(Un grand merci à Pierre Cohen-Bacrie qui m’a rappelé l’existence de ce poète méconnu.)
Louis Brauquier est né le 14 août 1900, rue Sainte-Marthe, à Marseille. Son ami durant toute sa vie sera l’écrivain de la Méditerranée, Gabriel Audisio (1900-1978). Il fait des études de droit et obtiendra sa licence. Commis en douane à dix-huit ans, il passe le concours du commissariat de la Marine marchande pour s’en aller naviguer sur les lignes de la Méditerranée et sur la ligne de l’Extrême-Orient. Membre du personnel des agences extérieures des Messageries Maritimes à partir de 1926, Louis Brauquier sillonne les mers et multiplie les postes, les ports et les poèmes pendant trente-cinq ans. Il se retire à Marseille en 1960, où il poursuit son œuvre de peintre. Il meurt à Paris le 7 septembre 1976, d’une congestion cérébrale, alors qu’il se rendait au chevet de Gabriel Audisio, son ami hospitalisé.
Louis Brauquier visita au Panama le cimetière français de Paraiso près de Panama City où sont enterrés des Français qui construisirent le Canal. Il ressentit « la pudeur d’être vivant ». La plupart des travailleurs enterrés là sont originaires de Martinique et de Guadeloupe. Les simples croix de fonte peintes en blanc ne comportent que des numéros. Il retint le nom de deux jeunes ingénieurs, “morts de la fièvre jaune et du Canal inachevé”. Les historiens estiment aujourd’hui que durant cette période 19 000 à 20 000 travailleurs français ont trouvé la mort sur ce chantier.
II
A onze heures du matin
Il fait chaud dans le cimetière
De Panama.
Il y a beaucoup de Français
Cachés sous les pierres tombales,
Dans une écoeurante chaleur.
Ils s’appelaient Ernest, André
Etaient nés à Auch dans le Gers,
A Nomeny, Meurthe et Moselle.
A onze heures du matin
Il fait chaud dans le cimetière
De Panama.
Ils sont tous morts en même temps.
81-85.
Ils sont morts de la fièvre jaune
Et du Canal inachevé
De vieux parents ont dû pleurer
Face à face, à Auch dans le Gers
Á Nomeny, Meurthe-et-Moselle
C’est dégoûtant cette chaleur,
Il faut laisser la porte ouverte;
On entend les bruits de la rue;
On ne peut pas mourir chez soi,
Et le prêtre qui vous confesse
N’a que des péchés espagnols.
Dans l’épaisseur bleue du matin,
Âmes, je vous rends visite.
Je marche amicalement entre vous,
J’apprends vos noms et je vous offre
De la tendresse, du silence,
La pensée de notre pays
Et la pudeur d’être vivant.
Eau douce pour navires, Gallimard, 1930.
Je connais des îles lointaines.p.210. Editions de la Table Ronde 1994.
Lors de notre voyage en Islande le 28 juin, nous avons visité le village de Fáskrúðsfjörður à l’est de l’île. Le cimetière de Krossar à la sortie du village abrite les tombes de 49 marins français et belges qui perdirent la vie à proximité du fjord. Ce village accueillit des marins français venant pêcher sur les côtes islandaises de 1880 à 1914. Entre 4 000 et 5 000 marins Français pêchaient le cabillaud chaque hiver sur les bancs d’Islande.
Le poète mexicain José Emilio Pacheco est mort le dimanche 26 janvier 2014, à Mexico, à l’âge de 74 ans. Il avait reçu le prix Cervantes en 2009.
El lugar de la duda
Dice sin duda: «No hay lugar a duda».
Lo afirma, lo sostiene contundente
Desde el centro del Bien y la Verdad incontestables.
Ante su hosca certeza me pregunto cuál es
El lugar de la duda.
Y encuentro allí lo contrario
De lo que ve quien no duda.
