río si pienso,
hoy que olvidé aquellos días,
no sé por qué me despierto
algunas noches vacías
oyendo una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.
Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería,
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…
Algunas noches de paz,
–si es que las hay todavía–
pasando como sin mí
por esas calles vacías,
entre la sombra acechante
y un triste olor de glicinas,
escucho una voz que canta
y que, tal vez, es la mía.
Quisiera morir –ahora– de amor,
para que supieras
cómo y cuánto te quería;
quisiera morir, quisiera… de amor,
para que supieras…
Ya no será
ya no
no viviré contigo
no criaré a tu hijo
no coseré tu ropa
no te tendré de noche
no te besaré al irme
nunca sabrás quién fui
por qué me amaron otros.
No llegaré a saber
por qué ni cómo nunca
ni si era de verdad
lo que dijiste que era
ni quién fuiste
ni qué fui para ti
ni cómo hubiera sido
vivir juntos
querernos
esperarnos
estar.
Ya no soy más que yo
para siempre y tú
ya
no serás para mí
más que tú. Ya no estás
en un día futuro
no sabré dónde vives
con quién
ni si te acuerdas.
No me abrazarás nunca
como esa noche
nunca.
No volveré a tocarte.
No te veré morir.
Poemas de amor, 1957.
Idea Vilariño est une poétesse uruguayenne, née à Montevideo (Uruguay) le 18 août 1920. Elle est éduquée dans une famille de classe moyenne. La musique et la littérature y étaient très présentes. Son père, Leandro Vilariño (1892-1944), était un poète anarchiste. Comme ses frères Azul et Numen et ses soeurs Alma et Poema, elle étudie la musique et pratique le piano et le violon. Sa mère, Josefina Romani, était une grande lectrice de littérature européenne. À 16 ans, une maladie la sépare de sa famille et la rend plus sensible et fragile.
Très jeune, elle commence à écrire et publie sa première œuvre, La Suplicante en 1945. Elle enseigne la littérature dans l’enseignement secondaire de 1952 au Coup d’État de 1973. En 1985, elle reprend l’enseignement à la Faculté des Sciences humaines et de l’éducation.
Dans son pays, elle appartient à la Génération de 45 (ou Générationcritique) avec Juan Carlos Onetti, Mario Benedetti, Sarandy Cabrera, Carlos Martínez Moreno, Ángel Rama, Carlos Real de Azúa, Carlos Maggi, Alfredo Gravina notamment. Elle écrit dans des revues littéraires comme Clinamen, Número, Marcha, La Opinión, Brecha, Asir et Texto Crítico.
Plusieurs de ses livres parlent de son intense amour pour Juan Carlos Onetti qu’elle rencontre en 1950 dans un café du centre de Montevideo lors d’une réunion des écrivains qui participaient à la revue Número. Leur relation est longue et tumultueuse. Onetti dédie Los adioses en 1954 “A Idea Vilariño”. En 1957, Idea Vilariño fait de même avec Poemas de amor qui évoque l’indécision d’Onetti et leur séparation. Le romancier se marie alors avec sa quatrième épouse, la violoniste Dorothea Muhr. Leur correspondance ne cesse qu’avec le décès de Juan Carlos Onetti à Madrid le 30 mai 1994. Idea Vilariño, elle, meurt à Montevideo le 28 avril 2009 à 88 ans.