Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke. Statue qui se trouve dans un jardin situé derrière l’Hôtel Reina Victoria à Ronda, Il séjourne dans cet établissement du 9 décembre 1912 au 19 février 1913. Il nomme cette ville andalouse “La Ville rêvée”.

Pour me fêter fait pendant au recueil Pour te fêter adressé à Lou Andreas-Salomé. Il paraît en décembre 1900. La plupart des textes sont rédigés entre novembre 1897 et fin mai 1898. Ils sont repris dans une nouvelle édition très remaniée publiée en mai 1909 sous le titre Poèmes de l’aube.

Pour me fêter

Telle est la nostalgie: habiter dans les vagues
et ne jamais avoir d’asile dans le temps.
Et tels sont les désirs: dialogues à voix basse
des heures quotidiennes avec l’éternité.

Et ainsi va la vie – jusqu’à ce que des heures
de la veille s’élève la plus solitaire
qui, souriant autrement que ses sœurs,
s’offre en silence à l’éternel.

3 novembre 1897.

°°°
Les pauvres mots que la vie quotidienne
flétrit, les mots sans éclat, je les aime.
Je leur prodigue les couleurs de mes fêtes,
et ils sourient et lentement trouvent la joie.

Ils chauffent leurs blanches joues d’hiver
au miracle qui survint à leur douleur;
jamais encore ils ne furent chantés,
mais frémissants, dans mon chant ils s’avancent.

°°°

Tu ne dois pas chercher à comprendre la vie,
elle sera dès lors pour toi comme une fête.
Laisse chaque jour te combler
comme un enfant qui passe
se voit comblé de fleurs
par chaque brise.

Il ne lui vient pas à l’esprit
de les ramasser ni de les garder.
Doucement de sa chevelure,
tendre prison, il les enlève,
et à ses chères jeunes années
il tend les mains pour avoir d’autres fleurs.

°°°

Les rêves de ta vie profonde,
libère-les de leur ténèbre.
Ils sont jeux d’eaux et tombent
plus clairs et en pauses chantantes
dans le sein de leurs vasques.

Et je sais maintenant : deviens tel un enfant
Toute angoisse n’est qu’un commencement;
mais la terre est illimitée,
et la peur n’en est que le geste
et le désir en est le sens.

Oeuvres 2. Poésie. Poèmes de jeunesse. Le Seuil. 1972. Traduction Jacques Legrand.

Luis Cernuda

Luis Cernuda. Ayamonte (Huelva). 1934.

Ce poème fait partie du recueil Los placeres prohibidos qui ne sera publié pour la première fois qu’en 1936 dans La Realidad y el Deseo. Cette oeuvre est le produit d’une période de production intense à Madrid en avril, mai et juin 1931. Elle correspond à la chute de la monarchie d’Alfonso XIII et à la proclamation de la République. L’allusion à “la araña de la razón” fait référence à Friedrich Nietzsche.

Ainsi parlait Zarathoustra. 1883-85. Traduction Henri Albert . Le Mercure de France.1903. Troisième partie: Avant le lever du soleil.
« J’ai mis en place de cette volonté, cette pétulance et cette folie, lorsque j’ai enseigné: «Une chose est impossible partout – et cette chose est le sens raisonnable! »
Un peu de raison cependant, un grain de sagesse, dispersé d’étoile en étoile, – ce levain est mêlé à toutes choses: c’est à cause de la folie que la sagesse est mêlée à toutes choses!
Un peu de sagesse est possible; mais j’ai trouvé dans toutes choses cette certitude bienheureuse: elles préfèrent danser sur les pieds du hasard.
Ô ciel au-dessus de moi, ciel pur et haut! Ceci est maintenant pour moi ta pureté qu’il n’existe pas d’éternelle araignée et de toile d’araignée de la raison: –
– que tu es un lieu de danse pour les hasards divins, que tu es une table divine pour le jeu de dés et les joueurs divins! – »

Telarañas cuelgan de la razón

Telarañas cuelgan de la razón
En un paisaje de ceniza absorta;
Ha pasado el huracán de amor,
Ya ningún pájaro queda.