No vivimos en calma, nunca hay paz,
La vida toda es un combate incesante.
Por eso nos convienen el tal vez, el acaso,
el quizá, el sin embargo y el no obstante.
El lugar de la duda sería entonces
El territorio de la reflexión.
La conciencia de ser también el otro
Para quien vemos siempre como el otro,
El campo de la crítica y la puerta
Que cierra el paso al dogma y a sus crímenes.
Fernando António Nogueira Pessoa est né le 13 juin 1888 à Lisbonne. Il y est mort le 30 novembre 1935.
Fragment 451. « Voyager? Pour voyager il suffit d’exister. Je vais d’un jour à l’autre comme d’une gare à l’autre, dans le train de mon corps ou de ma destinée, penché sur les rues et les places, sur les visages et les gestes, toujours semblables, toujours différents, comme, du reste, le sont les paysages. Si j’imagine, je vois. Que fais-je de plus en voyageant? Seule une extrême faiblesse de l’imagination peut justifier que l’on ait à se déplacer pour sentir. «N’importe quelle route, et même cette route d’Entepfuhl, te conduira au bout du monde.» mais le bout du monde, depuis que le monde s’est trouvé accompli lorsqu’on en eut fait le tour, c’est justement cet Entepfuhl d’où l’on était parti. En fait, le bout du monde, comme son début lui-même, c’est notre conception du monde. C’est en nous que les paysages trouvent un paysage. C’est pourquoi, si je les imagine, je les crée; si je les crée, ils existent; s’ils existent, je les vois tout comme je vois les autres. Á quoi bon voyager? A Madrid, à Berlin, en Perse, en Chine, à chacun des pôles, où serais-je sinon en moi-même, et enfermé dans mon type et mon genre propre de sensations? La vie est ce que nous en faisons. Les voyages, ce sont les voyageurs eux-mêmes. Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons, mais de ce que nous sommes.»
Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares. Édition intégrale. Christian Bourgois. 1999. Traduction; Françoise Laye.
«
Viajar? Para viajar basta existir. Vou de dia para dia, como de
estação para estação, no comboio do meu corpo, ou do meu destino,
debruçado sobre as ruas e as praças, sobre os gestos e os rostos,
sempre iguais e sempre diferentes, como, afinal, as paisagens são.
Se imagino, vejo. Que mais faço eu se viajo? Só a fraqueza extrema da imaginação justifica que se tenha que deslocar para sentir.
«Qualquer estrada, esta mesma estrada de Entepfuhl, te levará até ao fim do mundo.» Mas o fim do mundo, desde que o mundo se consumou dando-lhe a volta, é o mesmo Entepfuhl de onde se partiu. Na realidade, o fim do mundo, como o princípio, é o nosso conceito do mundo. É em nós que as paisagens têm paisagem. Por isso, se as imagino, as crio; se as crio, são; se são, vejo-as como às outras. Para quê viajar? Em Madrid, em Berlim, na Pérsia, na China, nos Pólos ambos, onde estaria eu senão em mim mesmo, e no tipo e género das minhas sensações?
A vida é o que fazemos dela. As viagens são os viajantes. O que vemos, não é o que vemos, senão o que somos.»
Livro do Desassossego, Edição de Richard Zenith – Assírio & Alvim, 1998, 480 p.
Paris. IV ème arrondissement. Place du Père-Teilhard-de-Chardin. La statue du sculpteur Jean-Robert Ipoustéguy (1920-2006), intitulée L’Homme aux semelles devant, parodie du surnom donné à Arthur Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », inaugurée en 1984, a été déplacée à l’automne 2018. Un jardin public a été aménagé sur la place. Les vestiges de l’enceinte Charles V (construite entre 1356 et 1383) découverts lors des excavations préliminaires sont accessibles au public par un escalier. L’ oeuvre d’Ipousteguy se trouve maintenant dans le musée de la Sculpture en plein air dans le V ème arrondissement. Je préférais l’emplacement primitif, près de la belle Bibliothèque de l’Arsenal.
