Carta al diplomático, historiador y crítico cubano José María Chacón y Calvo (1882–1969).
[Asquerosa después del 26 de julio de 1923.]
Queridísimo José María
¡Como me alegró tu carta! Pero…fue tardía. Tú debiste contestarme enseguida… Ya no me fío de ti ¡viajero impediente! Agredezco mucho los elogios de Loynaz; de ese muchacho pálido y febril que tiene una terrible enfermedad de lirios y círculos concéntricos, pero él todavía no me conoce (lo digo con cierto orgullo). Mi alma avanza disolviendo nieblas y revelando cielos con una florecita de angustia y amor sobre la frente; mi alma brinca y canta por perspectivas que Loynaz no supone en este momento. ¡Si vieras que efecto más raro, más frio me produce el que me digan Lorca! Yo soy Federico pero no soy Lorca ¿No lo ves tú así? Me siento traspasado por todas las cosas. A veces imagino que tengo una coronita de luciérnagas y que yo soy otra cosa. Creo que nunca seremos puros porque poseemos la cualidad de distinguir y juzgar…, pero por más esfuerzos que hago, el viento no quiere darme lección… y he de permanecer así hasta que sea viejecito buscando la cartilla inefable y verdadera de la brisa. Oye José María, no sabes la alegría que me das con la fundación de esa sociedad de arte popular que tanto bien puede hacer revelando los cauces puros del carácter de España ¡de España! (Me emociono alegremente pensando en mi país.) Yo creo que Falla se pondra contentísimo con esa idea. Mañana voy a Granada unas horas y hablaré con él. Cuéntame de esto más cosas. La conversación con [Enrique Díez] Canedo en tu casa, la he recordado varias veces y os agredezco con el alma que os acordarais de mí. Canedo es un hombre por quien siento un respeto extraordinario, un gran cariño y mi más honda admiración. No sé si tú sabes (¡casi como Calderón!) que le he pedido un prólogo para el libro de Monge y él me lo ha ofrecido gustoso. He recibido libros de varios jóvenes poetas portugueses. ¡Ya te hablaré! Abrazos cordiales de
Federico
P.D. Adiós. Ahora mismo comienza una gran tormenta.Los truenos como grandes brasas de hierro negro que rodaran sobre una pendiente de piedra lisa, hacen temblar los cristales de una casa. ¡Señor, acuérdate de los rebaños que viven en el monte de las garbas de trigo abandonadas sobre el rastrojo! Entre la luz cenicienta mi madre y mis hermanas dicen ¡Santo, Santo, Santo! Yo como el caracol, encojó mis cuernecitos de poesía.
Apeadero de San Pascual. Granada
Federico García Lorca fait la connaissance du diplomate cubain José María Chacón y Calvo à Séville en avril 1922 lors de la Semaine Sainte. Ils reviennent ensemble à Grenade avec Manuel de Falla. Chacón y Calvo sera le guide de García Lorca à La Havane quand il y débarquera à partir du 7 mars 1930 après son séjour à New York.
Enrique Loynaz Muñoz (1904-1966) était un poète cubain, frère de Dulce María Loynaz (1902-1997), Prix Cervantès en 1992. Federico vient souvent voir la famille Loynaz dans la demeure familiale (“La maison enchantée”) à El Vedado, un quartier de La Havane. Gabriela Mistral et Juan Ramón Jiménez y seront aussi reçus.
La famille de García Lorca priait, en disant “¡Santo, Santo, Santo!” pour éloigner le tonnerre et la foudre lors des orages.
Une nuit d’insomnie m’a fait relire ces deux poèmes de Machado et de García Lorca.
Inventario galante Tus ojos me recuerdan las noches de verano, negras noches sin luna, orilla al mar salado, y el chispear de estrellas del cielo negro y bajo. Tus ojos me recuerdan las noches de verano. Y tu morena carne, los trigos requemados, y el suspirar de fuego de los maduros campos.
Tu hermana es clara y débil
como los juncos lánguidos,
como los sauces tristes,
como los linos glaucos.
Tu hermana es un lucero
en el azul lejano…
Y es alba y aura fría
sobre los pobres álamos
que en las orillas tiemblan
del río humilde y manso.
Tu hermana es un lucero
en el azul lejano.
De tu morena gracia
de tu soñar gitano,
de tu mirar de sombra
quiero llenar mi vaso.
Me embriagaré una noche
de cielo negro y bajo,
para cantar contigo,
orilla al mar salado,
una canción que deje
cenizas en los labios…
De tu mirar de sombra
quiero llenar mi vaso.
Para tu linda hermana
arrancaré los ramos
de florecillas nuevas
a los almendros blancos
en un tranquilo y triste
alborear de marzo.
Los regaré con agua
de los arroyos claros,
los ataré con verdes
junquillos del remanso…
Para tu linda hermana
yo haré un ramito blanco.
Canciones, 1899-1907.