Tampoco ninguna hoja,
Todas van lejos, como gotas de agua
De un mar cuando se seca,
Cuando no hay ya lágrimas bastantes,
Porque alguien, cruel como un día de sol en primavera,
Con su sola presencia ha dividido en dos un cuerpo.

Ahora hace falta recoger los trozos de prudencia,
Aunque siempre nos falte alguno;
Recoger la vida vacía
Y caminar esperando que lentamente se llene,
Si es posible, otra vez, como antes,
De sueños desconocidos y deseos invisibles.

Tú nada sabes de ello,
Tú estás allá, cruel como el día;
El día, esa luz que abraza estrechamente un triste muro,
Un muro, ¿no comprendes?,
Un muro frente al cuál estoy sólo.

Abril de 1931.
Los placeres prohibidos, 1931.

Des fils d’araignée couvrent la raison

Des fils d’araignée couvrent la raison,
Méditative dans un décor de cendres;
L’ouragan de l’amour est passé,
Il ne reste aucun oiseau.

Et plus aucune feuille,
Elles s’en vont, comme des gouttes d’eau
D’une mer qui s’assèche,
Quand il ne reste plus assez de larmes,
Car un être, cruel comme un jour de printemps ensoleillé,
Par sa seule présence, a divisé un corps en deux.

Il faudra maintenant rassembler les morceaux de prudence,
Il en manque toujours un;
Rassembler l’existence vide
Et marcher avec l’espoir qu’un jour elle se remplisse,
À nouveau, comme avant, si possible,
De rêveries inconnues et de désirs invisibles.

Mais toi, tu n’en sais rien,
Tu es loin, cruel comme le jour;
Le jour, lumière qui étreint étroitement un triste mur,
Un mur, le comprends-tu?
Un mur devant lequel je suis seul.

Les plaisirs interdits. Presse Sorbonne Nouvelle. 2010. Traduction: Françoise ÉTIENVRE, Serge SALAÜN, Zoraida CARANDELL, Laurie-Anne LAGET, Melissa LECOINTRE.

Fernando Pessoa

Fernando Pessoa. 1 février 1935. Dernière photo (Augusto Ferreira Gomes).

« Je relis – plongé dans une de ces somnolences sans sommeil où l’on s’amuse intelligemment sans intelligence – certaines des pages qui formeront, rassemblées, mon livre d’impressions décousues. Et voici qu’il monte de ces pages, telle l’odeur de quelque chose de bien connu, une impression désertique de monotonie. Je sens que, même en disant que je suis toujours différent, j’ai répété sans cesse la même chose; que je suis plus semblable à moi-même que je ne voudrais l’avouer; et qu’en fin de compte, je n’ai eu ni la joie de gagner, ni l’émotion de perdre. Je suis une absence de bilan de moi-même, un manque d’équilibre spontané, qui me consterne et m’affaiblit.
Tout ce que j’ai écrit est grisâtre. On dirait que ma vie entière, et jusqu’à ma vie mentale, n’a été qu’un long jour de pluie, où tout est internement et pénombre, privilège vide et raison d’être oubliée. Je me désole en haillons de soie. Je m’ignore moi-même, en lumière et ennui.
Mon humble effort, pour dire au moins qui je suis, pour enregistrer, comme une machine à nerfs, les impressions les plus minimes de ma vie subjective et suraiguë – tout cela s’est vidé soudain comme un seau d’eau qu’on renverse, et qui a trempé le sol comme l’eau de toute chose. Je me suis fabriqué à coups de couleurs fausses – et le résultat, c’est mon empire de pacotille. Ce coeur, auquel j’avais confié en dépôt les grands événements d’une prose vécue, me semble aujourd’hui écrit dans le lointain de ces pages que je relis d’une âme différente, la vieille pompe d’un jardin de province, montée par instinct, actionnée par nécessité. J’ai fait naufrage sans la moindre tempête, dans une mer où j’avais pied.
Et je demande à ce qui me reste de conscient, dans cette suite confuse d’intervalles entre des choses qui n’existent pas, à quoi cela a servi de remplir tant de pages avec des phrases auxquelles j’ai cru, les croyant miennes, des émotions que j’ai ressenties comme pensées, des drapeaux et des oriflammes d’armées qui n’étaient, en fin de compte, que des bouts de papier collés avec sa salive par la fille d’un mendiant s’abritant dans les encoignures.
Je demande à ce qui reste de moi à quoi riment ces pages inutiles, consacrées au rebut et aux ordures, perdues avant même d’exister parmi les bouts du papier du Destin.
Je m’interroge, et je poursuis. J’écris ma question, je l’emballe dans de nouvelles phrases, la désenchevêtre de nouvelles émotions. Et je recommencerai demain à écrire, poursuivant ainsi mon livre stupide, les impressions journalières de mon inconviction, en toute froideur.
Qu’elles se poursuivent donc, telles qu’elles sont. Une fois achevée la partie de dominos – et qu’on l’ait gagnée ou perdue -, on retourne toutes les pièces, et tout le jeu, alors, est noir.”