DÉLIRES II Alchimie du verbe À moi. L’histoire d’une de mes folies. Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes. J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents: je croyais à tous les enchantements. J’inventai la couleur des voyelles! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu,U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. (…) Je devins un opéra fabuleux: je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur: l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle. À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. — Ainsi, j’ai aimé un porc. Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système. Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l’ombre et des tourbillons. Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver: ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté. Le Bonheur! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq, — ad matutinum, au Christus venit, — dans les plus sombres villes:
Ô saisons ô châteaux,
Quelle âme est sans défauts ?
Ô saisons, ô châteaux,
J’ai fait la magique étude
Du Bonheur, que nul n’élude.
Ô vive lui, chaque fois
Que chante son coq gaulois.
Mais ! je n’aurai plus d’envie,
Il s’est chargé de ma vie.
Ce Charme ! il prit âme et corps.
Et dispersa tous efforts.
Que comprendre à ma parole ?
Il fait qu’elle fuie et vole !
Ô saisons, ô châteaux !
Et, si le malheur m’entraîne,
Sa disgrâce m’est certaine.
Il faut que son dédain, las ! Me livre au plus prompt trépas !
Années 70. 1971, je crois (22 novembre, peut-être). Un concert à la Maison de la Mutualité avec des amis. Jeunesse. Innocence. Naïveté. L’effervescence des années d’étudiant. Le gauchisme dans les facs et dans les rues. L’ébullition dans cette salle où même Léo Ferré est contesté par des anarchistes (?).
J’ai écouté souvent cette chanson mystérieuse de Ferré, seul ou avec d’autres. La Mémoire et la mer est parue sur le volume 1 de l’album Amour Anarchie en 1970 (5’29’’). Cet album (titre original complet: Amour Anarchie Ferré 70) est sorti en deux volumes successifs en mai et novembre 1970, puis en double album en décembre de la même année.
Ce texte fait appel à des images complexes et à des éléments personnels de la vie du chanteur.
Ferré se sert de l’univers maritime pour établir des parallèles entre la vie portuaire et insulaire et ses propres souvenirs. Ceux-ci apparaissent comme des réminiscences chimériques de sa vie. La mer est omniprésente dans le texte, comme une déchirure.
La chanson fait allusion au Fort du Guesclin que Léo Ferré a acheté en 1959. Il y réside jusqu’en 1968. Le Fort est construit sur un îlot, l’île du Guesclin, accessible à marée basse, à Saint-Coulomb en Ille-et-Vilaine, entre Saint-Malo et Cancale. Laissé à l’abandon à la suite d’un partage de biens difficile, il fut racheté en 1996 aux héritiers de Léo Ferré (Madeleine Rabereau, la deuxième femme de Léo Ferré, sa fille, Annie Butor, et sa troisième et dernière femme, Marie-Christine Diaz). par la famille allemande Porcher qui avait fait fortune dans l’industrie pharmaceutique. Le fils Serge a restauré la bâtisse et entretient depuis cette résidence.
Le texte et la musique sont de Léo Ferré, les arrangements et la direction musicale de Jean-Michel Defaye.
La mémoire et la mer
La marée, je l’ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite soeur, de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment
On l’arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j’en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l’écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l’ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d’une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu’un chagrin de ma solitude
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfare les cors
Pour le retour des camarades
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j’allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d’aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen
Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu’on dirait l’Espagne livide
Dieux des granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s’immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu’on pressent
Quand on pressent l’entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Dans cette mer jamais étale
D’où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Cette rumeur qui vient de là Sous l’arc copain où je m’aveugle Ces mains qui me font du fla-fla Ces mains ruminantes qui meuglent Cette rumeur me suit longtemps Comme un mendiant sous l’anathème Comme l’ombre qui perd son temps À dessiner mon théorème Et sur mon maquillage roux S’en vient battre comme une porte Cette rumeur qui va debout Dans la rue, aux musiques mortes C’est fini, la mer, c’est fini Sur la plage, le sable bêle Comme des moutons d’infini… Quand la mer bergère m’appelle
Interpétation de Léo Ferré au Théâtre des Champs-Élysées (1984):
Coup d’état militaire en Bolivie le 12 novembre 2019. La droite bourgeoise et raciste revient au pouvoir avec l’aide de l’armée et de la police. Trump, Bolsonaro sont derrière tout cela. Envie de vomir.
