Au cimetière de Montjuich de Barcelone, le 14 décembre 1935, à l’occasion de l’inauguration, sur la tombe du musicien Isaac Albéniz (1860-1909), d’une sculpture de Florencio Quirán, Federico García Lorca lit le sonnet Epitafio a Isaac Albéniz qui fut publié à l’époque dans un journal du soir de Barcelone (Día Gráfico du 15 décembre 1935). Margarita Xirgu (1888-1969), la grande actrice de théâtre de l’époque, participe aussi à l’événement.
Epitafio a Isaac Albéniz
Esta piedra que vemos levantada sobre hierbas de muerte y barro oscuro guarda lira de sombra, sol maduro, urna de canto sola y derramada.
Desde la sal de Cádiz a Granada, que erige en agua su perpetuo muro, en caballo andaluz de acento duro tu sombra gime por la luz dorada.
¡Oh dulce muerto de pequeña mano! ¡Oh música y bondad entretejida! ¡Oh pupila de azor, corazón sano!
Duerme cielo sin fin, nieve tendida. Sueña invierno de lumbre, gris verano. ¡Duerme en olvido de tu vieja vida!
Épitaphe pour Isaac Albéniz
Ce marbre maintenant que nous voyons dressé
sur les herbes de mort et le limon obscur
garde une lyre d’ombre avec un soleil mûr,
une urne solitaire de chants renversée.
Des salins de Cadix à Grenade enfermée
dans ses eaux qui lui font un perpétuel mur,
un cheval andalou incarne en fière allure
ton ombre qui soupire après le jour doré.
O doux musicien mort dont les petites mains
savaient entretisser bonté et harmonie,
pupille d’épervier, coeur parfaitement sain!
Dors, neige répandue, dors ton ciel infini.
Été décoloré, songe aux flambées d’hiver
et perds le souvenir de notre ancienne vie!
Poésies III. Sonnets et derniers poèmes. NRF. Poésie/Gallimard. Traduction: André Belamich.
Luis Cernuda, poète espagnol, républicain et homosexuel, de la Génération de 1927, est né le 21 septembre 1902 à Séville. Exilé en 1938 au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et enfin au Mexique, il est mort sans revoir son pays le 5 novembre 1963 à Mexico. Il avait 61 ans.
He venido para ver
He venido para ver semblantes Amables como viejas escobas, He venido para ver las sombras Que desde lejos me sonríen.
He venido para ver los muros En el suelo o en pie indistintamente, He venido para ver las cosas, Las cosas soñolientas por aquí.
He venido para ver los mares Dormidos en cestillo italiano, He venido para ver las puertas, El trabajo, los tejados, las virtudes De color amarillo ya caduco.
He venido para ver la muerte Y su graciosa red de cazar mariposas, He venido para esperarte Con los brazos un tanto en el aire, He venido no sé por qué; Un día abrí los ojos: he venido.
Por ello quiero saludar sin insistencia A tantas cosas más que amables: Los amigos de color celeste, Los días de color variable, La libertad del color de mis ojos;
Los niñitos de seda tan clara, Los entierros aburridos como piedras, La seguridad, ese insecto Que anida en los volantes de la luz.
Adiós, dulces amantes invisibles, Siento no haber dormido en vuestros brazos. Vine por esos besos solamente; Guardad los labios por si vuelvo.
29 de abril de 1931. Poème publié pour la première fois dans la célèbre anthologie de Gerardo Diego: Poesía española: antología 1915-1931. Madrid, 1932. Los placeres prohibidos, 1931. Ce recueil de Luis Cernuda ne sera publié que dans La realidad y el deseo, 1936.
Je suis venu pour voir
Je suis venu pour voir les têtes
Aimables comme un vieux balai,
Je suis venu pour voir les ombres
Qui me sourient dans le lointain.
Je suis venu pour voir les murs
Qui s’élèvent ou s’effondrent, peu importe,
Je suis venu pour voir les choses,
La rêverie des choses qui nous entourent.
Je suis venu pour voir les mers
Bercées dans leur ronde nacelle,
Je suis venu pour voir les portes,
Le travail, les toitures, les vertus
À la robe jaunie, déjà fanée.
Je suis venu pour voir la mort
Et son divertissant filet de papillons,
Je suis venu pour t’attendre,
Les bras tant soit peu écartés,
Je suis venu qui sait pourquoi;
Un jour, j’ouvris les yeux: je suis venu.
C’est pourquoi, je veux saluer sans insistance
Tant et tant de choses aimables:
Les amis de couleur bleu ciel,
Les jours aux couleurs changeantes,
La liberté aux couleurs de mes yeux;
Les garçonnets de soie si claire,
Les enterrements ennuyeux comme la pierre,
La sécurité, cet insecte
Qui niche au creux des plis de la lumière.
Adieu, mes tendres amants invisibles,
Que n’ai-je pu dormir entre vos bras.
Je ne suis venu que pour vos baisers;
Gardez vos lèvres prêtes, si jamais je reviens.