Le livre de l’intranquillité. Christian Bourgois Éditeur. Édition de 1999. 442. p.419.

«Releio, em uma destas sonolências sem sono, em que nos entretemos inteligentemente sem a inteligência, algumas das páginas que formarão, todas juntas, o meu livro de impressões sem nexo. E delas me sobe, como um cheiro de coisa conhecida, uma impressão deserta de monotonia. Sinto que, ainda ao dizer que sou sempre diferente, disse sempre a mesma coisa; que sou mais análogo a mim mesmo do que quereria confessar; que, em fecho de contas, nem tive a alegria de ganhar nem a emoção de perder. Sou uma ausência de saldo de mim mesmo, de um equilíbrio involuntário que me desola e enfraquece. Tudo, quanto escrevi, é pardo. Dirse-ia que a minha vida, ainda a mental, era um dia de chuva lenta, em que tudo é desacontecimento e penumbra, privilégio vazio e razão esquecida. Desolo-me a seda rota. Desconheço-me a luz e tédio. Meu esforço humilde, de sequer dizer quem sou, de registrar, como uma máquina de nervos, as impressões mínimas da minha vida subjetiva e aguda, tudo isso se me esvaziou como um balde em que esbarrassem, e se molhou pela terra como a água de tudo. Fabriquei-me a tintas falsas, resultei a império de trapeira. Meu coração, de quem fiei os grandes acontecimentos da prosa vivida, parece-me hoje, escrito na distância destas páginas relidas com outra alma, uma bomba de quintal de província, instalada por instinto e manobrada por serviço. Naufraguei sem tormenta num mar onde se pode estar de pé. E pergunto ao que me resta de consciente nesta série confusa de intervalos entre coisas que não existem, de que me serviu encher tantas páginas de frases em que acreditei como minhas, de emoções que senti como pensadas, de bandeiras e pendões de exércitos que são, afinal, papéis colados com cuspo pela filha do mendigo debaixo dos beirais. Pergunto ao que me resta de mim a que vêm estas páginas inúteis, consagradas ao lixo e ao desvio, perdidas antes de ser entre os papéis rasgados do Destino. Pergunto, e prossigo. Escrevo a pergunta, embrulho-a em novas frases, desmeado-a de novas emoções. E amanhã tornarei a escrever, na seqüência do meu livro estúpido, as impressões diárias do meu desconvencimento com frio. Sigam, tais como são. Jogado o dominó, e ganho o jogo, ou perdido, as pedras viram-se para baixo e o jogo findo é negro.»

Livro do Desassossego por Bernardo Soares. Assírio & Alvim, 1998.

Luis de Góngora

Portrait de Luis de Góngora y Argote (Diego Velázquez) 1622. Boston, Musée des Beaux-Arts.

Philippe C. a publié aujourd’hui sur Facebook Inscripción para el sepulcro de Dominico Greco que Jean Cassou considérait comme un des plus beaux sonnets du poète andalou. on peut retrouver son article publié dans Le Mercure de France en 1924. Il tenait dans cette revue, environ une fois par mois, la rubrique des Lettres espagnoles.

http://viedelabrochure.canalblog.com/archives/2018/06/21/36505347.html?fbclid=IwAR1LllvsFc8RXQTlOEgDuBE_Z2arlgcGj4DSVRfUgIGa1u7HxwWc41nSAJw

il insistait aussi sur la richesse et la diversité de la poésie de Luis de Góngora y Argote (1561-1627). On trouve aussi dans son oeuvre des élégies d’un ton simplement populaire. Ainsi, le premier disque de Paco Ibáñez était dédié à deux monuments de la poésie andalouse: Luis de Góngora y Federico García Lorca. Il y a longtemps déjà, nous écoutions La más bella niña.