Inventaire galant
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été,
nuits noires sans lune,
sur le bord de la mer salée,
et le scintillement des étoiles
dans le ciel noir et bas.
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été.
Et ta chair brune,
les blés brûlés,
et le soupir de feu
des champs mûrs.
Ta soeur est claire et faible
comme les joncs languides,
comme les saules tristes,
comme les lins glauques.
Ta soeur est une étoile
dans l’azur lointain…
Une aube, une brise froide
sur les pauvres peupliers
qui tremblent sur la rive
de l’humble et douce rivière.
Ta soeur est une étoile
dans l’azur lointain.
De ta grâce brune,
de ton songe gitan,
de ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre.
Je m’enivrerai une nuit
de ciel noir et bas,
pour chanter avec toi,
au bord de la mer salée,
une chanson qui laissera
des cendres sur les lèvres…
De ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre.
Pour ta soeur jolie
j’arracherai les branches
pleines de fleurs nouvelles
des blancs amandiers,
en une aube tranquille
et triste de mars.
Je les arroserai de l’eau
des clairs ruisseaux,
je les enlacerai des joncs
verts qui poussent dans l’eau…
Pour ta soeur jolie
Je ferai un bouquet tout blanc.
Champs de Castille précédé de Solitudes, Galeries et autres poèmes et suivi de Poésies de la guerre. Collection Poésie/Gallimard n° 144, Traduction: Sylvie Léger et Bernard Sesé.
Rafael Alberti, 88 ans et Paco Ibáñez. Récital de poesie et de chansons 21, 22 et 23 mai 1991. Teatro Alcalá Palace de Madrid:
El poeta dice la verdad Quiero llorar mi pena y te lo digo para que tú me quieras y me llores en un anochecer de ruiseñores, con un puñal, con besos y contigo.
Quiero matar al único testigo
para el asesinato de mis flores
y convertir mi llanto y mis sudores
en eterno montón de duro trigo.
Que no se acabe nunca la madeja
del te quiero me quieres, siempre ardida
con decrépito sol y luna vieja.
Que lo que me des y no te pida será para la muerte, que no deja ni sombra por la carne estremecida.
Sonetos del amor oscuro
Le poète dit la vérité Je veux pleurer ma peine et te le dire pour que tu m’aimes et pour que tu me pleures par un long crépuscule de rossignols où poignard et baisers pour toi délirent.
Je veux tuer le seul témoin, l’unique, qui a pu voir assassiner mes fleurs, et transformer ma plainte et mes sueurs en éternel monceau de durs épis.
Fais que jamais ne s’achève la tresse du je t’aime tu m’aimes toujours ardente de jours, de cris, de sel, de lune ancienne,
car tes refus rendus à mes silences se perdront tous dans la mort qui ne laisse pas même une ombre à la chair frémissante. Poésies, Tome IV. Collection Poésie/Gallimard n° 185, Traduction: André Belamich.
Trois poèmes de Tomas Tranströmer, poète suédois, maître de la métaphore:
Kyrie Parfois, ma vie ouvrait les yeux dans l’obscurité. Comme de voir passer dans les rues des foules aveugles et agitées, en route pour un miracle, alors qu’invisible, je restais à l’arrêt.
Comme l’enfant s’endort, terrifié,
à l’écoute des pas lourds de son coeur.
Longtemps, longtemps, jusqu’à ce que le matin jette
des rayons dans les serrures
et que s’ouvrent les portes de l’obscurité.
Secrets en chemin. 1958. Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Traduction de Jacques Outin, Poésie/Gallimard. Page 66.
En mars – 79
Las de tous ceux qui viennent avec des mots, des mots,
mais pas de langage,
je partis pour l’île recouverte de neige.
L’indomptable n’a pas de mots.
Ses pages blanches s’étalent dans tous les sens!
Je tombe sur les traces de pattes d’un cerf dans la neige.
Pas des mots mais un langage.
La place sauvage. 1983.
Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Traduction de Jacques Outin, Poésie/Gallimard. Page 244.
Sombres cartes postales
I
L’agenda est rempli, l’avenir incertain.
Le câble fredonne un refrain apatride.
Chutes de neige dans l’océan de plomb. Des ombres
se battent sur le quai.
II
Il arrive au milieu de la vie que la mort vienne
prendre ses mesures. Cette visite
s’oublie et la vie continue. Mais le costume
se coud à notre insu.
La place sauvage. 1983.
Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Traduction de Jacques Outin, Poésie/Gallimard. Page 256.
Tomas Tranströmer est né le 15 avril 1931 à Stockholm (Suède).
Élevé seul par sa mère, après le départ précoce de son père, il a été profondément marqué par son grand-père, pilote côtier, auprès duquel il a passé ses vacances dans le vaste Archipel de Stockholm qui a fasciné aussi August Strindberg.