Vicent Andrés Estellés est né le 4 septembre 1924 à Burjassot (Communauté de Valence). Il est issu d’un milieu modeste, ses parents sont boulangers. Son père, analphabète, veut que son fils étudie. Vicent Andrés Estellés fera des études de journalisme dans le Madrid de l’après-guerre. Á partir de 1948, il collabore au journal Las Provincias, dont il deviendra le rédacteur en chef. Il est mort à Valence à 68 ans le 27 mars 1993. Ce poète espagnol, d’expression valencienne, a été chanté par Ovidi Montllor, Maria del Mar Bonet, Raimon entre autres. D’après Joan Fuster, c’est « le meilleur poète valencien des trois derniers siècles, un nouvel Ausiàs March du XXe siècle ».
Els amants
La carn vol carn (Ausiàs March)
No hi havia a València dos amants com nosaltres.
Feroçment ens amàvem des del matí a la nit.
Tot ho recorde mentre vas estenent la roba.
Han passat anys, molts anys; han passat moltes coses.
De sobta encara em pren aquell vent o l’amor
i rodolem per terra entre abraços i besos.
No comprenem l’amor com un costum amable,
com un costum pacífic de compliment i teles.
Es desperta, de sobta, com un vell huracà,
i ens tomba en terra els dos, ens ajunta, ens empeny.
Jo desitjava, a voltes, un amor educat
i en marxa el tocadiscos, negligentment besant-te,
ara un muscle i després el peçó d’una orella.
El nostre amor és un amor brusc i salvatge,
i tenim l’enyorança amarga de la terra,
d’anar a rebolcons entre besos i arraps.
Què voleu que hi faça! Elemental, ja ho sé.
Ignorem el Petrarca i ignorem moltes coses.
Les Estances de Riba i les “Rimas” de Bécquer.
Després, tombats en terra de qualsevol manera,
comprenem que som bàrbars, i que això no deu ser,
que no estem en l’edat, i tot això i allò.
No hi havia a València dos amants com nosaltres,
car d’amants com nosaltres en són parits ben pocs
Llibre de les meravelles, 1956-58, publié en 1971.
Les amants
La chair convoite la chair (Ausiàs March)
Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous.
Nous nous aimions férocement du matin au soir.
Je me souviens de tout cela pendant que tu étends le linge.
Des années ont passé, beaucoup d’années; il s’est passé beaucoup de choses.
Soudain aujourd’hui encore le vent de jadis ou l’amour m’envahissent
et nous roulons par terre dans l’étreinte et les baisers.
Nous n’entendons pas l’amour comme une coutume aimable,
comme une habitude pacifique faite d’obligations et de beau linge
( et que le chaste M. López-Picó nous en excuse ).
Il s’eveille en nous, soudain, comme un vieil ouragan,
et il nous fait tomber tous deux par terre, nous rapproche, nous pousse.
Je souhaitais, parfois, un amour bien poli
et le tourne-disques en marche, et moi qui t’embrasse négligemment,
d’abord l’épaule et ensuite le lobe d’une oreille.
Notre amour est un amour brusque et sauvage,
et nous avons la nostalgie amère de la terre,
de nous rouler dans les baisers et les coups d’ongles.
Que voulez-vous que j’y fasse. Elémentaire, je sais.
Nous ignorons Petrarque et nous ignorons beaucoup de choses.
Les Estances de Riba et les Rimas de Becquer.
Après affalés par terre n’importe comment,
rous comprenons que nous sommes des barbares, et que ce ne sont pas des manières,
que nous n’avons plus l’âge, et ceci et cela.
Il n’y avait pas à Valence deux amants comme nous,
Car des amants comme nous on n’en fait pas tous les jours.
Livres des merveilles. Beuvry. Maison de la Poésie Nord. Pas-de-Calais, 2004.
Mes de banderas,
mes seco, mes
mojado,
con quince días verdes,
con quince días rojos,
a medio cuerpo
te sale humo
del techo,
después
abres de golpe las ventanas,
mes en que sale al sol
la flor de invierno
y moja una vez más
su pequeña
corola temeraria,
mes cruzado por mil
flechas de lluvia
y por mil
lanzas de sol quemante,
septiembre,
para que bailes,
la tierra
pone bajo tus pies
la hierba festival
de sus alfombras
y en tu cabeza
un arcoiris loco,
una cinta celeste
de guitarra.
Baila, septiembre, baila
con los pies de la patria,
canta, septiembre, canta
con la voz
de los pobres:
otros
meses
son largos
y desnudos,
otros
son amarillos,
otros van a caballo hacia la guerra,
tú, septiembre,
eres un viento, un rapto,
una nave de vino.
Baila
en las calles,
baila
con mi pueblo,
baila con Chile, con
la primavera,
corónate
de pámpanos copiosos
y de pescado frito.
Saca del arca
tus
banderas
desgreñadas,
saca de tu suburbio
una camisa,
de tu mina
enlutada
un par
de rosas,
de tu abandono
una canción florida,
de tu pecho que lucha
una guitarra,
y lo demás
el sol,
el cielo puro
de la primavera,
la patria lo adelanta
para que algo
te suene en los bolsillos:
la esperanza.
He visto entrar a todos los tejados
las tijeras del cielo:
van y vienen y cortan transparencia:
nadie se quedará sin golondrinas.
Aquí era todo
ropa, el aire espeso
como frazada y un vapor del sal
nos empapó el otoño
y nos acurrucó contra la leña.