1580

La más bella niña
de nuestro lugar,
hoy viuda y sola,
ayer por casar,
viendo que sus ojos
a la guerra van,
a su madre dice
que escucha su mal:
dejadme llorar
orillas del mar.

Pues me distes, madre,
en tan tierna edad
tan corto el placer,
tan largo el pesar,
y me cautivastes
de quien hoy se va
y lleva las llaves
de mi libertad:
dejadme llorar
orillas del mar.

En llorar conviertan
mis ojos de hoy más,
el sabroso oficio
del dulce mirar,
pues que no se pueden
mejor ocupar
yéndose a la guerra
quien era mi paz.
dejadme llorar
orillas del mar.

No me pongáis freno
ni queráis culpar;
que lo uno es justo,
lo otro por demás.
Si me queréis bien,
no me hagáis mal;
harto peor fue
morir y callar:
dejadme llorar
orillas del mar.

Dulce madre mía,
¿quién no llorará,
aunque tenga el pecho
como un pedernal,
y no dará voces
viendo marchitar
los más verdes años
de mi mocedad?
Dejadme llorar
orillas del mar.

Váyanse las noches,
pues ido se han
los ojos que hacían
los míos velar;
váyanse y no vean
tanta soledad,
después que en mi lecho
sobra la mita:
dejadme llorar
orillas del mar.

https://www.youtube.com/watch?v=t5m9Pov0i0o

Ce poème de Góngora est une réélaboration d’un romance primitif. Il fait probablement aussi référence aux levées de troupes qui se eurent lieu au moment de la Guerre des Alpujarras entre 1568 et 1571. La population morisque grenadine s’était soulevée pour protester contre la sanction pragmatique de 1567 qui portait atteinte à sa liberté religieuse.

Carlos Pezoa Véliz – Roberto Bolaño

Carlos Pezoa Véliz. Vers 1905.

Le poète et journaliste chilien , anarchiste et autodidacte, Carlos Pezoa Véliz, de son vrai nom Carlos Enrique Moyano Jaña, est né à Santiago le 21 juillet 1879.

Il est très gravement blessé aux jambes lors du terrible tremblement de terre qui secoue Valparaíso le 16 août 1906 et cause 3000 morts et 20 000 blessés. Les murs de la pension où il habite à Viña del Mar s’écroulent sur lui. Il fait de longs séjours dans les hôpitaux de Santiago et meurt, à 28 ans, le 21 avril 1908 de tuberculose. Son œuvre complète est éditée en 1927 sous le titre de Poesías y prosas completas (Editorial Renacimiento). On retrouve un peu l’influence de sa poésie rebelle, ironique et populaire chez Nicanor Parra. Roberto Bolaño pensait que le poème Tarde en el hospital méritait de figurer dans une anthologie de la mélancolie latinoaméricaine (voir son article La poesía chilena y la intemperie. Numero Chile de la revue Litoral. Poesía contemporánea con una mirada al arte actual (número 223-224. 1999). Cette revue, encore bien vivante, a été fondée à Málaga en 1926 par les poètes Emilio Prados et Manuel Altolaguirre.

Tarde en el hospital

Sobre el campo el agua mustia
cae fina, grácil, leve;
con el agua cae angustia:
llueve…

Y pues solo en amplia pieza,
yazgo en cama, yazgo enfermo,
para espantar la tristeza,
duermo.

Pero el agua ha lloriqueado
junto a mí, cansada, leve;
despierto sobresaltado:
llueve…

Entonces, muerto de angustia
ante el panorama inmenso,
mientras cae el agua mustia,
pienso.

1907.

Litoral. Número 223-224. 1999.

César Vallejo

Étang du Maubuée l’hiver.

César Vallejo, un de mes poètes préférés, toutes langues confondues. J’aimerais me promener au bord de la Marne.