Psychologue de formation, il a travaillé toute sa vie dans des instituts spécialisés. Il s’est occupé d’handicapés, de toxicomanes, de jeunes délinquants et de prisonniers. Son travail accaparant ne lui laisse que peu de temps à consacrer à la poésie. Il a publié moins de 15 recueils en 50 ans. Ses œuvres complètes dépassent à peine les 300 pages.
Á 16 ans, il découvre André Breton et la poésie surréaliste en lisant l’anthologie 19Poètes modernes français d’Erik Lindegren et Ilmar Laaban. La métaphore déconcertante, le rêve seront présents dans toute son œuvre, mais pas l’écriture automatique.
Son œuvre, traduite en cinquante-cinq langues, a reçu de nombreux prix. Il est considéré depuis les années 50 comme l’un des écrivains suédois marquants du siècle.
Il a partagé sa vie entre son appartement de Stockholm et sa résidence d’été sur l’île de Runmarö où il vivait à l’écart du monde et des médias.
En novembre 1990, une attaque cérébrale le laisse en partie aphasique et hémiplégique. Il ne parle plus qu’avec difficulté, mais, pianiste amateur, continue de jouer du piano chaque jour de la main gauche.
Le 6 octobre 2011, lorsqu’il apprend que le Prix Nobel de littérature lui est attribué, il n’a pu prononcer qu’un seul mot: «Merveilleux». Il est décédé le 26 mars 2015.
Les poètes Robert Bly, Philippe Jaccottet, Bei Dao, Adonis sont de grands lecteurs de Tranströmer. Joseph Brodsky fut aussi l’un de ses admirateurs: il l’a qualifié de « poète de première importance, d’une grande intelligence» et a ajouté «Je lui ai volé plus d’une métaphore».
En France, il est publié depuis 1989 par les Éditions du Castor Astral et traduit par Jacques Outin.
1989 Baltiques et autres poèmes. Anthologie. 1996 Oeuvres complètes (1954-1996). 2002 Poèmes courts. 2004 La Grande Énigme. (Haikus) Les souvenirs m’observent.
Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004 (Traduction de Jacques Outin) est le 397 ème volume de la collection Poésie/Gallimard.
L’ennemi Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur?
– Ô douleur! ô douleur! Le Temps mange la vie, Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le coeur Du sang que nous perdons croît et se fortifie! Les Fleurs du mal. 1857.
Pessoa et le vent: deux poèmes relus ces jours-ci face à l’océan dans la Baie d’Audierne.
Comme un vent dans la forêt
Comme un vent dans la forêt Mon émotion n’a pas de fin. Je ne suis rien, il ne me reste rien. Je ne sais qui je suis à mes yeux. Et comme il y a parmi les arbres De longs bruissements de feuillage, Ainsi je remue des secrets Tout au fond de l’image que j’ai de moi. Recouvert par le son des feuilles, Le bruit, l’immense bruit du vent Me dépouille de ma pensée: Je ne suis personne, je crains d’être bon.
Oeuvres poétiques. Bibliothèque de la Pléiade, 2001. Traduit du portugais par Michel Chandeigne et Patrick Quillier
Como um vento na floresta
Como um vento na floresta,
Minha emoção não tem fim.
Nada sou, nada me resta.
Não sei quem sou para mim.
E como entre os arvoredos
Há grandes sons de folhagem,
Também agito segredos
No fundo da minha imagem.
E o grande ruído do vento
Que as folhas cobrem de som
Despe-me do pensamento:
Sou ninguém, temo ser bom.
30-9-1930
Poesias Inéditas (1919-1930).,Lisboa: Ática, 1956
La confondante réalité des choses Est ma découverte de tous les jours. Chaque chose est ce qu’elle est Et il est difficile d’expliquer à quiconque à quel point cela me réjouit, Et à quel point cela me suffit.
Il suffit d’exister pour être complet. J’ai écrit pas mal de poèmes. J’en écrirai plus encore, naturellement. Chacun de mes poèmes dit ça,
Et tous mes poèmes sont différents, Puisque chaque chose qui existe est une manière de dire ça. Quelquefois je me mets à regarder une pierre. Je ne mets pas à penser si elle sent. Je ne me fourvoie pas à l’appeler ma sœur. Mais je l’aime parce qu’elle est une pierre, Je l’aime parce qu’elle ne ressent rien, Je l’aime parce qu’elle n’ a aucune parenté avec moi.
D’autres fois j’entends passer le vent, Et je trouve que rien que pour entendre passer le vent, ça vaut la peine d’être né.
Je ne sais pas ce que les autres penseront en lisant ceci; Mais je trouve que ça doit être bien puisque je le pense sans anicroche, Sans la moindre idée de témoins attentifs à m’écouter penser; Puisque je le pense sans pensée, Puisque je le dis comme le disent mes mots.
Une fois on m’a appelé poète matérialiste, Et j’en ai été fort surpris, car j’étais à cent lieues de penser Qu’on pût m’affubler du moindre nom. Moi je ne suis même pas poète: je vois. Si ce que j’écris a quelque valeur, ce n’est pas moi qui l’ai; La valeur se trouve ici, dans mes vers. Tout ça est indépendant de ma volonté.