En la costa del Valparaíso,
hacía el sur de la Planta Ballenera:
allí todo el invierno se sostuvo
intransferible con su cielo amargo.
Hasta que hoy al salir
volaba el vuelo,
no paré mientes al principio, anduve
aún entumido, con dolor de frío,
y allí estaba volando,
allí volvía
la primavera a repartir el cielo.
Golondrinas de agosto y de la costa,
tajantes, disparadas
en el primer azul,
saetas de aroma:
de pronto respiré las acrobacias
y comprendí que aquello
era la luz que volvía a la tierra,
las proezas del polen en el vuelo,
y la velocidad volvía a mi sangre.
Volví a ser piedra de la primavera.
Buenos días, señores golondrinas
o señoritas o alas o tijeras,
buenos días al vuelo del cielo
que volvió a mi tejado:
he comprendido al fin
que las primeras flores
son plumas de septiembre.
Le 18 août 1936, il y a 84 ans, dans le ravin de Viznar, près de Grenade, était assassiné par les franquistes le poète Federico García Lorca.
Gacela de la Muerte Oscura
Quiero dormir el sueño de las manzanas
alejarme del tumulto de los cementerios.
Quiero dormir el sueño de aquel niño
que quería cortarse el corazón en alta mar.
No quiero que me repitan que los muertos no pierden la sangre;
que la boca podrida sigue pidiendo agua.
No quiero enterarme de los martirios que da la hierba,
ni de la luna con boca de serpiente
que trabaja antes del amanecer.
Quiero dormir un rato,
un rato, un minuto, un siglo;
pero que todos sepan que no he muerto;
que haya un establo de oro en mis labios;
que soy un pequeño amigo del viento Oeste;
que soy la sombra inmensa de mis lágrimas.
Cúbreme por la aurora con un velo,
porque me arrojará puñados de hormigas,
y moja con agua dura mis zapatos
para que resbale la pinza de su alacrán.
Porque quiero dormir el sueño de las manzanas para aprender un llanto que me limpie de tierra; porque quiero vivir con aquel niño oscuro que quería cortarse el corazón en alta mar.
Publicada en febrero de 1936. Revista Floresta de Prosa y Verso, n°2. Diván del Tamarit. Primera edición completa en la Revista Hispánica Moderna (Nueva York), 1940.
«Gacela» de la Mort Obscure
Je veux dormir le sommeil des pommes,
Et m’éloigner du tumulte des cimetières.
Je veux dormir le sommeil de cet enfant
Qui voulait s’arracher le coeur en pleine mer.
Je ne veux pas que l’on me répète que les morts ne perdent pas leur sang;
Que la bouche pourrie demande encor de l’eau.
Je ne veux rien savoir des martyres que donne l’herbe,
Ni de la lune avec sa bouche de serpent
Qui travaille avant que l’aube naisse.
Je veux dormir un instant,
Un instant, une minute, un siècle;
Mais que tous sachent bien que je ne suis pas mort;
Qu’il y a sur mes lèvres une étable d’or;
Que je suis le petit ami du vent d’ouest;
Que je suis l’ombre immense de mes larmes.
Couvre-moi d’un voile dans l’aurore,
Car elle me lancera des poignées de fourmis,
Et mouille d’une eau dure mes souliers
Afin que glisse la pince de son scorpion.
Car je veux dormir le sommeil des pommes
Pour apprendre un sanglot qui de la terre me nettoie;
Car je veux vivre avec cet enfant obscur
Qui voulait s’arracher le coeur en pleine mer.
“Neveu de Gómez Manrique (1412-1490), Jorge Manrique naît probablement à Paredes de Navas, sans doute en 1440. Quatrième fils du grand maître don Rodrigo Manrique (1406-1476) , il est, comme les membres de son illustre famille, soldat de profession, menant une vie liée aux querelles dynastiques. Il fait son éducation à Tolède. Chevalier de l’ordre de Santiago, commandeur de Montizón, partisan de l’infant Alfonso contre Enrique IV, roi “anormal” qui, selon Pierre Vilar, règne sur une cour aux moeurs étranges, il se rallie, à la mort de ce dernier, à la cause de soeur Isabel. La future Reine Catholique prétend à la succession de son frère, contre les partisans de Juana, la fille du roi, tenue pour illégitime et surnommée la Beltraneja. Jorge Manrique meurt, très jeune, les armes à la main, devant la forteresse de Garcí-Muñoz.”
Son oeuvre tient toute entière dans son Cancionero, mais elle doit sa postérité à un moment d’inspiration. Lorsque son père meurt en 1476, il compose une élégie funèbre, les quarante strophes de Coplas a la muerte de su padre. Elles sont une des sources essentielles de la poésie espagnole.
(Notices et notes de l’Anthologie bilingue de la poésie espagnole. Bibliothèque de la Pléiade. NRF, Gallimard. 1995.)
Coplas de Don Jorge Manrique por la muerte de su padre
Recuerde el alma dormida,
avive el seso y despierte
contemplando
cómo se pasa la vida,
cómo se viene la muerte
tan callando,
cuán presto se va el placer,
cómo, después de acordado,
da dolor;
cómo, a nuestro parescer,
cualquiera tiempo pasado
fué mejor.