El libro de la naturaleza

Profesor de sollozo – he dicho a un árbol –
palo de azogue, tilo
rumoreante, a la orilla del Mame, un buen alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
entre el agua evidente y el sol falso,
su tres de copas, su caballo de oros.

Rector de los capítulos del cielo,
de la mosca ardiente, de la calma manual que hay en los asnos;
rector de honda ignorancia, un mal alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
el hambre de razón que le enloquece
y la sed de demencia que le aloca.

Técnico en gritos, árbol consciente, fuerte,
fluvial, doble, solar, doble, fanático,
conocedor de rosas cardinales, totalmente
metido, hasta hacer sangre, en aguijones, un alumno
leyendo va en tu naipe, en tu hojarasca,
su rey precoz, telúrico, volcánico, de espadas.

¡Oh profesor, de haber tánto ignorado!
¡oh rector, de temblar tánto en el aire!
¡oh técnico, de tánto que te inclinas!
¡Oh tilo! ¡oh palo rumoroso junto al Marne!

21 de octubre de 1937.
Poemas humanos. (1923-1938)

Max Aub – Juan Ramón Jiménez

Max Aub en su despacho de Radio UNAM, Universidad Nacional Autónoma de México, 1962 (Ricardo Salazar)

41 jours de confinement. Je range ma bibliothèque principale. Je retrouve certains livres, délaissés depuis longtemps. Cuerpos presentes de Max Aub. Biblioteca “Max Aub” Fundación Max Aub, 2001. De magnifiques portraits de littérature et de vie. Ceux de Juan Ramón Jiménez et de Luis Cernuda sont à signaler.

J.R.J

” Nunca quise conocerle. Bastábamos los demás; lo que decía de ellos, ellos de él. No le importaban tanto las palabras ajenas como los afectos incondicionales. Además yo tenía por entonces la sospecha de que iba a gustarme la poesía con barba.
Con el tiempo muy pasado, nos escribimos cada vez con mayor cordialidad. Seguía con su manía persecutoria, pero ya no podía ir, por las buenas a su casa.

-¿Vienes?

-No.

Tampoco me pedían explicaciones. Después murieron los dos y algo mío también, y a todos los que les conocieron se les quedó algo muerto dentro.
España fue un país agraciado en el primer tercio del siglo XX; no porque Juan Ramón fuera o no mejor que Eliot o Valéry sino porque uno podía ir o no a su casa o sentarse a perder el tiempo con Valle, con Machado, con Federico o irse a París o quedarse en Madrid para andar y beber con Buñuel, y Dalí era todavía una persona decente. Y Américo Castro y Salinas y Moreno Villa estaban en Medinaceli o en la residencia. Y Ortega daba clases. No es cierto aquello de que «Cualquier tiemo fue mejor». Aquel tiempo, sí.

-¿Vienes?

-No.

O se iba uno a hablar catalán con Rita o López Picó en un café de las Ramblas o al teatro con Canedo.
Hace un tercio de siglo que no he ido a Madrid ni a Barcelona. Sé que rebosan salud y hay de todo en los bares y en las pastelerías, y que puede hablarse sin cuidado tan mal del gobierno como lo hacíamos entonces. Y, sin duda, el Prado sigue siendo el Prado. Pero la cultura no es eso, ni que Valle, Unamuno, Azaña pudieran decir lo que quisieran. Era un aire. Y nadie lo recogió mejor, sin nombrarlo, que Juan Ramón. Todos ellos están mal enterrados, sobre todo, parece mentira, el andaluz universal que debe de llevarse tan mal con muchos del otro mundo como le pasó con algunos de éste.
Hombre difícil de olvidar, sobre todo si no se le conoció, como yo. ¡Qué Juan Ramón aquél ! ¡Qué Juan Ramón éste! ¿Desde cuándo no hubo un poeta como él?”