7-11-1915
Alberto Caeiro,Poèmes non assemblés. Traduction de Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier. Christian Bourgois Editeur 1989. Reprise dans La Pléiade de Fernando Pessoa, Oeuvres poétiques, 2001.
A espantosa realidade das coisas É a minha descoberta de todos os dias. Cada coisa é o que é, E é difícil explicar a alguém quanto isso me alegra, E quanto isso me basta.
Basta existir para se ser completo. Tenho escrito bastantes poemas. Hei-de escrever muitos mais, naturalmente. Cada poema meu diz isto, E todos os meus poemas são diferentes, Porque cada coisa que há é uma maneira de dizer isto.
Às vezes ponho-me a olhar para uma pedra. Não me ponho a pensar se ela sente. Não me perco a chamar-lhe minha irmã. Mas gosto dela por ela ser uma pedra, Gosto dela porque ela não sente nada, Gosto dela porque ela não tem parentesco nenhum comigo.
Outras vezes oiço passar o vento, E acho que só para ouvir passar o vento vale a pena ter nascido.
Eu não sei o que é que os outros pensarão lendo isto; Mas acho que isto deve estar bem porque o penso sem esforço, Nem ideia de outras pessoas a ouvir-me pensar; Porque o penso sem pensamentos, Porque o digo como as minhas palavras o dizem.
Uma vez chamaram-me poeta materialista, E eu admirei-me, porque não julgava Que se me pudesse chamar qualquer coisa. Eu nem sequer sou poeta: vejo. Se o que escrevo tem valor, não sou eu que o tenho: O valor está ali, nos meus versos. Tudo isso é absolutamente independente da minha vontade.
“A l’origine de mes hétéronymes il y a la trace profonde d’hystérie qui subsiste en moi. Je ne sais pas si je suis simplement hystérique ou si je suis plus exactement hystérico-neurasthénique. (…) Quoi qu’il en soit l’origine mentale de mes hétéronymes réside dans ma tendance, organique et constante chez moi à la dépersonnalisation et à la simulation.” (Fernando Pessoa)
Lettre à son ami et critique littéraire, Adolfo Casais Monteiro (13 janvier 1935)
“A origem dos meus heterônimos é o fundo traço de histeria que existe em mim. Não sei se sou simplesmente histérico, se sou, mais propriamente, um histero-neurastênico. (…) Seja como for, a origem mental dos meus heterônimos está na minha tendência orgânica e constante para a despersonalização e para a simulação.
“Un bon rêveur ne se réveille pas…” (Fernando Pessoa)
” Qu’est-ce que le Surréalisme ?
-C’est l’apparition d’Yves Tanguy, coiffé du paradisier grand émeraude. “
” Il est remarquable que sur les peintres apparus le plus récemment, l’influence moderne qui s’exerce d’une manière prépondérante soit celle de Tanguy. “ André Breton.
En 1939, Yves Tanguy fait la connaissance de Kay Sage (1898-1963), alors mariée avec un gentilhomme italien, le Prince Rainier de Faustino, à Chemillieu dans un grand manoir loué par le peintre anglais Gordon Onslow-Ford (1912-2003). Il y retrouve Roberto Matta, Esteban Francés et André Breton. Celui-ci n’écrira durant son séjour qu’un seul texte : La maison d’Yves tandis que Tanguy peint le tableau Mes arrières pensées. Ce poème aurait dû paraître dans un numéro de Minotaure, jamais réalisé à cause de la déclaration de guerre, avec des reproductions d’oeuvres de Matta, Onslow Ford, Francés et Tanguy. Onslow Ford emmena le tout à Londres et le publia en juin 1940 dans le London Bulletin n°18-20.