Pues si vemos lo presente
cómo en un punto s’es ido
e acabado,
si juzgamos sabiamente,
daremos lo non venido
por pasado.
Non se engañe nadie, no,
pensando que ha de durar
lo que espera,
más que duró lo que vio
porque todo ha de pasar
por tal manera.
Nuestras vidas son los ríos
que van a dar en la mar,
qu’es el morir;
allí van los señoríos
derechos a se acabar
E consumir;
allí los ríos caudales,
allí los otros medianos
E más chicos,
Alleguados, son iguales
los que viven por sus manos
E los ricos.
Dexo las invocaciones de los famosos poetas y oradores; non curo de sus fictiones, que traen yerbas secretas sus sabores; Aquél sólo m’ encomiendo, aquél sólo invoco yo de verdad, que en este mundo viviendo el mundo non conoció su deidad. [………………………………………………]
Decidme: la hermosura,
la gentil frescura y tez
de la cara,
el color e la blancura,
cuando viene la vejez,
¿cuál se para?
Las mañas e ligereza
E la fuerça corporal
de juventud,
todo se torna graveza
cuando llega al arrabal
de senectud.
[…………………………………………………]
¿Qué se hizo el rey don Juan?
Los infantes d’ Aragón
¿qué se hicieron?
¿Qué fue de tanto galán,
qué fue de tanta invinción
que truxeron?
Las justas e los torneos,
paramentos, bordaduras
e çimeras,
¿fueron sino devaneos?
¿qué fueron sino verduras
de las eras?
¿Qué se hicieron las damas,
sus tocados e vestidos,
sus olores?
¿Qué se hicieron las llamas
de los fuegos encendidos
d’amadores?
¿Qué se hizo aquel trobar,
las músicas acordadas
que tañían?
¿Qué se hizo aquel dançar,
aquellas ropas chapadas
que traían?
Pues el otro, su heredero,
don Enrique, ¡qué poderes
alcanzaba!
¡Cuán blando, cuán halaguero
el mundo con sus placeres
se le daba!
Mas verás cuán enemigo,
cuán contrario, cuán cruel
se le mostró;
habiéndole seido amigo,
¡cuán poco duró con él
lo que le dió!
Las dádivas desmedidas,
los edificios reales
llenos d’ oro,
las baxillas tan febridas,
los enriques e reales
del tesoro;
los jaeces, los cavallos
de sus gentes e atavíos
tan sobrados,
¿dónde iremos a buscallos?
¿qué fueron sino rocíos
de los prados?
Pues su hermano el inocente,
qu’ en su vida sucesor
le ficieron
¡qué corte tan excellente
tuvo e cuánto grand señor
le siguieron!
Mas, como fuese mortal,
metióle la muerte luego
en su fragua.
¡Oh, juïcio divinal,
cuando más ardía el fuego,
echaste agua!
Pues aquel gran Condestable,
maestre que conoscimos
tan privado,
non cumple que dél se hable,
Mas sólo como lo vimos
degollado.
Sus infinitos tesoros,
sus villas y sus lugares,
su mandar,
¿qué le fueron sino lloros?
¿Qué fueron sino pesares
al dexar?
E los otros dos hermanos,
maestres tan prosperados
como reyes,
C’a los grandes e medianos
truxeron tan sojuzgados
a sus leyes;
aquella prosperidad
qu’en tan alta fue subida
y ensalzada,
¿qué fue sino claridad
que cuando más encendida
fue amatada?
Tantos duques excellentes,
tantos marqueses e condes
e varones
como vimos tan potentes,
di, Muerte, ¿dó los escondes
e traspones?
E las sus claras hazañas
que hicieron en las guerras
y en las paces,
cuando tú, cruda, t’ensañas,
con tu fuerça las atierras
E deshaces.
Las huestes innumerables, los pendones, estandartes e banderas, los castillos impugnables, los muros e baluartes e barreras, la cava honda, chapada, o cualquier otro reparo, ¿qué aprovecha? cuando tú vienes airada, todo lo pasas de claro con tu flecha.
[…………………………………………………]
«Coplas» sur la mort de son père
Que l’âme endormie s’éveille, L’esprit s’avive et s’anime, Contemplant Comme s’écoule la vie, Comme s’approche la mort Tant muette; Comme le plaisir part vite, Et, remémoré, qu’il est Douloureux, Comme à notre entendement Tout moment dans le passé Fut meilleur.
Lors si voyons le présent
Si vitement en allé,
Achevé,
Si nous jugeons sagement,
Nous tiendrons le non venu
Pour passé.
Que nul ne se leurre, non,
Pensant que ce qu’il attend
Durera
Plus que dura ce qu’il vit,
Puisque tout s’écoulera
Mêmement.
Nos vies, elles sont les fleuves
Qui vont se perdre en la mer
Du mourir;
Là s’en vont les seigneuries
Sans détours se consumer
Et s’éteindre;
Là vont les fleuves majeurs,
Là vont les autres, moyens
Ou petits,
Et là deviennent égaux,
Ceux qui vivent de leurs mains
Et les riches.