Ricardo Menéndez Salmón – Dylan Thomas

J’ai terminé de lire hier soir le récit de Ricardo Menéndez Salmón No entres dócilmente en esa noche quieta (Seix Barral, 2020). Ce livre m’ a déçu par son ton froid et distancié. J’avais pourtant aimé certains des livres précédents de cet auteur, particulièrement la trilogie du mal (La ofensa, Derrumbe et El corrector). C’est un livre autobiographique qui évoque la figure de son père malade, auprès duquel il a grandi et souffert. Ce père est décédé à l’hôpital de la Croix Rouge de Gijón le 12 juin 2015 après 33 ans de maladie. Je n’ai pas retrouvé la compréhension et la tendresse dont fait preuve Manuel Vilas dans Ordesa (Alfaguara, 2018). Il s’agit plutôt d’un règlement de comptes. Le titre évoque le célèbre poème de Dylan Thomas (1914-1953). Dans le film Interstellar de Christopher Nolan (2014), le professeur Brand (Michael Caine) et le Dr. Mann (Matt Damon) récitent des passages de ce poème à différents moments du film. Il est également utilisé comme thème des différentes luttes entreprises par Cooper (Matthew McConaughey).

Oeuvres:

  • La filosofía en invierno, KRK Ediciones, 1999 (réédition en 2007).
  • Panóptico, KRK ediciones, 2001.
  • Los arrebatados, Ediciones Trea, 2003.
  • Los caballos azules, Ediciones Trea, 2005.
  • La noche feroz, KRK Ediciones 2006. Réédition Seix Barral, 2011.
  • La ofensa, Seix Barral, 2007.
  • Gritar, Lengua de Trapo, Madrid, 2007. Réédition 2012.
  • Derrumbe. Seix Barral, 2008.
  • El corrector, Seix Barral, 2009.
  • La luz es más antigua que el amor, Seix Barral, 2010.
  • Medusa, Seix Barral, 2012.
  • Niños en el tiempo, Seix Barral, 2014.
  • El Sistema, Seix Barral, 2016.
  • Homo Lubitz, Seix Barral, 2018.
  • No entres dócilmente en esa noche quieta, Seix Barral, 2020.

Traductions en français:
La philosophie en hiver, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2011. Traduction de Delphine Valentin.
L’offense, Actes Sud, Arlés, 2009. Traduction d’ Aleksandar Grujicic et Elisabeth Beyer.
Débâcle, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2015. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.
Le correcteur, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2011. Traduction de Delphine Valentin.
La lumière est plus ancienne que l’amour, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2012. Traduction de Delphine Valentin.
Medusa , Éditions Jacqueline Chambon, París, 2013. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.
Enfants dans le temps, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2016. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.
L’Île Réalité, Éditions Jacqueline Chambon, París, 2018. Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.

Do not go gentle into that good night (Dylan Thomas). 1951.

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieve it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless, me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en un verre baie
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prient et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprenant, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.

Vision et Prière. Poésie/Gallimard, 1991. Traduit de l’anglais par Alain Suied.

Lecture du poème par Dylan Thomas:

https://www.youtube.com/watch?v=1mRec3VbH3w

Poème récité par Anthony Hopkins. Scènes du film.

https://www.youtube.com/watch?v=4eRTkP7LQKc

Swansea. Statue de Dyman Thomas.

Luis Cernuda

Sevilla. Jardines del Alcázar. Lado oeste desde un balcón de la galería del Grutesco.

Nous devions aller à Séville en mars. Voyage annulé pour cause de confinement. Dommage! Juan Ramón Jiménez, dans son Diario de un poeta recién casado (1917) s’exprimait ainsi:

“En la primavera universal, suele el Paraíso descender hasta Sevilla”

Évocation nostalgique d’une fontaine des jardins de l’Alcázar où le poète Luis Cernuda (1902-1963) venait quand il était jeune. Il vivait alors en exil à Glasgow, ville qu’il détestait.

Jardín antiguo

Ir de nuevo al jardín cerrado,
Que tras los arcos de la tapia,
Entre magnolios, limoneros,
Guarda el encanto de las aguas.

Oír de nuevo en el silencio,
Vivo de trinos y de hojas,
El susurro tibio del aire
Donde las almas viejas flotan.

Ver otra vez el cielo hondo
A lo lejos, la torre esbelta
Tal flor de luz sobre las palmas:
Las cosas todas siempre bellas.

Sentir otra vez, como entonces,
La espina aguda del deseo,
Mientras la juventud pasada
Vuelve. Sueño de un dios sin tiempo.

Glasgow, 13 de septiembre de 1939.

Las nubes, 1937-1940.