Je me souviens de notre voyage dans ce pays magnifique en octobre 2016.
Copacabana – Lac Titicaca – Huatajata – Tiahuanaco – La Paz – Vallée de la Lune – Tarabuco – Potosí – Sucre – Oruro – Desaguadero.
L’indépendance du pays a été obtenue en 1825, grâce aux armées de Bolívar, en hommage duquel la Bolivie prit son nom.
Samedi 16 octobre (10h-11h). France Culture. Simon Bolivar, encore ettoujours. Concordance des Temps de Jean-Noël Jeanneney.
Un extrait du poème de Pablo Neruda, Un chant pour Bolivar, est lu par Pierre Constant (Émission “Poèmes du monde” France Culture, 10 juillet 1971).
UN CANTO PARA BOLÍVAR
Padre nuestro que estás en la tierra, en el agua, en el aire de toda nuestra extensa latitud silenciosa, todo lleva tu nombre, padre, en nuestra morada: tu apellido la caña levanta a la dulzura, el estaño bolívar tiene un fulgor bolívar, el pájaro bolívar sobre el volcán bolívar, la patata, el salitre, las sombras especiales, las corrientes, las vetas de fosfórica piedra, todo lo nuestro viene de tu vida apagada, tu herencia fueron ríos, llanuras, campanarios, tu herencia es el pan nuestro de cada día, padre.
Tu pequeño cadáver de capitán valiente ha extendido en lo inmenso su metálica forma, de pronto salen dedos tuyos entre la nieve y el austral pescador saca a la luz de pronto tu sonrisa, tu voz palpitando en las redes. De qué color la rosa que junto a tu alma alcemos? Roja será la rosa que recuerde tu paso. Cómo serán las manos que toquen tu ceniza? Rojas serán las manos que en tu ceniza nacen. Y cómo es la semilla de tu corazón muerto? Es roja la semilla de tu corazón vivo.
Por eso es hoy la ronda de manos junto a ti. Junto a mi mano hay otra y hay otra junto a ella, y otra más, hasta el fondo del continente oscuro. Y otra mano que tú no conociste entonces viene también, Bolívar, a estrechar a la tuya: de Teruel, de Madrid, del Jarama, del Ebro, de la cárcel, del aire, de los muertos de España llega esta mano roja que es hija de la tuya.
Capitán, combatiente, donde una boca grita libertad, donde un oído escucha, donde un soldado rojo rompe una frente parda, donde un laurel de libres brota, donde una nueva bandera se adorna con la sangre de nuestra insigne aurora, Bolívar, capitán, se divisa tu rostro. Otra vez entre pólvora y humo tu espada está naciendo. Otra vez tu bandera con sangre se ha bordado. Los malvados atacan tu semilla de nuevo, clavado en otra cruz está el hijo del hombre.
Pero hacia la esperanza nos conduce tu sombra, el laurel y la luz de tu ejército rojo a través de la noche de América con tu mirada mira. Tus ojos que vigilan más allá de los mares, más allá de los pueblos oprimidos y heridos, más allá de las negras ciudades incendiadas, tu voz nace de nuevo, tu mano otra vez nace: tu ejército defiende las banderas sagradas: la Libertad sacude las campanas sangrientas, y un sonido terrible de dolores precede la aurora enrojecida por la sangre del hombre. Libertador, un mundo de paz nació en tus brazos. La paz, el pan, el trigo de tu sangre nacieron, de nuestra joven sangre venida de tu sangre saldrán paz, pan y trigo para el mundo que haremos.