J’omets les invocations
Des très fameux orateurs
Et poètes;
N’ai cure de leurs fictions,
Elles ont d’herbes secrètes
La saveur.
Á celui-là seul me fie,
Celui seul, en vérité,
Que j’invoque,
Lui qui vécut en ce monde
Où fut sa divinité
Méconnue.
……………………………
Dites- moi, que sont beauté
Gentille fraîcheur et teint
Du visage,
La roseur et la blancheur,
Lorsque vieillesse survient,
Que sont-elles?
L’adresse et l’agilité
Et la force corporelle
De jeunesse,
Tout se mue en pesanteur
Quand on parvient au faubourg
De vieillesse.
……………………………….
Où est le roi Don Juan?
Et les infants d’Aragon
Où sont-ils?
Qu’advint-il de ces galants,
De toutes les inventions
Qu’apportèrent?
Les joutes et les tournois,
Les parements, broderies
Et cimiers,
Que furent sinon chimères,
Que furent-ils sinon herbes
Dans les aires?
Que sont devenues ces dames
Leurs coiffes et vêtements
Leurs parfums?
Que sont devenues les flammes
Des feux où se consumaient
Les amants?
Qu’advint-il de ces trouvères,
Des musiques mélodieuses
Qu’ils jouaient?
Que sont devenues leurs danses,
Et ces robes damassées
Qu’ils portaient?
Et, l’autre, son héritier,
Don Enrique, à quel pouvoir
Parvenait!
Combien doux, combien flatteur
Le monde avec ses plaisirs
Se donnait!
Mais voyez combien adverse,
Combien contraire et cruel
Se montra:
L’ayant comblé d’amitié,
Combien peu dura pour lui
Son offrande.
Les présents démesurés,
Les édifices royaux
Garnis d’or,
Les vaisselles scintillantes,
Les écus et les réaux
Du trésor,
Les harnais et les chevaux
De ses gens et leurs parures
Opulentes,
Où irons-nous les chercher?
Qu’étaient-ils, sinon rosée
Sur les prés?
Et son frère l’innocent,
Que l’on fit son successeur,
Lui vivant,
Qu’excellente fut sa cour,
Et combien de grands seigneurs,
Le suivirent!
Mais comme il était mortel,
L’emporta bientôt la Mort
Dans sa forge.
Ô céleste jugement!
Quand le feu ardait le plus,
L’eau tomba.
Puis ce fameux connétable,
Grand-Maître que nous connûmes
Favori,
Point ne sied d’en dire plus,
Hormis que décapité
Nous le vîmes.
Ses innombrables trésors,
Et ses villes et ses bourgs,
Et ses charges,
Que lui furent, sinon larmes?
Que furent-ils sinon peine,
les quittant?
Aussi les deux autres frères,
Maîtres prospères autant
Que des rois,
Qui les grands et les petits
Fortement assujétirent
Á leurs lois;
Cette prospérité-là
Aux grandes cimes portée
Et louée,
Que fut donc sinon lueur
Qui lorsque plus éclatante
Fut éteinte?
Et tant de ducs renommés,
Tant de marquis et de comtes,
de barons,
Que nous vîmes si puissants,
Dis, Mort, où les caches-tu
Et les gardes?
Toutes les actions fameuses
Qu’ils accomplirent en guerre
Et en paix,
Toi, cruelle, tu t’acharnes,
Et ta force les renverse
Et défait.
Les innombrables armées,
Les pennons, les étendards,
Les bannières,
Les châteaux inexpugnables,
les murailles, les remparts,
Les barrières,
Les fossés forts et profonds,
Où n’importe quel refuge,
Á quoi servent?
Car tu viens irritée,
Tout, à ton gré, tu transperces
de ta flèche.
………………………………………
Coplas, GLM, Paris, 1962. Traduction Guy Lévis-Mano.
Les Coplas ont été traduites par Guy Lévis Mano (Coplas, Éditions GLM, 1962), puis par Guy Debord (Stances sur la mort de son père, Champ libre, 1980, réédition Le Temps qu’il fait, 1996). Serge Fauchereau a publié une traduction en 2005 aux éditions Séquences. Michel Host, une autre en 2011 aux Éditions de l’Atlantique.
Der Doppelgänger. Verdier. Lettres, documents et poèmes édités par Adolf Beck, traduits de l’allemand par Thomas Buffet. 192 p. 18,00 €. Parution : juin 2020. Le 28 décembre 1795, le jeune poète Friedrich Hölderlin devient le précepteur des enfants de Jacob Friedrich Gontard, un riche banquier de Francfort. Très vite, Hölderlin tombe amoureux de l’épouse de son employeur, Susette Gontard. Friedrich a 25 ans, Susette 26.
L’idylle naissante entre le poète et la jeune femme sera favorisée par des circonstances exceptionnelles : à l’été 1796, les Français assiègent Francfort. Le banquier envoie sa femme, ses enfants et ses serviteurs près de Kassel pour les mettre à l’abri. Dès lors, Hölderlin et Susette Gontard nouent des liens d’une intensité exceptionnelle. Dans le roman qu’il est en train d’écrire, Hypérion, elle devient Diotima, du nom de la prêtresse de Mantinée dont Socrate rapporte l’enseignement sur l’amour dans Le Banquet de Platon.