Jardin ancien

Revenir à ce jardin clos,
Qui derrière les arcs du mur,
Parmi magnolias, citronniers,
Garde l’enchantement des eaux.

Entendre encor dans le silence,
Vivant de trilles et de feuilles,
Le tiède murmure de l’air
Où flottent des âmes anciennes,

Voir de nouveau le ciel profond
Dans le lointain, la tour svelte
Fleur de lumière sur les palmes:
Toutes les choses toujours belles.

Sentir de nouveau, comme alors,
L’épine acérée du désir,
Tandis que la jeunesse enfuie
Revient. Songe d’un dieu sans temps.

Les nuages 1937-1940. Traduction de Jacques Ancet.

Jorge Luis Borges

La cifra, 1981.

Inscripción

De la serie de hechos inexplicables que son el universo o el tiempo, la dedicatoria de un libro no es, por cierto, el menos arcano. Se la define como un don, un regalo. Salvo en el caso de la indiferente moneda que la caridad cristiana deja caer en la palma del pobre, todo regalo verdadero es recíproco. El que da no se priva de lo que da. Dar y recibir son lo mismo.

Como todos los actos del universo, la dedicatoria de un libro es un acto mágico. También cabría definirla como el modo más grato y más sensible de pronunciar un nombre. Yo pronuncio ahora su nombre, María Kodama. Cuántas mañanas, cuántos mares, cuántos jardines del Oriente y del Occidente, cuánto Virgilio.

J.L.B

Buenos Aires, 17 de mayo de 1981.

María Kodama. Jorge Luis Borges.

Shinto

Cuando nos anonada la desdicha,
durante un segundo nos salvan
las aventuras ínfimas
de la atención o de la memoria:
el sabor de una fruta, el sabor del agua,
esa cara que un sueño nos devuelve,
los primeros jazmines de noviembre,
el anhelo infinito de la brújula,
un libro que creíamos perdido,
el pulso de un hexámetro,
la breve llave que nos abre una casa,
el olor de una biblioteca o del sándalo,
el nombre antiguo de una calle,
los colores de un mapa,
una etimología imprevista,
la lisura de la uña limada,
la fecha que buscábamos,
contar las doce campanadas oscuras,
un brusco dolor físico.

Ocho millones son las divinidades del Shinto
que viajan por la tierra, secretas.
Esos modestos númenes nos tocan,
nos tocan y nos dejan.

La cifra, 1981

Shinto

Quand le malheur nous accable,
voici que, l’espace d’une seconde, nous sauvent
les aventures infimes
de l’attention ou de la mémoire:
le goût d’un fruit, le goût de l’eau,
ce visage que nous rend un rêve,
les premiers jasmins de novembre,
l’attirance infinie de la boussole,
un livre que nous pensions avoir perdu,
le battement d’un hexamètre,
cette petite clef qui nous ouvre une maison,
l’odeur du santal ou d’une bibliothèque,
le nom ancien d’une rue,
la couleur d’une mappemonde,
une étymologie insolite,
le poli d’un ongle qu’on a limé,
la date que nous cherchions,
compter les douze coups de l’obscur,
une brusque douleur physique.

Huit millions, les divinités du Shinto
qui voyagent, secrètement, sur la terre.
Ces dieux modestes nous frôlent,
nous frôlent puis s’éloignent.

Les Conjurés, précédé de Le Chiffre, traduit de l’espagnol par Claude Esteban, Gallimard, 1988, p. 69.

Nostalgia del presente

En aquel preciso momento el hombre se dijo:
Qué no daría yo por la dicha
de estar a tu lado en Islandia
bajo el gran día inmóvil
y de compartir el ahora
como se comparte la música
o el sabor de la fruta.
En aquel preciso momento
el hombre estaba junto a ella en Islandia.

La cifra, 1981.

Nostalgia del presente

Á cet instant précis l’homme se dit:
Que ne donnerais-je pour la joie
d’être en Islande à tes côtés
sous le grand jour immobile
et de partager le présent
comme on partage la musique
ou la saveur d’un fruit.
Á cet instant précis
l’homme était près d’elle en Islande

Le chiffre, 1981. Traduit par Silvia Baron Supervielle.