Yo conocí a Bolívar una mañana larga, en Madrid, en la boca del Quinto Regimiento, Padre, le dije, eres o no eres o quién eres? Y mirando el Cuartel de la Montaña, dijo: “Despierto cada cien años cuando despierta el pueblo”.
Tercera Residencia. (1935-1945). Buenos Aires, Edición Losada, 1947.
Un chant pour Bolivar
Notre Père qui est sur la terre, sur l’eau, sur l’air
de toute notre vaste étendue silencieuse,
tout porte ton nom, père, dans notre demeure:
ton nom incite la canne à sucre à la douceur,
l’étain bolivar a un éclat bolivar,
l’oiseau bolivar sur le volcan bolivar,
la pomme de terre, le salpêtre, les ombres singulières,
les courants, les couches de pierre phosphorique,
tout ce qui est à nous vient de ta vie éteinte,
les fleuves, les plaines, les clochers furent ton héritage,
ton héritage notre pain de chaque jour, père.
Ton petit cadavre de capitaine courageux
a déployé dans l’infini sa forme métallique,
tes doigts surgissent soudain entre la neige
et le pêcheur austral tire tout à coup ton sourire à la lumière,
ta voix palpitante entre ses filets.
De quelle couleur sera la rose qu’auprès de ton âme nous élèverons?
Rouge sera la rose qui rappellera ton passage.
Comment seront les mains qui recueilleront ta cendre?
Rouges seront les mains qui naissent de ta cendre.
Et comment est la graine de ton cœur mort?
Rouge est la graine de ton cœur vivant.
Voilà pourquoi il y a aujourd’hui autour de toi une ronde de mains.
Près de ma main il y en a une autre et il y en a une autre
auprès d’elle,
et une autre encore, jusqu’au fond du continent obscur.
Et une autre main que tu ne connus pas alors
arrive aussi, Bolivar, pour étreindre la tienne:
de Teruel, de Madrid, du Jarama, de l’Èbre,
de la prison, de l’air, des morts de l’Espagne
arrive cette main rouge qui est la fille de la tienne.
Capitaine, combattant, là où une bouche
crie liberté, là où une oreille écoute,
là où un soldat rouge brise un front brun,
là où un laurier d’homme libre surgit, là où un nouveau
drapeau se pare du sang de notre insigne aurore,
Bolivar, capitaine, apparaît ton visage.
Encore une fois entre poudre et fumée ton épée est en train de naître.
Encore une fois ton drapeau s’est brodé de sang.
La perversion attaque à nouveau ta semence,
le fils de l’homme est cloué sur une autre croix.
Mais ton ombre nous conduit vers l’espérance,
le laurier et la lumière de ton armée rouge
regardent par ton regard à travers la nuit d’Amérique.
Tes yeux qui veillent au-delà des mers,
au-delà des peuples opprimés et blessés,
au-delà des noires villes incendiées,
ta voix naît à nouveau, ta main naît une fois encore:
ton armée défend les drapeaux sacrés:
la Liberté agite les cloches sanglantes,
et un son terrible de souffrances précède
l’aurore rougie par le sang de l’homme.
Libérateur, un monde de paix est né dans tes bras.
La paix, le pain, le blé naquirent de ton sang,
de notre jeune sang qui est né de ton sang
surgiront paix, pain, blé pour le monde que nous ferons.
J’ai connu Bolivar par un long matin,
à Madrid, au sein du Cinquième Régiment.
Père, lui dis-je, es-tu ou n’es-tu pas ou qui es-tu?
Et regardant le Cuartel de la Montaña, il dit:
«Je m’éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille.»