En septembre 1798, une dispute éclate entre Hölderlin et Jacob Gontard, qui ne supporte plus les assiduités du jeune précepteur auprès de sa femme. Le poète quitte son emploi, mais reste secrètement en relation avec Diotima. Lorsqu’il apprendra sa mort, en 1802, son deuil insurmontable lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux poèmes avant de contribuer au déclin de ses facultés mentales, jusqu’à la crise de folie qui le conduit en clinique psychiatrique en 1806, avant son installation chez le menuisier Zimmer à Tübingen. Les lettres, poèmes et témoignages contenus dans ce livre ont fait sortir la Diotima de Hölderlin de l’ombre où l’avait maintenue l’histoire littéraire. Elle se révèle une figure éminemment attachante, pleinement digne de l’amour que lui portait le poète, et tout à fait consciente du génie de celui-ci.
«Le recueil que proposent les éditions Verdier est la traduction de l’ouvrage publié par Adolf Beck en 1980 chez lnsel Verlag, intitulé Hölderlins Diotima Susette Gontard, aujourd’hui épuisé. Il rassemble la correspondance du poète et de cette femme, Susette Gontard, dont il fut l’amant et qui lui inspira le personnage de Diotima, nom emprunté à la prêtresse de l’amour du Banquet platonicien. Il contient les lettres des deux amants, plus particulièrement celles de Susette, quelques poèmes et textes en prose d’Hölderlin. Certaines lettres avaient déjà été publiées en français (1) ; c’est une nouvelle traduction qui nous en est proposée. S’y a joutent des témoignages de première main sur la personnalité de Susette, sur sa relation avec le poète et le milieu social auquel elle appartenait.» (Jasques Henric, art press 479, juillet-août 2020.)
(1) Oeuvres. Lettres de Susette Gontard à Hölderlin en appendice à la Correspondance complète. Traduction de Denise Naville, Paris, Gallimard, 1948 (d’après l’édition des Hölderlins sämtliche Werke, Berlin 1943)
Friedrich Hölderlin (1770-1843) arrive à Bordeaux le 28 janvier 1802 au matin, après un voyage difficile (par Lyon, l’Auvergne, le Périgord). Il demande son chemin pour arriver jusqu’au domicile du consul de la république de Hambourg (37 allées de Tourny), Daniel Christophe Meyer, négociant en vins installé depuis vingt-sept ans à Bordeaux, marié à une française et propriétaire de vignobles à Blanquefort, dans le Médoc. Il doit servir de précepteur aux enfants du couple. Fatigué par de longues journées de marche, il traverse le pont sur la Garonne. Il aime ce fleuve et sa courbe, le port rempli de bateaux. Le vent sent le sel, la mer qu’il n’a jamais vue. Il est bien reçu par le consul en personne. On lui montre sa chambre. Le soir même, il écrit à sa mère: « Je suis presque trop magnifiquement logé.». L’instruction des cinq fillettes ne lui donne aucun mal, mais son caractère taciturne frappe les Meyer. Il se promène souvent sur les quais de la Garonne et accompagne les enfants au bord de l’océan. Il quitte de façon précipité la ville en mai 1802. Il aura passé cent deux jours en Aquitaine. On sait peu de choses de ce séjour, mais il a laissé un beau poème, Souvenir, et quelques allusions dans des esquisses. Il décrit ainsi son état: «L’élément violent, le feu du ciel et le silence des hommes […] cela m’a saisi et, comme on le dit des héros, je peux dire de moi aussi qu’Apollon m’a frappé.» Il a probablement effectué à pied le voyage de retour à travers la France post-révolutionnaire. Il passe par la Vendée et Paris où il visite les Antiquités au Louvre. Un mois après son départ, il reparaît à Stuttgart, «blanc comme un mort, amaigri, avec de grands yeux creux et le regard égaré, la barbe et le cheveu longs, vêtu comme un mendiant». En passant par Francfort, il y a appris la mort le 22 juin 1802 de sa muse Susette Gontard (1769-1802), épouse d’un banquier d’origine grenobloise et huguenote, Jacob Gontard. Hölderlin l’a célébrée sous le nom de Diotima dans le roman épistolaire Hypérion ou l’Ermite de Grèce (1797-99). «C’est un terrible mystère qu’un être pareil soit destiné à mourir». Les critiques datent l’éclosion de la «folie» du poète du retour de Bordeaux. Son état de santé se dégrade de plus en plus. Il est interné le 11 septembre 1806 de force en clinique à Tübingen. Il échappe à cet enfer le 3 mai 1807, et devient pendant trente-six ans le pensionnaire du menuisier Ernst Zimmer, grand lecteur d’Hypérion, au premier étage d’une tour de Tübingen qui domine le Neckar. Hölderlin rédige encore des poèmes portant principalement sur le cycle naturel des saisons. Il meurt à 73 ans le 7 juin 1843 vers onze heures du soir. Il est enterré au cimetière de Tübingen.
Souvenir
Le vent du Nord-Est se lève,
De tous les vents mon préféré
Parce qu’il promet aux marins
Haleine ardente et traversée heureuse.