La maison d’Yves (André Breton) La maison d’Yves Tanguy Où l’on n’entre que la nuit
Avec la lampe-tempête
Dehors le pays transparent
Un devin dans son élément
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Et la toile de Jouy du ciel – Vous, chassez le surnaturel
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Elle est de lassos, de jambages
Couleur d’écrevisse à la nage
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
L’espace lié, le temps réduit
Ariane dans sa chambre-étui
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute
Le service est fait par des sphinges
Qui se couvrent les yeux de linges
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute
Avec le mobilier fulgurant du désert
On y meurtrit on y guérit
On y complote sans abri
Avec la lampe-tempête
Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus
Avec toutes les étoiles de sacrebleu
Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes
Avec la crinière sans fin de l’argonaute
Avec le mobilier fulgurant du désert
Avec les signes qu’échangent de loin les amoureux
Je lis Yves Tanguy L’univers surréaliste ( Somogy. Éditions d’Art. 2007 ) que j’ai emprunté à la Médiathèque de la ferme du Buisson à Noisiel. C’est un beau catalogue d’une exposition qui fut présentée au Musée des Beaux-Arts de Quimper du 29 juin au 30 septembre 2007, puis au Museu Nacional d’Art de Catalunya de Barcelone du 25 octobre 2007 au 13 janvier 2008 . Je ne l’ai pas vue à l’époque. J’ai toujours beaucoup aimé ce peintre à qui Salvador Dalí a emprunté allègrement ces espaces flottants, incertains. Le peintre catalan connut rapidement le succès, Tanguy beaucoup moins. Werner Spies, historien d’art allemand, qui fut directeur du musée national d’Art moderne de Paris de 1997 à 2000, rappelle dans son article Au fond de l’inconnu que Tanguy passait régulièrement ses vacances d’été dans la famille de sa mère à Locronan ( Finistère ). Elle y acheta même en 1912 une maison du XVI ème siècle, l’ancien Prieuré. Les alignements de pierres de Carnac l’ont aussi marqué, de même que le thème de la ville engloutie qui apparaît si fréquemment dans les légendes celtes et bretonnes. Marcel Duhamel dirigeait un hôtel qui appartenait à son oncle. Il loua en 1923 une maison, aujourd’hui disparue, au 54 rue du Château ( Paris, XIV ). Tanguy s’y installa avec ses amis Jacques et Pierre Prévert et la maison devint un véritable phalanstère d’artistes. Yves Tanguy s’occupa de la décoration. Il acheta des meubles simples en bois qu’il peignit en vert. Les murs étaient recouverts de collages et de tissus colorés. Des affiches de films côtoyaient des miroirs dans l’esprit du film expressionniste allemand Le Cabinet Docteur Caligari ( Robert Wiene-1920 ). En décembre 1925, Duhamel et Tanguy rencontrèrent André Breton. La maison devint alors un des lieux favoris du groupe surréaliste. Alberto Giacometti, Robert Desnos, Raymond Queneau y passaient, Benjamin Péret puis Aragon y vécurent une période. Beaucoup de réunions surréalistes s’y sont tenues. C’est là que Jacques Prévert aurait donné au jeu des petits papiers le nom de « cadavre exquis ». Yves Tanguy choisit parmi les textes de ses amis surréalistes le poème d’Aragon, Les Frères Lacôte, pour le recopier sur un des murs de la maison… Ces vers évoquent un raz-de-marée qui submerge toutes choses. Il mourut d’une hémorragie cérébrale à Woodbury (Connecticut). Il vivait aux États-Unis depuis novembre 1939. Yves Tanguy voulut que ses cendres soient dispersées en baie de Douarnenez, non loin de Locronan. Son ami d’enfance Pierre Matisse fut son exécuteur testamentaire et respecta ce souhait. Il se rendit à Locronan en 1964 et emmena les urnes d’Yves Tanguy et de Kay Sage ( elle s’était suicidée le 8 janvier 1963 ). Il dispersa leurs cendres dans une flaque, à l’extrémité de la plage du Ris, au pied d’une falaise. Elle sera recouverte peu après, à la marée montante.
Les Frères Lacôte ( Louis Aragon )
à Malcolm Cowley
Le raz de marée entra dans la pièce Où toute la petite famille était réunie Il dit Salut la compagnie Et emporta la maman dans le placard Le plus jeune fils se mit à pousser de grands cris Il lui chanta une romance de son pays Qui parlait de bouts de bois Comme ça Le père lui dit Veuillez considérer Mais le raz refusa de se laisser emmerder Il mit un peu d’eau salée dans la bouche du malheureux géniteur Et le digne homme expira Dieu ait son âme Alors vint le tour des filles Par rang de taille L’une à genoux L’autre sur les deux joues La troisième la troisième Comme les animaux croyez-moi La quatrième de même La cinquième je frémis d’horreur Ma plume s’arrête Et se refuse à décrire de telles abominations Seigneur Seigneur serez-vous moins clément qu’elle Ah j’oubliais Le poulet Fut à son tour dévoré Par le raz l’ignoble raz de marée
Le Mouvement perpétuel, Éditions Gallimard, 1925.
Ce poème fut publié d’abord dans La révolution surréaliste, n°4, 15 juillet 1925.
Le texte est dédié à Malcolm Cowley, poète et écrivain américain ( 1898-1989 ), ami de Matthew (1899-1978) et Hannah Josephson, Américains proches des dadaïstes. Il avait rencontré Aragon au début de 1922 à Berlin. C’est en sa compagnie que celui-ci a résidé en mai et juin 1923 à Giverny, chez M. Toulgouat, dans un moulin transformé en pension. Aragon s’y était retiré pour fuir l’hostilité du groupe surréaliste, suscitée par son activité journalistique à Paris-Journal. Cowley lui présenta le poète E.E.Cummings. Aragon s’inspirera de ce séjour dans son roman Aurélien ( 1944 ).
Par l’East River et le Bronx les garçons chantaient, montrant leur ceinture avec la roue, l’huile, le cuir et le marteau. Quatre-vingt dix mille mineurs tiraient l’argent des rochers et les enfants dessinaient des escaliers et des perspectives.