Résidence sur la Terre, Traduit de l’espagnol par Guy Suarès. Collection Poésie/Gallimard N° 83 (1972)
Le poète catalan Joan Margarit vient d’obtenir le Prix Cervantes 2019, le Prix Nobel des langues castillanes. Avant lui, l’ont obtenu d’autres catalans comme Juan Marsé, Ana María Matute, Juan Goytisolo et Eduardo Mendoza. Mais, c’est le premier qui possède une oeuvre pleinement bilingue en catalan et en castillan. Il a déclaré au journal El País: “No voy a renunciar a las dos lenguas digan lo que digan los políticos”.
Un peu d’espoir: un gouvernement de gauche, un début de dialogue. Attendre Voir.
El mar
Com els lloms foscos d’un ramat de poltres,
les onades s’acosten, desplomant-se
amb una remor sorda però lírica
que Homer va ser el primer a saber escoltar.
Cansades de la llarga galopada,
es posen a tremolar.
Després es queixen, ronques de plaer,
com una dona als braços de l’amant.
Les onades, més tard, comencen
a abraonar-se, escumejants, com llops
que haguessin olorat alguna presa.
El ponent, arribant de rere meu,
posa medalles roges als seus lloms.
En la vora mullada de la sorra
veig les teves empremtes i, per l’aire,
passa una ombra daurada del teu cos.
Era de tu que m’avisava, doncs,
amb els seus gestos de sordmut, el mar.
Està dient que el lloc, dins meu, que ocupes
serà part de l’infern si el deixes buit.
Que al fons d’aquest amor torna a esperar-me
la desolació dels meus vint anys.
Estació de França. Madrid: Hiperión, 1999. Edición bilingüe catalán-castellano.
El mar
Como lomos oscuros de un rebaño de potros se aproximan las olas, desplomándose con este rumor sordo pero lírico que Homero fue el primero en escuchar. Cansadas de su larga galopada, se ponen a temblar. Después se quejan, roncas de placer, igual que una mujer en brazos de su amante. Más tarde se abalanzan entre espumas, como si fueran lobos que olfatearan la presa. El poniente, llegando por mi espalda, pone medallas rojas en sus lomos. En la orilla mojada de la arena veo tus huellas, por el aire pasa una dorada sombra de tu cuerpo. O sea que es de ti de quien, con gestos de sordomudo, me está hablando el mar. Dice que este lugar dentro de mí que ocupas pasaría a ser parte del infierno si tú lo abandonaras.
Je m’appuie à un arbre mutilé
abandonné dans cette combe
qui a la langueur
d’un cirque
avant ou après le spectacle
et je regarde
le passage paisible
des nuages sur la lune
Ce matin je me suis étendu
dans l’urne de l’eau
et comme une relique
j’ai reposé
L’Isonzo en coulant
me polissait
comme un de ses galets
J’ai ramassé
mes os
et m’en suis allé
comme un acrobate
sur l’eau
Je me suis accroupi
près de mes habits
sales de guerre
et comme un bédouin
je me suis prosterné pour recevoir
le soleil
Voici l’Isonzo
et mieux ici
je me suis reconnu
fibre docile
de l’univers
Mon supplice
c’est quand
je ne me crois pas
en harmonie
Mais ces occultes
mains
qui me pétrissent
m’offrent
la rare
félicité
J’ai repassé
les époques
de ma vie
Voici
mes fleuves
Celui-ci est le Serchio
c’est à lui qu’ont puisé
deux mille années peut-être
de mon peuple campagnard
et mon père et ma mère
Celui-ci c’est le Nil
qui m’a vu
naître et grandir
et brûler d’ingénuité
dans l’étendue de ses plaines
Celle-là est la Seine
dans ses eaux troubles
s’est refait mon mélange
et je me suis connu
Ceux-là sont mes fleuves
comptés dans l’Isonzo
Et c’est là ma nostalgie qui dans chaque être m’apparaît à cette heure qu’il fait nuit que ma vie me paraît une corolle de ténèbres
Cotici, 16 août 1916
Traduit de l’italien par Jean Lescure. Editions de Minuit, 1954. «Vie d’un homme. Poésie 1914-1970» Editions Poésie/Gallimard , 1981. Pages 58-60.