Pars donc et porte mon salut
A la belle Garonne
Et aux jardins de Bordeaux, là-bas
Où le sentier sur la rive abrupte
S’allonge, où le ruisseau profondément
Choit dans le fleuve, mais au-dessus
Regarde au loin un noble couple
De chênes et de trembles d’argent.
Je m’en souviens encore, et je revois
Ces larges cimes que penche
Sur le moulin la forêt d’ormes,
Mais dans la cour, c’est un figuier qui croît.
Là vont aux jours de fête
Les femmes brunes
Sur le sol doux comme une soie,
Au temps de Mars,
Quand la nuit et le jour sont de même longueur,
Quand sur les lents sentiers
Avec son faix léger de rêves,
Brillants, glisse le bercement des brises.
Ah! qu’on me tende,
Gorgée de sa sombre lumière,
La coupe odorante
Qui me donnera le repos! Oh, la douceur
D’un assoupissement parmi les ombres!
Il n’est pas bon
De n’avoir dans l’âme nulle périssable
Pensée, et cependant
Un entretien, c’est chose bonne, et de dire
Ce que pense le cœur, d’entendre longuement parler
Des journées de l’amour
Et des grands faits qui s’accomplissent.
Mais où sont-ils ceux que j’aimai? Bellarmin
Avec son compagnon? Maint homme
A peur de remonter jusqu’à la source;
Oui, c’est la mer
Le lieu premier de la richesse. Eux,
Pareils à des peintres, assemblent
Les beautés de la terre, et ne dédaignent
Point la Guerre ailée, ni
Pour des ans, de vivre solitaires
Sous le mât sans feuillage, aux lieux où ne trouent point
La nuit
De leurs éclats les fêtes de la ville,
Les musiques et les danses du pays.
Mais vers les Indes à cette heure Ils sont partis, ayant quitté Là-bas, livrée aux vents, la pointe extrême Des montagnes de raisin d’où la Dordogne Descend, où débouchent le fleuve et la royale Garonne, larges comme la mer, leurs eaux unies. La mer enlève et rend la mémoire, l’amour De ses yeux jamais las fixe et contemple, Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure.
Que mille rivières bercent tes gestes.
Oeuvres. Gallimard. Bibliothèque de la Pléiade. Édition sous la direction de Philippe Jaccottet. 1967. Traduction: Gustave Roud.
Cette lettre figure en tête du Livre de l’intranquillité (Édition intégrale. Christian Bourgois éditeur. 1999). Mário Sá-Carneiro, poète et écrivain portugais, a vécu à Paris de 1912 à 1916. Ce grand ami de Fernando Pessoa s’est suicidé le 26 avril, à l’âge de 26 ans dans un hôtel du IX ème arrondissement, 29 rue Victor-Massé. C’est de là qu’il communiquait à ses amis les nouveautés produites par les mouvements artistiques de l’avant-garde européenne. Il s’est donné la mort près d’un mois après avoir annoncé son suicide dans une lettre à Fernando Pessoa.
Lettre à Mário de Sá-Carneiro
« 14 mars 1916 Je vous écris aujourd’hui poussé par un besoin sentimental – un désir aigu et douloureux de vous parler. Comme on peut le déduire facilement, je n’ai rien à vous dire. Seulement ceci- que je me trouve aujourd’hui au fond d’une dépression sans fond. L’absurdité de l’expression parlera pour moi. Je suis dans un de ces jours où je n’ai jamais eu d’avenir. Il n’y a qu’un présent immobile, encerclé d’un mur d’angoisse. La rive d’en face du fleuve n’est jamais, puisqu’elle se trouve en face, la rive de ce côté-ci; c’est là toute la raison de mes souffrances. Il est des bateaux qui aborderont à bien des ports, mais aucun n’abordera à celui où la vie cesse de faire souffrir, et il n’est pas de quai où l’on puisse oublier. Tout cela s’est passé voici bien longtemps, mais ma tristesse est plus ancienne encore. En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, ironiquement, un jouet de fer-blanc. Aujourd’hui 14 mars, à neuf heures dix du soir, voilà toute la saveur, voilà toute la valeur de ma vie. Dans le jardin que j’aperçois, par les fenêtres silencieuses de mon incarcération, on a lancé toutes les balançoires par-dessus les branches, d’où elles pendent maintenant ; elles sont enroulées tout là-haut; ainsi l’idée d’une fuite imaginaire ne peut même pas s’aider des balançoires, pour me faire passer le temps. Tel est plus ou moins, mais sans style, mon état d’âme en ce moment. Je suis comme la Veilleuse du Marin, les yeux me brûlent d’avoir pensé à pleurer. La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées, par les interstices. Tout cela est imprimé en caractères tout petits, dans un livre dont la brochure se défait déjà. Si ce n’était à vous, mon ami, que j’écris en ce moment, il me faudrait jurer que cette lettre est sincère, et que toutes ces choses, reliées hystériquement entre elles, sont sorties spontanément de ce que je me sens vivre. Mais vous sentirez bien que cette tragédie irreprésentable est d’une réalité à couper au couteau – toute pleine d’ici et de maintenant, et qu’elle se passe dans mon âme comme le vert monte dans les feuilles. Voilà pourquoi le Prince ne régna point. Cette phrase est totalement