Mais aucun ne s’endormait,
aucun ne voulait être rivière,
aucun n’aimait les larges feuilles
ni la langue bleue de la plage.
Par l’East River et le Queensboro
les garçons luttaient avec l’industrie
les Juifs vendaient au faune du fleuve
la rose de la circoncision,
et le ciel lâchait sur les ponts et les toits
des troupeaux de bisons poussés par le vent.
Mais aucun ne s’arrêtait,
aucun ne voulait être nuage,
aucun ne cherchait les fougères
ni la roue jaune du tambourin.
Au lever de la lune
les poulies tourneront pour brouiller le ciel ;
une frontière d’aiguilles cernera la mémoire
et les cercueils emporteront ceux qui ne travaillent pas.
New York de fange,
New York de fil de fer et de mort,
Quel ange portes-tu caché dans ta joue?
Quelle voix parfaite dira la vérité des blés?
Qui dira le sommeil terrible de tes anémones souillées?
Pas un seul instant, beau Walt Whitman,
Je n’ai cessé de voir ta barbe pleine de papillons,
ni tes épaules de panne usées par la lune,
ni tes cuisses d’Apollon virginal,
ni ta voix comme une colonne de cendres,
vieillard beau comme le brouillard
qui gémissait à l’égal d’un oiseau
sexe transpercé d’une aiguille.
Ennemi du satyre,
ennemi de la vigne,
et amant des corps sous la toile grossière.
Pas un seul instant, beauté virile,
qui, parmi les montagnes de charbon, les réclames et les chemins de fer,
rêvait d’être un fleuve et de dormir comme un fleuve
avec ce camarade qui aurait mis dans ta poitrine
cette petite douleur d’innocent léopard.
Pas un seul instant, Adam de sang, mâle,
homme seul sur la mer, beau vieillard Walt Whitman,
parce que sur les terrasses,
groupés dans les bars,
sortant en grappes des égouts,
tremblant entre les jambes des chauffeurs,
ou tournant sur les plates-formes de l’absinthe,
les efféminés, Walt Whitman te suivaient.
Lui aussi! Lui aussi ! et ils se précipitent
sur ta barbe lumineuse et chaste,
Blonds du nord, Noirs du désert,
multitude de cris et de gestes,
comme les chats et comme les serpents,
les efféminés, Walt Whitman, les efféminés,
brouillés de larmes, chair pour le fouet,
la botte ou la morsure du dompteur.
Lui aussi! Lui aussi ! Leurs doigts teints
tintent à l’orée de ton rêve
quand l’ami mange ta pomme
au léger goût de pétrole
et le soleil chante sur le nombril
des garçons qui jouent sous les ponts.
Mais tu ne cherchais pas les yeux égratignés,
ni le sombre marais où dorment les enfants,
ni la salive glacée,
ni les blessures courbes comme des panses de crapaud
que portent les efféminés dans les voitures et aux terrasses
quand la lune les fouette au coin de la terreur.
Tu cherchais un nu qui fût comme un fleuve.
Taureau et songe qui joignît l’algue à la roue,
père de ton agonie, camélia de ta mort,
qui gémirait dans les flammes de ton équateur secret.
Parce qu’il est juste que l’homme ne cherche pas sa jouissance
dans la forêt de sang du proche lendemain.
Le ciel a des plages où éviter la vie
et il y a des corps qui ne doivent pas se répéter dans l’aurore.
Agonie, l’agonie, rêve, ferment et rêve.
Voici le monde ami, agonie, agonie.
Les morts se décomposent sous l’horloge des villes
la guerre passe en pleurant, avec un million de rats gris,
les riches offrent à leurs bien-aimées
de petits moribonds illuminés,
et la vie n’est ni noble, ni bonne, ni sacrée.
L’homme peut s’il le veut conduire son désir
par une veine de corail ou un nu céleste.
Demain, les amours seront des rochers, et le temps
une brise qui vient dormante sous les branches.
C’est pourquoi je n’élève pas la voix, vieux Walt Whitman,
contre l’enfant qui écrit
un nom de fille sur son oreiller
ni contre l’adolescent qui s’habille en mariée
dans l’obscurité de sa chambre,
ni contre les solitaires des casinos
qui boivent avec dégoût l’eau de la prostitution,
ni contre les hommes au regard vert
qui aiment l’homme et brûlent leurs lèvres en silence.
Mais bien contre vous, efféminés des villes
à la chair tuméfiée et aux pensées immondes,
mères de la fange, harpies, ennemies sans trêve
de l’Amour qui partage des couronnes de joie.
Contre vous toujours, qui donnez aux garçons
des gouttes de mort sale et du venin amer.
Contre vous toujours,
Faeries de l’Amérique
Pajaros de La Havane,
Jotos de Mexico,
Sarasas de Cadix,
Apios de Séville,
Cancos de Madrid,
Floras d’Alicante,
Adelaidas du Portugal..