I Fiumi
Mi tengo a quest’albero mutilato
Abbandonato in questa dolina
Che ha il languore
Di un circo
Prima o dopo lo spettacolo
E guardo
Il passaggio quieto
Delle nuvole sulla luna
Stamani mi sono disteso
In un’urna d’acqua
E come una reliquia
Ho riposato
L’Isonzo scorrendo
Mi levigava
Come un suo sasso
Ho tirato su
Le mie quattro ossa
E me ne sono andato
Come un acrobata
Sull’acqua
Mi sono accoccolato
Vicino ai miei panni
Sudici di guerra
E come un beduino
Mi sono chinato a ricevere
Il sole
Questo è l’Isonzo
E qui meglio
Mi sono riconosciuto
Una docile fibra
Dell’universo
Il mio supplizio
È quando
Non mi credo
In armonia
Ma quelle occulte
Mani
Che m’intridono
Mi regalano
La rara
Felicità
Ho ripassato
Le epoche
Della mia vita
Questi sono
I miei fiumi
Questo è il Serchio
Al quale hanno attinto
Duemil’anni forse
Di gente mia campagnola
E mio padre e mia madre.
Questo è il Nilo
Che mi ha visto
Nascere e crescere
E ardere d’inconsapevolezza
Nelle distese pianure
Questa è la Senna
E in quel suo torbido
Mi sono rimescolato
E mi sono conosciuto
Questi sono i miei fiumi
Contati nell’Isonzo
Questa è la mia nostalgia Che in ognuno Mi traspare Ora ch’è notte Che la mia vita mi pare Una corolla Di tenebre
Cotici il 16 agosto 1916
Vita d’un uomo. Tutte le poesie. Mondadori editore, Milano, 1969.
Vittorio Gassman lit Les fleuves de Giuseppe Ungaretti:
Mi padre duerme. Su semblante augusto figura un apacible corazón; está ahora tan dulce… si hay algo en él de amargo, seré yo.
Hay soledad en el hogar; se reza; y no hay noticias de los hijos hoy. Mi padre se despierta, ausculta la huida a Egipto, el restañante adiós. Está ahora tan cerca; si hay algo en él de lejos, seré yo.
Y mi madre pasea allá en los huertos, saboreando un sabor ya sin sabor. Está ahora tan suave, tan ala, tan salida, tan amor.
Hay soledad en el hogar sin bulla, sin noticias, sin verde, sin niñez. Y si hay algo quebrado en esta tarde, y que baja y que cruje, son dos viejos caminos blancos, curvos. Por ellos va mi corazón a pie.
Los Heraldos Negros, 1918.
[Dante Liano (1948), écrivain guatémaltèque, utilise les quatre derniers vers de ce poème de Vallejo comme épigraphe de son roman Réquiem por Teresa, publié cette année dans la collection de poche du Fondo de Cultura económica.]
Les pas lointains
Mon père dort. Son auguste visage figure un cœur serein ; il est maintenant si doux… s’il est en lui quelque chose d’amer, ce doit être moi.
Il y a de la solitude au foyer ; on prie ; et pas de nouvelles des enfants aujourd’hui. Mon père s’éveille, ausculte la fuite en Égypte, l’adieu apaisant. Il est maintenant si proche ; s’il est en lui quelque chose de lointain, ce doit être moi.
Et ma mère se promène là-bas dans les jardins, savourant une saveur désormais sans saveur. Elle est maintenant si suave, si aile, si départ, si amour.