absurde. Mais je sens en ce moment que les phrases absurdes donnent une envie de pleurer. Il se peut fort bien, si je ne mets pas demain cette lettre au courrier, que je la relise et que je m’attarde à la recopier à la machine pour inclure certains de ses traits et de ses expressions dans mon Livre de l’intranquillité. Mais cela n’enlèvera rien à la sincérité avec laquelle je l’écris, ni à la douloureuse inévitabilité avec laquelle je la ressens. Voilà donc les dernières nouvelles. Il y a aussi l’état de la guerre avec l’Allemagne, mais déjà bien avant cela, la douleur faisait souffrir. De l’autre côté de la vie, ce doit être la légende d’une caricature quelconque. Cela n’est pas vraiment la folie, mais la folie doit se procurer un abandon à cela même dont on souffre, un plaisir, astucieusement savouré, des cahots de l’âme- peu différents de ceux que j’éprouve maintenant. Sentir- de quelle couleur cela peut-il être? Je vous serre contre moi mille et mille fois, vôtre, toujours vôtre. Fernando Pessoa PS: J’ai écrit cette lettre d’un seul jet. En la relisant, je vois que, décidément, je la recopierai demain avant de vous l’envoyer. J’ai bien rarement décrit aussi complètement mon psychisme, avec toutes ses facettes affectives et intellectuelles, avec toute son hystéro-neurasthénie fondamentale, avec tous ces carrefours et intersections dans la conscience de soi-même qui sont sa caractéristique si marquante… Vous trouvez que j’ai raison, n’est-ce pas?» (Traduction: Françoise Laye).
[Carta a Mário de Sá-Carneiro – 14 Mar. 1916] Lisboa, 14 de Março de 1916 Meu querido Sá-Carneiro: Escrevo-lhe hoje por uma necessidade sentimental — uma ânsia aflita de falar consigo. Como de aqui se depreende, eu nada tenho a dizer-lhe. Só isto — que estou hoje no fundo de uma depressão sem fundo. O absurdo da frase falará por mim. Estou num daqueles dias em que nunca tive futuro. Há só um presente imóvel com um muro de angústia em torno. A margem de lá do rio nunca, enquanto é a de lá, é a de cá, e é esta a razão intima de todo o meu sofrimento. Há barcos para muitos portos, mas nenhum para a vida não doer, nem há desembarque onde se esqueça. Tudo isto aconteceu há muito tempo, mas a minha mágoa é mais antiga. Em dias da alma como hoje eu sinto bem, em toda a consciência do meu corpo, que sou a criança triste em quem a vida bateu. Puseram-me a um canto de onde se ouve brincar. Sinto nas mãos o brinquedo partido que me deram por uma ironia de lata. Hoje, dia catorze de Marco, às nove horas e dez da noite, a minha vida sabe a valer isto. No jardim que entrevejo pelas janelas caladas do meu sequestro, atiraram com todos os balouços para cima dos ramos de onde pendem; estão enrolados muito alto, e assim nem a ideia de mim fugido pode, na minha imaginação, ter balouços para esquecer a hora. Pouco mais ou menos isto, mas sem estilo, é o meu estado de alma neste momento. Como à veladora do «Marinheiro» ardem-me os olhos, de ter pensado em chorar. Dói-me a vida aos poucos, a goles, por interstícios. Tudo isto está impresso em tipo muito pequeno num livro com a brochura a descoser-se. Se eu não estivesse escrevendo a você, teria que lhe jurar que esta carta é sincera, e que as cousas de nexo histérico que aí vão saíram espontâneas do que sinto. Mas você sentirá bem que esta tragédia irrepresentável é de uma realidade de cabide ou de chávena — cheia de aqui e de agora, e passando-se na minha alma como o verde nas folhas. Foi por isto que o Príncipe não reinou. Esta frase é inteiramente absurda. Mas neste momento sinto que as frases absurdas dão uma grande vontade de chorar. Pode ser que se não deitar hoje esta carta no correio amanhã, relendo-a, me demore a copiá-la à máquina, para inserir frases e esgares dela no «Livro do Desassossego». Mas isso nada roubará à sinceridade com que a escrevo, nem à dolorosa inevitabilidade com que a sinto. As últimas notícias são estas. Há também o estado de guerra com a Alemanha, mas já antes disso a dor fazia sofrer. Do outro lado da Vida, isto deve ser a legenda duma caricatura casual. Isto não é bem a loucura, mas a loucura deve dar um abandono ao com que se sofre, um gozo astucioso dos solavancos da alma, não muito diferentes destes. De que cor será sentir? Milhares de abraços do seu, sempre muito seu Fernando Pessoa P. S. — Escrevi esta carta de um jacto. Relendo-a, vejo que, decididamente, a copiarei amanhã, antes de lha mandar. Poucas vezes tenho tão completamente escrito o meu psiquismo, com todas as suas atitudes sentimentais e intelectuais, com toda a sua histeroneurastenia fundamental, com todas aquelas intersecções e esquinas na consciência de si próprio que dele são tão características… Você acha-me razão, não é verdade? 14-3-1916 Escritos Íntimos, Cartas e Páginas Autobiográficas.