Efféminés du monde entier, assassins de colombes !
Esclaves de la femme, chiens de leurs boudoirs,
ouverts sur les places avec des fièvres d’éventail
ou embusqués dans des paysages desséchés de ciguë.
Pas de quartier ! La mort
sourd de vos yeux
et rassemble ses fleurs grises aux frontières de la fange.
Pas de quartier ! Alerte !
Que les confondus, les purs,
les classiques, les insignes, les suppliants
vous ferment les portes de l’orgie.
Et toi, beau Walt Whitman, dors au rivage de l’Hudson,
la barbe vers le pôle, et les mains ouvertes.
Argile tendre ou neige, ta langue appelle
tes camarades qui veillent ta gazelle sans corps.
Dors, rien ne subsiste. Une danse de murs agite les prairies et l’Amérique est submergée de machines et de larmes. Je veux que l’air violent de la nuit la plus profonde arrache fleurs et lettres à l’arche où tu dors et qu’un enfant noir annonce aux blanc de l’or la venue du règne de l’épi.
Federico García Lorca a écrit une magnifique ode au grand Walt Whitman, poète américain qui a eu une influence certaine sur sa vie et son œuvre. Le manuscrit indique comme date de rédaction le 15 juin 1930. Le poète n’a jamais publié l’ode entière en Espagne. Une version a été tirée à trente exemplaires au Mexique en 1933. Une partie de l’ode (les 52 premiers vers) figure dans la seconde édition de la célèbre Poesía española. Antología (Contemporáneos) de Gerardo Diego. (Editorial Signo 1934). L’ode figure bien sûr dans Poeta en Nueva York, recueil publié dans deux éditions différentes en 1940, une bilingue préparée par Rolfe Humphries chez Norton, et une espagnole préparée par José Bergamín chez Séneca.
On sait que le voyage de García Lorca à New York et à Cuba en 1929 et 1930 fut pour lui une libération sexuelle et littéraire. Il a lu ou relu Walt Whitman à New York. Il a rencontré là-bas le poète León Felipe (1884-1968) qui y vivait depuis 6 ans. Ce dernier connaissait bien l’anglais et traduisait alors le poète américain qu’il a publié en 1941: Canto a mí mismo (Song of myself). Editorial Losada, Buenos Aires.
Selon le biographe de León Felipe, une bonne relation s’établit entre aux deux, malgré leurs différences (Luis Rius, León Felipe, poeta de barro, México, Colección Málaga, 1974.) León Felipe lui a dit : « Él no quería estar dentro del grupo de maricas, de gentes…Él sabía que había otra…y que él tenía otra actitud, porque era de una gran simpatía, lo quería todo el mundo ; hombres, mujeres, niños, y él se sentía querido por todos, y debía de tener la tragedia de que un hombre tan afectuoso como él, y a quien le querían todos, no poder expresar de una manera…, de alguna manera…Luego…de eso sí quisiera…, si habría que hablar con cuidado. »
L’évocation de Walt Whitman est magnifique, mais on a reproché parfois à cette ode d’être homophobe, d’être une croisade contre les « tantes ». Elle reprend, en effet, les préjugés homophobes de l’époque dont Federico García Lorca avait lui-même souffert. Le poète de Grenade craignait qu’on le prenne pour un homme efféminé. On trouve le même type de processus contradictoire et autodestructeur chez Marcel Proust, qui parlait de “race maudite”. Walt Whitman, en revanche, est présenté par García Lorca comme un “bon” homosexuel, viril et non pervers. Luis Cernuda, dans un texte de 1957 Federico García Lorca (1898-1936), recueilli dans Prosa I, Obra completa (Madrid, Siruela. 1994), affirme: « Por eso puede lamentarse que dicho poema sea tan confuso, a pesar de su fuerza expresiva ; pero el autor no quiso advertir que, asumiendo ahí una actitud contradictoria consigo mismo y con sus propias emociones, el poema resultaría contraproducente. Para quien conociese bien a Lorca, el efecto de la Oda a Walt Whitman es de ciertas esculturas inacabadas porque el bloque de mármol encerraba una grieta.»
Oda a Walt Whitman
Por el East River y el Bronx los muchachos cantaban enseñando sus cinturas, con la rueda, el aceite, el cuero y el martillo. Noventa mil mineros sacaban la plata de las rocas y los niños dibujaban escaleras y perspectivas.
Pero ninguno se dormía, ninguno quería ser el río, ninguno amaba las hojas grandes, ninguno la lengua azul de la playa.
Por el East River y el Queensborough los muchachos luchaban con la industria, y los judíos vendían al fauno del río la rosa de la circuncisión y el cielo desembocaba por los puentes y los tejados manadas de bisontes empujadas por el viento.
Pero ninguno se detenía, ninguno quería ser nube, ninguno buscaba los helechos ni la rueda amarilla del tamboril.