Il y a de la solitude au foyer sans tumulte, sans nouvelles, sans vert, sans enfance. Et s’il est quelque chose de brisé ce soir, et qui descend et qui grince, ce sont deux vieux chemins blancs, courbés. Mon cœur les parcourt à pied.
Automne malade et adoré Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies Quand il aura neigé dans les vergers
Pauvre automne Meurs en blancheur et en richesse de neige et fruits mûrs. Au fond du ciel Des éperviers planent Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines Qui n’ont jamais aimé
Aux lisières lointaines, les cerfs ont bramé
Et que j’aime ô saison, que j’aime tes rumeurs Les fruits tombant, sans qu’on les cueille Le vent et la forêt qui pleurent Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille Les feuilles qu’on foule, Un train qui roule La vie s’écoule…
Alcools, 1913.
En évoquant cet automne malheureux qu’on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre situation, et la déception amoureuse qu’il a connue avec Annie Playden. Celle-ci est née en Angleterre le 28 janvier 1880. Elle est morte en 1967. Elle aurait inspiré au poète entre autres Annie, La Chanson du mal-aimé et L’Émigrant de Landor Road.
En juillet 1900, Guillaume Apollinaire trouve un emploi dans une officine financière où il fait la connaissance de René Nicosia. La mère de celui-ci est le professeur de piano de Gabrielle, la fille de Élinor Hölterhoff, vicomtesse de Milhau. Celle-ci cherche un professeur de français pour Gabrielle. Madame Nicosia lui présente Apollinaire qui est engagé en mai 1901. Quand la vicomtesse de Milhau décide de faire un long séjour en Allemagne où sa famille habite, Apollinaire est du voyage, ainsi qu’Annie Playden, la gouvernante anglaise de Gabrielle. Une idylle s’ébauche entre les deux jeunes gens qui sont nés tous les deux en 1880. En août 1902, Apollinaire a terminé son contrat d’un an et il rentre à Paris. En novembre 1903, il se rend à Londres, où il loge chez son ami Faik Konica. Il essaie de revoir Annie Playden, rentrée en Angleterre. Il y retourne en mai 1904. Il se heurte au refus de la jeune fille. Peu de temps après, Annie Playden quitte l’Angleterre et s’installe aux États-Unis. Elle fut retrouvée cinquante ans plus tard par des spécialistes d’Apollinaire, devenue Mrs Postings. Elle n’avait aucune connaissance de la destinée de son soupirant, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Wilhelm Kostrowicki et qu’on appelait «Kostro».
Témoignage d’Apollinaire ««Aubade» n’est pas un poème à part mais un intermède intercalé dans «La Chanson du mal aimé» qui datant de 1903 commémore mon premier amour à vingt ans, une Anglaise rencontrée en Allemagne, ça dura un an, nous dûmes retourner chacun chez nous, puis ne nous écrivîmes plus. Et bien des expressions de ce poème sont trop sévères et injurieuses pour une fille qui ne comprenait rien à moi et qui m’aima puis fut déconcertée d’aimer un poète, être fantasque; je l’aimais charnellement mais nos esprits étaient loin l’un de l’autre. Elle était fine et gaie cependant. J’en fus jaloux sans raison et par l’absence vivement ressentie, ma poésie qui peint bien cependant mon état d’âme, poète inconnu au milieu d’autres poètes inconnus, elle loin et ne pouvant venir à Paris. Je fus la voir deux fois à Londres, mais le mariage était impossible et tout s’arrangea par son départ à l’Amérique, mais j’en souffris beaucoup, témoin ce poème où je me croyais mal-aimé, tandis que c’était moi qui aimait mal et aussi «L’Émigrant de Landor Road» qui commémore le même amour, de même que «Cors de chasse» commémore les mêmes souvenirs déchirants que «Zone», «Le Pont Mirabeau» et «Marie» le plus déchirant de tous je crois.»
Guillaume Apollinaire, Lettre à Madeleine Pagès, 30 juillet 1915.