Cuando la luna salga las poleas rodarán para tumbar el cielo; un límite de agujas cercará la memoria y los ataúdes se llevarán a los que no trabajan.
Nueva York de cieno, Nueva York de alambre y de muerte. ¿Qué ángel llevas oculto en la mejilla? ¿Qué voz perfecta dirá las verdades del trigo? ¿Quién el sueño terrible de sus anémonas manchadas?
Ni un solo momento, viejo hermoso Walt Whitman, he dejado de ver tu barba llena de mariposas, ni tus hombros de pana gastados por la luna, ni tus muslos de Apolo virginal, ni tu voz como una columna de ceniza; anciano hermoso como la niebla, que gemías igual que un pájaro con el sexo atravesado por una aguja, enemigo del sátiro, enemigo de la vid, y amante de los cuerpos bajo la burda tela.
Ni un solo momento, hermosura viril que en montes de carbón, anuncios y ferrocarriles, soñabas ser un río y dormir como un río con aquel camarada que pondría en tu pecho un pequeño dolor de ignorante leopardo. Ni un sólo momento, Adán de sangre, macho, hombre solo en el mar, viejo hermoso Walt Whitman, porque por las azoteas, agrupados en los bares, saliendo en racimos de las alcantarillas, temblando entre las piernas de los chauffeurs o girando en las plataformas del ajenjo, los maricas, Walt Whitman, te señalan.
¡También ése! ¡También! Y se despeñan sobre tu barba luminosa y casta, rubios del norte, negros de la arena, muchedumbres de gritos y ademanes, como los gatos y como las serpientes, los maricas, Walt Whitman, los maricas turbios de lágrimas, carne para fusta, bota o mordisco de los domadores.
¡También ése! ¡También! Dedos teñidos apuntan a la orilla de tu sueño cuando el amigo come tu manzana con un leve sabor de gasolina y el sol canta por los ombligos de los muchachos que juegan bajo los puentes.
Pero tú no buscabas los ojos arañados, ni el pantano oscurísimo donde sumergen a los niños, ni la saliva helada, ni las curvas heridas como panza de sapo que llevan los maricas en coches y terrazas mientras la luna los azota por las esquinas del terror.
Tú buscabas un desnudo que fuera como un río, toro y sueño que junte la rueda con el alga, padre de tu agonía, camelia de tu muerte, y gimiera en las llamas de tu ecuador oculto.
Porque es justo que el hombre no busque su deleite en la selva de sangre de la mañana próxima. El cielo tiene playas donde evitar la vida y hay cuerpos que no deben repetirse en la aurora.
Agonía, agonía, sueño, fermento y sueño. Éste es el mundo, amigo, agonía, agonía. Los muertos se descomponen bajo el reloj de las ciudades, la guerra pasa llorando con un millón de ratas grises, los ricos dan a sus queridas pequeños moribundos iluminados, y la vida no es noble, ni buena, ni sagrada.
Puede el hombre, si quiere, conducir su deseo por vena de coral o celeste desnudo. Mañana los amores serán rocas y el Tiempo una brisa que viene dormida por las ramas. Por eso no levanto mi voz, viejo Walt Whítman, contra el niño que escribe nombre de niña en su almohada, ni contra el muchacho que se viste de novia en la oscuridad del ropero, ni contra los solitarios de los casinos que beben con asco el agua de la prostitución, ni contra los hombres de mirada verde que aman al hombre y queman sus labios en silencio. Pero sí contra vosotros, maricas de las ciudades, de carne tumefacta y pensamiento inmundo. Madres de lodo, Arpías, Enemigos sin sueño del Amor que reparte coronas de alegría.
Contra vosotros siempre, que dais a los muchachos gotas de sucia muerte con amargo veneno. Contra vosotros siempre, Faeries de Norteamérica, Pájaros de la Habana, Jotos de Méjico, Sarasas de Cádiz, Ápios de Sevilla, Cancos de Madrid, Floras de Alicante, Adelaidas de Portugal.
¡Maricas de todo el mundo, asesinos de palomas! Esclavos de la mujer. Perras de sus tocadores. Abiertos en las plazas con fiebre de abanico o emboscadas en yertos paisajes de cicuta.
¡No haya cuartel! La muerte mana de vuestros ojos y agrupa flores grises en la orilla del cieno. ¡No haya cuartel! ¡¡Alerta!! Que los confundidos, los puros, los clásicos, los señalados, los suplicantes os cierren las puertas de la bacanal.
Y tú, bello Walt Whitman, duerme a orillas del Hudson con la barba hacia el polo y las manos abiertas. Arcilla blanda o nieve, tu lengua está llamando camaradas que velen tu gacela sin cuerpo.
Duerme: no queda nada. Una danza de muros agita las praderas y América se anega de máquinas y llanto. Quiero que el aire fuerte de la noche más honda quite flores y letras del arco donde duermes y un niño negro anuncie a los blancos del oro la llegada del reino de la espiga.